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Dossier : Conférence sur l'évaluation : Le ministère affiche sa volonté de changement 



Environ 300 personnes ont assisté le 11 décembre à la première journée de la conférence nationale sur l'évaluation. Tout au long de la journée se sont succédés spécialistes et équipes pédagogiques devant le jury de 30 personnes réuni par le ministère. Toutes les interventions vont dans le même sens : démontrer la nécessité d'appliquer une nouvelle évaluation tenant compte des compétences et bienveillante.


La note tue l'apprentissage


"La note est liée à l'idée du classement dans un système scolaire construit par en haut pour créer une élite". L'historien Antoine Prost a ouvert la journée en remettant la réflexion de la conférence dans l'histoire de l'évaluation dans l'École française. Dans le secondaire, il explique que la note a été inventée à Polytechnique début 19ème siècle pour assurer e classement des élèves. Elle est ensuite passée par les clases prépas et les classes supérieures du lycée pour arriver ensuite dans les classes du début du secondaire. En 1890 un arrêté impose la note sur 20 pour les compositions dans tout le secondaire. Dans l'enseignement primaire elle n'existe jusqu'aux années 1950 qu'au seul certificat car l'école primaire n'a pas à sélectionner. Pour A Prost, actuellement on "secondarise le primaire alors qu'il faudrait primariser le secondaire". A Prost juge "immorale" l'évaluation de l'apprentissage. "La note tue l'apprentissage", affirme-t-il. Il invite à bien distinguer apprentissage et évaluation finale.


67% des élèves ont peur des notes


Agnès Florin rend compte de ses travaux sur le rapport entre évaluation, estime de soi et réussite scolaire. Dès la maternelle, en moyenne section, explique-t-elle, les enfants sont capables de classer les élèves en fonction de leur réussite scolaire. Des évaluations négatives affectent le rapport à l'enseignement. Ca décourage. Au final l'enfant anticipe son échec et ça conduit au décrochage. Mais l'évaluation affecte la personnalité entière et le rapport à la vie.


La question de confiance


André Antibi, inventeur de l'évaluation par contrat de confiance (EPCC) était le principal invité de l'après-midi. Mais finalement son temps de parole a été très encadré par des intervenants invités par les organisateurs. Un IEN a ainsi expliqué que "toute sa circonscription a développé une culture commune de l'évaluation" grâce à l'EPCC "généralisée" grâce à lui. Les résultats seraient excellents. "Quand le contrat est explicite mécaniquement les élèves travaillent plus. L'élève qui ne réussit pas c'est qu'il ne travaille pas". Une affirmation qu'André Antibi a relevée en expliquant que l'EPCC "ne fait pas de miracle" et qu'il reste 10% d'échec.


Pour C. Massicot, conseillère pédagogique, la mise en place de l'EPCC a mis l'évaluation au coeur des pratiques pédagogiques et a posé la question de la confiance entre professeurs et élèves ainsi qu'entre l'école et les familles. Les élèves apprennent grâce à l'EPCC a réfléchir sur ce qui les fait réussir. L'inspectrice générale B. Bajou souligne la responsabilité de l'institution. "La liberté pédagogique ne suppose pas ne pas respecter les consignes", affirme-t-elle. A Antibi souligne la perte de confiance entre enseignants et parents mais aussi entre enseignants et décideurs.


Vers la réforme du bac


Pour Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes, "il y a un vrai besoin de modifier les pratiques d'évaluation". Interrogé par le Café pédagogique, il estime qu'il y a "un moment historique et propice qui pourrait nous permettre d'avoir un système d'évaluation plus performant et qui serve la réussite des élèves. On ne peut pas réfléchir au socle commun sans penser l'évaluation". Le CSP a fait des propositions pour le brevet. "On continuera à le faire en tenant compte de cette conférence", prévient-il. "C'est dans la fonction du CSP de s'intéresser au bac. Le CSP peut s'auto saisir. On a l'intention d'aborder le lycée et le bac dès l'année prochaine. On le fera en conformité avec le socle commun".


Vers une nouvelle évaluation


"Quelque chose doit changer dans l'évaluation des élèves pour être à la hauteur des enjeux de l'École". En ouvrant la conférence, F. Robine, directrice de l'enseignement scolaire, a rappelé les exigences de la loi de 2013. La loi d'orientation impose une évaluation plus positive et encourageante pour les élèves. "Les moyennes de moyennes doivent être interrogées" mais "il faut éviter les usines à gaz dont les équipes ne peuvent s'emparer", allusion feutrée au livret personnel de compétences. Ainsi profile-t-elle une réforme de l'évaluation qu'elle annonce "courant 2015". La seconde journée de la conférence d'évaluation devrait continuer à appuyer ce projet.


François Jarraud





La Conférence sur l'évaluation écarte la question des notes

"La question du système de notation est un faux problème". Etienne Klein, président du "jury" constitué pour la Conférence nationale sur l'évaluation, a annoncé que l'idée de supprimer les notes ne ferait pas partie des recommandations du jury. La seconde journée de la Conférence, le 12 décembre, a alterne réalisations d'établissements et interventions d'experts. Une seule question a été sérieusement traitée : celle de la docimologie. Le recommandation du jury pourrait s'arrêter là.


