Nouveaux programmes d'EPS du lycée : Vu du Snep Fsu...  

L'EPS est-elle en voie de "fitnessisation" ? C'est le sentiment de Sébastien Molenat, enseignant EPS au Lycée Saint-Exupéry de Marseille et responsable nationale lycée du SNEP, syndicat majoritaire des professeurs EPS. Pour lui,  si ce texte évite l’écueil des programmes collège « qui ne donnent que des généralités inopérantes pour bâtir une culture commune », la partie qui impacte directement l’enseignement (programmations, attendus…) est à revoir.

 

Comment réagissez-vous à cette publication ? Est-ce un moindre mal comparé aux textes du collège dont vous dénoncez le « vide sidéral » ?

 

Pour commencer, nous tenons à rappeler que les conditions d’écriture ont été extrêmement problématiques, dans un contexte de mise au pas du CSP par le ministre, temps extrêmement court, secret absolu pour éviter toute discussion en amont. Difficile dans le délai imparti de pouvoir émettre un avis circonstancié. Le calendrier et la méthode imposée ne permettent pas le travail serein nécessaire à tous les acteurs du système éducatif.

 

En EPS, Le cadre conceptuel et sémantique du programme collège n’est pas prolongé au lycée (ex : fin des compétences propres et des CMS). Vu l’écriture indigente des programmes 2015, on pourrait s’en satisfaire. Mais il faut penser les programmes, selon nous, avec une autre ambition pour l’Ecole et une scolarité obligatoire portée à 18 ans.

 

La partie générale du texte porte sur la définition de l’EPS, finalité, objectifs, etc. Cette partie, politique et épistémologique, est plutôt correcte. Une vision dialectique du rapport sujet/culture, une vision « spiralaire » des programmes, une affirmation du rôle des APSA (qui au passage changent d’appellation pour devenir Pratiques Physiques Sportives Artistiques… pourquoi pas !)… vont plutôt dans le bon sens, même si subsistent encore quelques formules ambiguës, sur lesquelles nous proposons des modifications. Nous évitons malgré tout l’écueil du programme collège qui ne donne que des généralités, inopérantes pour bâtir une culture commune.

 

C’est-à-dire ? Quelles sont vos propositions de modification ?

 

Nos propositions  peuvent permettre d’avoir un texte plus juste et plus rigoureux. Par exemple le terme « expérience corporelle » est problématique et révélateur d’une vision encore dualiste du corps et de l’esprit, or étudier les PPSA engage l’élève dans sa totalité, dans son humanité. De plus, la notion d’expérience, utilisée comme elle l’est dans le texte, tend spontanément à renvoyer l’élève à sa dimension individuelle, alors que les PPSA, en tant que pratiques sociales, sont porteuses d’un fonds culturel d’expériences collectives et partagées par les pratiquant-es. D’autre part, si « se confronter » à une PPSA est nécessaire, la notion d’expérience n’est pas suffisante dans le cadre de l’école dont l’objet est d’apprendre et se transformer. Enfin la mention « appropriation des expériences » est impropre : on ne s’approprie pas une expérience, on la vit, on la construit, on la pense…

 

La rédaction des « attendus de fin de lycée » (AFL) est une usine à gaz. Leur rédaction est confuse, se référant tantôt à des PPSA, tantôt des sous-groupes (gym et acrosport par exemple), tantôt à des « expériences caractéristiques d’expériences corporelles ». On a des AFL2 qui ne sont pas la continuité des AFL1… tout ça pour maintenir les anciennes compétences propres. Le résultat est difficilement compréhensible et ne donne aucun repère sur les acquisitions techniques, méthodologiques, sociales spécifiques à nos « matières » que sont les PPSA.

 

Les repères de progressivité sont à construire par les équipes, et ne posent pas des jalons communs pour tous les élèves. Or la fonction d’un programme c’est justement de définir des passages communs, tout en préservant la liberté pédagogique dans la construction du chemin pour y parvenir.

