EPS au lycée : Des programmes qui opposent le terrain à l’institutionnel ? 

Il y a des points intéressants dans le programme d'EPS du lycée qui vient d'être publié par le Conseil supérieur des programmes. Ils peuvent faire évoluer la façon d’enseigner l’EPS au lycée. Mais que de longueurs, quelle terminologie ! L’enjeu est-il de passer de APSA à PPSA ? de champ d’apprentissage (au collège) à « expérience corporelle » ? Il y a aussi des nouveautés, par exemple la notion de forme de pratique scolaire, la possibilité d’une performance auto-référencée, ou encore l’enjeu des activités artistiques. Mais la méthode pourrait avoir l’effet inverse des résultats escomptés…

 

Premières impressions… un texte complexe sans cohérence avec le collège

 

Tout d’abord, c’est un texte long, très long (24 pages), de nouvelles terminologies, nombreuses qui ajoutent du flou dans ce projet de programme. Quelle est la volonté du législateur? Si, un programme est avant tout un objet de communication,  force est de constater qu’il sera difficile avec une profession déjà soumise à une multitude de nouveaux textes et de contraintes d’accueillir au mieux ce nouveau texte…

De plus, nous avons cherché et cherché mais la cohérence avec le texte du collège est inexistante, aussi bien sur la forme (3 pages pour le collège, 24 pour le lycée) mais aussi sur le fond où une multitude de terminologies est présente. Au final, le risque est de passer à côté des progrès présents au sein du texte.

 

Des éléments nouveaux… masqués par l’habillage! Pourquoi ne pas faire simple???

 

L’EPS s’appuie désormais sur des pratiques physiques, sportives et artistiques (PPSA), qui remplacent les « APSA », sur des AFL (les attendus de fin de lycée) et des AFL spécifiés dans les PPSA, on parle désormais d’ « expériences corporelles caractéristiques ». Exit donc les « CP », les « champs d’apprentissage », la liste nationale d’activité est maintenue, avec des nouveautés comme le yoga, danse de couple, il n’y a plus de sauts/lancers mais apparaît le combiné athlétique)…

 

Derrière cet habillage qui perturbe le lecteur, un certain nombre de « nouveautés » apparaissent dans ce texte, par exemple la notion de forme de pratique scolaire, la possibilité d’une performance auto-référencée, ou encore l’enjeu des activités artistiques. Mais la méthode pourrait avoir l’effet inverse des résultats escomptés…

 

Les arts du cirque ou la danse contemporaine obligatoires en seconde. Pourquoi ?

 

Le texte précise effectivement qu’une « PPSA porteuse  de l’expérience corporelle caractéristique N°3 est obligatoirement proposée afin d’engager l’élève dans  une pratique de création artistique et lui offrir la possibilité de  choisir un enseignement  de spécialité artistique en classe de première ». Nous sommes très attachés au développement de l’offre artistique en EPS, mais avouons que la justification proposée ne tient pas !!! Très peu de lycées proposeront l’enseignement de spécialité artistique.

 

D’autre part, il y a une forme de singularité dans l’ECC3 : elle distingue les PPSA provenant d’un processus de création artistique (danse contemporaine-arts du cirque), et les PPSA de production de formes corporelles codifiées (gymnastique, acrosport, danse de couple). Il n’y a pas de distinction dans les autres ECC. Nous comprenons donc qu’en seconde, seule deux PPSA (hors activité d’établissement/académique) ne pourront être programmées dans l’ECC3…

 

Oui on s’y perd un peu, et la répartition des classes s’annonce sympa au sein des équipes : Qui prend les secondes à 35 avec Danse ? Plus sérieusement, alors même que le programme collège associe ou confond la culture gymnique et artistique notamment en proposant au sein des documents d’accompagnement de l’Acrosport sous un versant artistique, pourquoi ne pas penser le parcours artistique dès le collège, bien conscient qu’avec les APPN elle représente le parent pauvre de l’offre de formation en EPS ? Autre question, pourquoi séparer une « expérience corporelle » (ex compétence propre) en deux ? Pourquoi alors ne pas avoir créé une autre expérience corporelle ? Oui, nous sommes bien revenus sur le débat des classifications…

 

La liberté laissée aux équipes… vraiment ?

 

Le texte avance un point important sur la « responsabilité des enseignants ». Il est précisé que l’équipe pédagogique doit proposer une offre variée, équilibrée et diversifiée des types d’expériences corporelles. Le texte ajoute que chaque enseignant organise la forme de pratique qui lui paraît la plus pertinente pour créer les conditions d’enseignement optimales… Le début du paragraphe nous semble cohérent et introduit au lycée une réflexion nouvelle sur la façon d’enseigner. En revanche, il semble particulièrement insistant sur le fait de faire réussir TOUS les élèves (le texte y revient à plusieurs reprises). Nous trouvons cela un peu infantilisant pour la profession qui a à cœur de faire réussir tous les élèves. Il en est de même plus loin sur une partie consacrée au numérique qui « impose » de fait son utilisation tout en rappelant la règlementation en vigueur en matière de protection des données personnelles… A nouveau, ce programme aurait gagné à être moins long et aller à l’essentiel : ce que les élèves doivent apprendre !

 

La programmation quant à elle propose 3 PPSA par an, elle précise en revanche qu’une « ECC3 » doit être programmée en seconde, deux « ECC5 » au cours du lycée.

