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DOSSIER : Enseigner après Charlie : La société ne respecte pas les valeurs que nous enseignons 

Par François Jarraud



"On leur enseigne le respect, mais eux ne sont pas respectés à l'extérieur du lycée". Professeure dans un lycée multiculturel au Havre, Isabelle Baillleul Létang a partagé son désarroi sur la page Facebook du Café pédagogique après que deux élèves aient refusé la minute de silence. Elle s'interroge sur les raisons qui expliquent cette attitude. Et n'hésite pas à dénoncer le double langage de la société française.


Comment avez-vous appliqué l'instruction ministérielle sur la journée de recueillement ?


On en a d'abord parlé entre professeurs et si l'on état d'accord sur les finalités par contre il y avait des différences sur la façon de faire. En ce qui me concerne, en seconde, je ne voulais pas entrer par l'émotion. Parce que notre rôle c'est de les faire réfléchir. Par conséquent je n'ai pas commencé par l'analyse de caricatures. On a donc commencé par échanger sur leur ressenti. Beaucoup ne connaissaient pas Charlie. Ensuite on est passé aux caricatures. Là les élèves ont compris que cela avait à voir avec la liberté d'expression même si certaines caricatures étaient choquantes. Un élève a dit "ils l'ont cherché". Cela a entrainé un débat en classe entre les élèves. Mais deux élèves ont refusé de participer à la minute de silence et sont sortis. Ils reconnaissaient que la loi autorise ces caricatures mais refusaient le droit de blasphémer. D'autres élèves musulmans de la classe ont remarqué que les caricaturistes s'en prenaient à toutes les religions. Les élèves ont discuté de cela. Ensuite ils ont constaté que les caricatures dataient de 2005 et se sont demandé pourquoi cet écart de 10 ans. Cela les a amené à s'interroger sur les objectifs de l'attentat. Ils ont perçu la volonté de diviser. Là j'étais contente : ils se sont détachés de l'émotion. "On comprend mieux mais on ne peut pas le faire tous seuls" m'a dit un élève.


Comment expliquez-vous l'attitude des deux élèves ?


Je me suis rendu compte que la laïcité était largement inconnue pour eux. C'est comme sui la notion n'était pas enseignée. Par exemple ils ne comprennent pas l'anticléricalisme. Mai sil y a un autre problème. On est face à un véritable double langage de la société.  On leur apprend le respect mais eux sont contrôlés sans aucun respect. On les fait travailler sur l'intégration, les métiers mais ils sont discriminés quand ils recherchent un stage. La société ne respecte pas les valeurs qu'on leur apprend en classe. L'égalité n'est pas respectée. 


De notre coté, les enseignants ne sont pas suffisamment formés au dialogue et ne connaissent aps non plus suffisamment les familles populaires. Sur ces deux points il faudrait développer la formation. L'enjeu c'est al confiance entre enseignant et élèves. Elle est très importante pour leur réussite. Mais pour le moment plusieurs élèves m'ont dit : "Ca va être encore plus difficile pour nous maintenant".


Propos recueillis par François Jarraud



Philippe Meirieu : Des rituels, oui… mais lesquels ?

Dans le cadre de la « grande mobilisation de l'École pour les valeurs de la République », le ministère de l'Éducation nationale demande de « rétablir » et de « valoriser » les « rites républicains », de développer « la compréhension et la célébration des rites et symboles de la République : hymne national, drapeau, devise » ; il demande également que « les projets d'école et d'établissement comportent des actions relatives à la formation du citoyen et à la promotion de ces valeurs ». Ces exigences – qui ne sont, en fait, pas très nouvelles – posent, en réalité, plus de problèmes qu'elles n'en résolvent. À moins – et c'est ma crainte –qu'elles ne supposent le problème déjà résolu : on ne respecte, en effet, des rituels que lorsqu'on adhère aux principes qu'ils incarnent, ou bien parce que l'on craint une sanction, ou encore parce que, comme le souligne Eveline Charmeux, « il y a parfois une certaine jubilation à manifester les apparences de respect à l'égard de ce ou de ceux que l'on méprise » et dont on se moque intérieurement (1). Certes, il y a bien une « force d'attraction » de certains rituels qui, par l'émotion à laquelle ils appellent, exercent une véritable fascination sur les imaginaires et ont une sorte de pouvoir quasiment hypnotique sur les individus : mais on ne peut construire notre République sur ce type de comportements, au risque de côtoyer la manipulation et de basculer vers un fonctionnement gravement manipulatoire de notre symbolique républicaine. C'est pourquoi il faut, à mon sens, réfléchir sur la notion même de rituels et préciser le rôle qu'ils peuvent avoir dans une formation à la citoyenneté qui soit aussi – et c'est notre ambition légitime – une éducation à la liberté.


Les rituels ne valent que par ce qu'ils permettent


Les anthropologues nous l'affirment : pas de société humaine sans rituels. C'est aux rituels funéraires, en effet, qu'ils font remonter l'apparition de ce que nous appelons l'humanité : quand nos ancêtres décident d'enterrer et d'honorer leurs morts. Ils interrompent alors leur activité pour se « recueillir » sur les dépouilles, s'inscrivant simultanément, par ce geste, dans l'espace – où reposent les corps – et dans le temps de la généalogie qu'ils célèbrent. C'est ainsi qu'ils constituent l'ébauche d'un premier collectif institué autour de valeurs communes…


Il n'y a pas de société possible, en effet, sans rituels, pour signifier ce qui, précisément, « fait société ». Et pas d'institution sans rituels, non plus, pour instituer concrètement « ce qui fait tenir les humains ensemble » et les relations qu'on veut promouvoir entre eux. Ainsi la justice a-t-elle besoin de rituels, non pas – ou pas seulement – pour impressionner les justiciables, mais pour instituer un type de prise de parole qui évite de laisser la violence s'imposer et la loi du plus fort l'emporter. Le cérémonial judiciaire lui-même, avant même de permettre de « rendre justice », doit permettre de se parler de manière réfléchie et argumentée. Le pédagogue Janusz Korczak, qui avait institué, dans ses orphelinats et ses écoles des « tribunaux d'enfants », avec des règles de fonctionnement extrêmement strictes et un « code » très rigoureux à examiner dans un ordre précis (2), ne confiait qu'un rôle à l'adulte, celui de greffier : rôle essentiel s'il en est puisque la figure tutélaire de l'adulte consigne les propos tenus et exige ainsi de l'enfant la maîtrise de son expression, une reformulation précise jusqu'à ce qu'il dit soit intelligible et partageable, jusqu'à ce qu'une trace assumée puisse en être consignée et gardée. On voit bien le caractère éminemment formateur d'un tel dispositif. Parce qu'il est au service, tout à la fois, de la construction de la pensée et de la recherche obstinée d'une alternative au rapport de forces…


Pas de société et pas d'institution, donc, sans rituels qui témoignent de leurs valeurs, expriment les principes qui permettent de les incarner et soutiennent les efforts des personnes pour s'y « faire société » ensemble. Et, donc, pas d'éducation et d'enseignement sans rituels.

