Français : Un guide pratique pour une langue non sexiste 

« Madame le recteur a été reçue au lycée par madame le proviseur. Elle a assisté à un cours de mademoiselle Chantal Lamy, professeur de lettres, qui  étudiait avec ses lycéens un texte de Louise Labé, auteur du 16ème siècle. Julien et Marie, délégués de la classe, ont été enchantés par cette rencontre. » Et si de telles phrases étaient enfin jugées pour ce qu’elles sont : discriminantes, donc inconvenantes ? C’est le sens d'une communication faite le jeudi 5 novembre 2015 par le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes. Il a élaboré et publié un outil essentiel : un « Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe ». Les recommandations sont simples et utiles : elles doivent permettre à tous les fonctionnaires, en particulier dans l’Education nationale, de faire de la langue un outil d’émancipation.

 

Le français autrefois

 

 « La grammaire est une chanson douce », soutenait un célèbre académicien : elle ne l'est guère si, comme l’Académie, on tend à l’essentialiser jusque dans l’idéologie dont elle est porteuse. La grammaire, en effet, a une histoire, riche de sens. C’est ce qu’explique par exemple Eliane Viennot, professeure de littérature française de la Renaissance à l'université de Saint-Etienne et auteure du livre « Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ». La règle de domination du masculin, démontre-t-elle, est une invention française du 17ème siècle, à forte teneur idéologique : l’académicien Vaugelas préconise alors que le masculin doit l’emporter parce qu’il « est  plus noble que le féminin ». De même, certains noms féminins de métiers, qui existaient jusque là en français, se retrouvent répudiés : des lettrés cherchent à asseoir le pouvoir masculin sur certaines professions jugées nobles ; les mots « professeuse », « médecine » ou « autrice », couramment utilisés, se retrouvent peu à peu disqualifiés (mais pas les mots « boulangère » ou « actrice »…).

 

Le français ailleurs

 

Peut-on en rester là ? Doit-on à ce point sacraliser un état aussi contestable de la langue ? En dehors de l’Hexagone, la langue française parait bien plus vivante. Au Québec, dès 1979, la Gazette officielle demande aux administrations de féminiser les noms de métiers, et en 1991, l’Office québécois de la langue française publie un guide complet pour diffuser de nouveaux usages qui ont depuis été adoptés dans les administrations, les journaux, puis la société québécoise. En Suisse, dans le canton de Genève, un règlement est adopté dès 1988 par le Conseil d’Etat, obligeant les administrations à féminiser les noms de métier. En Belgique est désormais parue la 3ème édition, enrichie, d’un « Guide de la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre » : « peu à peu, y souligne-t-on dans le préambule,  l’usage des formes féminines s’est répandu dans la vie quotidienne, au point où, à l’heure actuelle, des dénominations comme « la secrétaire d’Etat américaine », « la commissaire européenne »,  « la gouverneure », « la juge » etc. n’étonnent plus grand monde ».

 

10 recommandations

 

En France, les choses, c’est-à-dire la langue, donc la société, vont peut-être enfin bouger grâce au Guide que vient de publier le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit de modifier d’ores et déjà les usages dans les voies officielles de communication publique : courriers, discours, colloques, affiches, vidéos, sites web, textes officiels, nomination des bâtiments et des rues, circulaires … Des recommandations pratiques y sont clairement énoncées et expliquées : éviter d’employer des expressions sexistes comme « mademoiselle », « chef de famille », « nom de jeune fille » … ; féminiser les noms de métier (Madame la cheffe de bureau, la préfète, la maire …) ; user du féminin et du masculin dans les messages adressés à tous (par exemple, employer non pas le terme générique « les lycéens », mais « les lycéennes et les lycéens », avec respect de l’ordre alphabétique) ; éviter d’appeler les femmes par leurs prénoms quand on nomme les hommes par leurs noms ; ne pas réserver aux femmes les questions sur la vie privée ; préférer « la journée des femmes » à la « journée de la femme » ou les « Droits humains » aux « Droits de l’Homme » ; diversifier les représentations pour ne pas enfermer les unes et les autres dans des rôles stéréotypés (piège dans lequel tombent hélas certaines campagnes sur l’orientation) ; veiller à équilibrer, à la tribune ou sur les photos, le nombre de femmes et d’hommes …  Le Haut Conseil à l’Egalité affirme aussi son soutien à la règle de proximité, qui permet d’accorder un adjectif avec le nom le plus proche de lui, y compris s’il est féminin, règle qui a existé autrefois en français et qui est utilisée dans d’autres langues romanes comme l’espagnol ou le portugais.

 

L'Education nationale devrait judicieusement se placer en première ligne pour favoriser ces transformations des pratiques et des mentalités. Parce que dans une institution qui ne cesse de se féminiser il devient dangereux de multiplier les signes de domination masculine. Parce qu'on y transmet aux enfants la langue et les représentations du monde qu'elle véhicule. Alors, bientôt peut-être, on pourra légitimement et spontanément écrire et enseigner : « Madame la Rectrice a été reçue au lycée par madame la proviseure. Elle a assisté à un cours de madame Lamy, professeure de lettres, qui  étudiait avec ses lycéennes et lycéens un texte de Louise Labé, auteure du 16ème  siècle. Julien et Marie, délégué.e.s de la classe, ont été enchantées par cette rencontre. » Et la France, enfin, aura assimilé que le réel ne préexiste pas au discours qui le construit.

 

Jean-Michel Le Baut

 

Le Guide pratique du Haut Conseil de l’Egalité :

Sur le site du HCE :

Un rapport sur la féminisation des noms (1999)

Le guide belge de 2014

Le site « Mettre au féminin » de la Communauté française de Belgique

Le site d’Eliane Viennot

Pétition sur la règle d eproximité

Balayons les idées reçues

 

 

Par fjarraud , le vendredi 06 novembre 2015.

Commentaires

  • thais8026, le 06/11/2015 à 17:16
    Je ne suis pas pour la féminisation à outrance des noms de métier. Si certains ne posent pas de problème d'autres : Mme la préfète (ridicule c'est comme les gendarmettes j'ai l'impression d'être dans un film de Louis de Funès). On se retrouve aussi avec des aberrations comme l'utilisation de Mme l'Ambassadrice par un ambassadeur femme sur ses lettres alors que Mme l'Ambassadrice qualifie la femme de l'Ambassadeur. Par contre, pas de nom pour le mari d'un Ambassadeur femme, pas de nom pour une sage-femme homme.
    On ne peut pas aller que dans un sens.

    • amorin, le 07/11/2015 à 22:25
      Petit à petit, aidé en cela par les jeunes qui apprendront à faire, les formes ridicules cesseront de l'être et les ambassadrices, comme les générales, cesseront de désigner les épouses. En quelques années, ne seront gênés que ceux qui veulent l'être.
      Un homme sage-femme s'appelle un maïeuticien. Sa collègue est une maïeuticienne.
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