La seconde journée de la Conférence nationale sur l'évaluation, le 12 décembre, a vu défiler des représentants d'établissements scolaires de l'école jusqu'au lycée : un collège de Loos-en-Gohelle, une école de Toulouse, l'école Molière d'Arras, le collège de Sancerre, des lycées professionnels de l'académie de Strasbourg. Tous ont développé des modes d'évaluation par compétence qui souvent  sont un élément de démarches plus larges d'accompagnement des élèves.


Des projets d'établissements


Ainsi à l'école de Toulouse, les évaluations sont préparées avec des exercices d'auto-évaluation de durée variable selon les élèves. Des bilans de séquence permettent de vérifier les acquisitions et ce qui reste à acquérir avant l'évaluation. Lors de celle-ci les tâches sont du même type que celles des situations proposées lors de la phase préparatoire. L'accent est mis sur la confiance et la clarté des attendus.



Au collège de Loos-en-Gohelle, les élèves disposent d'un bulletin trimestriel où les compétences transversales sont évaluées (ci-dessous). Dans les L.P. de l'académie de Strasbourg des compétences transversales sont ajoutées au livret classique.



La docimologie science populaire ?


Du côté des experts, Jean-Marc Monteil et Pierre Merle ont évoqué les acquis en docimologie. P. Merle notamment a démonté la réputation des notes. Il a montré les biais globaux et individuels de notation. Il en a montré les effets sur les élèves. Par exemple il a évoqué les retombées des logiciels de notes sur la relation à l'école. Les parents ont souvent la note avant l'enfant, ce qui fragilise la confiance avec l'enseignant, et toute la famille se focalise sur la note. Pierre Merle définit ce que devrait être une "bonne" évaluation au service des apprentissages :

1 - Préserver l'anonymat social et scolaire de l'élève

2 - Préférer une évaluation formative à une évaluation sommative

3 - Intégrer l'évaluation dans le processus d'apprentissage

4 - Supprimer les « comparaisons sociales forcées »

5 - Fonder l'évaluation sur des compétences et connaissances standardisées

6 - Construire une synergie entre les évaluations des élèves et celles des établissements


Un bilan final fort mince ?


En conclusion des journées, Etienne Klein, président du jury,  a donné les grandes lignes des recommandations que le jury devrait transmettre à la ministre en janvier 2015. "La question du système de notation est un faux problème" affirme-t-il. Il n'y aura donc pas de suppression des notes. Par contre le jury recommandera "une évaluation plus riche", c'est à dire probablement par compétences mais "en évitant un surcroit de travail des enseignants". Le souvenir du livret personnel de compétences est là et le jury voudrait à la fois permettre l'évaluation par compétences sans en faire un monstre bureaucratique.


"La docimologie doit devenir une science populaire". Le jury devrait aussi recommander une formation à la docimologie, qui semble la grande découverte d'Etienne Klein. Il devrait proposer de distinguer nettement les moments d'évaluation formative et sommative. La nouvelle évaluation devra aussi "aider les enseignants à faire progresser les élèves". Mais le jury ne parlera pas "d'évaluation bienveillante", la formule ayant été déformée par les médias en baisse des exigences.


Florence Robine, directrice de l'enseignement scolaire, a écarté l'idée que la conférence ait été à sens unique en estimant qu'il n'y avait plus de débat pour les chercheurs. "Il y a des débats de fond qui sont tranchés et on est dans le cadre de la loi d'orientation. Elle définit le cadre d'une évaluation positive", a-t-elle dit. "Il y a la loi, la refonte du socle, l'écriture des programmes, la logique des cycles, la réforme du collège. Tout ça doit être mis en cohérence... Comment on accompagne les enseignants ? Que produit-on comme ressources ?  Quels types de formation met-on en place ? Quelle réflexion sur le livret scolaire numérique ?" C'est au vu de ces questions et de ces éléments que la ministre devrait trancher. Mais comment concilier une évaluation par compétences du socle commun et la tradition scolaire ? Le président du jury promet de trouver "le juste milieu". Florence Robine parle de trouver le "consensus  minimum". On ne sait toujours pas comment on impulse et accompagne un tel changement.


François Jarraud





Evaluation : Le consensus est déjà là !

"Le consensus existe déjà". La conférence sur l'évaluation était à peine commencée le 11 décembre au matin qu'un membre du jury de cette "conférence de consensus sur l'évaluation" annonçait publiquement la couleur. La conférence ministérielle ne cherche pas à comprendre mais à convaincre. La volonté de changer l'évaluation s'y affiche et les mesures sont clairement annoncées. La conférence sur l'évaluation n'a rien d'une conférence de consensus.


L'École a déjà connu une "conférence de consensus" sur l'évaluation. Organisée en 2011 par les IUFM franciliens, elle a réuni une journée entière des spécialistes qui se sont affrontés sur des questions. Ils se sont affrontés sur le processus de construction de l'évaluation, sur la part de subjectivité dans l'évaluation, sur les valeurs sous jacentes dans l'évaluation. Ils se sont aussi opposés sur les questions du pilotage institutionnel et de l'accompagnement dans l'évaluation en montrant que la directivité peut avoir des effets positifs ou très négatifs. Marc Bru, président du jury disait que "la conférence a insisté sur la notion de processus conçue sous différents aspects (référentialisation, évaluation-reconnaissance, évaluation comme levier de professionnalisation, certification…). L'évaluation s'inscrit dans un temps, un contexte et est traversée par des enjeux parfois en tension. L'analyse de ce que l'on peut entendre par apprentissage et évaluation par compétences, montre bien que le consensus n'est pas général au sein du système éducatif et que les incantations, y compris les plus officielles, ne dispensent pas d'un travail de mise en confrontation par un dialogue ouvert qui peut trouver un de ses lieux d'existence dans la formation des enseignants".


