Nouveaux programmes de maths : Roland Charnay : Vigilance en attendant la suite... 

Dans ces nouveaux projets de textes, ce qui frappe d'abord c'est la continuité avec ceux publiés en 2015. En particulier, on retrouve in extenso les grandes compétences travaillées (chercher, modéliser, représenter, raisonner, calculer, communiquer). Parmi les nouveautés, deux apparaissent immédiatement. Le texte ne comporte plus les "repères de progressivité" qui seront sans doute remplacés par des repères annuels comme ceux publiés pour le CP en février dernier (voir plus loin). On ne retrouve pas non plus les 2 colonnes qui présentaient d'une part les "connaissances et compétences associées" et d'autre part des "exemples de situations, d'activités et de ressources pour l'élève".  On ne le regrettera pas nécessairement dans la mesure où cette présentation avait souvent un caractère hétéroclite : dans la 2e colonne, on trouvait ainsi des exemples d'activités, mais aussi des commentaires ou encore des compétences qui auraient eu leur place dans la 1ère colonne comme, au cycle 2, "Itérer une suite de 1 en 1, de 10 en 10, de 100 en 100". Le nouveau texte insère d'ailleurs ces compétences parmi celles attendues en fin de cycle. De ce point de vue, la clarification est bienvenue. On peut toujours se reporter aux documents d'accompagnement en vigueur pour les commentaires et suggestions d'activités. Pour le reste, une lecture attentive et détaillée est nécessaire pour pointer, dans ce projet, les évolutions apportées aux textes adoptés en 2015.

 

Des orientations générales maintenues, mais influencées par le rapport Villani-Torossian.

 

Dès le départ ces nouveaux textes reprennent les précédents pour marquer la place de la résolution de problèmes dans les apprentissages mathématiques. Au cycle 2, ils sont toujours "au centre de l'activité mathématique" et "permettent d'aborder de nouvelles notions, de consolider des acquisitions, de provoquer des questionnements" et au cycle 3 on retrouve mention du fait que "la résolution de problèmes constitue le critère principal de la maitrise des connaissances (…) mais qu'elle est également le moyen d'en assurer une appropriation qui en garantit le sens". Est maintenue également la référence à l'intérêt de proposer des "problèmes pour apprendre à chercher" et la référence aux "recherches avec tâtonnements".

 

L'une des inflexions, notamment pour le cycle 2, concerne la référence plus marquée au rôle des manipulations. La formulation adoptée est suffisamment large pour que cette prescription puisse se retrouver dans différentes approches, de l'enseignement guidé à un enseignement où les manipulations prennent un caractère expérimental en réponse à des questionnements plus ouverts. On peut regretter que le terme "expérimentation", pourtant mentionné dans le rapport Villani-Torossian, soit peu utilisé dans ces textes. La nécessité de maintenir un lien entre l'expérience avec des objets, la verbalisation et la formalisation à l'aide des symboles est largement partagée. Sa mise en œuvre peut prendre des formes diverses. Il faut espérer que les textes qui accompagneront ces programmes laisseront place à des mises en pratique variées.

 

La part à donner à l'institutionnalisation des connaissances est soulignée ainsi que l'importance à accorder aux traces écrites. Pour celles-ci, la seule référence au cahier de leçons apparait comme une restriction par rapport à d'autres pratiques également efficaces : recours à des écrits collectifs (affichages) ou à des écrits de référence insérés dans un fichier ou un manuel. Il serait utile de préciser que ces écrits ont vocation à la fois à officialiser un savoir en cours d'élaboration et à être utilisés pour retrouver un savoir déjà étudié, mais oublié ou incertain. Il faudrait également noter que la possibilité de produire et d'utiliser des écrits de référence varie considérablement du début du cycle 2 à la fin du cycle 3 et que le risque existe, en début de scolarité élémentaire, de passer trop de temps à la production par les élèves d'écrits malhabiles au détriment de celui consacré à expérimenter, expliquer, débattre ou s'entrainer. De plus, écrire un texte de savoir qui n'est pas encore suffisamment compris n'aide pas toujours à mieux le comprendre.

 

Un troisième point concerne, pour le cycle 2, la place à donner à "l'acquisition d'automatismes procéduraux et la mémorisation progressive de résultats". Sous réserve que cette exigence ne s'accompagne pas d'une mise en place prématurée d'algorithmes pour lesquels les élèves ne disposent pas des bases nécessaires à leur compréhension et à leur exécution, cette recommandation souligne le fait qu'on ne peut pas progresser dans les apprentissages si la mémoire de travail n'est pas soulagée par la maîtrise d'un certain nombre de routines. Recommandation à considérer donc avec les précisions qui seront apportées par les repères pour chaque année d'un cycle… Un élément qui peut rassurer à cet égard est que l'introduction du texte pour le cycle 3 indique qu'on y construit de nouvelles techniques de calcul écrites en mentionnant l'exemple de la division.