 

AFL1, AFL2, AFL spécifié, ECC, EC transversale… on s’y perd un peu

 

Le texte est organisé autour d’expériences corporelles culturellement fondées avec des AFL1 (attendus de fin de lycée) pour chacune d’entre-elles, renvoyant ici aux attendus de fin de cycle des programmes des collèges. Le texte ajoute ensuite des « AFL1 spécifiés » dans les PPSA, une sorte de « compétence attendue » revisitée, en moins précis. Certaines AFL1 Spécifiés regroupent des PPSA (par exemple le tennis de table, le badminton, le volley-ball), d’autres une seule PPSA (la boxe par exemple).  Ces AFL1 spécifiés nous semblent assez intéressants, car associés avec les « éléments pour établir des repères de progressivité », cela peut permettre de guider les enseignants tout en donnant des repères… un compromis entre guidage et prescription.

 

Le programme avance en complément l’expérience corporelle qui permet au lycéen  de « savoir se préparer et savoir s’entraîner  à pratiquer individuellement et collectivement ». Cette EC est travaillée au travers des 5 autres ECC, des AFL2 sont précisés dans chacune des ECC… On s’y perd un peu ici et le risque est grand de confondre l’ECC5 avec cette composante méthodologique et sociale (sorte de méta CMS) qui est transversale à chacune des PPSA enseignées. Pourtant c’est un marqueur important de ce texte qui a fait un choix sur la préparation de la jeunesse à l’après (on pense ici aux réflexions Bac-3/Bac+3).

 

Et si l’on transformait vraiment les élèves ?

 

Ce qui ressort souvent des discussions entre collègues est que le lycéen a souvent tendance à s’adapter ou à choisir son menu, ses activités ou « pratiques » en fonction des fiches bac et de la simplicité ou non de l’évaluation. Ce bachotage souvent questionné est peu remis en cause. Et le terme même d’expérience ne vient-il pas en concurrence avec celui d’apprentissage ? Les acquisitions extra-scolaires font souvent la différence et ancrent un rapport singulier entre l’élève et la discipline EPS : « C’est pas fait pour moi, je suis nul, etc. ».  En ce sens, la tentative d’introduire la notion d’auto-référencement, même s’il existe toujours des écueils à chaque proposition peut-elle être une solution ? Cette voie peut-elle amener à une meilleure croyance des élèves en leur capacité physique, qui va nécessairement marquer leur vie d’adulte et donc leur engagement ?

 

Disparition des barèmes, la référence devient la VMA, la fréquence cardiaque de l’élève ?

 

Un des points qui va le plus questionner également, c’est l’ECC1, « réaliser une performance motrice maximale mesurable à une échéance donnée ». En effet, chaque AFL spécifié propose de « réaliser SA propre performance ». La profession, les élèves, les parents sont-ils prêts à cela ? Il faut nécessairement s’interroger sur le concept de performance, sur le fond culturel de ces PPSA (le texte y fait référence) et aussi sur la validation de cette dernière.

 

L’option EPS très ambitieuse, digne d’un enseignement de spécialité !

 

L’option EPS (3h) propose 2 PPSA enseignées chaque année, associée à la découverte des métiers du sport et de l’activité physique en seconde, la conduite d’un projet collectif en première, et en terminale la conduite d’une étude finalisée par la  réalisation d’un dossier  associé à une soutenance orale. Nous trouvons les objectifs trop ambitieux pour une « simple » option que les élèves sont libres de choisir ou non… N’est-ce pas finalement un programme digne d’un enseignement de spécialité qu’une majorité d’acteurs réclament ?

 

Ce qui ne change pas, « une EPS Super man »

 

Au sein d’un préambule, que l’on pourrait caractériser « d’idéologique » le législateur après un constat sur l’augmentation de la sédentarité notamment à la sortie du lycée se lance dans une longue justification de l’impact de l’EPS, dont nous avons choisi de vous faire partager un extrait, qui je vous l’assure, reste court :  « L’éducation physique et sportive contribue au développement, à l’épanouissement et à l’émancipation de chacun. Ainsi, au plan personnel, l’élève apprend à enrichir sa motricité, à éprouver des sensations, à vivre des émotions ; il se transforme par sa propre activité et celle des autres, développe des compétences et renforce ainsi son pouvoir d’agir, accroît ses capacités de raisonnement et son esprit critique, élargit son registre de culture, construit les conditions de sa santé ».

 

Ne pouvons-nous pas, tout d’abord, rester humble et lucide et afficher des priorités simples, compréhensibles par tous. Et surtout percevoir que l’ensemble de ces intentions, si louable soit-il doit s’insérer dans des choix d’établissement, l’EPS en 2h par semaine ne peut avoir un impact uniquement si son action s’inscrit en cohérence et complémentarité avec l’ensemble d’une politique d’établissement et du parcours de l’élève.

 

Alors on vote ?

 

Que pensez-vous de ce texte ? Pensez-vous qu’il répond aux enjeux pour nos élèves ? Allez-vous voter lors de cette consultation ? Dans quelle mesure le texte présenté peut-il être amendé ?

 

Pour terminer, nous reconnaissons qu’il y a des points intéressants dans ce programme qui peuvent faire évoluer la façon d’enseigner l’EPS au lycée, mais la longueur, la terminologie sont elles des enjeux ? L’enjeu est-il de passer de APSA à PPSA ? de champ d’apprentissage (au collège) à « expérience corporelle » ? Par pitié donnons l’envie à la profession de s’accaparer les programmes du lycée qui seront publiés en janvier, pour tendre vers les transformations des élèves.

 

Restons également lucide, et le bac dans tout ça ?

 

Mais gardons à l’esprit que le lycée est historiquement très centré sur le Bac. Comment les nouvelles fiches Bac peuvent-elles s’intégrer dans ce cadre ? Pourrait-on voir apparaître plusieurs possibilités de forme de pratique évaluées pour chaque PPSA avec pourquoi pas la possibilité laissée aux équipes de les travailler (validées par l’institution) ?

 

Antoine Maurice et Benoît Montégut

 

Le lien sur le site Eduscol

 

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 08 novembre 2018.

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