A l'évidence, ce dialogue ouvert est totalement absent de la "conférence de consensus" organisée par le ministère le 11 décembre. Certes il y a des experts. Certes il y a un jury. Mais il manque à la conférence l'essentiel : des questions et un débat.


Les interventions sont parfois très intéressantes, comme celle d'Antoine Prost. Mais toutes défendent la même thèse. A. Prost juge les modes d'évaluation actuels très pauvres et décourageants. A. Florin estime que l'évaluation actuelle fait des dégâts. Les praticiens de terrain invités ont tous abandonné l'évaluation traditionnelle pour s'inscrire dans le schéma de l'évaluation fixée par l'institution. Car, cerise sur le gâteau, l'institution a déjà établi dans la circulaire de rentrée ce que doit être la nouvelle évaluation. Entièrement composé par le ministère, le jury de la conférence  est instruit à sens unique ce qui ne laisse aucun doute sur ses conclusions. Comme l'a si bien dit un  membre du jury dès le 11 décembre au matin : "Le consensus existe déjà !".


Changer l'évaluation est nécessaire pour construire le socle. On n'imagine pas  un socle accordé par une moyenne de moyennes. Il faut donc bien déconstruire l'idée de la moyenne. Changer l'évaluation peut-être une grande chance pour l'École. Ce qu'a expliqué Agnès Florin, par exemple, quand elle montre les dégâts de l'évaluation actuelle, mérite d'être connu et compris. Les exemples d'actions sur le terrain montrent que la réflexion sur l'évaluation peut porter le changement. En acceptant de réfléchir à leurs modes d'évaluation, les enseignants se mettent en mouvement, construisent du collectif, une culture et une action commune. Et c'est cette dynamique là qui ouvre des perspectives à l'École. Bien davantage que le changement d'évaluation stricto sensu.


Alors, si changer l'évaluation c'est changer l'école,  peut-on réellement changer sans  se questionner ? La conférence peut-elle vraiment totalement éviter le débat sur les valeurs qui portent l'évaluation ? Peut-elle espérer changer quelque chose sans se demander comment on change l'évaluation ? Réduite à un monologue, avec de bons moments de langue de bois, la "conférence de consensus" n'a semble-t-il pour objectif que de légitimer des instructions déjà écrites. L'expérience et la recherche montrent pourtant que ce pilotage par le haut de l'évaluation peut être le meilleur moyen de ne rien changer.


François Jarraud


La conférence de consensus de 2011

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/12/16122011_consens[...]

Les interventions lors de la conférence de 2011

http://ressources.creteil.iufm.fr/ressources/audiovisuel/conferences-[...]

Intervention le 4 juin

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/06/05062014Article[...]

Hamon le 24 juin

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/06/25062014Article[...]





E. Bautier : "L'évaluation par compétences peut laisser de côté des choses fondamentales"

Professeure en sciences de l'éducation à Paris 13, Elisabeth Bautier a fait bénéficier de son expertise la Conférence sur l'évaluation. Elle revient sur l'accompagnement au changement, l'évaluation bienveillante et l'évaluation par compétences en démystifiant certains points. Pour elle, "il faudrait davantage de travail et de formation des enseignants sur la compréhension".


Lors de la conférence sur l'évaluation vous avez mis en garde sur "le risque de la bienveillance". Que voulez-vous dire ?


 Pour certains élèves l'école, du fait des façons de noter peut faire perdre ce qu'on appelle aujourd'hui l'estime de soi. Mais il ne faut pas confondre éviter cet aspect négatif de la notation avec l'évaluation des apprentissages. A voir les commentaires et l'importance accordée à la question de la notation, je crains que l'on s'intéresse davantage à la question de l'image de soi, certes importante mais au détriment de l'exigence des apprentissages. Or s'intéresser aux apprentissages des élèves c'est cela la vraie bienveillance. Pour moi être bienveillant c'est permettre à tous les élèves d'avoir les mêmes acquisitions.


Je crains, devant les difficultés pour faire apprendre tout le monde dans certaines classes, un affaiblissement du niveau d'exigence pour les publics scolaires en difficultés. Je crains qu'on mette l'accent sur l'effectuation de taches et qu'on laisse de côté les acquisitions de raisonnements, de compréhensions à mobiliser dans les activités d'apprentissage justement. Je crains que des enseignants souvent démunis devant les difficultés des élèves se centrent plus sur les comportements que sur les apprentissages et acceptent que des élèves travaillent en investissement intellectuel "mineur". L'évaluation par compétences peut laisser de côté des choses fondamentales comme la façon dont les élèves vont se ressaisir à plus ou moins long terme des connaissances acquises, les réinvestir.


Vous avancez aussi l'idée du risque lié à l'auto-évaluation


L'autonomie de l'élève est un objectif relativement récent de l'école. Mais l'autonomie n'est pas un élément inné ou acquis dans le seul développement, comment s'apprend elle ? N'est-elle pas souvent davantage attendue qu'enseignée et de quelle autonomie parle-t-on ? De plus, tous les élèves ne sont pas élevés dans cette perspective et on ne leur apprend pas à tous à être autonome. Alors tous les élèves vont-ils s'auto-évaluer sur les mêmes critères, certains ne  vont-ils pas évaluer l'effectuation des tâches, d'autres la compréhension intellectuelle de la tâche ?


