Laïcité - Islam : Un débat qui empoisonne l'Ecole 

Par François Jarraud



Le débat "sur la laïcité" ouvert par l'UMP est dangereux pour l'Ecole. Il avive ses contradictions et surtout menace d'aggraver ses difficultés. Mis en forme par l'UMP le 5 avril, il a déjà des retombées concrètes dans les établissements. A défaut d'une modération ministérielle, la vigilance des éducateurs s'impose.


Le débat sur la laïcité est bien un débat contre l'islam

Sous le titre "pacte républicain. Laïcité pour mieux vivre ensemble", le document de l'UMP affiche dès la page 2 qu'il s'agit d'un débat sur l'islam. " Depuis 1905 ou 1920, le contexte a changé : l’islam est la 2e religion en France et, dans certaines parties du territoire, elle devient même majoritaire", écrit l'UMP. "Alors que l’Europe sécularisée avait presque oublié la question religieuse, le développement de l’islam la remet à l’ordre du jour et rend nécessaires certaines clarifications parce que des valeurs essentielles de la République sont remises en cause à certaines occasions – l’égalité entre les hommes et les femmes, la neutralité de l’État et de ses agents… – et que cela fragilise l’ensemble de la communauté nationale". Il faut atteindre les annexes pour avoir un discours sur la laïcité et son histoire.


Les juifs à leur tour... Le même jour le secrétaire d'Etat au logement, Benoist Apparu s'en est pris aux établissements hors contrat musulmans et juifs. Selon lui, "240.000 enfants sont éduqués dans des collèges où, de 10 ans à 16 ans, le seul programme, c'est l'apprentissage de la religion. L'histoire, la géo, les maths, la physique, ça n'existe pas" . Pour lui cela concerne "principalement deux religions: les écoles dites loubavitch, hors Consistoire, et quelques écoles coraniques". L'enseignement hors contrat regroupe 19 000 élèves au primaire et 30 000 dans le secondaire. Ces établissements sont tenus de suivre les enseignements du socle , tout comme els parents qui scolarisent à domicile.


Les cantines scolaires prises en otage par l'UMP. C'est NKM qui a ouvert la guerre du hachis Parmentier. Le 4 avril sur France Inter, Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, a dénoncé "des enfants de 6 ans qui refusent de manger du hachis Parmentier à la cantine sous prétexte que le boeuf n'a pas été égorgé comme il est prescrit rituellement".  Cette contribution au débat "sur la laïcité" mené par l'UMP montrait la méchanceté de ces parents qui affament leurs propres enfants. Le débat devait tourner court grâce à une enquête d'Arrêt sur image démontrant que dans les propos ministériels étaient pour le moins aventureux.


La question des cantines est relancée le 6 avril par des propos de Claude Guéant. Selon AP, dans le Figaro magazine, le ministre de l'intérieur déclare : "Il n'est pas possible qu'un usager du service public, un élève ou ses parents, exige que le service public s'adapte à sa pratique religieuse. Si un élève a un problème religieux avec la consommation de telle ou telle viande, il est normal qu'on lui propose un menu adapté, par exemple sans viande". En clair les enfants qui refusent de manger du porc devront se passer de viande ou de repas. Le ministre, chargé de préparer des textes réglementaires suite au débat "sur la laïcité", donne à penser que des instructions devraient interdire les repas sans porc dans les cantines scolaires.


La réaction des parents. Interrogé par le Café, Jean-Jacques Hazan, président de la FCPE, juge sévèrement ces propos. "Il n'y a pas de limite à l'organisation de la défiance et de la ségrégation", nous dit-il. "Que doit-on faire le Vendredi saint ? Guéant compte-il changer aussi le calendrier catholique ou s'arrêtera-t-il à la porte d'une religion ? Ca ressemble à un mauvais film de préparation de vraies guerres de religion. Demander aux gens de s'assimiler pour avoir un droit à l'intégration. Quel programme ! Ca ressemble au programme d'un parti dont nous n'acceptons pas les membres à la FCPE". Le président de la FCPE demande aussi "que doit-on faire avec les agents de service et de cuisine qui sont musulmans ? Doivent-ils enlever leur charlotte et leur masque durant le travail ?"


Des mesures qui concernent l'Ecole. On le constate le débat a porté sur l'Ecole. Luc Chatel a annoncé une circulaire demandant que les mères qui accompagnent des sorties scolaires "ne portent pas de signe religieux". Il a validé la réaction d'une directrice d'école qui a écarté préventivement des sorties des mères musulmanes porteuses d'un foulard. Des propositions UMP, le gouvernement devrait également retenir " l'enseignement renforcé de la laïcité à l’école, dans le cadre de l’instruction civique", "le rappel des textes pertinents par voie d’instructions ministérielles pour l’organisation du service public (aucun menu religieux dans les cantines publiques)". Des mesures qui semblent modérées mais qui, dans le contexte de discrimination, poussent aux dérapages.