L'enfant, en effet, a besoin de rituels structurants : il a besoin que l'on identifie les espaces dédiés et les temps consacrés à chaque activité, non pour le brimer, mais, pour, au contraire, lui permettre de s'y adonner en toute sécurité. Il a besoin que l'on identifie et sépare clairement les lieux : la chambre des parents et la sienne, les pièces destinées aux échanges et celles réservées à l'intimité, les cadres où l'on peut jouer - voire casser - parce que l'activité y est réversible et ceux où l'on doit veiller à ne brutaliser ni les objets ni les personnes, parce que, là, on ne peut pas revenir en arrière ni abolir magiquement le mal que l'on a fait, etc. L'enfant a besoin qu'on sache scander le temps et marquer les césures entre les moments où il peut se livrer à des activités librement choisies et ceux où il convient qu'il s'inscrive dans un collectif qui, tout à la fois, lui donne une place et le protège. Et, bien sûr, l'enfant a besoin que ces rituels soient assortis d'une symbolique qui permette d'identifier clairement les frontières, de marquer précisément les étapes. C'est ainsi que l'enfant apprend à s'inscrire dans le monde, à développer sa liberté dans une collectivité.


De même, il n'est pas d'enseignement sans rituels : enseigner suppose que des espaces et des temps soient clairement dévolus à l'apprentissage. Plus encore, cela suppose que l'on mette en place des dispositifs spatio-temporels, des règles de fonctionnement fermes et lisibles qui suscitent la posture mentale requise par le type d'apprentissage visé. Célestin Freinet ne disait pas autre chose quand il prônait le « matérialisme pédagogique » : organisez l'école et la classe, le mobilier et le matériel, la décoration et les ressources, les consignes et les règles présidant aussi bien à la prise de parole qu'aux déplacements… en fonction de ce que vous soulez faire apprendre aux enfants !


Voilà qui devrait nous exonérer de l'éloge traditionnel des rituels anciens qui nous sont parfois présentés, avec une nostalgie larmoyante, comme « la » solution à tous nos problèmes ! D'autant plus si l'on ne réfléchit pas aux conditions de leur mise en œuvre ! Ainsi faudrait-il – entend-on parfois – mettre en place une « discipline de fer » pour imposer le silence dans les rangs et la mise au travail dans les classes. Oui, peut-être… mais comment ? En excluant ceux et celles qui ne se soumettent pas et, donc, en les privant de ce à quoi on a la charge de les former ? Qu'on me permette ici un exemple et un souvenir personnel : enseignant de lettres-histoire en lycée professionnel, j'avais, comme tous mes collègues, de grandes difficultés pour faire entrer calmement mes élèves en classe et construire le collectif de travail. À chaque intercours, je voyais se précipiter une horde d'adolescents qui se bousculaient et bousculaient le mobilier dans un brouhaha infernal, s'installaient sans quitter leurs manteaux et se mettaient à discuter, voire à s'activer à tout autre chose que le cours que je tentais de présenter en m'époumonant en vain ! Je décidai de mettre alors en place un rituel assez contraignant, aussi bien pour les élèves que pour moi : avant chaque heure de cours, j'inscrivais une courte citation littéraire au tableau ; je me tenais ensuite à la porte et ne faisais rentrer les élèves qu'un à un, en les saluant et en leur demandant de s'installer, de sortir leur « carnet de citations » et d'y noter celle qui leur était présentée. J'exigeais d'eux ensuite, pendant cinq minutes  silencieuses, qu'ils apprennent par cœur la citation inscrite… Et le mois suivant, je confiais aux élèves eux-mêmes, chacun à leur tour, le soin de choisir une citation et de venir l'inscrire au tableau avant l'arrivée de leurs camarades… Contre toute attente, ce qui m'apparaissait presqu'impossible se mit à fonctionner assez vite et fort bien. Non que j'eus trouvé « la solution miracle », mais parce que ce rituel étais, je crois, simultanément, une manière de réguler l'entrée dans la salle et de fixer l'attention de manière collective, de donner un signal sur ce qui était attendu de chacune et de chacun, tout en faisant découvrir le plaisir de mémoriser quelques belles formules aux élèves (qui, au passage, enrichissaient leur vocabulaire, leur syntaxe et leurs références culturelles). (3)


Que retenir de ce trop bref développement ? Que les rituels sont fondamentaux dans l'éducation, mais qu'ils ne valent que pour ce qu'ils autorisent. Et pour ce à quoi ils permettent d'accéder : la réflexion et la pensée, l'inscription dans un collectif solidaire qui brise la juxtaposition des individualismes, qui permet de suspendre la réaction pulsionnelle et de découvrir que ce à quoi l'on renonce ainsi est bien peu de choses au regard de ce à quoi l'on accède : la reconnaissance de l'appartenance, la certitude d'avoir une place et d'être protégé, la garantie de pouvoir y développer sa liberté.


Inventer des rituels éducatifs pour aujourd'hui


La « refondation » de l'École, comme la promotion de ses valeurs et de sa devise en actes, imposent donc bien un travail sur des rituels éducatifs formateurs. Mais il me paraît un peu court de limiter celui-ci à la restauration de quelques manifestations isolées autour de nos symboles républicains. Ces manifestations elles-mêmes ne seront porteuses de sens que si elles s'inscrivent dans une École « réinstitutionnalisée », autour de principes clairs et de rituels quotidiens, tout à la fois structurants et signifiants… Qu'on me permette ici, sans prétendre à l'exhaustivité, de tracer quelques pistes.


Il faut d'abord, me semble-t-il, poursuivre l'effort engagé déjà, ici ou là, pour mettre en place des rituels politiques forts : la remise de la carte d'électeur – pour autant qu'elle fait l'objet, en amont, d'une préparation sérieuse – pourrait être systématisée, avec, à cette occasion, des témoignages d'anciens, voire un système de parrainage systématique, et, bien évidemment, l'invitation de classes primaires et secondaires qui pourraient vivre là une utile leçon d'instruction civique.


Dans les écoles et les établissements scolaires, l'urgence est, à mes yeux, la mise en place de rituels de structuration du collectif. L'École, en effet – telle que notre République la promeut –, ne peut être fondée sur le sentiment d'appartenance communautaire ; tout au contraire, elle s'oppose au repli clanique et fait le pari que, non seulement, tous les enfants peuvent apprendre, mais aussi qu'ils peuvent « apprendre ensemble », en dépit – et, si possible, en raison  – de leurs différences d'origines et de sensibilités. Or, si la communauté « tient » en quelque sorte toute seule, puisqu'elle est portée par les forces centripètes de l'adhésion préalable et de l'affectivité réciproque, le collectif doit être construit, pied à pied, obstinément. Il faut, pour cela, évidemment, rompre avec l'anonymat et la parcellisation qui gangrènent nombre de nos collèges et lycées ; il faut des groupes à taille humaine gérés par des équipes pédagogiques qui connaissent et accompagnent ensemble tous les élèves ; il faut faire exister physiquement et symboliquement ces groupes par des rencontres régulières entre tous les élèves et tous les adultes qui les encadrent, par des projets collectifs où chacune et chacun peut avoir une place, par des engagements valorisés où le collectif se donne à voir dans sa diversité et sa cohérence à la fois, à l'image de la République que nous voulons. Bref, il faut sortir l'institution scolaire du paradigme de la « gestion des flux » pour la faire entrer dans celui de la construction de véritables « collectifs apprenants ».


Pour accompagner ce mouvement, on doit aussi – et de nombreuses voix se lèvent aujourd'hui pour en rappeler l'importance (4) – développer les rituels portés par les activités artistiques. Le théâtre, la danse, les arts du cirque, la musique ou les arts plastiques, permettent, en effet, de découvrir le caractère essentiel de la scansion du temps, de la focalisation de l'attention, comme ils ouvrent la voie à un apprentissage fondamental pour la formation du citoyen : le passage de la gesticulation au geste, du borborygme à la parole, par la construction de l'intentionnalité. Mais la pratique du sport peut également être très formatrice, dès lors, qu'elle intègre la question de la structuration d'un « espace hors menace », la métabolisation de l'agressivité grâce à des règles qui, tout à la fois, protègent l'intégrité de chacun et permettent à tous de « jouer » avec les autres : les arts martiaux représentent, sans aucun doute, parmi d'autres sports, une belle école de la maîtrise de soi et du respect d'autrui, pour peu, bien évidemment, qu'ils soient accompagnés d'une réflexion sur les valeurs qui les animent.