 

Il y a donc des éléments intéressants dans ce texte, à retravailler pour un texte plus fluide. Par contre la partie du programme qui impacte directement l’enseignement (contraintes de programmations, attendus… ) est à revoir. Principalement à cause du maintien du principe des compétences propres, rebaptisées « expériences corporelles » significatives, caractéristiques, typiques selon la partie du texte, qui ont fait preuve de leur inefficacité théorique et pratique.

 

Suite à l’entretien avec le CSP et la présentation orale du pré-projet vous aviez titré sur la « fitness-isation » de l’EPS ?

 

Depuis cette présentation, le texte a subi certaines évolutions qui atténuent notre première analyse. Le premier projet en effet transformait l’ex CP1 en CP5 (performance auto-référée), introduisait le crossfitness, et rajoutait une 6ème « expérience » autour du savoir s’entrainer issue également de la CP5. Autrement dit : alors qu’on avait « vendu » la CP5 à la profession en disant que justement on en faisait une catégorie à part pour être sûr de l’enseigner… là les principes organisateurs de la CP5 finalement, par les impositions de programmation, devenaient ceux de la moitié de l’EPS (3 expériences sur 6). Rajoutons le fait que cela reste le seul « groupe » imposé sur 2 cycles minimum.

 

Mais notre position sur ce sujet est souvent caricaturée. On réduit ça à : le SNEP est contre ces pratiques. Le problème est plus complexe et beaucoup plus politique. On sait depuis les années 2000 que la volonté de certains de « désportiviser » l’EPS est très présente. Cette volonté nous place directement en concurrence avec le milieu sportif qui tente d’entrer à l’école en s’appuyant sur cet argument. Ça se traduit par exemple par la signature de dizaines de conventions et une montée en puissance de l’intervention dans le premier degré (qui s’accentuera si la future réforme de la formation et des concours supprime l’EPS au concours PE). A l’opposé, le lobby de la forme pousse pour l’introduction massive de ces pratiques. Dans une logique comptable cela intéresse particulièrement nos politiques : possibilité de mettre plus d’élèves dans un cours, travail individuel exclusivement, possibilité à terme de transformer le prof en « coach », terme très en vogue aujourd’hui, gestion du projet par le numérique… Aujourd’hui l’EPS dont nous avons fait historiquement progresser le volume horaire et la qualification de ses enseignants est fragilisée (baisse des recrutements, des horaires en LP, suppression de l’option en Lycée…) et peut, sous couvert d’économie, être menacée. Donc oui, dans le contexte actuel, une fitness-isation de l’EPS est un danger potentiel, en ouvrant des voies d’entrée d’un côté au mouvement sportif pour remplir le vide, de l’autre au marché de la forme. A minima, ça se discute.

 

Pensez-vous vraiment que le débat sur les classifications est encore pertinent aujourd’hui ?

 

Comme d’habitude, la classification est au cœur des programmes (alors que selon nous ce devrait être la précision et la qualité des acquisitions pour tous et toutes). Comme en 2010, le groupe de rédaction a choisi de rester dans la logique des 5 groupes dont la dénomination ne cesse de changer au gré des programmes, avec une nouvelle appellation « expériences corporelles caractéristiques » qui catégorise les APSA, désormais PPSA. Cette classification à laquelle semble attachée l’institution est de plus en plus « boiteuse » :

-          subdivision du groupe « expériences corporelles caractéristiques de la culture des PPSA n°3 » entre les pratiques de création artistique et les nouvellement dénommées « pratiques de production de formes codifiées » alias activités gymniques, intégrant les danses de couple,

-          regroupement d’attendus de fin de lycée (AFL) de plusieurs PPSA (ex : volley, badminton, tennis de table !),

-          ajout d’une expérience supplémentaire « savoir se préparer et savoir s’entraîner pratiquer, individuellement et collectivement » à statut différent : « une expérience corporelle que le lycéen s’approprie au travers de chaque PPSA » forcément transversale car consubstantielle à toutes les PPSA, et bien plus proche de la définition d’un objectif général que d’une nouvelle expérience corporelle !

 

Cette classification produit de l’incohérence. L’EPS va t-elle continuer à subir ça longtemps ? Pour tenter d’en sortir, nous avons fait des propositions que chacun-e peut lire sur notre site.