 

Cela nous amène à une autre inflexion apportée par ces textes. Le programme de 2015 pour le cycle 2 évoquait les "quatre opérations", mais sans autre précision. Celui-ci indique que "l'étude des quatre opérations commence dès le début du cycle". On pourrait s'en inquiéter si la suite du texte ne précisait pas que cela se fait "à partir de problèmes qui contribuent à leur donner du sens". Si les documents qui compléteront les programmes restent dans cette orientation, on se trouvera dans un schéma de progressivité des apprentissages qui peut faire consensus.

 

Enfin, au cycle 2 comme au cycle 3, la partie générale de chaque texte se termine par un paragraphe relatif à "l'étude des grandeurs et de leur mesure" qui comble ce qui était sans doute un oubli des textes précédents.

 

On peut émettre le regret que deux recommandations du rapport Villani-Torossian n'aient pas réellement trouver écho dans ces projets de texte. Le premier concerne la notion de preuve dont le rapport indique (p. 25) que "elle est au cœur de l'activité mathématique quel que soit le niveau (de façon adaptée, cette assertion est valable de la maternelle à l'université)". Certes on parle d'argumentation (dans les introductions générales) et de justification pour la compétence "Raisonner", mais un discours plus précis sur la notion de preuve, adapté pour ces deux cycles, aurait été bienvenu. Le deuxième regret concerne le travail sur les erreurs qui fait l'objet d'un paragraphe dans le rapport (p. 15) qu'on aurait aimé retrouver dans ce projet de texte (1) . Il faut souligner que le projet pour le cycle 4, beaucoup plus modifié que les deux autres, infléchit notablement le travail mathématique au collège vers le travail sur la preuve, et donc à ce niveau, sur la démonstration.

 

 

Du côté des contenus enseignés, toujours une certaine confusion entre savoirs et compétences.

 

Au moment de détailler les attendus de fin de cycle, les textes de 2015 prétendaient fournir dans la 1ère colonne les "connaissances et compétences associées". On avait bien du mal à distinguer ensuite ce qui relevait des connaissances (en référence à des savoirs mathématiques) et ce qui relevait des compétences (ou plutôt des savoir-faire). Alors que le projet pour le cycle 4 tente une clarification en énonçant d'abord des connaissances et ensuite des compétences associées, ceux des cycles 2 et 3 n'apportent toujours pas d'éclairage à ce sujet.

 

Un exemple, pris en géométrie au cycle 3, permet d'illustrer cette problématique. Le programme mentionne le parallélisme (on serait du côté du savoir) et "Tracer avec la règle et l'équerre la droite parallèle à une droite donnée passant pas un point donné" (on serait du côté des compétences). Si la compétence (savoir-faire) est précise, le savoir l'est beaucoup moins, faute d'une mention claire des propriétés du parallélisme qui doivent être connues à la fin du cycle 3 (droites qui ne croisent pas, droites dont l'écart est constant – sous réserve de la définition de cet écart ! -, droites perpendiculaires à une même droite…). Il faut pourtant disposer de la dernière des propriétés évoquées pour comprendre la compétence énoncée.

 

Un autre exemple éclairant peut être emprunté au domaine du calcul. Ici le programme du cycle 2 évoque bien un savoir formulé par "Propriétés implicites des opérations" et il fournit une liste sous forme d'exemples. Le deuxième de ces exemples est "3 x 5 x 2, c'est pareil que 3 x 10". Il y a en effet beaucoup d'implicite dans cet exemple qui évoque la propriété d'associativité de la multiplication ! Pour être plus éclairant, il faudrait au moins affirmer que "3 x 5 x 2, c'est pareil que 15 x 2 et aussi pareil que 3 x 10" ou mieux encore, d'expliciter de façon plus générale que, pour calculer un produit de 3 facteurs les deux façons de regrouper les facteurs conduisent au même résultat et il serait sans doute utile de préciser à destination des seuls enseignants le nom de la propriété utilisée. Cette propriété reconnue peut alors être mise à profit pour élaborer des stratégies de calcul mental ou en ligne par décomposition et recomposition des facteurs d'un produit. Ainsi, à la fin du cycle 2, 5 x 12 peut être remplacé par 5 x (2 x 6) et calculé comme (5 x 2) x 6 égal à 10 x 6. Si l'usage des parenthèses est trop délicat pour les élèves, un arbre de calcul peut servir de support à la suite des calculs effectués. Une propriété, mise en évidence sur des exemples, gagne à être formulée verbalement de façon plus générale pour être utilisable dans d'autres calculs. On peut de la même façon évoquer une autre propriété de la multiplication (la distributivité sur l'addition) qui permet de traiter autrement ce même calcul : 5 x 12 = 5 x (10 + 2)  = (5 x 10) + (5 x 2) = 50 + 10.

