Loi Blanquer : Impréparation et autoritarisme 

Au fur et à mesure que la commission de l'éducation avance dans l'étude du texte de la loi Blanquer, ses caractéristiques se dégagent. Le maintien de l'article 1 le 30 janvier a déjà envoyé un signal fort aux enseignants. L'étude des articles 3 à 9 le 31 janvier, a montré un fort niveau d'impréparation dans la rédaction du projet de loi. Par exemple, un point aussi important que le financement de la scolarisation à 3 ans reste dans un flou qui ne peut pas être durable. Le contrôle des enfants de 3 ans instruits chez eux reste aussi à inventer. L'étude de l'article 9 sur l'évaluation du système éducatif est marqué par les très fortes réticences de la majorité et du ministre à donner un peu d'indépendance à celle-ci. La loi a encore un dernier trait : la création des établissements internationaux a levé un tabou. Dans la foulée les députés ont adopté la création inattendue d'écoles  du socle regroupant école et collège.

 

Des mesures mal préparées

 

"La décision a été prise mais en a t-on tiré toutes les conséquences ?" La remarque de M Hetzel (LR)  va se révéler très judicieuse au fur et à mesure que la commission de l'éducation de l'Assemblée va avancer dans l'étude de l'article 3 d el aloi Blanquer, celui qui impose l'instruction obligatoire à 3 ans. Si la mesure ne concerne que très peu d'enfants (26 000) , elle a d'importantes conséquences financières.

 

En effet elle impose aux communes l'obligation de financer les maternelles privées sous contrat. Or il apparait vite qu'on ne sait pas exactement quelles sont les obligations des communes et que cet article constitue dans tous les cas "un réel cadeau à l'enseignement privé" comme le disent les députés Larive (LFI) et Faucillon (GRD). La droite s'en féliciterait mais elle démontre que la loi a été mal préparée. L'Etat envisage de compenser les dépenses que pour les communes qui ne payaient pas jusque là pour les écoles maternelles privées. Or cela crée un "risque juridique" (R Juanico PS) du fait de l'inégalité entre communes.

 

La compensation que l'Etat devra verser aux communes se situe entre 120 et 150 millions dont une cinquantaine ira au privé. Pour certaines villes l'application de la loi va peser lourd : 10 millions pour Paris, 1 million pour Villeurbanne par exemple. Ce sont des sommes à avancer car au mieux le remboursement est attendu (sauf complications juridiques) en 2021.

 

Enfin il y a le prix politique. Puisque l'Etat va financer le privé, R Juanico demande une contrepartie : des engagements pourla mixité sociale dans le privé. Mais le ministre n'est pas sur cette longueur d'onde.

 

Après que cet article 4 soit adopté, la majorité dépose un amendement pour régler un problème auquel la loi n'avait pas pensé : le devenir des jardins d'enfants. L'amendement donne un délai pour que ces structures abandonnent les enfants de 3 ans.

 

L'article 5 prévoir de renforcer le contrôle de l'instruction en famille. Mais il apparait que le lien avec l'article précédent n'a pas été fait : comment vérifier qu'une bonne instruction est donnée à des enfants de 3 ans ? G Pau-Langevin propose un régime d'autorisation préalable pour l'instruction à domicile qui est rejeté par la majorité. La seule avancée c'est un amendement permettant aux maires de saisir le procureur s'il a connaissances d'enfants laissés sans instruction.

 

L'oubli de l'école inclusive

 

Apparait alors un autre oubli de la loi : elle ne traite pas du tout de l'école inclusive. L'opposition s'en empare avec des échanges assez rugueux avec la majorité. L'homme du jour c'est A Pradié (LR) , passablement énervé par le jeu de la majorité. Il l'accuse de bloquer des amendements LR pour les reprendre à son compte dans un nouveau texte qui sera proposé dans quelques jours ! En attendant il soulève de vrais lièvres : la multiplication des ULIS en 2019 alors que le budget reste le même u le développement de l'aide mutualisée aux dépens de l'aide individuelle.

 

De nouveaux établissements pour qui ?