Les enseignant-es veulent une programmation moins corsetée et plus proche de la singularité et de la spécificité culturelle des PPSA. L’obligation de programmer une activité artistique sur le cursus tente maladroitement de compenser la mauvaise définition du 3e groupe qui poursuit le mélange d’activités sportives et artistiques. L’imposition de deux cycles de « CP5 » en rajoute sur ces contraintes programmatiques qui rendent ensuite tout choix quasi impossible.

 

Quelles sont vos propositions concernant la programmation EPS ?

 

Nous demandons beaucoup de modifications et une simplification pour la partie « professionnelle » pour que l’EPS fasse un pas en avant par rapport à toute une logique qui a prévalu pendant plus de 10 ans (les CP). Nos propositions s’appuient sur des analyses consensuelles et visent à identifier 3 champs de culture : les sports, les arts et les pratiques physiques n’entrant pas dans ces premières catégories avec des attendus rédigés de manière spécifique pour chaque PPSA.

 

Et comme seule contrainte : se référer au moins une fois à chaque champ culturel sur l’ensemble du cursus, laissant aux enseignant-es le soin de répondre aux exigences de formation en faisant les choix pédagogiques adéquats, en programmant des cycles suffisamment longs pour rendre les apprentissages significatifs et offrir la possibilité d’approfondissement.

 

Retenir ce schéma permettrait une sortie par le haut. Car il englobe la plupart des propositions de classifications proposées dans la profession tout en préservant la liberté de programmation des équipes d’enseignants en fonction de leurs élèves.

 

Il est sans doute temps de sortir des logiques de petits groupes d’experts réunis dans des conditions inacceptables par tel ou tel ministre, pour aller vers des échanges à plus grande échelle. Rappelons pour mémoire que dans les programmes de 2001 était écrit, en toutes lettres, la nécessité de retravailler sur les classifications et leurs conséquences. Pourquoi cela n’a t-il pas été fait ?

 

Le programme de l’enseignement optionnel est plus problématique ?

 

Le SNEP-FSU agit seul, depuis l’an dernier, contre la volonté non justifiée du ministère de ne pas créer un enseignement de spécialité autour de l’EPS dans la nouvelle réforme. Le projet de texte programme d’enseignement optionnel pourrait servir de bonne base pour un enseignement de spécialité… Le contenu ne correspond pas au contenant !

 

En l’état, le programme de l’enseignement optionnel EPS dans les lycées (3h hebdomadaires, pas forcément de continuité de la seconde à la terminale, coefficient très faible au bac, etc.), est infaisable. Principalement, la multiplication des APSA, de 4 à 6, le rend inopérant pour un « approfondissement » qui n’est plus visiblement l’objectif recherché. De plus l’ajout cumulatif d’éléments du programme de l’ancienne option de complément et de propositions issues du rapport Mathiot conduit à des contenus hypertrophiés et déraisonnables.

 

Par contre ce programme montre tout l’intérêt d’une spécialité autour de l’EPS ! Il faut réécrire le programme de l’enseignement optionnel EPS avec comme visée un approfondissement sur une ou deux PPSA (au choix des équipes) à l’image du programme d’enseignement optionnel Arts qui se déclinent sur une seule pratique : arts du cirque ou danse.

 

Pour terminer, allez-vous prendre part à la consultation nationale ?

 

La dernière consultation auprès de la profession a montré le fort attachement des enseignants d’EPS aux programmes. Le SNEP-FSU joue son rôle d’agitateur d’idées en nourrissant les questions pédagogiques en permanence, au travers des colloques, des stages que le SNEP-FSU organise et anime, des bulletins et de la revue Contre Pied. Tout ceci constitue un patrimoine professionnel utile à toutes et tous pour lire, décoder ces projets de nouveau programme et proposer des améliorations.

 

Bien que personne ne soit dupe sur l’illusion démocratique d’une consultation (se souvenir de ce qui s’est passé pour le programme collège), il faut s’en saisir, car rien n’est pire que laisser le champ libre au ministère pour qui l’EPS est une discipline mineure (voir par ailleurs nos analyses sur la réforme des lycées).

 

Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut

 

L’analyse du Café

Les propositions du SNEP

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 22 novembre 2018.

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