Vous dites que les compétences essaient de réguler le niveau d'exigence des élèves. Que voulez vous dire ?


Depuis quelques années les exigences du curriculum se sont accrues. La restitution de connaissances ne suffit plus. On demande à l'élève de raisonner sur les savoirs, de résoudre des tâches complexes. Avant il suffisait de réciter une leçon. Or ces apprentissages intellectuels ne font pas aisément l'objet d'un apprentissage en classe, les mises en situation ne sont pourtant pas toujours suffisantes.  L'évaluation par compétences qui porte pourtant sur des opérations intellectuelles risque cependant en les isolant de laisser de côté ce qui fait la complexité du travail attendu pour apprendre dans des activités scolaires, celles qui sont les plus importantes dans les apprentissages, qui relèvent souvent de la familiarité avec la culture écrite. Elle peut ne pas être suffisante pour que les enseignants identifient les difficultés profondes de certains élèves. Je ne suis pas sûre que dans les établissements  fréquentés par les populations familières des exigences scolaires, les enseignants se centrent pareillement sur les compétences.


Pensez-vous que plutôt que faire une conférence sur l'évaluation, il n'aurait pas mieux valu travailler sur la compréhension des élèves ?


Il ne s'agit pas d'échanger le thème de l'évaluation contre celui de la compréhension, mais il faudrait davantage de travail et de formation des enseignants sur la compréhension. Non seulement les élèves en difficulté ne comprennent pas toujours les enjeux d'apprentissage de ce qui est proposé, mais ne comprennent pas non plus les documents sur lesquels ils travaillent. Evitons de croire que comprendre c'est seulement être capable de répondre à des questions en qui, quoi, où etc. Ainsi, les modalités d'évaluation  demandent trop souvent de trouver une information dans le texte. Comprendre c'est construire une signification générale du texte, du document, l'élaborer, pouvoir la verbaliser, l'écrire ou la dire.


Un autre absent de la conférence c'est la réflexion sur le changement. Comment faire pour accompagner le changement ?


C'est sans doute difficile de faire entrer le changement dans les pratiques enseignantes, surtout si on pense des changements individuels. Les pratiques reposent souvent sur des conceptions dominantes, des doxas qui bloquent le changement ou empêchent les questionnements.


Comme il a été dit lors de la conférence à propos des erreurs, pour que le changement se passe bien, il faut pouvoir faire des erreurs, tenter des pratiques différentes dans la confiance. Or la formation actuelle des enseignants ne les habitue guère à des remises en question. Elle forme davantage à des techniques d'enseignement qui constituent des manières dominantes de construire des dispositifs d'apprentissage. Même si les enseignants sont aussi considérés comme des acteurs, la formation les appelle à reproduire ce que les formateurs disent qu'il faut faire au détriment de l'adaptation au public fondée sur l'analyse de leurs difficultés. Sans doute faut-il revenir sur les contenus de la formation, à commencer par former les enseignants à l'évaluation.


Propos recueillis par François Jarraud





Bruno Suchaut : Les enseignants aussi sont notés : à quand l'évaluation bienveillante ?

L'évaluation des élèves est revenue au centre de l'actualité éducative française. Dans le débat public actuel, la pratique de l'évaluation chiffrée est explicitement interrogée et le souhait d'une « évaluation bienveillante » et positive, favorisant la réussite de tous les élèves est clairement exprimé. Sans anticiper sur les décisions politiques qui pourront être prises sur le sujet dans l'avenir, faut-il d'hors et déjà envisager que les enseignants, les parents et les élèves fassent prochainement le deuil de la notation, du moins à l'école primaire et au collège ? Encore une fois, les partisans et les adversaires des pratiques traditionnelles en matière d'évaluation des élèves s'opposent, dans des échanges souvent teintés d'idéologie qui, au bout du compte, risquent d'être assez peu utiles pour que l'école française devienne plus efficace et équitable.


En effet, les vraies questions auxquelles celle-ci est confrontée dépassent de loin la seule question de l'évaluation, même si les biais inhérents à la notation et ses effets parfois néfastes existent et ont été dénoncés depuis bien longtemps. Cet aspect des pratiques d'enseignement n'est pas le seul à participer au renforcement des inégalités entre élèves et le risque qu'une réflexion plus large sur des pistes d'action plus pertinentes soit occultée est réel. Au-delà de la manière d'évaluer les acquis des écoliers, ce sont les pratiques pédagogiques dans leur ensemble qu'il faut interroger, principalement en ce qui concerne la prise en charge des élèves les plus fragiles sur le plan des apprentissages, au début de la scolarité.


L'idée principale à la base du débat public actuel est que l'évaluation doit être principalement au service des apprentissages et permettre aux élèves de progresser. Dans ce contexte, il peut alors paraître surprenant, voire même paradoxal, que l'évaluation des enseignants échappe aux préoccupations des décideurs et ne fasse pas l'objet d'un débat comparable. Peut-on ainsi imaginer un système dans lequel la notation des élèves serait une pratique abandonnée par les enseignants alors que ceux-ci seraient eux-mêmes toujours notés par leurs supérieurs hiérarchiques ? Si le besoin d'une évolution des pratiques actuelles a toutefois été plusieurs fois évoquée par l'institution dans plusieurs rapports, les enseignants, par la voie de la plupart de leurs syndicats, sont demandeurs d'une évolution plus radicale, particulièrement en ce qui concerne l'inspection sous sa forme actuelle et la note pédagogique qui l'accompagne.


