Des programmes d'histoire-géo sans vision ? 

" Pédagogie active et de projet risquent de devenir de vains mots ". Une équipe d'enseignants du lycée B Palissy de Saintes (17) nous a envoyé cette analyse assez désabusée des futurs programmes du lycée. Pour les auteurs, "« points de passages et d’ouverture », « études de cas », « sujets d’étude » et autres « jalons » : le choix de mots différents démontre une divergence profonde des approches et l’incapacité à indiquer clairement une vision pédagogique et didactique claire et pertinente". Une situation qui vient peut-être de l'incapacité des "experts" à s'entendre sur des choix ?

 

 Nous tenons à avoir une position collective, tant vantée institutionnellement (le fameux « travail en équipe »), alors que les modalités de consultation limitent notre expression (?) à un niveau individuel. Nous sommes rompus mais sceptiques face à ce genre de consultation sur un projet flou mais déjà ficelé sans avoir fait au préalable une réelle évaluation collective des programmes et des modalités d’examen antérieurs, et où les ajustements risquent malheureusement de n’être que marginaux.

 

Nous ne pouvons que déplorer l’absence des programmes de terminales et des modalités d’évaluation pour le contrôle continu et les épreuves finales du baccalauréat, qui empêche d’avoir une vue d’ensemble et d’évaluer la cohérence globale du projet. La précipitation et le flou artistique, devenus chroniques, sont extrêmement dommageables et révélateurs d’un mépris à l’égard des enseignants, mais plus grave des élèves et des parents. Comment préparer l’orientation en fin de seconde en juin 2019 dans de telles conditions ? Comment défendre l’intérêt de nos disciplines aux yeux des élèves? Comment mettre en œuvre concrètement un changement d’une telle ampleur sur deux niveaux simultanément ? L’offre des futurs manuels risque d’être cruellement stéréotypée, voire à côté de la plaque… Le temps du politique est éphémère, mais les impacts sur les jeunes pèsent toujours sur la durée…

 

Les « points de passages et d’ouverture », « études de cas », « sujets d’étude » et autres « jalons » – le choix de mots différents démontre une divergence profonde des approches et l’incapacité à indiquer clairement une vision pédagogique et didactique claire et pertinente – sont souvent trop restreints et limitent de facto la liberté pédagogique des enseignants et l’autonomie des élèves. Pédagogie active et de projet risquent de devenir de vains mots, les cours allant se limiter à une « écoute active » des élèves devant le « récit » roboratif du maître.

 

La perspective d’épreuves communes en première et terminales – pas explicitée clairement – nécessite des temps de concertation importants sans que des moyens horaires soient assurés. En première technologique, les horaires se réduisent à une peau de chagrin ; comment créer du sens avec des élèves qui ont besoin d’être mis en activité sur des éléments concrets en 1h30 par semaine ? Le choix de calquer le programme sur celui des premières générales ne tient pas du tout compte des réalités dans les sections technologiques, ni de leurs différentes options.

 

En histoire

 

La place de l’histoire de France est démesurée, alors que la communauté des historiens est quasiment unanime pour dénoncer le retour au « roman national ». Le choix quasiment systématique d’acteurs historiques libéraux est préoccupant.

 

La possibilité de choix éventuels entre les « points de passage et d’ouverture » n’est pas indiquée. Une liste des notions-clé à assimiler comme en géographie durant l’année serait la bienvenue.

 

En seconde

Le programme est trop vaste, trop politique, trop franco-centré, ce qui obère « l’initiation au raisonnement historique ». Dans le thème 1, l’entrée par Bernard de Clairvaux n’est pas judicieuse car trop restrictive ; il serait préférable de confronter Venise avec d’autres lieux : Tolède, Palerme ou Jérusalem. Dans le thème 2, les points de passage et d’ouverture pour « l’ouverture atlantique » sont désincarnés, sauf Las Casas ; une entrée par acteurs (explorateurs, conquistadors) et/ou lieux (Lisbonne, Séville, Londres, Bordeaux, Anvers, Amsterdam) serait plus pertinente. Idem pour un humaniste, un artiste, un réformateur. Les thèmes 3 et 4 sont trop lourds et centrés sur le politique, ce qui compromet la mise en œuvre du programme. Une refonte autour de l’opposition entre traditionalisme (absolutisme, mercantilisme) et libéralisme (politique et économique) en France, en Angleterre et en Amérique du Nord serait moins chronophage et plus cohérente.

 

En première générale

L’approche est trop franco-centrée, événementielle et politique (on a l’impression de lire le programme des années 1960-1970 !) ; quid de l’histoire économique, sociale et surtout culturelle ? Thème 1 : les points de passage et d’ouverture sur la Révolution française sont trop restrictifs : une entrée par temps forts (1789, 1792, 1794, 1799, 1815) et/ou grands acteurs (Louis XVI, Robespierre et Danton, Bonaparte ; les paysans, les sans-culottes, les femmes) serait plus judicieuse. Les thèmes 2 et 3 sont trop lourds et doivent être fusionnés en un seul, déclinant l’évolution politique dans un premier temps, économique, sociale et culturelle dans un second, et coloniale dans un troisième. Dans le thème 2, le choix des ouvertures limitées à des libéraux occulte le mouvement socialiste avant 1871 ; une entrée par un acteur (Blanqui, Blanc, Proudhon) s’imposerait.

