Droits des Femmes : Balayons les idées reçues ! 

Mise à l'index d'albums jeunesse, contestation du rôle éducatif de l'école, promotion des stéréotypes de genre comme valeurs « structurantes », machisme, homophobie, racisme exprimés sans scrupules : les propos tenus sur la scène politique actuelle ont de quoi inquiéter. Mais ces crispations conservatrices ne sont-elles pas le simple contre-coup des avancées voulues par les acteurs publics ? C'est l'idée soutenue par les intervenants de la conférence-débat organisée par  l’association «l’Égalité c’est pas sorcier », la FSU, la Ligue de l’enseignement et Femmes solidaires, mercredi 5 mars au Conseil régional Île-de-France, sous la présidence d'Henriette Zoughebi, vice-présidente de la Région Île-de-France. En une dizaine d'interventions denses et éclairantes, les participants ont dressé un bilan sombre mais mobilisateur de la lutte pour l'égalité, qui reste un enjeu politique de tout premier plan.

 

Balayer les idées reçues soulève la poussière...

 

 « Balayons les idées reçues », proposait les organisateurs de la soirée. Mais la lutte contre les stéréotypes est loin de faire consensus. Les déclarations rétrogrades qui émaillent les récents discours politiques témoignent des progrès qui restent à faire, malgré les avancées déjà accomplies. Autour d'Henriette Zoughebi et d'Ernestine Ronai, coordonnatrice nationale de la Miprof (Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains), une dizaine d'intervenants sont venus croiser leurs points de vue sur les difficultés nouvelles surgies dans le sillage de la Manif pour tous et des JRE. Points saillants : la résurgence forte de l'homophobie et de l'idéologie religieuse, venue cliver lourdement les débats.  Clara Delahaie, rédactrice en chef de Clara Magazine et intervenante en milieu scolaire, témoigne de la défiance suscitée chez les élèves par la mise en cause des missions éducatives de l'école à l'occasion des JRE. Dans un environnement scolaire très violent en termes d'inégalités et de sexisme, où l'enfermement dans les réseaux sociaux, la menace du harcèlement et la tyrannie de la réputation sont prégnantes, « le travail qu'on fait est salutaire : il permet de susciter l'insurrection des élèves contre ce en quoi ils sont enfermés », dit-elle, avant d'évoquer les difficultés croissantes rencontrées sur les questions de sexualité ou d'IVG. En aiguisant les peurs et la méfiance, on renforce la chape des idéologies dominantes, remarque H. Zoughebi.

 

La peur des mots et des images

 

Dans un texte remarquable, « La grand peur des livres », Geneviève Brisac, écrivaine et éditrice, éclaire l'effroi qui s'empare des contempteurs de littérature enfantine : peur de l'intime, du secret, du spirituel qui s'ouvre entre un être et un livre. Ces livres qui sortent les enfants de la tristesse, de la solitude, qui sauvent et qui « apprennent à ne plus avoir peur des gens bien habillés, qui vous méprisent, qui portent un uniforme et qui ont de grosses voix. » Une peur des mots et des images contre laquelle s'élève Florence Schreiber, bibliothécaire, qui propose sur le site des Médiathèques de Plaine Commune la Malle Egalitée, 31 ouvrages contre les stéréotypes, assortis de conseils de présentation. Quant à Thierry Magné, éditeur de littérature jeunesse, il s'étonne encore de la polémique qui a entouré l'album Tous à poil, très peu vendu avant sa soudaine mise en lumière par Jean-François Copé : « C'est une manière de pervertir notre travail d'éditeur et celui des auteurs qui mettent tant de leur vie dans leurs livres, estime-t-il. Je ne me suis jamais posé la question du genre, du sexe... Je ne vois pas où est le problème. » Il se propose d'ailleurs de rééditer bientôt l'ouvrage de Christian Bruel, Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon, paru en 1976 aux éditions du Sourire qui mord, et qui interroge la question de l'identité de genre.

 

Le « vieil arrangement machiste » de la grammaire française

 

Dans une intervention filmée, l'écrivaine Marie Desplechin souligne le piège des conventions linguistiques, qui apprennent très tôt la domination du masculin sur le féminin. Ce faux neutre qui n'est d'ailleurs « pas euphonique » pourrait s'effacer devant la règle de proximité qui permet l'accord avec le genre du mot le plus proche. « Que les hommes et les femmes soient belles », dit en exemple l'affiche de la soirée. Un détail ? Pour l'auteure, la langue reflète le système d'organisation d'une culture. Si le « vieil arrangement machiste » reflété par la langue française évolue, la grammaire peut en rendre compte, sans forcer et sans dommages. C'est en tout cas une proposition que soutient Henriette Zoughebi : ce que disent les mots est essentiel et le langage ouvre tous les possibles. C'est bien pourquoi la littérature fait peur : « elle ouvre un autre espace mental et nous donne la possibilité de réécrire le monde, dans un autre temps que l'immédiateté. Elle nous apprend qu'il y a d'autres possibles. » Laisser la langue refléter la domination du masculin forme les esprits à admettre une situation dont on oublie qu'elle est contingente. Déconstruire le sexisme y compris dans le langage, c'est ouvrir une nouvelle liberté à la pensée.

