UDA : Remi Brissiaud : Comptage-numérotage : un apprentissage du calcul impossible  

Salle comble pour l’intervention de Rémi Brissiaud à l’université d’automne du SNUipp le 20 octobre. 400 enseignants réunis pour entendre le chercheur associé au laboratoire Paragraphe de l’université Paris 8 et membre du Conseil scientifique de l'AGEEM. L’occasion pour cet ancien maître de conférence en psychologie cognitive  d’expliquer en quoi les choix du ministre de l'éducation concernant le calcul et la résolution de problèmes doivent inquiéter la profession.

 

Une remise en cause des programmes 2015 …

 

Au nom de la science, en l’occurrence des sciences cognitives, le programme 2015 de maternelle risque d'être remis en cause. Le ministre s'appuie pour cela sur les travaux de Stanislas Dehaene, le président du nouveau Conseil scientifique de l’éducation, qui affirme que les bébés naissent avec un « sens des nombres approximatif ». Selon Dehaene,  c’est l’apprentissage du comptage qui va affiner petit à petit ce sens pour parvenir à une représentation des nombres exacte.

 

Cette conception est présente dans les exercices de CP et CE1 proposés dans les récentes évaluations qui permettent selon le ministre de cerner les difficultés des élèves.

 

L'exemple le plus parlant est celui de l'exercice de repérage d'un nombre sur une échelle linéaire. L'objectif affiché de ce test est d'évaluer si l'élève a atteint la maturité de son  système de représentation de nombres, laquelle se définirait par la capacité à comprendre que l'échelle linéaire est constituée d'écarts linéaires identiques. Or ces exercices d'échelle linéaire ne peuvent être réussis car les élèves ne comprennent pas ce mode de représentation. D’un point de vue didactique, il est incompréhensible que cette tâche soit proposée aux enfants.

 

L’itération de l’unité : la propriété du nombre à maitriser

 

Il existe pourtant un moyen de reconnaître un enfant qui va avoir des difficultés à rentrer dans le nombre en début de CP. Rémi Brissiaud explique alors quel exercice proposé et invite la salle à suivre le cheminement de l’enfant évalué.

 

Un enfant aura des difficultés s’il s’avère incapable d’ajouter un jeton à la collection de quatre jetons qu’il aura préalablement constituée pour en avoir cinq. Les enfants qui ne réussissent pas ce qui est demandé sont enfermés dans un comptage-numérotage. Ils  ne savent pas que 3 c’est 2+1, que 4 c’est 3+1, que 5 c’est 4+1. Ils ne maitrisent pas  une propriété liée au calcul +1 répété qu’on appelle l’« itération de l’unité ».  Cette propriété, notion centrale du programme 2015 parce qu’elle fonde le nombre,  est conceptuelle. Les  élèves doivent la maîtriser.

 

2015 : retour à la pédagogie préconisée avant 1986

 

Le nombre n’est pas un numéro. Le nombre permet d’accéder aux différences entre les quantités. Mais il  aura fallu attendre 2015 pour que le comptage-dénombrement soit privilégié. Un choix décidé après une étude de la DEPP en 2008 sur les performances des élèves sur vingt ans ( 1987-2007) qui avait révélé un effondrement des résultats. Or, durant cette période, le choix de la méthode pour apprendre le nombre s’était clairement porté sur le comptage-numérotage.

 

Pourtant, déjà en 1962, les conseillers pédagogiques de Madame Herbinière-Lebert inspectrice générale de Maternelle écrivaient: " Le comptage-numérotage fait acquérir à force de répétitions la liaison entre le nom des nombres, l’écriture du chiffre, la position de ce nombre dans la suite des autres, mais elle gêne la représentation du nombre, l’opération mentale, en un mot, elle empêche l’enfant de penser, de calculer ". Ils proposaient d'enseigner en explicitant le calcul n+1, ceci afin d’éviter qu’un nombre puisse être pris pour  un numéro,  et de compter  différemment, en s’exprimant ainsi : « un plus un, deux ; plus un, trois ; plus un, quatre… »,

 

Des voix de chercheurs dissonantes…

 

Alors pourquoi ce retour en arrière ? L’ensemble des  travaux des sciences cognitives permet-il réellement au ministre de revenir sur les choix cruciaux qui ont été faits en 2015 ? Rémi Brissiaud estime qu’il n y a pas d’unanimité. Si Stanislas Dehaene admet que le comptage dénombrement est important il botte en touche en affirmant que la façon dont l’enfant structure la notion reste mystérieuse, certains chercheurs en psychologie cognitive s'interrogeant  fortement sur la pertinence du comptage-numérotage. Pour sa part, Elisabeth Spelke, professeure de psychologie à Harvard, en 2017, rejetait dans un article « la thèse que le comptage [serait] central dans le nombre ».

 

Alors quelles perspectives?

 

"On sait que la résolution de problèmes et le calcul mental ont partie liée" poursuit Remi Brissiaud. Mais pour que cela soit effectif il convient de mettre l'accent sur les propriétés conceptuelles ( la différence entre deux nombres a et b c'est a-b, a+b=b+a, ...) Mais cela ne peut se faire si les élèves sont parasités par des propositions de  schémas trop éloignés de leurs représentations mentales, et qu'ils n'auraient pas construits eux-mêmes.

 

Les choix faits par le ministre notamment sur la question du comptage-numérotage risquent fort de mettre les élèves les plus fragiles encore plus en difficulté. Ce qui serait inacceptable.

 

Litizia Martin

 

Brissiaud : sur les évaluations cp ce1

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 23 octobre 2018.

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