Les dérapages sont déjà là. C'ets une nouvelle affaire de mère voilée qui est apparue à Poussan. La mère d’un élève du collège Via Domitia de Poussan (Hérault) s’est vue refuser l’entrée dans l’établissement au motif qu’elle portait un fichu, rapporte le Midi Libre. Il précise, photo à l'appui qu'il s'agit d'un voile à fleurs ne cachant absolument pas le visage. " Je n’ai rien compris. J’ai d’abord été surprise, puis vexée. Je me suis soudain sentie clairement discriminée. Non seulement il ne s’agit pas d’un voile intégral, encore moins d’une burka puisque j’étais en jean, mais en plus je suis déjà entrée au collège avec ce voile", raconte Fatima Ouhamma, la mère. Les réactions de la principale sont pour le moins surprenantes. "Je la soupçonnerais presque de l’avoir fait exprès" répond-elle aux questions du journaliste du Midi Libre. " J’ai proposé à cette maman de passer par une porte indépendante située à l’arrière du collège et réservée aux professeurs pour éviter de traverser la cour et de croiser les élèves", ajoute-elle. Déjà toutes les mamans ne se valent pas. Et les enfants ?


Un autre dérapage a eu lieu dans un lycée du 93. Selon l'AFP, quatre jeunes filles, élèves du lycée Blanqui de Saint-Ouen ont été convoquées le 16 mars par le proviseur-adjoint et le CPE de l'établissement. à propos de leur robe noire et ample. Selon les jeunes filles elles auraient été clairement menacées de renvoi. On aurait invoqué la loi sur le voile, respectée par les 4 jeunes filles, et on leur aurait dit qu'elle ne concernait pas que le voile et que la robe était un signe religieux ostentatoire. Selon le Snes, c'est plus ambigu. on leur aurait demandé de réfléchir à leur maintien dans l'établissement... Au rectorat de Créteil comme au ministère on ne commente pas l'événement. Mais il arrive dans le climat créé par la lettre de L Chatel aux parents d'une école du même département qui tend à refuser les mères portant le voile dans les écoles et par le "débat sur l'islam" lancé par le président de la République et qui pousse chaque jour à la discrimination. Sur Facebook plusieurs groupes d'anciens de lycéens de Blanqui et d'ailleurs prennent la défense des lycéennes. " Petit message de soutien à ces pauvres filles aux robes longues dont la seule erreur, c'est d'avoir anticipé la tendance de cet été, en tout cas rien qui porte atteinte aux lois de la République!", dit l'un.


L'Ecole face à ses contradictions. Si la campagne anti-musulmane fait ainsi écho dans l'Ecole c'est qu'elle n'échappe pas à la discrimination. On sait que les résultats du système éducatif sont fortement corrélés aux inégalités sociales, en France beaucoup plus que dans d'autres pays de l'OCDE. On sait aussi que les inégalités sociales ne sont pas sans rapport avec les différences ethniques. C'est en étudiant les collèges aquitains que Georges Felouzis a mis en évidence la ségrégation ethnique qui frappe l'école républicaine et le fait que l'ECole soit elle-même productrice de ségrégation. En 2004, il nous disait " On ne peut pas parler de xénophobie ou de racisme. Mais on observe en effet de la ségrégation au collège et certaines origines en sont plus victimes que d'autres : c'est plus net pour les personnes originaires du Maghreb, d'Afrique noire ou de Turquie. Peut-on parler de discrimination ? Oui et non. Oui car cela crée une situation sociale qui produit une identification de l'individu sur une base ethnique qu'il soit allochtone ou autochtone. Dans les collèges, on observe que ça incite à produire des identités centrées sur l'ethnicisation. Ca peut produire une lecture de la société en terme de relations raciales".C'est l'Ecole qui doit affronter les difficultés sociales, le racisme ambiant dans la société et  en même temps porter l'intégration. Une tension qui fait sauter les plombs ici ou là aux équipes éducatives.


Chatel crée un Conseil sur les discriminations scolaires. Luc Chatel a nommé le 29 mars François Héran président du "Conseil scientifique sur les discriminations à l'école". Sa lettre de mission lui demande  "d'identifier et combattre les freins à la relance de l'égalité des chances et améliorer l'égalité entre les filles et les garçons". Le conseil pourra s'appuyer sur le rapport sur les discriminations remis en octobre 2010. Il préconise un effort de formation des enseignants, un travail sur l'orientation, des expérimentations. Des propositions fort modestes par rapport aux enjeux. Car lutter contre les discriminations interroge directement la politique gouvernementale. La suppression de la carte scolaire, la modestie des moyens attribués à l'éducation prioritaire, pour ne retenir que ce qui concerne directement Luc Chatel, sont autant de mesures qui affectent directement les discriminations territoriales. Pour rendre les choses encore un peu plus artificielles, le communiqué ministériel associe la lutte contre le harcèlement scolaire à ce dispositif. La lettre de mission de F Héran ne l'évoque pourtant pas.


