Mireille Brigaudiot : Non, le programme pour l’école maternelle 2015 n’est pas « coupé » du CP 

Depuis la parution de la note du CSP, qui a été vivement critiquée par l’ensemble de la profession, le ministère justifie régulièrement son projet de re-écriture du programme 2015 de maternelle par la récente obligation scolaire à 3 ans. D’après lui, Il faudrait recentrer les injonctions officielles sur les fondamentaux que le programme de 2015 aurait en quelque sorte « oubliés ». Je veux ici lever un malentendu car les futurs apprentissages du lire-écrire sont totalement visés par le programme actuel.

 

Des objectifs travaillés jusqu'au CP

 

Dans le domaine du Langage, ce programme tient, à la fois la connaissance qu’on a de l’acquisition du langage des enfants des 2-3 ans (c’est l’amont de la maternelle), et ce qu’on sait des apprentissages du lire-écrire au CP (c’est l’aval de la maternelle). De plus, ce texte reprend le cadre de la loi dite Peillon de 2013 dont les buts étaient d’élever les connaissances et de réduire les inégalités.

 

C’est pourquoi les 8 objectifs Langage de ce programme sont ordonnés (même si tous les objectifs sont travaillés tout au long du cycle, mais selon des modalités différentes). Ils commencent par la condition nécessaire à l’activité langagière en milieu collectif, « oser entrer en communication », et se terminent par la condition d’un bon démarrage du lire-écrire au CP, « découvrir le principe alphabétique et commencer à écrire tout seul ». Tous les autres objectifs s’inscrivent dans une suite de conquêtes propres aux enfants, et dans ce cadre.

 

Enfin, et ce n’est pas un détail, ces objectifs ne sont pas des compétences (terme non approprié quand il s’agit d’acquisitions ou de premiers apprentissages) mais des progrès que peuvent faire tous les enfants en maternelle. On lutte ainsi contre les inégalités.

 

Je reviens donc à cet objectif décisif pour le CP qui est une découverte, non pas des lettres comme tous les documents ministériels le demandent, mais du concept de lettre. Et oui, les lettres sont des signes avec une face visible (leurs formes attachées à leurs noms) et une face invisible (leurs valeurs « sonores »). Les enfants qui ont eu peu ou pas d’accès à cette valeur invisible, dans leurs familles, vont avoir une école qui leur donne ces expériences tout de suite, en maternelle. Pour les armer dans la conquête de l’écrit, il faut qu’ils entendent une lecture d’histoire par jour, il faut qu’ils assistent à l’écriture de messages par l’enseignant, il faut qu’ils voient comment l’enseignant « encode » en bruitant un prénom ou le nom du jour, etc. Ces expériences leur donnent envie d’essayer de les faire eux-mêmes et quand on voit leurs essais d’écriture spontanée au moyen des signes que sont les lettres, c’est gagné.

 

Des essais d'écriture

 

Les essais des enfants peuvent être très différents.

 

 

 

Ainsi, à gauche, Sacha écrit, en cursive, loren je si koncant de tavoi kom maires = « Loren, je suis contente de t’avoir comme maîtresse », et Faïd, à droite,  écrit, en capitales, la liste des enfants qui contient le prénom du maître BONOUA = « Benoît ». Dans les 2 essais, le principe alphabétique est découvert (utilisation spontanée de signes-lettres que l’on peut bruiter) alors qu’on est loin de l’orthographe standard. Mais dans les 2 cas, ces enfants de REP sont prêts à aller au CP.

 

L’essentiel est d’admettre que nos prédécesseurs qui avaient ouvert cette voie étaient partis de leurs observations des enfants (Freinet, Ferreiro, Chauveau et d’autres) et que de nombreuses études scientifiques contemporaines confirment que ce départ est le bon, du son à la lettre et pas l’inverse (National Reading Panel). L’écriture prépare à la lecture, de nombreux pays l’ont mis dans leurs programmes de maternelle parce que ça ne fait plus de doute. Tout simplement parce que lorsqu’on apprend à écrire, on est obligé de bruiter ce qu’on entend et on va ensuite chercher une ou des lettres qui encode ce son.  Le programme français 2015 remplit donc son double rôle, être bien calé sur les 3-6 ans et préparer efficacement tous les enfants au CP.

 

Mireille Brigaudiot

Membre du groupe d’experts chargés de la rédaction du Programme 2015 maternelle.

 

Réforme de la maternelle : le Dossier

S Ayada dans Le Monde

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 05 mars 2021.

Commentaires

  • delacour, le 05/03/2021 à 10:04

    "L’écriture prépare à la lecture, de nombreux pays l’ont mis dans leurs programmes de maternelle parce que ça ne fait plus de doute."

    Evidemment, même si au CP le décodage est proposé hors codage préalable.

    Depuis 50 ans j'essaie d'expliquer qu'on se trompe de cheminement pédagogique au CP. En genèse de l'écrit, ce ne sont pas des lettres qui supportent des sons, ce sont des sons qui sont représentés par des lettres (et pas toujours les mêmes!).  Et ça change tout. En commençant par coder, l'enfant peut comprendre et accepter qu'un son se code de différentes façons. Il sait pour l'expérimenter, que "a" est utilisé pour coder 12 sons différents par exemple et qu'il n'a, au décodage,  aucune raison de croire que "a" se décode uniquement /a/ (rayer, équation, football, danser, août, etc). Il doit comprendre que c'est le sens qui est codé, surtout lorsqu'il doit différencier yak et caille (3 mêmes phonèmes!) ou couvent et couvent, as et as, est et est, etc !

    Pour une pédagogie du codage, voir le site "ecrilu" et mes nombreux articles sur le site de Meirieu (sur le forum en particulier). Seuls les praticiens de terrain sont capables de comprendre cela, j'en suis persuadé, puisque malgré mes nombreux courriers aux "savants" c'est le silence radio.

    Pour faire bonne mesure, cette pédagogie prend alors la suite logique de ce qui est entamé en maternelle : les enfants veulent d'abord écrire, comme le rappelle Montessori !


    • mireillebrigaudiot, le 05/03/2021 à 10:19

      Merci pour cette "suite" de la maternelle.
      Si les "savants" ne te répondent pas, c'est peut-être parce qu'on manque de recherches sur le rôle de l'écriture - encodage en amont du CP. Le grand progrès des recherches c'est de souligner l'importance de l'ordre d'enseignement, du son aux lettres, et pas l'inverse, notamment pour faire démarrer les publics d'enfants fragiles scolairement. Mais ces travaux ne concernent que l'enseignement de la lecture, pas de l'écriture. Tout se passe comme si c'était trop déstabilisant d'imaginer qu'écrire c'est démarrer la possibilité de lire. Pourtant, les hommes ont bien encodé d'abord, dans le but d'être lus... On a dû l'oublier :)
      MB
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