Car la pierre de touche, la matrice du rituel éducatif républicain est là : dans la pratique de ce que les pédagogues nomment « le conseil », dans ce qu'ils ont développé autour des « ateliers philo » comme des « heures de vie de classe ». Bien loin des caricatures qui en sont faites et qui présentent parfois ces dispositifs comme d'aimables bavardages, c'est la mise en œuvre du « sursis à l'acte », fondateur pour « apprendre à penser », et de la construction de projets, essentielle pour que chacun accède à une responsabilité au sein d'un ensemble solidaire. Pour que chacun ait une place : car – nous le savons bien et l'observons tous les jours  –, ce sont ceux à qui l'on n'a pas donné de place qui veulent prendre toute la place et font voler en éclats bien des intentions générales et généreuses ! Comme l'a superbement expliqué Francis Imbert, c'est dans ces rituels de construction du collectif que « la voix se détache du cri », que « l'enfant hors-la-loi se libère du masque qui le brûle (…) parce qu'il dispose d'un lieu d'interpellation – d'appel et de partage de paroles – et peut, à la différence de Narcisse, se séparer des images dans lesquelles il se pétrifiait et se consumait » (5).


Évidemment, la mise en place de tels « rituels de construction du collectif » requiert des conditions pédagogiques rigoureuses : régularité, effectivité sur la longue durée, préparation minutieuse, organisation matérielle facilitante, mise en place de rôles aux fonctions définies (occupés de manière tournante), protocole strict de prise parole, présence d'une mémoire collective écrite qui sert de lien et de référence, engagement d'un enseignant qui n'hésite pas à prendre ses responsabilités quand le dispositif dérape ou qu'une menace apparaît… (6). Ce n'est pas simple, mais sans cela, je crains que les appels à la vertu citoyenne – aussi pathétiques soient-ils – ne restent lettre morte !


Mobilisons nous donc, à l'École, pour les valeurs de la République : « Liberté – Égalité – Fraternité ». Assumons sereinement la nécessité de construire des rituels forts et formateurs. Avec la part inévitable de contraintes qu'ils comportent. Mais avec, en ligne de mire, ce principe pédagogique fondateur : « Les belles contraintes sont celles qui permettent l'émergence de la pensée et de la liberté ».


Philippe Meirieu


Les chroniques de Philippe Meirieu

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/Meirieu_chroni[...]


Notes

(1)       Voir la chronique d'Eveline Charmeux sur son blog : «  Sur des obligations et des menaces de sanction, on ne peut rien construire » :

http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2015/01/24/258-sur-des-oblig[...]

(2)       Voir sur le site de l'Association française Janusz Korczak :

http://korczak.fr/m2enfants/tribunal/code-tribunal-korczak1.html

(3)       Sur les rituels de construction de l'attention, voir mon article : « A l'école, offrir du temps pour la pensée » :

http://www.meirieu.com/ARTICLES/esprit-attention.pdf

(4)       Voir le site du Collectif pour l'éducation artistique et culturelle, « Pour l'éducation, par l'art » :

http://www.educationparlart.com

(5)       Voir Francis Imbert, Médiations, institutions et loi dans la classe, Paris, ESF éditeur, 1994.

(6)       Voir, sur ces questions, mon ouvrage Frankenstein pédagogue, Paris, ESF, 1996, en particulier, pages 110 et suivantes :

http://www.meirieu.com/LIVRES/li_fp.htm



P. Meirieu : Pour que nos émotions soient vraiment démocratiques !

L'émotion intense et collective qui s'est exprimée après les attentats de la semaine dernière a été saluée unanimement – ou presque – comme un sursaut humaniste et républicain. Massif et salutaire. Une manière de manifester sereinement et fermement notre attachement commun aux valeurs de la démocratie. C'était un acte politique fort. Il était nécessaire. Il doit rester dans les mémoires comme essentiel… Pour autant, il ne nous exonère pas – bien au contraire – ni du devoir d'inventaire, ni du devoir d'invention.


Devoir d'inventaire et devoir d'invention


Nous devons, en effet, faire l'inventaire lucide de la manière dont nous avons laissé nos institutions dériver au point de perdre une large partie de leur crédibilité républicaine. François Jarraud et Le Café pédagogique, comme Éric Favey (1), se sont exprimés sur ce sujet. Ils ont rappelé que l'École ne tenait pas vraiment sa promesse et que « le droit à une éducation de qualité pour toutes et tous » restait encore, largement, un vœu pieu. Il faut les entendre. Sans basculer dans la culpabilité larmoyante des « Nous aurions dû… », mais en assumant de regarder en face les « Nous devons… » qui s'imposent maintenant.


Comment tolérer, en effet, la dérive des continents scolaire qui s'est installée dans notre pays ? (2) Comment justifier le caractère scandaleusement velléitaire de l'éducation civique et artistique ? Comment accepter que tant de jeunes (dans les lycées professionnels ou les Centres de formation d'apprentis) soient privés de formation philosophique alors qu'ils en sont massivement demandeurs (3) ? Comment tolérer cette désinstitutionnalisation des établissements scolaires, où le gigantisme – au nom des fameuses économies d'échelle ! – entretient l'anonymat, cultive l'indifférence et laisse se développer la dépression et la violence ? Comment justifier cet abandon d'un « avenir du commun » qui s'impose d'autant plus aujourd'hui que la reconnaissance des différences risque, si elle n'est pas contenue dans un projet collectif, de faire exploser nos cadres sociaux… Tout cela – et il faut insister sur ce point tant les tentations de la pensée facile et binaire sont grandes – n'exonère en rien les terroristes, les mouvements extrémistes et les États-voyous qui les soutiennent, de leur terrifiante responsabilité. Mais nous devons regarder en face ce et ceux que nous avons contribué à « fabriquer » ou à qui nous n'avons pas su offrir d'autre alternative pour donner un sens à leur vie que l'assassinat barbare. L'inventaire est implacable. Il pourrait nous conduire à la désolation ou – pire encore – à la résignation assortie d'une prophétie de malheur toujours assurée de se voir confirmée : elle permet, en effet, de prétendre avoir prévu la catastrophe quand elle arrive et d'avoir contribué à l'éviter si elle ne vient pas… le tout en campant dans un esthétisme de la désespérance qui procure, dans les cénacles à la mode, quelques substantielles satisfactions narcissiques.


C'est pourquoi, au-delà de l'inventaire, les éducateurs – qui font profession du futur – sont assignés à l'invention. Invention politique et sociale auxquelles ils doivent, bien évidemment, prendre pleinement leur part. Invention pédagogique aussi, qui relève de la spécificité de leur engagement professionnel. C'est pourquoi nous ne pouvons pas éviter de nous demander : « L'émotion, oui… mais après ? », et même – plus fondamentalement encore : « L'émotion, oui… mais comment ? ». C'est l'occasion, alors, pour nourrir notre réflexion, de revisiter les œuvres des grandes figures de la pédagogie, de Pestalozzi à Makarenko, de Freinet à Oury et à Deligny dont l'ouvrage « Graine de crapule » reste un petit chef d'œuvre qui devrait être étudié systématiquement dans tous les ESPÉ (4).