Il peut alors être légitime de s'intéresser aussi à la manière dont les enseignants eux-mêmes sont évalués sachant que, d'une part la situation a peu évolué depuis des décennies et que, d'autre part, la notation cristallise encore les pratiques en vigueur. Même si l'exercice peut paraître saugrenu ou, à tout le moins périlleux, les cinq questions soumises à la Conférence nationale sur l'évaluation des élèves pourraient bien après tout être transposées à la problématique de l'évaluation des enseignants. C'est particulièrement le cas pour la troisième question qui pourrait donc ainsi être formulée : Quelle place et quelle forme de la notation dans l'évaluation des enseignants ? La réponse à cette question peut en fait s'articuler autour des objectifs et des caractéristiques de l'évaluation chiffrée qui accompagne la carrière des enseignants. S'il ne fait pas de doute que ceux-ci, comme tous les agents de l'Etat, doivent faire l'objet d'une certaine forme de contrôle de conformité quant à l'exercice de leur mission, les modalités associées à ce contrôle méritent d'être interrogées, dans la perspective d'une évolution, allant dans le sens des attentes des acteurs, celles des enseignants en priorité.


Il faut déjà rappeler que dans l'enseignement primaire, l'évaluation se réalise sur la base d'une visite de classe effectuée par un inspecteur de l'Education nationale, complétée par un entretien avec l'enseignant. Cette inspection intervient régulièrement dans la carrière des professeurs des écoles avec une fréquence habituelle de trois à quatre ans. C'est suite à cette inspection qu'un rapport est rédigé par l'inspecteur, faisant apparaître une « note pédagogique » ou « note de mérite ». Le sens de ces termes est loin d'être anodin car il renvoie directement aux objectifs supposés de cette notation. Celle-ci serait alors censée rendre compte du mérite professionnel, apprécié sur l'observation de la conduite de classe et d'autres éléments recueillis par l'inspecteur lors de la visite et de l'entretien. Mais en est-il réellement ainsi ?


A première vue, la notation des enseignants présente une similitude avec celle destinée aux élèves avec une amplitude potentielle de l'échelle comparable, soit de 0 à 20. La comparaison s'arrête là car l'utilisation de cette échelle est bien différente en ce qui concerne les enseignants : la note minimale est rarement inférieure à la moyenne arithmétique de 10 et la note maximale de 20 ne constitue pas un objectif inatteignable. Si pour les élèves, les écarts de notes sont censés s'expliquer par des différences de résultats (niveau de maîtrise des connaissances et des compétences) évalués régulièrement tout au long de l'année scolaire, l'enseignant se voit attribuer une note unique qui l'accompagne tout au long de sa carrière, tout en augmentant au fil des années.


On précisera également que les grilles de notation établies par l'administration font apparaître des appréciations censées justifier les notes pour chacun des échelons. La nature de ces appréciations varie d'ailleurs sensiblement d'un département à l'autre. Ainsi, on pourra répartir les notes avec une échelle allant de « insuffisant grave » à « exceptionnel » (avec les appréciations intermédiaires suivantes : « insuffisant », « moyen », « satisfaisant », « excellent ») dans un département et selon une échelle allant de « travail insuffisant » à « excellent travail » (en passant par « travail passable », « assez bon travail », « bon travail », « très bon travail ») dans un autre département. Dans certains lieux, ce sont même les lettres (par exemple de « E » à « A++ ») qui font office d'appréciations. Une même note sera donc interprétée différemment en fonction de l'échelon atteint par l'enseignant. Par exemple, la note de 14 pourra être considérée comme « passable » au 9ème échelon et comme « très bon travail » au 5ème échelon.


L'idée même du réel mérite pédagogique, via la notation, est dès lors mise à mal puisque le système repose sur ce principe de proportionnalité entre l'expérience professionnelle et la reconnaissance de ce mérite par l'institution. Si les recherches en éducation ont bien mis en évidence de fortes différences d'efficacité pédagogique entre enseignants, celles-ci s'expliquent globalement, et pour une faible part, par l'ancienneté dans le métier. C'est en effet uniquement au cours des premières années de la carrière que l'expérience exerce une influence marquée sur l'efficacité pédagogique : les enseignants novices étant, sans surprise, moins efficaces que les plus chevronnés dans le métier. Mais seulement après quelques années d'enseignement, l'ancienneté n'est plus une variable explicative, sauf en fin de carrière où la tendance s'inverse avec une éventuelle phase de désinvestissement. Les recherches montrent également que c'est davantage l'expérience acquise dans le degré scolaire que l'ancienneté générale qui est le facteur le plus important. La note témoigne ainsi davantage d'une reconnaissance administrative du travail d'un fonctionnaire que de la mesure des compétences pédagogiques d'un enseignant, en référence à une norme externe.