 

En première technologique

Les sujets d’étude sont trop fermés, manquent de chair et de vie ; pourquoi ne pas laisser un choix plus ouvert : une journée révolutionnaire, une entreprise industrielle, l’instruction sous la IIIe République ?

 

La géographie

 

L’étude de la France dans chaque thème et sur les trois niveaux est intéressante, à condition qu’elle soit menée comme une étude de cas obligatoire à confronter avec une/d’autres situations.

 

En seconde

Les thèmes 1, 2 et 3 sont intéressants mais peu adaptés à la réflexion et à la maturité des élèves de seconde. Le 4e thème sur l’Afrique australe laisse sceptique : le choix de cet espace complexe risque d’être particulièrement difficile à maîtriser.

 

En première

Il y a risque de redondance entre les thèmes 1 et 2, les métropoles étant des espaces productifs. Certaines études de cas sont trop précises, par exemple dans le thème 3 les espaces ruraux toscans ou canadiens.

 

En première technologique

Des sujets d’études trop fermés ; pourquoi pas une métropole française, une ville mondiale, un complexe industrialo-portuaire ? Il est nécessaire de pouvoir ancrer les études dans le tissu économique et les réalités locales.

 

La spécialité Histoire, géographie, géopolitique et sciences politiques

 

Cette spécialité doit être enseignée uniquement par les professeurs d'histoire-géographie car elle correspond à notre formation, à nos disciplines et cela nous demanderait une concertation bien trop chronophage avec nos collègues de SES pour mettre en œuvre le programme et surtout une évaluation commune.

 

Le projet est globalement séduisant, mais la démarche pédagogique et didactique n’est pas explicitée ; les jalons sont restrictifs : comment bâtir une pédagogie active à partir de pistes trop étriquées et/ou imposées ? D’autre part, comment mener de véritables projets avec un groupe classe pléthorique ?

 

Thème 1 : la démocratie n’a pas été pensée que par des libéraux, elle n’est pas seulement politique mais aussi sociale. Ah ! Louise Michel est éventuellement abordée dans le tronc commun, donc tout va bien… Thème 3 : pourquoi ne pas distinguer également frontière fermée, ouverte et mixte ? Thème 4 : pourquoi uniquement une entrée par des agences de presse françaises, et pas des grands groupes médiatiques hexagonaux et étrangers ?

 

EMC

 

Le triptyque liberté-société-démocratie est bien vague et risque d’amener beaucoup des redondances d’une année à l’autre. Une liste des notions-clé à assimiler comme en géographie durant l’année serait la bienvenue. L’absence de définition claire de l’évaluation finale rend le projet illisible. Quid du dossier écrit ? Qu’attend-on exactement des élèves ?

 

L’approche par un « projet de l’année » peut être intéressante pour donner de la cohérence, mais entre singulièrement en contradiction avec la multiplicité des passages imposés. L’initiation à la recherche documentaire nécessite un accès constant au CDI et à des salles informatiques, ce qui n’est pas possible dans les établissements.

 

L’entrée par des documents patrimoniaux (y a-t-il des choix possibles ?), en particulier en seconde, est désincarnée et redondante avec le programme d’histoire de première. L’enseignant peut-il encore faire des choix pédagogiques ? Ce n’est pas en égrainant un bréviaire républicain qu’on peut forger des valeurs civiques qui fassent sens pour les jeunes.

La notion d’identité (individuelle, familiale, communautaire, nationale, supranationale) serait plus pertinente, à partir de la mémoire des élèves familiale par exemple.

 

Pour conclure, écrire des programmes est un exercice particulièrement redoutable, en particulier en histoire et en éducation civique. Mais il importe de laisser une marge de manœuvre conséquente à la communauté enseignante et au-delà éducative pour permettre la transmission de clés de lectures – du monde passé et contemporain – et de valeurs émancipatrices qui prennent sens pour les futurs citoyens que nous côtoyons au quotidien dans nos classes et que nous nous devons d’aider à se situer et se projeter dans un espace mondialisé de plus en plus complexe et tiraillé. Merci de prendre compte ces quelques remarques parfois amères mais profondément attachées à la notion de service public d’éducation.

 

Geneviève Grima, Frédérique Porquet et Hervé Lemesle

Equipe des professeurs d’histoire-géographie du lycée Palissy de Saintes (17)

 

F Ternisien : Des programmes qui sentent la naphtaline

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Sur les programmes d'EMC

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Par fjarraud , le vendredi 30 novembre 2018.

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