C'est l'occasion, aussi, de relire ou de découvrir, par exemple, l'ouvrage récent de Martha Nussbaum « Les émotions démocratiques » (5). Voilà, en effet, un ouvrage d'un grand intérêt pour les pédagogues. Il est écrit par une philosophe américaine, d'abord spécialiste de littérature et qui développe aujourd'hui, au coté d'Amartya Sen, l'approche dite des « capabilités », c'est-à-dire des capacités effectives ou « substantielles » – et non abstraites ou formelles – dont nous devons doter les sujets afin qu'ils puissent exercer leur liberté dans les situations concrètes.


C'est ainsi que, dans cet ouvrage, Martha Nussbaum commence par identifier ce qu'est, à ses yeux, la finalité essentielle de l'éducation : la formation des élèves à la capacité de participer à la vie démocratique. Elle précise ensuite les objectifs pédagogiques que nous devons nous donner pour incarner ces finalités : apprendre à nos élèves à entrer dans une relation pacifiée avec les autres, à échanger ensemble dans le respect réciproque pour accéder au bien commun. Puis, pour élaborer ses propositions concrètes, l'auteure se demande quelle est « l'opération mentale » qu'ils doivent effectuer pour y parvenir, et elle la définit ainsi : « l'enfant doit apprendre à s'identifier au sort des autres, à voir le monde à travers leurs yeux et à ressentir leurs souffrances par l'imagination. C'est seulement de cette manière que les autres personnes, éloignées, deviennent réelles et égales à lui. » À partir de là, et en s'appuyant sur une analyse de l'émergence et des développements possibles des émotions enfantines, l'auteure propose un ensemble de principes organisateurs de l'action pédagogique et développe trois séries de propositions concrètes, illustrées de nombreux exemples : la pratique du débat, le souci de former des « citoyens du monde » et la promotion de l'imagination à travers la littérature et les arts.


Ainsi, face à des institutions – voire des référentiels – qui juxtaposent souvent des finalités généreuses et des pratiques routinières au moindre coût, Martha Nussbaum restitue à l'engagement éducatif sa continuité nécessaire entre finalités et modalités. Elle nous permet de sortir de la schizophrénie entre la théorie et les pratiques, schizophrénie qui délégitime gravement toute action éducative. Elle nous invite, selon l'expression et la démarche de Daniel Hameline, à « parcourir dans les deux sens et inlassablement » la chaine qui relie ce que nous voulons et ce que nous faisons (6). Mais elle ne le fait pas de manière mécanique ou applicationniste ; elle le fait en pleine conscience que c'est l'inventivité pédagogique  qui, seule – bien loin des systèmes de contrôle technocratiques – peut relier authentiquement les principes et les actes pour engager le cercle vertueux de la parole tenue.


Une éducation à la démocratie, c'est possible !


Martha Nussbaum part, dans sa démonstration, de la distinction entre deux systèmes de développement, dont elle précise qu'ils n'existent pas vraiment « à l'état pur », mais constituent des modèles de référence et permettent de voir comment chaque pays et chaque institution se situent par rapport à eux. Le « choc des civilisations » dont elle parle n'est pas vraiment celui qu'on décrit habituellement et il passe, dit-elle, à l'intérieur de chaque société. Il oppose un modèle centré sur la croissance économique à tout prix et un modèle centré sur « le développement humain ».


Dans le premier, ce qui compte d'abord, c'est la mise en concurrence des individus, conçue comme génératrice de richesses matérielles dont la distribution s'effectue « au mérite ». Dans le second, ce qui essentiel, c'est l'égalité des droits fondamentaux des personnes : droit à la santé, à l'éducation, à exercer une activité reconnue dans un collectif solidaire, à participer effectivement au débat démocratique. Et Martha Nussbaum montre bien, en analysant, en particulier, les exemples de la Chine et de l'Inde, que l'accès à la liberté et à l'égalité des personnes n'est nullement corrélé à la croissance économique. Tout au contraire, aujourd'hui, semble-t-il, la croissance – quand elle existe ou qu'elle est recherchée à tout prix – développe la concurrence, accroît les écarts et stimule toutes les formes de rivalité. Ainsi, l'éducation proposée par les pays qui ont la croissance économique comme objectif prioritaire est fondée sur un « mélange de sophistication technologique et de docilité de pensée », elle s'appuie sur le sentiment de vulnérabilité et l'anxiété, inhérents à tout individu dans ce monde, pour développer des émotions qui n'ont rien de démocratiques : l'aversion à l'égard des autres perçus comme des menaces, le repli clanique et identitaire face à la conspiration des « impurs », l'agressivité et la violence destructrice…


Face à ces émotions-là, le modèle démocratique qu'elle développe se propose de permettre à chaque enfant et adolescent, durant son éducation, de reconnaître les autres – tous les autres – comme des personnes dignes d'accéder aux mêmes droits que lui, parce que partageant fondamentalement la même « humaine condition », comme disait Montaigne. Quand l'éducation fondée sur le profit et le pouvoir décrit le monde de manière toujours systématiquement manichéenne, opposant les « bons » et les « mauvais », les « élus » et les « exclus », l'éducation à la démocratie doit donner à lire la réalité complexe des situations, les contradictions qui traversent chacune et chacun d'entre nous et la manière dont il est possible de dépasser ses tentations régressives pour contribuer au bien commun. C'est tout le mérite de la « littérature de jeunesse » que de permettre cette découverte. Elle ouvre l'accès à la complexité des êtres et permet de comprendre qu'il est possible de se dépasser… Plus largement, l'éducation à la démocratie doit cultiver les « passions démocratiques », celles qui fondent la possibilité – mais aussi le désir – de vivre ensemble.


Pour cela, Martha Nussbaum développe trois axes forts dont elle montre qu'ils devraient structurer nos systèmes scolaires. Le premier est la pratique du « débat socratique », avec l'impératif des « changements de rôle », chacun devant défendre le point de vue d'autrui après avoir défendu le sien. Cette proposition, que l'on retrouve chez plusieurs pédagogues (7), m'apparaît tout à fait décisive : en effet, pour que le débat soit autre chose qu'une joute verbale ou une confrontation obstinée, pour qu'il évite à chacun de s'enkyster sur ses positions et permette de dépasser ses positions, de progresser, de réexaminer ce que l'on croit savoir, il faut entrer, en quelque sorte, dans la démonstration de l'adversaire et « se prendre » au jeu jusqu'à ce que sa propre position en soit « altérée », que l'on assume d'évoluer sans se renier… La deuxième proposition renvoie à l'impératif, dans chaque discipline et dans les nécessaires travaux interdisciplinaires, de procéder en élargissant systématiquement le champ pour permettre la découverte des interactions et solidarités. Il s'agit là de former le « citoyen du monde », non pas seulement par des injonctions généreuses, mais par la découverte de l'interdépendance étroite que les humains entretiennent entre eux et avec le monde : « La solidarité est un fait avant d'être une valeur », disait Albert Jacquard. On est loin ici, d'une « interculturalité » relativiste qui joue sur le caractère folklorique des « différences » et dilue toute référence tant éthique qu'esthétique. Il s'agit de tout autre chose : de découvrir progressivement les figures et le sens de ce qui nous entoure, afin, de proche en proche et de loin en loin, de comprendre en quoi tout cela « fait système » : on se donne ainsi des modèles d'intelligibilité de soi et du monde, on apprivoise l'altérité et l'étrangeté par la hardiesse du comprendre… Enfin, Martha Nussbaum insiste sur la nécessaire rencontre avec la littérature et les arts : elle considère celle-ci comme fondamentale dans la construction des « émotions démocratiques » en ce qu'elle permet d'accéder à « l'imagination narrative ». « J'entends par là, explique-t-elle, la capacité à imaginer l'effet que cela fait d'être à la place de l'autre, à interpréter intelligemment l'histoire de cette personne, à comprendre les émotions, les souhaits et les désirs qu'elle peut avoir. » Car, explique-t-elle, apprendre à voir un autre être humain non pas comme une chose mais comme une personne ne va pas de soi : cela s'apprend et se construit. Et l'art, pour cela, est essentiel : il donne à voir, à la fois, l'identité et l'altérité, il permet de se reconnaître dans l'autre et, aussi, de se reconnaître « soi-même comme un autre », selon la belle expression de Paul Ricoeur. (8)