 

L'incapacité, caractéristique récurrente de la féminité

 

Xavière Gauthier, historienne, rappelle en un court et brillant exposé l'historique de l'obtention du droit de vote par les françaises. L'occasion de montrer l'intrication subtile entre éducation et sexisme dans le processus de dévalorisation des femmes, récurrent tout au long de l'histoire. Quand l'enjeu est l'admission des femmes aux droits humains universels, l'approche différentialiste se faufile dans les interstices du discours, sous prétexte d'hommage - à la fragilité, à la maternité ou à la délicatesse féminine. C'est par égard pour la « nature » domestique de la femme qu'on l'écarte de l'instruction et par le constat de son incompétence qu'on l'exempte de responsabilité politique. L'imprégnation sexiste de l'éducation associe la civilité à la dépréciation implicite des femmes : il serait grossier de ne pas leur reconnaître l'incapacité spécifique qui qualifie leur féminité. La femme, complément de l'homme, reste ainsi aux marges inférieures de l'humanité. Une infériorité de statut auquel l'évolution des lois sur la famille s'efforce de remédier, comme le rappelle Édouard Durand, juge pour enfants. La transformation de la « puissance paternelle » en « autorité » paternelle puis « parentale », relègue le rôle de la domination masculine et d'un droit à la violence domestique au profit de l'égalité des parents pour la protection (« l’intérêt ») de l’enfant. Mais cela n'empêche pas  les tribunaux de juger plus sévèrement les comportements parentaux des femmes ; et la nostalgie d'une « l'autorité paternelle » fortement coercitive plane sur les débats sur la lutte contre la délinquance juvénile.

 

Travailler sur les concepts pour lutter contre les idéologies inégalitaires

 

Le piège du différentialisme joue aussi son rôle réducteur par le biais du respect des différences de culture, remarque avec force Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue. A force de rabattre le culturel sur le cultuel, on concède toutes les prérogatives au communautarisme identitaire, au détriment des valeurs universelles. Ce sont elles pourtant qui, transcendant le particularisme, fondent l'échange et le dialogue entre les cultures. La bataille pour l'égalité des sexes se joue d'abord dans la défense de la laïcité contre les idéologies religieuses, affirme Chahla Chafiq, contre la réduction des cultures à des dogmes religieux envahissants. Les discours idéologiques identitaires jouent à plein contre l'égalité ; pour les déconstruire, on a besoin d'un vrai travail sur les concepts, de définition, de distinction, pour restaurer des repères de raison dans un contexte où toutes les idées se mélangent sans ordre. 

 

La mission éducative de l'école, projet de société

 

Des repères qui concernent aussi et d'abord l'école, affirme Bernadette Groison, présidente de la FSU. La question de savoir ce que doit transmettre l'école relève d'un projet de société : on lui demande de faire passer des savoirs, des valeurs, une mémoire collective que la société, elle,  n'assume pas. Comment voudrait-on que cela puisse aller de soi ? Ce projet doit être pensé et assumé collectivement : on ne peut pas, dans le même temps,  dénier à l'école sa mission d'éducation, semer la défiance à l'égard de ses contenus, et lui demander de se montrer garante d'une continuité des valeurs de la société. On doit accepter que l'école puisse déconstruire des représentations pour acquérir des connaissances et des savoirs, insiste B. Groison, et pour permettre aux élèves de réfléchir et d'agir librement. Dans le contexte de crise actuel, les attaques frontales contre l'école, qui ciblent la promotion de l'égalité filles-garçons, révèle un projet politique de société inégalitaire et contre-émancipateur. La mise en cause des ABCD de l'égalité ou la suspicion jetée sur la Ligne Azur (dispositif d'écoute pour les jeunes homosexuels) en sont des signes explicites.

 

Les manuels scolaires, toujours résolument sexistes...

 

L'institution scolaire n'est pourtant pas exempte de sexisme, dans sa structure interne comme dans ses supports d'apprentissage. Amandine Berton-Schmitt, du Centre Hubertine Auclert, qualifie de désastreux les résultats d'une enquête sur l'égalité femmes/hommes dans les manuels scolaires : la représentation des femmes par rapport aux hommes y avoisine les proportions de 5 à 95%, en mathématiques, en littérature, en Histoire... Les femmes dans la Résistance, remarque-t-elle, font l'objet d'une double-page en annexe, comme les châteaux forts au Moyen-Âge. Une place d'anecdote pittoresque, participant d'un processus d'invisibilisation qu'il importe d'étudier et de décrypter pour en comprendre la portée politique.

 

Un constat plutôt sombre, dans l'ensemble, mais qui reflète aussi le sursaut de crispation des tenants d'un ordre qui tend à s'estomper devant les évolutions vivantes de la société et les progrès effectifs du droit. « Il faut comprendre, souligne en conclusion Amandine  Berton-Schmitt, que la persistance des stéréotypes dans les mentalités n'est pas un fait neutre, c'est un parti-pris politique. Mais la lutte contre ces stéréotypes, elle aussi, est politique. Par conséquent, elle n'est pas hors de portée ! »

 

Jeanne-Claire Fumet

 

Balayons les idées reçues !

Centre de ressources pour l'égalité femmes-hommes Hubertine Auclert :

Site des médiathèques de Plaine -Commune :

 

 

Par fjarraud , le vendredi 07 mars 2014.

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