Florent Ternisien : Les programmes d'histoire-géographie sentent la naphtaline 

"La Delorean a très bien fonctionné, nous voici de nouveau propulsés en 1985". Pour Florent Ternisien, professeur d'histoire-géographie, les nouveaux programmes du lycée élaborés par le Conseil supérieur des programmes nous ramènent trente ans en arrière. L'historiographie relativement récente est sacrifiée au roman national. La géographie est centrée sur la France. Les programmes sont infaisables. Et la liberté pédagogique est totale à la seule condition de n'utiliser que les méthodes les plus traditionnelles...

 

Des programmes infaisables

 

C'est une évidence. Les futurs programmes du lycée général et technologique ne rompent pas avec l’éternelle tradition du programme d’Histoire-géo surchargé. Il y en a beaucoup trop. Tout d’abord parce que les programmes sont conçus en histoire et en géo pour la 2de et les 1ères générales sur la base de 48 heures. Soit 32 semaines de cours plein. Et on est donc curieux de découvrir ces établissements qui n’organisent pas de rentrée sur plusieurs jours, ne font pas de devoirs communs, ne s’arrêtent pas quelques jours avant le bac, ne connaissent pas les jours fériés et dont les professeurs ne sont jamais absents pour formation ou d’autres motifs moins avouables. Ce simple point de détail met en relief un élément clé qui concernait aussi les précédents programmes : la réalité des conditions d’enseignement n’est pas prise en compte.

 

En pratique, cela donne par exemple 12 heures pour 3 chapitres de 2nde dans le thème 4 d’histoire. Soit 12 heures donc pour 17 « éléments » qui peuvent « être mis en avant » et 9 « points de passage et ouverture ». Le tout, évaluations incluses. En 1ère, c’est 6-7h pour un chapitre sur la Révolution et l’Empire avec 7 « éléments à mettre en avant » et 3 « points de passage ». On pourrait continuer Ad Vitam, la géographie n’est pas mieux lotie. Ces programmes devront donc, une fois de plus, être allégés.

 

Les problèmes évoqués plus haut concernent aussi le programme de 1e de technologie. Au passage, celui-ci se fait sur la base d’1h30 hebdomadaire, comme par exemple en ST2S aujourd’hui, et non de 2h (comme en STMG aujourd’hui). Il n’est plus différencié suivant les séries , ce qui n’était pourtant pas inintéressant je trouve. Le programme est lourd, avec à peine 5h par chapitre en réalité, et pas vraiment adapté aux élèves que l’on continuera à envoyer en filière technologique.

 

La liberté pédagogique bafouée

 

Corollaire de cette surcharge, la liberté pédagogique pour les profs semble encore et toujours devoir être fortement restreinte. On ne plaisante pas avec l’Histoire de la Nation (avec la géo on peut un peu). Les programmes sont donc très détaillés et chaque chapitre d’histoire à ses (nombreux) « éléments à mettre en avant » et « points de passage » dont le statut n’est pas clair. Qu’est-ce qui est réellement obligatoire dans ceci ? Qu’est-ce qui est suggéré ? Il y a là une marge d’action pour nous pour donner plus de liberté aux enseignant.e.s en réduisant les aspects obligatoires.  Au passage, l’organisation choisie n’est pas la même en histoire et en géo. Si celle de géographie semble plus souple, le choix d’en revenir systématiquement à la France avec des entrées générales en fin de chapitre semble une fausse bonne idée. Et le choix de terminer l’année par des thèmes consacrés à 1 pays / 1 espace régional alors que tout le reste est thématique semble peu cohérent. Surtout que les applications dans l’espace des notions utilisées sont déjà légion dans le coeur des programmes avec les études de cas.

 

De même, on comprend entre les lignes la volonté d’en finir avec le « pédagogisme ». Halte là aux méthodes inductives ou autres barbaries telle la classe inversée, c’est la « parole du professeur » « le récit fait par le professeur » qui doivent structurer le cours. J’exagère à peine.

 

La naphtaline

 

Venons-en au fond. La Delorean a très bien fonctionné, nous voici de nouveau propulsés en 1985. L’impression est tenace à la lecture de retrouver les programmes vus en tant qu’élève à la fin du XXème siècle. L’ensemble est cohérent et classique, très classique, trop classique. On sent ici ou là qu’on a voulu en finir avec certains des apports récents de la recherche et le tout fleure donc bon la naphtaline. C’est là aussi plus flagrant en histoire, dont chacun sait que le programme sera 10 fois plus scruté que celui de géographie. Place donc au grand retour des batailles pour la 1ère Guerre Mondiale. Si l’événement voit le temps qui lui est consacré être quasi doublé par rapport aux programmes actuels, les combattants que l’on honore actuellement ont eux totalement disparu du programme au profit d’une vision stratégique qui semblait pourtant dépassée. Pas mieux sur la colonisation ou la période des grandes « découvertes ». Là aussi on ignore l’historiographie récente pour adopter des points de vue très européanocentrés.

 

Le retour du roman national

 

Le souci des rédacteurs semble réel de proposer un récit franco-français cohérent et de toujours en revenir, à l’image de ce qui se fait en géo, à la France. La tentation téléologique, erreur de base pourtant pour un historien, est réelle. Athènes et Rome sont ainsi vues sous le prisme de nos modèles démocratiques actuels. Les soubresauts du XIXème siècle en France sont vus sous l’angle de « l’entrée dans l’âge démocratique ». Il y a donc une quête de sens, une certaine volonté de roman national. Quand le roman passe, l’Histoire trépasse ?

 

Pas de dialogue entre disciplines

 

Le programme de spécialité " Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques" est prévu dans la logique d’une continuité vers le supérieur. Les capacités à travailler sont donc celles attendues dans le supérieur (ou dont les rédacteurs pensent qu’on les attend dans le supérieur). Les projets sont vaguement évoqués (tant mieux) mais pas plus que l’antédiluvienne fiche de lecture. Ce programme de spécialité est très ambitieux, très attirant aussi je trouve pour le professeur (pour les élèves, et notamment pour ceux qui ne seraient pas forcément des excellents élèves en histoire et en géo en rentrant en 1e, on peut dire qu’il pose question). Il mêle habilement les différentes spécialités, tout en faisant en sorte manifestement que la spécialité ne puisse être guère partagée entre disciplines tant l’approche historique et géographique est omniprésente. Personnellement je trouve cela dommage. Et si ce qui est proposé semble original, pertinent, intéressant, on ne peut s’empêcher de penser que le programme est encore une fois très directif et laisse bien peu de marges de manoeuvre. On aurait pu imaginer quelque chose de bien moins définitif qui aurait davantage permis une approche croisée et surtout partagée entre histoire-géo. et SES par exemple. Manifestement, ce n’est pas l’esprit.

 

Déception

 

Je ressors donc de l’ensemble assez déprimé. Les collègues sauront sans nul doute trouver des marges de manoeuvre avec les années. Mais il faudra, une fois encore, courir en permanence contre la montre et ruser avec les injonctions des programmes. On oubliera pas, last but not least, que les épreuves finales pourront sans doute faire peser leurs exigences, généralement pas très stimulantes, sur l’ensemble de l’enseignement que ce soit par le biais du contrôle continu ou des épreuves de spécialité.

 

Florent Ternisien

Professeur d'Histoire-géo à Bondy (93)

 

Le programme de 2de

Le programme de 1ère générale

Le programme de 1ère technologique

Le programme de spécialité

 

 

Par fjarraud , le mercredi 14 novembre 2018.

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