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On a vu l'intérêt que j'attachais aux analyses et propositions de Martha Nussbaum, même s'il me semble parfois que, quand elle s'aventure dans l'histoire de la pédagogie et de ses concepts, elle va un peu vite en besogne. Comme elle, je suis convaincu que les pratiques pédagogiques peuvent nourrir « les émotions démocratiques »… et ce point me semble absolument essentiel aujourd'hui.


Pourtant, je crois qu'il faudrait compléter ses propositions. L'empathie est, effectivement fondamentale, pour ne pas basculer dans la malfaisance et pour accéder à une rencontre authentique avec l'autre. Mais encore faut-il que, selon l'expression proposée par André de Peretti, « on entre dans le référentiel de l'autre… sans s'y perdre ! ». « Sans s'y perdre », c'est-à-dire en disposant des moyens de prendre du recul, de se dégager de l'identification, de construire un échange grâce à la maîtrise du langage, quand on a appris « ce que parler veut dire ». À cet égard, l'exigence de précision, de justesse et de vérité, la désintrication systématique – et toujours besogneuse – du savoir et du croire, l'effort pour ne jamais demander à quiconque de ne « croire personne sur parole », mais de vérifier ses sources, de refaire la démonstration, d'aller voir, de plus près, comment ça se passe… tout cela est essentiel… De même, il me semble qu'il faut insister sur la construction du collectif, la possibilité donnée à chacun d'y avoir une place et une responsabilité, d'y faire l'expérience de l'autorité légitime, celle qui s'exerce « en tant que », chaque fois que l'on met un pouvoir d'agir au service d'une responsabilité dans l'intérêt commun… Enfin, j'insisterai sur la nécessité – particulièrement importante aujourd'hui pour moi – de formaliser avec les élèves les découvertes effectuées et de les inscrire dans un cadre instituant. C'est pourquoi je m'interroge, depuis longtemps, sur la possibilité d'inscrire le Droit comme discipline « de plein exercice » dans le cursus de formation, et cela de l'école primaire au lycée. Après tout, dans une société laïque, c'est le Droit qui « fait tenir les humains ensemble »… et il faudrait bien que les élèves comprennent en quoi il les protège, en quoi des principes comme « nul ne peut se faire justice soi-même », « nul ne peut être, à la fois, juge et partie » sont profondément émancipateurs. Ne vivons-nous pas dans un paradoxe extrême, nous qui affirmons que « nul n'est sensé ignorer la loi » et refusons, en même temps, de l'enseigner ?


Au total, on le voit, la pédagogie est loin d'être impuissante face à la barbarie. Certes, elle n'est pas toute-puissante et sa réussite n'est jamais assurée : la formation d'un humain n'est pas la fabrication d'un objet et nous ne sommes jamais certains de ce qui va advenir. La pédagogie, ça ne marche pas à coup sûr ! Heureusement ! La démocratie, non plus d'ailleurs. C'est ce qui fait, à la fois, sa grandeur et sa fragilité. Et c'est cette fragilité qu'il nous faut défendre. Contre la force des dogmatismes et la violence des totalitarismes. Car notre fragilité est notre bien le plus précieux.


Philippe Meirieu


Toutes les tribunes de P Meirieu

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/Meirieu_chron[...]


NOTES

(1) Voir la remarquable intervention d'Éric Favey lors de la journée d'études « Où vont les pédagogues ? », le 10 janvier à l'université LUMIERE-Lyon 2 :

https://www.youtube.com/watch?v=3jcOmKWXR7o&feature=youtu.be  (à 1h 51)

(2) Nous en parlions déjà en 1998 avec Marc Guiraud dans notre ouvrage au titre prémonitoire L'école ou la guerre civile : http://www.meirieu.com/LIVRES/li_leolgc.htm

(3) Toutes les enquêtes ont confirmé cette demande depuis la consultation (sans aucune suite en la matière) « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? » en 1998. Voir le rapport final de cette consultation : http://www.meirieu.com/RAPPORTSINSTITUTIONNELS/LYCEES.pdf. Voir également l'ouvrage coordonné par Roger Establet, Le peuple lycéen, ESF éditeur, 2005.

(4) Fernand Deligny, Graine de crapule, Éditions du Scarabée, 1960.

(5) Les émotions démocratiques – Comment former le citoyen du XXIe siècle ?, Climats, 2011.

(6) Voir l'ouvrage de Daniel Hameline, Les objectifs pédagogiques en formation initiale et continue (suivi d'un très beau texte sur « L'éducateur et l'action sensée »). L'ouvrage est épuisé mais téléchargeable gratuitement sur le site du Café pédagogique :

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/introuvablespedag[...]

(7) J'ai montré à quel point la rotation des tâches dans le travail de groupe, introduite et théorisée par Makarenko, constitue une « rupture épistémologique » essentielle dans la conception des « méthodes actives » : elle interdit la structuration du groupe en concepteurs, exécutants et chômeurs, impose la décentration nécessaire à l'élargissement du point de vue et permet d'effectuer des découvertes décisives comme de nouveaux apprentissages : Pédagogie : des lieux communs aux concepts clés, ESF éditeur, 2013,

http://www.meirieu.com/LIVRES/li_lieux_communs.htm

(8) J'ai moi-même, dans le registre de la formation des maîtres, montré l'importance de la formation par la littérature, allant jusqu'à dire, dans une formule sans doute un peu imprudente, que la lecture du Sagouin de Mauriac pouvait être plus décisive pour la formation d'un enseignant que celle de toute la psychologie de Piaget. J'ai mis en œuvre cette analyse littéraire des faits éducatifs dans Des enfants et des hommes – Littérature et pédagogie, ESF, 1999, http://www.meirieu.com/LIVRES/li_deedh.htm. Voir aussi mon article : « L'éducation artistique et culturelle : une pédagogie de l'ébranlement »,

http://www.meirieu.com/ARTICLES/LA-SCENE_PH_MEIRIEU.pdf



Denis Meuret : Petites propositions pour diminuer la compréhension vis-à-vis des djihadistes dans nos écoles

En réponse à l'horreur d'assassinats commis au nom de l'islam par d'anciens élèves de l'école française, au désarroi d'avoir pu constater que, dans certains collèges, des élèves trouvaient à ces assassins des circonstances atténuantes, estimaient que Charlie Hebdo « l'avait bien cherché», la ministre de l'éducation, puis le Président de la République, en appellent à ce que l'école transmette mieux les « Valeurs de la République». Malgré la qualité de leurs discours, dont le mérite est de ne pas simplifier le problème, malgré la grandeur de ces valeurs, que, c'est vrai, les islamistes détestent, contre lesquelles ils tuent et qu'un premier réflexe est bien sûr de défendre, dans la rue et partout ailleurs, je voudrais interroger le fait de fonder sur la « transmission des valeurs de la république » la réponse de l'école au problème posé par la conduite de certains de ses élèves.