Les réactions des acteurs de l'Ecole. "Les propositions du ministre ne sont pas suffisantes", disent à la fois le Snuipp et le Sgen, en réponse à la création du Conseil scientifique sur les discriminations à l'école.  Pour le Snuipp, dans une lettre du 3 avril, ces deux objectifs sont insuffisants et le Snuipp souhaite que "soient intégrées dans les missions du Conseil scientifique sur les discriminations, des recommandations de travail sur l’ensemble des discriminations et sur l’implication de l’école primaire en particulier". "Qu'en est-il du handicap, des discriminations relatives à l'identité de genre, au racisme et à la xénophobie ?", écrit le Sgen Cfdt dans un communiqué du 1er avril. "Faut-il que les discriminations soient priorisées et hiérarchisées pour qu'elles trouvent grâce au Conseil scientifique ?" Le Sgen rappelle que "le seul assouplissement de la carte scolaire conjugué au « busing » a creusé un peu plus le fossé entre territoires et va à l'encontre de l'intention affichée de mixité sociale, d'égalité des chances". Le syndicat estime que "la composition du Conseil scientifique pose question", notamment s'agissant des personnalités expertes en matière d'égalité des chances et d'égalité filles - garçons. " Ne s'agit-il pas de conduire une nouvelle fois des travaux d'expertise et des consultations qui resteront dans des placards ?" Pour s'en assurer le Sgen demande à entrer dans le Conseil.


Si les principaux syndicats ont signé ensemble une déclaration hostile à la montée du F.N., sauront-ils dans les établissements faire obstacle à la montée de l'intolérance ? Concrètement le Snuipp a invité ses adhérents à ne pas afficher le document anti-burqa. "Le SNUipp s'interroge sur l'intérêt d'imposer une campagne d'affichage dans les écoles" , écrit le Snuipp dans un communiqué du 5 avril. Le syndicat estime que " si exceptionnellement, des situations délicates peuvent se présenter, elles sont bien loin d'être au coeur des défis posés aujourd'hui à l'école. Les enseignants des écoles travaillent en dialogue régulier avec les familles, au bien-être des enfants, à leur réussite scolaire, à leur développement, à leur épanouissement, au vivre ensemble", écrit le Snuipp. "Il serait utile que le gouvernement s'y implique avec la même détermination et la même volonté de dialogue. C'est par là que se construisent les valeurs de la République et de la laïcité". Pour le syndicat, "c'est la médiation qui doit s'afficher".

Félouzis

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/larecherc[...]

Communiqué Snuipp

http://www.snuipp.fr/Le-SNUipp-ecrit-au-Ministre-sur-le

Sur la création du Conseil

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/[...]

Entretien avec S Sihr (Snuipp)

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/[...]

Communiqué

http://www.education.gouv.fr/cid55600/lutte-contre-l[...]

Le rapport sur les discriminations

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2010/116_1.aspx

Dépêche AP

http://fr.news.yahoo.com/3/20110406/tpl-laicite-education-gueant-cfb2994_1.html

Arrêt sur image

http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3904

Un élément clé de la scolarisation

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pag[...]

Article du Midi libre

http://www.midilibre.com/articles/2011/04/05/A-LA-U[...]

Communiqué Snuipp

http://www.snuipp.fr/Loi-sur-la-dissimulation-du-visage


 

Non au débat procès de l'Islam

Par une pétition des citoyens français manifestent leur opposition au débat sur l'Islam que Nicolas Sarkozy entent mener.


"Nous, citoyens français de foi, de culture ou d’héritage islamique, immédiatement rejoints par des citoyens de toutes confessions ou sans confession, appelons le Président de la République et le gouvernement à renoncer au débat sur la laïcité et la place de l’islam en France, que l’UMP veut lancer le 5 avril". Lancée avec le soutien du Nouvel Observateur et de Respect Mag, la pétition dénonce une opération dangereuse. "Dans un climat de forte poussée de l’extrême-droite, après le fiasco du débat sur l’identité nationale, qui a libéré la parole raciste, nous estimons ce nouveau débat biaisé, stigmatisant et susceptible de mettre en péril une cohésion sociale déjà largement mise à mal par la politique actuelle. Alors qu’un formidable mouvement d’élan pour la démocratie a lieu dans les pays musulmans, nous dénonçons ces procès récurrents de l’islam et de tous ses représentants – ou désignés comme tels –, ainsi que cette instrumentalisation grossière du principe de laïcité."


La pétition bénéficie du soutien de personnalités comme Benjamin Stora, Raymond Aubrac, Martine Aubry, Tahar Ben Jelloun, Pascal Boniface, Daniel Cohn Bendit, Olivier Ferrand, Edgar Morin, etc.

Signez la pétition

http://www.respectmag.com/2011/03/23/signez-lappel[...]



Sur le site du Café

Par fjarraud , le dimanche 24 avril 2011.

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