 

L'article 6 traite des établissements publics internationaux (EPLEI) que le gouvernement veut créer. Ces structures nouvelles, dérogatoires devraient accueillir les expatriés de la City après le Brexit et sans doute bien d'autres privilégiés. Pour M Larive (LFI) ils permettent "un enseignement à part pour des élèves triés sur le volet". Les élus de droite sont pour et la gauche est réunie contre. La majorité soutient la mesure. JM Blanquer essaie de convaincre qu'avec les EPLEI "on tire le système éducatif vers le haut".  La majorité cède une concession : un amendement de la rapporteure prévoit que le recteur affecte les élèves et qu'il doit veiller à la mixité sociale. Mais l'entrée dans ces établissements se fera sur des critères scolaires tels qu'ils seront de facto réservés à des enfants favorisés. Dans certains établissements, l'EPLEI ce sera des classes àpart, socialement très marquées. Un autre amendement précise que les dons et legs ne doivent pas donner lieu à contreparties. Il s'agit d'empêcher les entreprises d'acheter des places pour leurs cadres. On verra si ces mesures sont efficaces.

 

L'école du socle

 

Du coup, l'adoption des EPLEI ouvre des horizons à la majorité. Un amendement de la députée LREM C. Rilhac propose de créer un autre nouveau type d'établissement : les "établissements publics des savoirs fondamentaux". Il s'agit de créer des écoles du socle regroupant collège et écoles dans un même établissement dirigé par un principal et un directeur adjoint. Ils sont créés par le représentant de l'Etat sur proposition du département et des communes concernées. On attend de ces structures une taille qui facilite la gestion et la pédagogie. C'est aussi présenté comme une solution au problème des directeurs d'école. Avec les EPLEI et les EPSF , JM Blanquer commence à changer l'organisation du système en profondeur.

 

L'article 8 concerne les expérimentations dans le système éducatif. Cet article portait deux craintes. La première c'est en supprimant la réglementation de l'article 34 de faciliter l'entrée dans l'école des expérimentations soutenues par le ministre comme Agir pour l'Ecole. Aucun garde fou n'a été ajouté au texte ministériel et le problème reste entier. L'autre crainte touchait l'annualisation puisque la loi permet d'expérimenter de nouvelles organisations des services enseignants. Le ministre a assuré que ce n'est pas son objectif. La commission a élargi les champs d'expérimentations en ajoutant le role des parents dans lécole et les liaisons entre niveaux.

 

L'évaluation sous contrôle

 

L'article 9 est peut-être le plus important. Il prévoit la suppression du Cnesco et son remplacement par un Conseil d'évaluation de l'école (CEE). L'opposition droite et gauche s'est opposée à la suppression du Cnesco. Et toutes deux elles ont posé la question de l'indépendance du CEE.

 

Pour E Faucillon, le remplacement du Cnesco par le CEE montre "une volonté de reprise en main qu'on retrouve dans l'article 1". Mais JM Blanquer se dit "estomaqué par le malentendu" car il ne veut pas supprimer le Cnesco mais le transformer. Poussé avec constance par R Juanico, JM Blanquer lache qu'il prépare une chaire au CNAM pour le Cnesco où "il sera encore plus indépendant". Quant aux moyens dont dispose le Cnesco (350 000 € et 7 emplois) , il finit par dire qu'il y aura des transferts de moyens vers la chaire . "Les moyens humains seront reliés à certaines instances de l'éducation nationale" explique le ministre, ce qui donne à penser qu'ils seront sous controle ministériel.

 

L'autre question était l'indépendance du futur CEE qui doit être confié à un conseil composé de 4 parlementaires, 4 personnalités nommées par le ministre et 4 représentants du ministre. Le ministre ayant en plus un droit de veto sur le programme du CEE.

 

Là aussi il faut des trésors d'argumentation pour faire passer l'idée que l'indépendance est absolument nécessaire à une instance d'évaluation de l'école car pour le ministre c'est curieusement un point tout à fait secondaire.

 

Au bout du compte la majorité accepte un amendement de R Juanico qui retire le droit de véto ministériel  sur le programme du CEE. Un amendement de Mme Tamarelle Verhaeghe fait passer de 4 à 6 le nombre de personnalités, desserrant un peu l'influence ministérielle.

 

Une loi mal conçue

 

L'analyse des amendements repoussés montre la façon dont le ministre et la majorité voit l'Ecole. Le futur CEE est un comité maison où toute nomination externe est perçue comme dangereuse. Il s'intéresse aux évaluations maison. Il pilote les évaluations maison. Finalement, comme pour l'article 1, faut-il vraiment une loi pour un tel organisme ? Le cheminement législatif de la loi Blanquer ne fait vraiment que commencer...

 

François Jarraud

 

La première journée

Le texte de la loi

Sur l'article 1

La loi en 20 articles

 

 

Par fjarraud , le jeudi 31 janvier 2019.

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