Les notes attribuées aux enseignants augmentent donc progressivement au cours de la carrière en liaison avec la promotion dans les différents échelons qui donne lieu à des augmentations de salaire selon la grille indiciaire. Sans entrer dans les détails de ces modalités d'avancement qui, au-delà d'un cadre national, sont propres à chaque département, on peut simplement rappeler le principe de base selon lequel les professeurs des écoles progressent dans les échelons (11 échelons pour la classe normale et 7 échelons pour la hors classe) avec des rémunérations qui croissent mais selon une logique qui pourrait paraître complexe aux yeux des enseignants d'autres pays ou même, en France, pour des agents relevant d'autres secteurs professionnels, dans le privé notamment. En effet, l'avancement dans les échelons ne se réalise pas à la même vitesse et selon les mêmes principes dans les différents échelons. Si en début de parcours professionnel (pour les 4 premiers échelons de la classe normale) et à la fin (pour tous les échelons de la hors classe) le passage s'effectue uniquement sur la base de l'ancienneté avec des durées variables pour chaque échelon, ce n'est pas le cas pour le reste de la carrière.


Par exemple, la durée requise pour qu'un enseignant passe du 8ème au 9ème échelon peut varier sensiblement selon que cette promotion s'effectue « à l'ancienneté » (durée de 2 ans et 6 mois), « au choix » (durée de 4 ans) ou « au grand choix » (durée de 4 ans et 6 mois). Le passage au « choix » s'offre aux 5/7 des promouvables et le passage « grand choix » concerne quant à lui, 30% des promouvables. Les parcours s'effectuent donc à des vitesses variables selon le mode d'avancement qui dépend en partie de la note pédagogique, puisque celle-ci est intégrée à un barème qui départage les enseignants susceptibles de bénéficier d'une promotion. On précisera également, que pour chacun des échelons, la note attribuée à l'enseignant est encadrée dans une fourchette laissant peu de place à de forts écarts, ces règles d'encadrement de la note étant spécifiques  à chaque département, même si elles suivent une même logique, à savoir une augmentation progressive à chacun des échelons.


Le barème qui détermine la promotion des professeurs des écoles est le résultat d'une formule simple, à savoir l'ancienneté des services à laquelle on additionne la note pédagogique, cette dernière étant majorée pour les enseignants en retard d'inspection. C'est ce barème, calculé avec une grande précision (avec trois décimales) qui départage alors les enseignants pour avoir accès à l'échelon supérieur et à une augmentation de salaire selon la grille prévue. L'évaluation chiffrée de l'enseignant joue donc un rôle dans le déroulement de la carrière et constitue alors une forme de reconnaissance, même si celle-ci est limitée. En effet, si l'on écarte les cas extrêmes qui correspondent à des modes d'avancement systématiquement opposés tout au long de la carrière (passage toujours « à l'ancienneté » versus passage toujours « au grand choix »), les enseignants bénéficient généralement des trois modes d'avancement et l'observation des déroulements de carrières réelles montrent bien cette alternance chronologique dans les modalités de promotion. Cela étant, ces différences dans la vitesse d'avancement peuvent néanmoins conduire à des écarts de rémunération non négligeables sur l'ensemble de la carrière. Une autre remarque concernant le barème est que sa logique additive entre ancienneté des services et note pédagogique donne, de fait, une  place de moins en moins importante à cette dernière au fur et à mesure que l'enseignant progresse dans sa carrière (l'ancienneté augmentant plus vite que la note).


En résumé, et d'une certaine manière, les pratiques d'évaluation des enseignants n'ont rien à envier à celles des élèves puisque elles sont intégrées à un système dont la notation occupe une position emblématique. Ce système peut être considéré comme hybride dans la mesure où l'avancement dans la carrière privilégie grandement l'expérience professionnelle (ancienneté des services) mais accorde aussi une certaine place à l'évaluation individuelle avec la note d'inspection. Si l'on tente de décrypter la logique de l'évaluation actuelle des enseignants, on peut alors dresser les constats suivants (cf graphique) :


 


i)          la note pédagogique attribuée est fortement déterminée par l'ancienneté dans le métier, même si des variations dans les progressions des notes existent entre enseignants


ii)         selon les recherches en éducation, les différences d'efficacité pédagogique entre enseignants existent, mais sont peu expliquées par l'ancienneté dans le métier.


iii)        selon le système de barème, la part de la note dans la progression de la carrière diminue au fil des années.


L'interprétation commune de ces trois constats, visualisés par les trois courbes du graphique, est que le principe de notation des enseignants semble assez déconnecté d'une vraie reconnaissance par le mérite. En fait, la note, du fait de son incidence (même limitée) dans la progression des carrières, du peut donner lieu à des inégalités de traitement entre enseignants ou, à tout le moins, donner un sens particulier aux promotions dans le monde enseignant. Comme pour les élèves, la question de la suppression des notes pour les enseignants pourrait alors être posée en imaginant un système dans lequel les promotions dans les échelons seraient systématiquement accordées à l'ancienneté, sans qu'un barème intervienne et donne lieu à des carrières à plusieurs vitesses, en étant par ailleurs interrogatif sur le fait que le mérite pédagogique soit réellement le fait de ces différences de parcours… D'autres questions sont bien sûr liées à celle de la notation, notamment celle relative aux modalités d'évaluation individuelles des enseignants qui consomment beaucoup du temps de travail aux inspecteurs et qui pourraient être remplacées par des évaluations d'équipes, avec sans doute une efficacité et une efficience renforcée pour le système éducatif.


