Le décret sur le redoublement publié au J.O. 

Le Journal officiel publie un décret qui revoir la procédure de redoublement au primaire comme dans le second degré. La nouvelle rédaction supprime le caractère exceptionnel du redoublement qui n'était possible qu'en cas de rupture des apprentissages depuis 2014.  Le CSE s'était prononcé contre. Mais pourquoi ce retour en arrière ?

 

Des textes techniques

 

 Le décret publié au JO du 21 février modifie les articles D 321-6, D 321-22 et D 331-62 du Code de l'éducation. Pour le premier dégré, le nouvel article D321-6 précise que "à titre exceptionnel, dans le cas où le dispositif d'accompagnement pédagogique mentionné au premier alinéa n'a pas permis de pallier les difficultés importantes d'apprentissage rencontrées par l'élève, un redoublement peut être proposé par le conseil des maîtres". Mais le redoublement nécessite toujours l'avis de l'IEN et la mise en place d'un PPRE. En principe un seul redoublement est possible durant l'école élémentaire, mais le texte ne derme pas la porte à 2 redoublements après avis de l'IEN. Enfin "aucun redoublement ne peut intervenir à l'école maternelle".

 

Pour le second degré, l'article D 331-62 précise qu'un redoublement peut être décidé par le chef d'établissement en fin de chaque année scolaire. Auparavant le redoublement n'était possible qu'en cas de rupture de l'apprentissage et avec l'accord écrit des parents.  Là aussi la règle c'est un seul redoublement sur la scolarité du collège mais deux sont possibles.

 

Cette nouvelle rédaction a été étudiée par le Conseil supérieur de l'éducation qui a voté contre le texte le 14 décembre 2017. CE qui n'empêche pas cette publication au J.O.

 

Un dispositif dont l'efficacité est contestée

 

Pourtant l'inefficacité du redoublement est avérée sauf cas particuliers. Selon le Cnesco, en 2015, "dans la majorité des études, le redoublement n'a pas d'effet sur les performances scolaires à long terme. Quelques études obtiennent des effets positifs à court terme dans des contextes très particuliers (notamment lorsque le redoublement est accompagné d'autres dispositifs de remédiation comme des écoles d'été). Le redoublement a par contre toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage. Il semble également impacter négativement le revenu futur du jeune adulte en agissant comme un signal de faible performance du salarié pour les entreprises".

 

Dans une nouvelle étude publiée en 2018 , Hugues Draelants a réévalué le coté politique de la décision de maintenir ou pas le redoublement. " Bien que la littérature sur le redoublement soit plutôt pléthorique, nous considérons au terme de cette analyse que, contrairement à l’idée reçue, la recherche a encore beaucoup de progrès à faire. En attendant, il nous semble important d’arrêter de prétendre que la Science détient la vérité sur le sujet et qu’elle plaide de manière unanime pour le passage obligatoire plutôt que pour le redoublement... Le choix consistant à privilégier l’un ou l’autre doit donc fonder pour l’instant sa légitimité sur des bases autres que scientifiques, en l’occurrence des bases politiques", écrit-il.

 

Une pratique socialement marquée

 

Reste que le redoublement est une pratique très inégalitaire socialement. Le redoublement ne touche pas tous les jeunes de façon égale. Il concerne beaucoup plus les garçons que les filles. Le niveau d'éducation des parents est fortement lié à la probabilité d'avoir redoublé. Plus les parents sont éduqués, plus les chances d'avoir redoublé à 15 ans sont faibles. Ainsi, en 2012, avoir une mère diplômée du supérieur divise la probabilité d'avoir redoublé par presque 3 par rapport au fait d'avoir une mère ayant au plus un niveau collège. Les conditions économiques, appréhendées par le statut d'emploi des parents (temps plein, temps partiel, chômage), impactent fortement le redoublement en 2012. Ainsi, un élève dont le père est au chômage ou travaille à temps partiel a deux fois plus de chance d'avoir redoublé qu'un élève dont le père travaille à temps plein. Enfin le redoublement a à voir avec l'appartenance ethnique. En 2003, un élève dont la langue des parents n'était pas le français avait une probabilité de redoubler 79 % plus élevé qu'un élève dont les parents parlent le français.

 

Le redoublement plébiscité

 

Mais le redoublement est une pratique plébiscitée par tous les acteurs en question. En 2015, le Cnesco a pris l'initiative d'interroger 3302 collégiens et 2314 lycéens venus de 59 établissements sur leur rapport au redoublement. Selon cette étude, 69% des lycéens  et collégiens se déclarent défavorables à la suppression du redoublement. Mais 80% voient dans le redoublement une seconde chance. 73% le jugent utile.  Les redoublants gardent le souvenir positif d'une année d'efforts. " 67 % des redoublants déclarent s’être plus investis dans leur travail l’année de leur redoublement ;  71 % des lycéens et collégiens sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’affirmation : « J’ai eu de meilleurs résultats l’année redoublée »", affirme l'étude.