"L'important est l'intérêt pour l'autre plus que le «respect» de l'autre"


 En effet, il y a beau temps que l'école de ce pays se fixe pour mission de transmettre ces valeurs, d'enseigner le rejet des fausses valeurs et des superstitions, de favoriser l'esprit critique et de donner le sens de l'intérêt général. Cela fait partie des moyens par lesquels, selon Durkheim, l'école évite à une société individualiste  de sombrer dans l'anomie. Il y a beau temps que cette transmission se fait avec un succès très relatif, y compris dans d'autres périodes de l'histoire que celle-ci : Beaucoup de ceux qui ont sauvé des juifs pendant l'occupation nazie avaient peu fréquenté l'école, tandis que la quasi-totalité des français qui se sont enrôlés dans la Waffen SS étaient des étudiants, ceci quand beaucoup des pilotes qui ont gagné la bataille d'Angleterre contre l'aviation allemande étaient frais émoulus des meilleures universités de ce pays. L'incantation républicaine a connu une éclipse après la seconde guerre mondiale, et pas seulement depuis 1968, mais elle est revenue en force depuis 2002 dans le discours de nos ministres de l'éducation, de Luc Ferry à Vincent Peillon en passant bien sûr par la loi Fillon qui donnait pour priorité à l'école, «outre la transmission des connaissances », «de faire partager les valeurs de la République».


L'école républicaine française repose sur un modèle selon lequel son rôle est de civiliser les élèves, de leur permettre d'échapper aux superstitions et à la barbarie. Selon ce modèle, des individus à qui l'on a appris l'esprit critique et donné le sens  de l'intérêt général seront seuls capables  de faire société ensemble. Autrement dit le vivre ensemble réclame que l'on s'élève au dessus de soi, de sa culture particulière.. Peut être, à l'inverse, faudrait-il faire comprendre aux jeunes que l'important est l'intérêt pour l'autre plus que le «respect» de l'autre et que, si l'école valorise les comportements qui permettent de vivre ensemble,  c'est d'abord pour les élèves eux-mêmes, pas pour la Société ou pour la République.


L'intérêt de la diversité pour les individus a deux versants. D'une part, c'est la liberté que je laisse aux autres de vivre comme ils l'entendent qui fonde celle que j'ai de vivre comme je l'entends. La liberté de blasphémer de Charlie, aberrante aux yeux d'une certaine conception de l'islam, est le pendant de la liberté de certains musulmans de pratiquer des rites aberrants du point de vue des athées ou des partisans de versions moins rigoristes de la religion. Il en découle que, plus les pratiques sont diverses dans une société, plus je me sens autorisé à y ajouter les miennes propres. D'autre part, la diversité accroit les échanges possibles : ils sont en plus grand nombre et plus divers. Or l'intensité et la diversité des échanges sont un bien en soi. Ils sont, pour certains philosophes politiques, le  marqueur même de l'intensité  de la démocratie.


Favoriser la coopération entre les élèves


Les comparaisons internationales (avec le Canada, notamment), certaines recherches, suggèrent deux grandes orientations qui peuvent aider l'école à produire une appétence pour le vivre ensemble dans la diversité.


D'abord, les élèves doivent expérimenter cette diversité, et l'école peut y contribuer de deux façons:

- diminuer, cela a été dit, la ségrégation sociale entre les établissements scolaires et entre les classes, ce qui implique qu'on agisse aussi bien sur les ghettos de riches que sur les ghettos de pauvres, y compris en supprimant des lycées professionnels ces formations qui offrent surtout le chômage comme avenir à leurs élèves.

- favoriser, cela a moins été dit, la coopération entre les élèves, par le travail en petits groupes hétérogènes, par la pédagogie de projets, au lieu de réserver aux récréations les relations entre élèves tandis qu'ils sont dans les classes soit passifs soit seulement en interaction avec l'enseignant. 


Ensuite, il convient de développer le sentiment d'appartenance à l'école, l'idée étant que ce cela développera aussi celui d'appartenance à la société. Ce sentiment est faible en France et inégalement réparti. Selon le questionnaire rempli par les élèves pour PISA 2012, 47% des élèves français  de 15 ans disent « se sentir chez eux à l'école », c'est le pourcentage le plus bas de tous les pays de l'OCDE et il serait intéressant de savoir comment il varie selon l'origine sociale ou nationale : sur une question proche du questionnaire PISA,  le fait de se sentir bien à l'école, l'inégalité des réponses entre élèves socialement défavorisés (38%, contre 78% de moyenne OCDE) et élèves favorisés (54%, contre 85% de moyenne OCDE) est plus grande en France que dans tous les autres pays de l'OCDE. On peut penser que l'on peut développer ce sentiment en rendant l'école d'une part plus équitable, d'autre part plus accueillante.


L'école doit être plus équitable


L'école doit être plus équitable. Les inégalités de scores PISA (à 15 ans, donc) selon l'origine sociale, mais aussi selon que l'élève est issu ou non de l'immigration, sont plus élevées en France que dans la plupart des pays de l'OCDE, et ce depuis 2006.  Le score des élèves les plus faibles (mesuré par le premier décile) est en France, quelque soit le domaine  (maths, compréhension de l'écrit, sciences) considéré,  significativement inférieur à la moyenne correspondante de l'OCDE, alors que notre score moyen est proche de la moyenne OCDE et que celui de nos meilleurs élèves est plutôt supérieur à la moyenne correspondante de l'OCDE.   Cela importe pour notre problème pour deux raisons liées. D'une part, l'expérience de l'échec peut inciter à «retourner le mépris de soi en haine de l'autre », selon l'expression de F. Khosrokhavar  (Le Monde, 10.01.15),  ceci d'autant plus que la faiblesse scolaire est particulièrement susceptible de générer du mépris de soi dans une école où la hiérarchie, le classement, importent autant que dans l'école française. D'autre part une recherche a montré, dans les années 90, que ce qui, dans les collèges, favorisait les apprentissages des élèves (par exemple, que les élèves jugent leurs enseignants compétents, justes et soucieux de faire réussir tous les élèves), favorisait aussi l'amélioration de leurs attitudes civiques, davantage encore que la discipline en classe ou les responsabilités accordées aux élèves.  Certaines politiques récentes (le socle commun, la réforme des ZEP, la quasi-interdiction du redoublement) visent à rendre l'école plus équitable et sont en effet susceptibles de le faire.  Il serait important d'évaluer leurs effets à cet égard.