Bruno Suchaut





Quand le collège passe au “sans notes”: Episode 3: Fin de trimestre

Comment se sont passés les conseils de classe sans les moyennes ? Comment faire des bulletins quand on n'a plus de notes ? La question se pose au collège Montgolfier de Paris. Depuis la rentrée, nous suivons grâce à Frédéric Jovi, professeur de technologie, les étapes de la mise en place d'une nouvelle évaluation par compétences dans ce collège. Vous retrouverez régulièrement le récit de cette expérience dans Le Café pédagogique.


Les points de vues de chaque enseignant se croisent toujours lors du conseil et les diverses remarques positives ou négatives nourrissent encore l'appréciation générale portée sur le bulletin. Mais, personne ne s'appuie sur sa moyenne ou sur une quelconque note ici ou là !


Chose incroyable, les professeurs ne sont pas en manque d'arguments sans leurs précieuses notes ! Les appréciations ne sont ni plus complètes ni plus pauvres qu'auparavant mais le conseil est essentiellement attentif à celles-ci. Les “A, AA, EC ou NA” sont vus en un coup d'oeil et finalement vite laissés de côté. Tout naturellement, l'absence ou la présence de notes n'affectent en rien la capacité de l'enseignant à faire un bilan précis et constructif de l'élève.


Au contraire, la moyenne comme outil de comparaison a disparu, le comportement scolaire de l'élève est mis en avant. L'attitude de l'élève dans son rôle d'apprenant est réellement évaluée. Jusque là les moyennes, de part leur légitimité historique, supplantaient la partie plus “humaine” que beaucoup de professeurs oubliaient… La moyenne représente un amalgame indéfinissable des différentes évaluations du trimestre. Elle devient donc illisible. Les moyennes auraient-elles été les mêmes d'un professeur de mathématiques à un autre ? jugent-on le niveau réel de l'élève ou est ce relatif (LE sien dans CETTE classe avec CE professeur) ?


Quelles améliorations apporter ?


Le seul “bulletin-synthèse” suffit-il à exprimer le niveau de l'élève ? non bien sûr, chaque discipline doit accompagner son bilan de compétences d'une feuille de position de l'élève. Les parents, l'élève et l'enseignant doivent être capable d'observer l'ensemble des résultats pendant le trimestre. Un rappel des savoirs (acquis ou pas) doit être donné à la famille.


Ce qui amène les enseignants à se poser la question suivante: Quels savoirs pour quelles compétences ? La compétence représente l'objectif à atteindre. L'élève doit être capable d'accomplir une tâche plus ou moins complexe à l'aide de savoirs, savoir-faire et savoir-être. Les enseignants du collège sont dans une profonde remise en question de leurs pratiques. La demande de formation et d'accompagnement disciplinaire est forte.


Aujourd'hui, au collège Montgolfier et dans d'autres établissements en France, nous essayons de faire du neuf avec du vieux. L'adaptation de chacun à ce nouveau système d'évaluation impose la mise en place de nouvelles pratiques pédagogiques. Or, sans aide, sans adaptation des programmes,  supprimer les notes ne suffit pas. L'évaluation est au coeur du système, les exigences de niveau deviennent une priorité.


La course aux programmes qui doivent être terminés n'a pas de sens et seuls comptent les acquis de l'élève. Le niveau de l'élève n'est plus une succession de notes formant des moyennes qui se compensent les unes par rapport aux autres. L'élève devient un citoyen avec des savoirs qu'il doit être capable de mettre en oeuvre dans diverses situations.


Frédéric Jovi

Enseignant de Technologie

Collège Montgolfier


Épisode 2

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/10/23102014Articl[...]

Mon blog (avec l'évaluation en Technologie)

http://fredericjovi.blogspot.fr/





Évaluation : Le Cnesco pose les bonnes questions

A quoi peut bien servir une conférence nationale sur l'évaluation ? Ceux qui ont des doutes sur sa pertinence ont de bons éléments de réponse dans l'étude innovante qu'a publiée le Cnesco le 9 décembre. Sa présidente, Nathalie Mons, à présenté une étude internationale des modes d'évaluation et de leur histoire en abordant la question sous l'angle de l'évolution des systèmes éducatifs. Demandée par la Conférence nationale sur l'évaluation, elle en éclaire singulièrement les objectifs.


Une grande variété des évaluations


L'étude montre la grande variété des modes d'évaluation dans les pays développés. Cela va de la notation de 1 à 100 en Corée ou au Québec, aux lettres ABCDEF utilisées en Suède. La remarque souligne, si besoin était, l'absurdité du débat sur le maintien ou non de la note.


Un mouvement mondial de repli de la liberté pédagogique


Mais N Mons a surtout situé le débat sur l'évaluation dans l'évolution globale des systèmes éducatifs. Elle constate que depuis les années 1970 et surtout 1990, dans tous les pays développés on assiste à un encadrement croissant des procédures d'évaluation. Partout de nouveaux textes réglementaires tentent de contraindre l'évaluation pratiquée par les enseignants. La France fait exception. Le socle commun de 2005 a bine essayé d'encadrer les pratiques enseignantes avec le livret personnel de compétences mais avec un rare insuccès. Si les enseignants français sont cadrés par un programme national de façon très stricte, ce qui n'est pas forcément le cas ailleurs, ils ont toute liberté pour concevoir les procédures et els supports d'évaluation. L'enjeu de la conférence nationale c'est d'en finir avec cette liberté enseignante pour cadrer la façon dont les enseignants évaluent en France comme cela se pratique, par exemple avec des tests nationaux, ailleurs.


