INRP : La recherche pédagogique est-elle utile et doit-elle associer les enseignants ?  

Par François Jarraud



« Serez-vous le ministre qui fera disparaître plus d’un siècle d’investissement de la République dans la recherche en éducation ? » A une semaine de la remise d’un rapport qui devrait sceller l’intégration de l’INRP dans l’Ecole Normale Supérieure de Lyon ENS Lyon),  cet appel des personnels de l’INRP peut sembler alarmiste alors que le ministre lui-même est sur le départ. Mais c’est souvent dans ces entre-deux que se font les mauvais coups politiques. Le 5 novembre, la conférence de presse du personnel de l’INRP allait au-delà de la question de l’avenir de l’INRP pour poser deux interrogations. Y a-t-il encore une place pour la recherche pédagogique en France ? Les enseignants sont-ils concernés ou non par la recherche en éducation ?


 

Etait-ce un poisson d’avril ? Le 1er avril 2010, Luc Chatel avait fait le déplacement à Lyon pour ouvrir le colloque sur l’Ecole et la Nation qu’il avait lui-même confié à l’INRP. Il en vantait « le programme conçu par l'INRP, qui me parait particulièrement riche, notamment par la diversité des approches et des disciplines, qui garantissent la pluralité des débats ». Sept mois plus tard, le ministre attend pour le 15 novembre la remise d’un rapport sur l’intégration de l’INRP dans l’ENS de Lyon. Un avenir qui interroge celui de cette institution ainsi que celui des professeurs du primaire et du secondaire associés à la recherche en éducation.



Qu’est-ce que l’INRP ? Issu du « musée pédagogique » fondé en 1878, devenu établissement  public en 1954, l’INRP regroupe à la fois des équipes de recherche universitaire (UMR) expertisées par l’AERES, des formateurs intervenant à la demande des rectorats et des acteurs de terrain participant à la recherche et à la formation continue des enseignants. Au total 220 emplois, répartis sur plusieurs sites dont les principaux sont à Lyon, siège de l’INRP et à Rouen, où se trouve le Musée national de l’éducation. Même si un rapport d’audit de 2007 concluait par l’idée que « l’impact des travaux de l’INRP sur le système éducatif, même s’il est difficilement évaluable, apparaît extrêmement faible », les lecteurs du Café connaissent bien la veille scientifique et technologique de l’INRP, les recherche sur les TICE ou encore le site Educmath. Tous trois font référence et s’avèrent fort utiles aux enseignants de terrain. Car la particularité unique de l’INRP c’est justement d’associer aux recherches des universitaires des enseignants de terrain.

 

C’est cette « alchimie extraordinaire » que Luc Trouche, professeur des universités et membre d’Educmath et Eductice, a mise en avant le 5 novembre lors d’une conférence de presse qui réunissait les représentants du personnel de l’INRP, les syndicats (FSU, SGEN, UNSA, Sauvons la recherche) et de nombreuses associations partenaires (IREM, APMEP, APLVetc.). Au nom du personnel de l’INRP, qui suivait depuis Rouen et Lyon la conférence de presse, il a demandé le maintien de l’autonomie comptable et de la personnalité juridique de l’INRP, seuls susceptibles de maintenir les postes des enseignants du primaire et du secondaire détachés et la particularité de l’INRP. L’intégration dans l’ENS Lyon, ferait dépendre l’INRP de la seule tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et lui ferait perdre toute autonomie de gestion et de recherche. Line Audin, professeur d’anglais, souligne que « à l’INRP, le terrain n’est plus seulement pensé comme un élément extérieur qu’il convient d’observer, d’analyser pour éventuellement le transformer. Le terrain entre au coeur même des recherches comme un objet théorique tout en restant au plus près des préoccupations de ses acteurs, les enseignants ». Depuis Rouen, Laurent Tremel marque l’exaspération du personnel du musée, qui n’a « jamais été associé aux perspectives d’avenir » du musée alors que la décision pourrait être prise le 15 novembre.


Pourquoi cet acharnement ? « Le ministère de l’enseignement supérieur est-il décidé à  envoyer vers les seuls établissements d’enseignement supérieur la recherche en éducation ? Le ministère de l’éducation nationale a-t-il décidé de se priver d’un institut national capable d’accomplir les missions dont la communauté éducative a besoin (recherche, expertise, ressources, formation) ? » Ces interrogations de l‘intersyndicale (Fsu, Sgen, Unsa, Cgt) restent sans réponses puisqu’elle aussi n’a pas été reçue au ministère. Le 5 novembre, les syndicats avaient bien leurs explications de la mise à mort de l’INRP. Pour Emmanuel Saint-James, de Sauvons la recherche, le gouvernement refuse l’indépendance de la recherche et veut la soumettre à ses objectifs, comme il tente de le faire avec la réforme du CNRS.  Pour l’UNSA, l’intégration de l’INRP fait partie des objectifs budgétaires de la RGPP (révision générale des politiques publiques). Pour le Sgen, il y a « convergence des mesures contre tout ce qui ressemble à la pédagogie », à l’INRP comme pour les mouvements pédagogiques.


Quatre certitudes. Ce qui est certain c’est que le budget de l’INRP est maintenu dans le budget 2011 mais que c’est très probablement l’ENS Lyon qui va le toucher et en disposer. Il n’y a donc pas d’économie pour l’Etat mais un apport financier à l’ENS, qui fait d’ailleurs l’objet d’une restructuration avec l’ENS LSH. La troisième certitude c’est le silence du ministère. Contactée par le Café, la rue de Grenelle ne donne pas suite à nos demandes d’explications. Cela laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Dans quelle mesure l’intégration de l’INRP participe-t-elle d’une large restructuration liée à la volonté de mieux situer l’ENS Lyon dans le classement de Shanghai ? Dans quelle mesure permet-elle de financer à moindre frais l’ENS ?  Jusqu’à quel point s’agit-il de tordre le cou à un bastion de la pensée pédagogique ? Nos lecteurs en décideront.


Et un calendrier politique. Le 15 novembre, le ministre de l’éducation recevra le rapport sur l’intégration de l’INRP à l’ENS Lyon. Il lui appartiendra alors de prendre les décisions. Il n’est pas impossible que ce ministre ne soit plus Luc Chatel. Le calendrier politique pourrait aussi bien accélérer que bloquer la disparition de l’INRP. Ce n’est pas la moindre contradiction de ce dossier qui a vu Luc Chatel confier une recherche internationale à l’INRP en avril pour envisager sa suppression en septembre. Et qui voit maintenant le programme éducatif de l’UMP pour 2012 se lamenter de la non-application de l’article 34 de la loi de 2005 tout en laissant les expérimentations de terrain de l’INRP disparaître, et  demander la création d’un « observatoire des pratiques  pédagogiques » tout en détruisant la veille de l’INRP. Mais peut-être l’UMP sait-elle ce que doit être la bonne recherche pédagogique ?



Liens :

Ecole et nation : colloque INRP

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Noces INRP ENS : La mariée n’est pas d’accord

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L’INRP désintégrée au sein de l’ENS

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Education prioritaire et plurilinguisme  l’INRP

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Lutter contre le petit étranglement

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2007 : Un rapport d’audit menaçant

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Par fjarraud , le jeudi 18 novembre 2010.

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