 

La tendance, qui n'est pas récente, à mettre l'accent sur les compétences conduit souvent dans les programmes à privilégier des listes de savoir-faire au détriment de la mise en évidence des éléments de savoir qui permettent de les comprendre et de les justifier. C'est regrettable. Il faudrait un travail de fond, donc de longue haleine, pour élucider correctement cette problématique et on comprend que l'ajustement d'un programme ne soit pas une occasion favorable.

 

En attendant la suite…

 

Les textes proposés, avec les inflexions qu'ils contiennent, confortent, parfois en les précisant, les programmes publiés en 2015, ce qui est de nature à rassurer les enseignants déstabilisés ou résignés face à la succession accélérée de nouveaux programmes au cours des dernières années.

 

Espérons que la suite ne démentira pas cette orientation… Deux types de documents complémentaires ont été annoncés : des repères annuels pour chacun des cycles et des projets d'évaluation qui pourraient être trimestriels. Sur ces deux initiatives, il convient de demeurer vigilant.

 

Les repères annuels peuvent, selon le cas, conforter ou modifier l'esprit des programmes. Les seuls repères publiés actuellement sont ceux pour le CP. Sans remettre fondamentalement en cause les repères des textes antérieurs, ils fournissent des "exemples de réussites" dont certains seront très difficiles voire impossibles à atteindre pour la majorité des élèves de CP. Il en va ainsi de l'addition posée de trois nombres. Déjà délicate avec deux nombres, ce type de calcul qui nécessite une mise en mémoire de résultats partiels et comporte l'éventualité d'une retenue égale à 2 risque de déstabiliser plus d'un élève. De la même façon, certains exemples de calcul en ligne relèvent plutôt du CE1 et peuvent même s'avérer délicats pour des élèves de CE2. Attention donc à rester sur des exigences possibles à réaliser avec la majorité des élèves ou alors à distinguer des niveaux d'exigence en notant ce qui peut être proposé mais va au-delà de ce qui est attendu de tous.

 

Le projet d'évaluations nationales proposées plusieurs fois dans l'année comporte des risques encore plus importants. On sait que de telles évaluations, par leur forme et par leur contenu, sont des indicateurs des attentes institutionnelles et des incitateurs pour amener les enseignants à répondre à ces attentes. On voit bien le risque de dérive : les programmes sont pluriannuels (par cycles), les repères conduisent à des programmes annuels et les évaluations orientent vers des programmes trimestriels ! Quid alors des choix de programmation différents des apprentissages ? Quid de l'adaptation aux possibilités et aux besoins des élèves ? Quid enfin de la liberté de choix pédagogique des enseignants qui est l'essence de leur professionnalité ? Depuis longtemps, certains demandent à distinguer les évaluations destinées à renseigner sur l'état des connaissances des élèves au niveau national et celles qui sont à disposition des enseignants pour les aider à piloter leur enseignement. Pour les premières, un recueil d'informations auprès d'échantillons d'élèves est suffisant et plus sûr méthodologiquement. Pour les secondes, une banque d'exercices et de problèmes documentés est de loin plus efficace qu'un pilotage institutionnel trop contraignant et vite soupçonné d'arrières pensées.

 

Ce n'est pas faire un procès d'intention que d'appeler à la vigilance sur ces questions qui sont loin d'être anodines. Le bon sens et le pragmatisme devraient ici prévaloir et garantir une marge de manœuvre suffisante aux équipes d'enseignants qui ont à la fois besoin d'un cadrage clair (le projet d'ajustement des programmes va dans ce sens), d'une formation qui réponde à leurs besoins et d'un environnement institutionnel souple pour exercer pleinement leur mission.

 

Roland Charnay

Auteur de "Réussir en maths à l'école, c'est possible !"

 

Note :

1 - Deux des chapitres de mon ouvrage "Réussir en maths à l'école, c'est possible !" (Hatier) sont consacrés à la notion de preuve (ch. 3) et à l'exploitation des erreurs (ch. 8)

 

Les nouveaux programmes de l'école et du collège

Rémi Brissiaud : De nouveaux programmes plus lourds

Repères pour les mathématiques en CP

 

R Charnay : Mission maths ou mission Singapour ?

R Charnay : Réussir en maths à l'école c'est possible

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 26 juin 2018.

Commentaires

  • Franck059, le 26/06/2018 à 17:40
    J'ajoute que ces ajustements ne permettent toujours pas de savoir sur quels objectifs on évalue les élèves.

    Faut-il les évaluer sur les compétences transversales majeures que sont "Chercher", "Calculer", "Représenter", "Modéliser",  "Communiquer",  "Raisonner" lesquelles compétences sont les seules à être renvoyées aux domaines utilisés pour la validation de fin de cycle ?

    Ou faut-il les évaluer, comme dans les évaluations nationales, sur les attendus de fin de cycle intégrés aux 5 thèmes qui sont (pour le cycle 4) "Nombres et calcul", "Grandeurs et mesure", "Espace et géométrie", "Gestion de données et fonctions", "Programmation et algorithmique", lesquels attendus de fin de cycle ne sont pas explicitement renvoyés aux domaines du socle ?
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