L'école doit être plus accueillante. Cela dépend d'abord de la façon dont les élèves et les parents sont traités par l'école. On sait que les élèves français sont particulièrement anxieux, tendus. Deux évolutions importantes récentes peuvent faire diminuer cette anxiété : la quasi-interdiction du redoublement, encore elle, et l'expérimentation du « dernier mot aux familles »  pour l'orientation de fin de troisième. Ces évolutions sont importantes parce qu'elles éloignent l'école de la hiérarchie binaire associée à ce modèle qui veut que son rôle essentiel soit de trier entre ceux qui, comme on dit, « suivent » et ceux qui sont « incapables de suivre ». Par ailleurs, toujours selon le questionnaire PISA 2012, 66% des élèves français, contre 80% des élèves de l'OCDE, disent que « la plupart de leurs professeurs les traitent avec justice ». Ici encore, il semble exister une certaine marge de progression.  Vis-à-vis des parents, une école accueillante accepterait  de s'inclure parmi ce qui peut faire que l'élève apprend plus ou moins bien, se sent plus ou moins en sécurité à l'école. Dans le district de New York, les parents de chaque école remplissent chaque année un questionnaire avec des questions du type «l'école a des attentes élevées pour mon enfant », « dans quelle mesure êtes vous satisfaits du soutien que votre enfant reçoit quand il en a besoin», etc. Les résultats de ce questionnaire sont publiés pour chaque école. L'existence d'un tel questionnaire suppose que l'école prenne au sérieux l'opinion des parents, ce qui n'est pas évident quand, pour elle, ils sont surtout les représentants d'une société mauvaise (les uns, à cause de leur hédonisme et de leur individualisme, les autres à cause de leur obscurantisme ou de leur impuissance).  


Le caractère accueillant de l'école dépend, plus généralement, des buts qu'elle poursuit et de ce qu'elle enseigne. Des programmes « accueillants » sont des programmes dans lesquels, selon la formule d'un document du ministère de l'éducation de l'Ontario,  «tous les élèves peuvent se voir», dont ils peuvent penser que la maîtrise leur donnera du pouvoir sur leur vie. Une école qui vise à donner de la liberté d'abord en renforçant les capacités d'agir est plus accueillante qu'une école qui vise d'abord à ôter des œillères. Cela peut se formuler aussi en disant que les programmes doivent être tels que tous les élèves doivent pouvoir considérer que l'école est organisée pour favoriser un monde qu'ils aient envie d'habiter avec les autres.


Il serait naïf de penser que les évolutions proposées ici  supprimeraient les attitudes des élèves qui nous sidèrent aujourd'hui, y compris parce que ces attitudes ne sont évidemment pas le produit de la seule école. Mais il y a de bonnes raisons de penser qu'elles les atténueraient.


Denis Meuret

Professeur émérite en sciences de l'éducation à l'université de Bourgogne, IREDU.

Membre honoraire de l'Institut Universitaire de France (2008-2013).


D Meuret : Pour une école qui aime  le monde

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/01/03012014Art[...]




André Giordan : Check-list en 12 points pour implanter la laïcité à l'école

A l'usage des enseignants, des (directeurs, inspecteurs) et décideurs (président, ministre, membres des cabinets). (Ré)instaurer la laïcité à l'école n'est pas « chose » simple ; ce sera même une épreuve de longue haleine tant il y a (aura) d'obstacles à dépasser, d'habitudes à outrepasser ou d'évidences à changer. Pourquoi ne pas le tenter… mais pas n'importe comment. (1)


Règle n°1


Le programme de Morale et Instruction civique (ECM)  '2) que l'on appelait Instruction civique il y a encore peu, est bien sûr à repenser. Il n'a aucune prise sur la réalité d'aujourd'hui… Toutefois il ne suffit pas de mettre des notions en plus sur la laïcité, sur le « vivre ensemble », encore faut-il que celles-ci ne soient pas éthérées. Certes les programmes demandent à être renforcés, mais pas seulement par des textes en sus... Seront-ils seulement effectués ? Il y a un long chemin de l'intention à l'action. Ce peut être possible si on leur accorde plus qu'une ou deux petites heures par semaine, cantonnées dans la seule sphère de l'histoire-géo. Les profs. les aborderont quand ils auront bien avancé les autres matières, celles considérées comme sérieuses, « parce qu'au bac » !..


Règle n°2


La laïcité, le « vivre ensemble » ne sont-ils pas plutôt l'affaire de toutes les disciplines (Règle n°2) ; dans notre société contemporaine mondialisée traversée par l'individualisme et la consommation, elle est à promouvoir avant les maths. Va-t-on instaurer une épreuve –sur projet ou comme un TPE par exemple- avec un fort coefficient au baccalauréat ? Sans une telle incitation, l'EMC n'aura jamais d'envergure, elle ne trouvera pas sa raison d'être, l'émotion passée.


Règle n°3


Arrêtons de répéter « laïcité, laïcité, laïcité… » au point d'en faire un mot « valise » ! Pour prendre sens, cette éducation doit être en prise directe avec le vécu des élèves. Pas facile avec des jeunes qui se sentent étrangers à la Nation ou quand la laïcité est perçue comme l'adversaire de leur identité… Pour commencer, elle ne peut être qu'un engagement, une prise de responsabilités au niveau de l'école. Nombre d'expériences sur le terrain ont déjà été tentées avec succès. Elles s'avèrent plus pertinentes quand elles existent dans la durée, quand elles sont partie prenante du quotidien de l'école : services dans l'établissement (participation à l'entretien, à la convivialité des lieux, accueil et accompagnement des élèves plus jeunes,..) animations de clubs, actions de médiation, éducation à la gestion de conflits, échanges réciproques de savoirs promus par les Heber-Suffren, etc.. Pourquoi ne pas mieux les partager pour les généraliser ?


Dans la classe, on peut également penser faire vivre l'EMC dans les travaux de groupes, dans l'émulation par le sport, l'introduire dans les projets interdisciplinaires, dans les rencontres avec des partenaires locaux associatifs, municipaux, étatiques... pour percevoir la dimension citoyenne de leur ville, de leur village, dans des activités de sécurité, d'écocitoyenneté, etc.. On peut encore instaurer un conseil de classe hebdomadaire, type Freinet, où l'on traite tous les problèmes, de l'organisation aux responsabilités de chacun, etc…


L'EMC peut les mobiliser dans des pratiques au sein des quartiers ou dans des actions humanitaires de part le monde. Il existe bien un Parlement d'enfants, des Conseils municipaux de jeunes, des prix contre le harcèlement, l'égalité des sexes ou des fondations pour la philanthropie ; ce sont des opérations « bonne conscience » qui ne touchent qu'un nombre restreint de classes ou d'élèves. Les questions de tolérance, d'égalité, de violence, d'intégrisme doivent être abordées au quotidien, dans des moments d'Ethique, autre lacune des programmes. Un travail de clarification des valeurs, notamment des valeurs de la République, est à introduire dès l'école maternelle… Nombre de phrases répétées sont à décoder. Par exemple, la liberté d'expression n'est pas absolue, elle est limitée par la loi…


Règle n°4


Pour y mettre du sens, l'école devrait se saisir en permanence de l'actualité, elle ne devrait pas rester frileuse par rapport aux médias ou aux réseaux sociaux. (Règle N°'4). Nombre d'enseignants hésitent à aborder ces questions car l'Ethique n'est programmée qu'en terminale ou à cause d'une certaine conception de l'éducation –elle est affaire de la famille - (3) et même de la laïcité envisagée comme une certaine neutralité.


Règle n°5


« L'autorité des enseignants et des personnels d'établissement doit être renforcée ». Mais encore ne suffit-il pas de le dire ! Bien sûr les manquements doivent être remontés au chef d'établissement, mais ce dernier que peut-il faire si on le laisse esseulé ? Il peut convoquer les parents, les enfants à problèmes ont des parents qui ont démissionné. Il peut faire appel au Conseil de discipline ; ce n'est pas par une exclusion de 3 jours, d'une semaine ou une exclusion définitive que le problème sera réglé. Bien au contraire, la sanction est la pire des solutions, les élèves qui s'affrontent à l'autorité se sont de facto déjà exclus de l'institution. Très souvent, ils dépassent toutes les bornes pour se sentir encore un peu partie prenante de l'école.