 

Du coté des enseignants, Hugues Draelants a étudié de près, en 2012, le rapport qu'entretiennent les enseignants belges au redoublement. Pour lui, s'il se maintient contre vents et marées, c'est tout simplement parce qu'il a son utilité. " Le redoublement fait l’objet d’un attachement social important et est une pratique difficile à abolir", écrit-il. "D’une part, car nombre d’acteurs scolaires continuent à croire dans son efficacité.. D’autre part, peut-être plus fondamentalement, car le redoublement servait et sert toujours en Communauté française belge à assumer une série de fonctions latentes". Il en distingue quatre : "une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants". Ainsi le redoublement participerait du fonctionnement ordinaire du système , du positionnement symbolique des établissements et de l'ordre scolaire quotidien. "En l’absence du redoublement, les enseignants se plaignent du défaut de motivation induit auprès des élèves, il devient (encore plus) difficile de les faire travailler", écrit-il.

 

Peut on se passer du redoublement ?

 

De nombreux pays ne connaissent pas le redoublement et ont développé des mesures pour s'en passer.  Selon le Cnesco, "la quasi-totalité des pays européens offre aux élèves la possibilité de passer des épreuves supplémentaires (écrites et/ou orales selon le pays) en fin d'année scolaire pour rattraper les cours pour lesquels les notes ont été jugées trop faibles par l'équipe enseignante. Ce type d'organisation limite l'incidence d'un "accident de parcours" et corrige le caractère aléatoire de certaines évaluations." D'autres pays , comme l'Allemagne ou l'Espagne, pratiquent la promotion conditionnelle. L'élève passe en classe supérieure mais doit suivre un programme de rattrapage dans la matière où ses résultats sont insuffisants. En Italie, on a créé des écoles d'été pour les élèves ayant de mauvais résultats. Si l'on sort des états européens, le colloque sur l'Asie organisé par le CIEP et la Revue d'éducation de Sèvres, a souligné le cas du Japon. Au Japon tous les jeunes suivent ensemble l'école obligatoire. Chaque classe est divisée en 6 groupes hétérogènes qui réalisent ensemble des travaux variés. Les classes sont délibérément hétérogènes.

 

Dans les bonnes pratiques qui permettent d'éviter l'échec et le redoublement , le Cnesco n'hésite pas à citer les classes à effectifs réduits. "Les classes à effectifs réduits peuvent permettre aux enseignants de modifier leur pédagogie en consacrant davantage de temps, d'attention à chaque élève", écrit le Cnesco. "La probabilité d'avoir des élèves perturbateurs dans une classe est également plus faible lorsque le nombre d'élèves est réduit". Une autre pratqiue recommandée est le looping : garder le même enseignant plusieurs années facilite l'intégration de tous les élèves et améliore la gestion de la différence dans la classe. L'organisation des programmes en cycles, et non sur une base annuelle, fait également reculer le redoublement. On sait que le ministre veut revenir à des "repères annuels" et s'éloigne des cycles.

 

Une décision populiste ?

 

Comment expliquer la décision ministérielle ? Dans Le Parisien , en juin 2017, JM Blanquer avait vanté ce retour au redoublement. "Autoriser le redoublement ce n'est pas un virage absolu mais c'est une inflexion importante", disait il. "Il n'est pas normal d'interdire le redoublement. Il y a quelque chose d'absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant les retards. La première réponse réside dans l'accompagnement tout au long de l'année et dans les stages de soutien que nous créons. Mais le redoublement doit rester possible quand c'est dans l'intérêt de l'enfant".

 

Sa décision a un coût pour le système éducatif car davantage de redoublement entraine un engorgement des classes. Elle n'apporte rien aux élèves concernés. Mais l'avis du  ministre penche toujours du coté de la popularité. JM Blanquer connait la popularité du redoublement auprès des différents acteurs.  Comme pour la semaine de 4 jours, il penche toujours vers ce qui augmente son poids politqiue quelque soit le coût pour les élèves.

 

François Jarraud

 

Le décret

Cnesco

Draelants en 2018

Redoublement un retour en arrière

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 21 février 2018.

Commentaires

  • Pitchounot, le 21/02/2018 à 10:54
    L'efficacité du redoublement est contestée. C'est vrai mais facile à dire.
    Car en fait il n'est jamais accompagné par des mesures de suivi par manque de moyen.
    CQFD.
    • thais8026, le 22/02/2018 à 16:08
      Tout à fait d'accord. Rien n'est fait pour remplacer le redoublement.
      De plus, prendre l'exemple du système japonais qui a le plus grand taux de suicide des jeunes me parait un peu fallacieux
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