La France peu préparée est au milieu du gué


N Mons montre aussi que la France est particulièrement peu préparée à cette évolution. De tous les pays de l'OCDE c'est le pays où on pratique le moins l'auto évaluation par les élèves. C'est le pays où la coopération entre enseignants est la moins développée alors qu'ele sert de base au changement des pratiques d'évaluation.


D'où l'idée que la France "est au milieu du gué". "Alors que, dans la grande majorité des pays de l'OCDE, des réglementations strictes imposaient dès les années 1970 des critères d'évaluation des élèves de plus en plus prescriptifs, et que, dans d'autres pays, les collectifs enseignants fortement présents imposaient, de fait, des formes d'harmonisation, les enseignants français ont longtemps bénéficié d'une marge de manoeuvre individuelle sur le sujet", écrit N Mons. "Depuis une dizaine d'années, la France a clairement rejoint le mouvement de réformes internationales qui rendent les réglementations plus prescriptives. C'est le cas, récemment, avec le développement du « nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture (article 13 de la loi du 8 juillet 2013) » qui comporte de nouveaux critères d'évaluation des élèves par les enseignants. La France n'est donc pas ce « village gaulois » qui passerait à côté du raz de marée international des réformes en éducation". Mais "entre immobilisme et mouvement, entre attente réglementaire et difficultés de mise en oeuvre d'une politique d'évaluation, la France est désormais au milieu du gué... C'est cet assemblage, à ce jour hétéroclite, d'ancien et de nouveau qu'il faut mettre en cohérence à l'avenir. C'est la condition de la lisibilité de l'école pour les professionnels de l'éducation qui y oeuvrent au quotidien, mais aussi pour les parents, soucieux de suivre et de comprendre les progrès de leurs enfants à l'école."


Un débat intensément politique


Un dernier apport, décisif, de l'étude c'est de faire le lien entre évaluation et alternance politique. N Mons montre que la question de l'évaluation des élèves est un sujet politique. Elle explique comment l'Angleterre conservatrice vient d'imposer la note A+ pour distinguer la crème qui alimentera "Oxbridge" du vulgaire. Elle le montre aussi clairement en reprenant l'exemple des cantons de Genève et de Vaud en Suisse. A Genève, une majorité de gauche impose une évaluation formative. Cela entraine un débat politique mené par la droite qui se remet en selle politiquement en défendant une évaluation sommative assurant le tri des élèves. Un référendum (une votation) tranche et se fait en faveur de la droite chargeant le  gouvernement de gauche en place de changer la donne. Autrement dit les évaluations sont sensibles au débat politique et c'est sur ce terrain là que l'initiative ministérielle pourrait être attendue.


Ce que ne dit pas N Mons, c'est qu'à Genève, comme l'explique Lucie Mottier Lopez, l'injonction politique de faire une évaluation formative a été accueillie par les enseignants pour ce qu'elle était : une volonté politique temporaire. La seconde injonction, appelant à rétablir l'évaluation sommative, a été reçue de la même façon. Sur le terrain pédagogique les enseignants s'en sont tenus à ce qu'ils jugent bon pour leurs élèves. La formation aurait pu faire bouger les lignes. Mais L Mottier Lopez observe que personne ne demande de formation à l'évaluation formative... Sur le terrain, la liberté pédagogique a la vie plus longue et dure qu'une alternance politique. Une récente étude du Céreq sur les pratiques d'évaluation en bac pro montre la capacité des enseignants à se cramponner à ce qu'ils jugent bon pour les élèves.


François Jarraud


L'étude

http://www.cnesco.fr/evaluation-des-eleves-dans-la-classe/

L'évaluation question politique

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/11/17112014Article[...]

Étude sur le bac pro

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/12/02122014Articl[...]

Le dossier Évaluation

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2014/2014Evaluatio[...]





Quand les enseignants de bac pro s'emparent de l'évaluation

L'introduction du contrôle en cours de formation pour l'évaluation du bac professionnel a amené les enseignants à concevoir leur propre façon d'évaluer, estime une étude de J Paddeu et P Veneau du Céreq. L'étude montre que les enseignants évaluent la pertinence du chemin emprunté par le candidat davantage que sa performance. Les enseignants s'écartent largement du référentiel officiel. « La prise de distance des enseignants vis-à-vis des objectifs affichés dans le référentiel peut difficilement être interprétée comme une forme de « résistance au changement », estime le Céreq. « Elle procède d'une conception de l'acte d'évaluer comme prolongement de celui de former et non comme activité autonome. Elle réaffirme aussi la spécificité de l'acte de former, dont la finalité ne peut se réduire à amener les élèves à des résultats fixés à l'avance. On comprend ainsi l'impasse que représente pour les enseignants le fait d'avoir à évaluer des performances. D'autre part, et sur un autre plan, elle s'explique aussi par la formation technologique qu'ils ont eux-mêmes reçue. Ces deux aspects imprègnent les pratiques des enseignants qui ne sauraient donc être modifiées par un surcroît de règlementation et de contraintes qui n'aboutirait qu'à accentuer les pratiques de contournement ou d'ajustement ».


L'étude

http://www.cereq.fr/index.php/actualites/Au-dela-de-la-regleme[...]




Sur le site du Café

Par fjarraud , le mardi 16 décembre 2014.

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