Règle n°6


La solution est ailleurs, elle est dans le recrutement, le statut et dans la formation des enseignants pour en faire des personnalités qui s'imposent d'elles-mêmes, qui se coordonnent pour affronter la violence du jeune en déshérence et la faire cesser (Règle n°6).


Règle n°7


Beaucoup pourrait être fait en amont pour éviter cette exclusion. Il faut s'interroger sur le fonctionnement des écoles des quartiers difficiles (profs. sans expérience, locaux délabrés, absence de convivialité, notamment à la « cantine », etc..) et sur la place faite à l'élève dans l'école. Au delà des beaux discours, du saupoudrage de moyens pour faire bonne conscience, il nous faut prendre conscience que notre école est actuellement très inégalitaire, comme l'ont démontré les évaluations PISA. Sans doute la moins inclusive en Europe.


Règle n°8


Ses programmes et ses méthodes pédagogiques produisent de l'ennui, du désintérêt parce qu'on prend rarement en compte les questions des élèves. Non pas pour y rester, cher Monsieur Finkielkraut, mais pour partir d'elles et aller vers la Connaissance, sans oublier les compétences. Surtout, et cela est vraiment dramatique, sa façon d'évaluer fait perdre tout à la fois confiance et estime de soi à nombre d'enfants, d'adolescents qu'elle finit par dégoûter, stigmatiser, puis exclure du système scolaire, et par là de toute vie sociale. L'évaluation n'est pas qu'une question de note ou d'appréciation. Certaines appréciations sont pires que les notes ! L'évaluation ne peut plus rester une fin en soi et se situer en fin d'apprentissage. Elle doit être une étape du travail pédagogique pour permettre à l'élève de prendre conscience de ses difficultés, ensuite d'avoir un accompagnement pédagogique pour y remédier, avec la possibilité de repasser son évaluation (Règle n°8). De telles pratiques  (4) ne demandent pas plus de moyens supplémentaires -combien de temps-enseignant sont actuellement perdus- mais une autre organisation de la classe, une autre culture de l'école. Les élèves apprennent dès l'école primaire à « consommer » du cours et ils attendent que le professeur fasse son cours pour apprendre, au lieu d'apprendre à apprendre. En sus, trop d'enseignement frontal non situé tue le désir d'apprendre.


Règle n°9


Pour éviter la perte de confiance, puis la déshérence qui conduit à l'exclusion et à la violence, il est un point fondamental à mettre en place de façon apaisée ; il demeure tabou parce que l'école reste toujours inféodée à un Ministère de l'Instruction . (5) On n'ose toujours pas explicitement permettre à chaque élève de « travailler sa propre personnalité », de faire émerger sa propre identité au sein de la Nation. Une pédagogie humaniste doit désormais aller résolument dans ce sens, nombre de propositions et de documents pour la classe ont déjà été produits pour y parvenir . (6) Ces jeunes qu'on dit « violents » ont besoin d'abord d'écoute et surtout de reconnaissance. Ils ont besoin de comprendre, de se comprendre, de mettre du sens, de mettre des mots pour exister autrement et sortir de leur violence.


Règle n°10


Un tel projet éducatif renvoie à un travail sur soi, à la prise de conscience et à la valorisation de son potentiel, à l'amélioration de sa qualité de vie et à la réalisation de ses aspirations et de ses passions, etc. Il n'est pas une thérapie, il démarre simplement par des situations pour améliorer ses performances scolaires (apprendre à apprendre pour mieux mémoriser, communiquer, s'organiser, gérer son temps,..), une prise de conscience de son rapport au Savoir, à l'école ou à la culture, et une transformation de soi, à la fois pour se défaire de certains aspects négatifs (phobie, anxiété, timidité, violence,..) et aller vers de meilleures confiance et estime de soi et vers une clarification des valeurs que l'on souhaite porter. De simples jeux de rôle, des ateliers d'écriture, du théâtre interactif, un photolange, des moments où on parle de soi à travers des objets auxquels on tient, d'autres où on se sent écoutés, reconnus sont une première approche pertinente qui peut se faire facilement en classe (Règle n°10).


Règle n°11


Sur tous ces plans, se pose en premier la question de la formation des enseignants et des cadres de l'éducation (directeurs, conseillers, inspecteurs, ministre, président,..). Rien ne peut se faire si ceux-ci ne s'approprient pas une ECM vivante, si les valeurs -celles de la république, celles de la démocratie, celles du vivre ensemble- ne  sont pas explicitement introduite dans la culture de l'école, encore moins s'ils ne sont pas formés à accompagner l'émergence d'une personne pour les premiers, d'un système apprenant ou d'une équipe éducative pour les seconds. Ce sont ces questions « vives » que devraient traiter en priorité une Commission des Programmes d'une part, une Commission de l'Education transpartisane d'autre part.


Quant aux Ministres ou aux Présidents successifs, ce n'est pas par des annonces ou par des lois qu'ils pourront faire évoluer ce système éducatif. Peut-être devraient-ils prendre conscience de combien leurs réformes ont été (sont) contreproductives, combien cette suite de réformes sur 30 ans mises en place à la va-vite, non accompagnées, non évaluées ont pu être même bloquantes. Il ne suffit pas de répéter qu'on a mis en place des Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) pour les rendre pertinentes. Déjà pouvaient-il tirer partie des dysfonctionnements des anciennes Ecoles normales et des IUFM pour penser ces Ecoles, leurs cabinets ne pourraient-ils pas faire un minimum de veille pour repérer les  « bonnes pratiques » pour leur mise en place et leur fonctionnement avant de leur préparer des annonces qui resteront sans suivi efficace.


Et Règle n°12


Sans doute faudrait-il pour commencer (re)penser l'organisation du système éducatif lui-même. La moindre des innovations ou des propositions butent sur une somme de blocages liés aux territoires de compétences, aux égos et aux corporatismes de toutes sortes. Obtenir la « conjonction des planètes » pour y parvenir, comme disent les observateurs du système tient du démiurge ! Sans doute faudra-t-il sortir de l'habitude des décrets, des circulaires et des injonctions descendantes qui ne font exister qu'énarques et politiques aux dépends de l'école (Règle n°12) !.. Il est vrai que la systémique, la pragmatique dont les processus de changement ne sont pas non plus au… programme.


André Giordan


Notes :

1  Le Café pédagogique avait publié en 2013 une Check-list pour préparer son bac ; elle avait reçu un certain succès. Pourquoi ne pas faire de même pour tenter d'implanter la laïcité à l'école. Malgré la gravité de la question et de la situation, je me suis permis quelques clins d'oeil en hommage à Charlie Hebdo.

2  Le président François Hollande a défendu un "nouvel enseignement moral et civique" à l'école le 21 janvier 2015.

3  Bien sûr l'éducation reste l'apanage des familles. Toutefois dans une société complexe où la famille est souvent dépassée, on ne peut plus faire l'impasse d'une synergie famille-école.

4  L'école en tant qu'institution n'a toujours pas su réagir ; seuls quelques enseignants ou quelques directeurs bien isolés y parviennent. Ces jeunes en déshérence, ces « laisser pour compte »  sont prêts à suivre n'importe quel gourou ou prédicateur.  L'institution en produit 150 000 par an. Nous avons beaucoup de chances que tous ne tombent pas dans la délinquance ou le djiadisme.

5  Même si on l'appelle désormais « Ministère de l'Education Nationale ».

6  Voir par exemple le site Ecole changer de cap :

http://www.ecolechangerdecap.net



Sur le site du Café


Par fjarraud , le vendredi 23 janvier 2015.

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