Où en sont les postes d'enseignants ? 

Bercy a-t-il pris la main sur la rue de Grenelle ? Le gouvernement trompe-t-il les enseignants et les Français à propos des 60 000 postes ? Le Monde relance ce débat en demandant où sont les 60 000 postes ? Le ministère répond et argumente. Mais tout est-il réellement mis sur la table ?

 

L'attaque vient du Monde. "Xavier Darcos et Luc Chatel, ministres de l’éducation entre 2007 et 2012, ont fait disparaître 80 000 postes. Certains par jeu d’écriture, beaucoup plus par coupes massives. La gauche, elle, fait l’exercice inverse : elle réintègre massivement les stagiaires dans le budget et crée à la marge quelques petits milliers de titulaires", écrit Le Monde. "Car quel que soit le nombre d’heures et la durée de présence dans les classes, chaque poste créé vaut « un » dans le grand décompte qui mène aux 60 000. Ce qui explique que l’on soit pour certains arrivés à moins de 4 000 postes créés, pour d’autres à 31 627. Qu’il y ait 9 421 visages nouveaux à la rentrée dans les classes, sans doute, mais ce seront massivement des stagiaires, que les élèves ne verront que quelques heures chaque semaine", écrit Le Monde. Sur ce total, seuls 2 261 correspondent à des postes de titulaires (811 en école, 1 450 en collèges et lycées), les autres n’assureront qu’un temps partiel. Sur le terrain, cela fera en moyens d’enseignement l’équivalent de 2 511 postes dans le primaire, de 2 555 dans le second degré et 668 dans l’enseignement privé. Juste de quoi maintenir le taux d’encadrement face à une démographie qui flambe et appliquer la réforme des zones d’éducation prioritaires... Quoi qu’il en soit et vu la nature des 31 627 premières embauches, tout laisse penser que Bercy a eu raison de la Rue de Grenelle et a « habillé » le budget pour faire en sorte que les 54 000 postes dévolus à l’enseignement scolaire (sur les 60 000) restent ultra-majoritairement des postes de stagiaires".

 

Le ministère apporte immédiatement un long démenti. " Les postes créés sont majoritairement des postes de stagiaires, car l’engagement et la priorité du gouvernement étaient bien de reconstituer d’abord une formation initiale des enseignants", écrit le ministère. "Les stagiaires sont formés pendant deux ans : la première année en alternance en ESPE / salle de classe, puis l’année suivante à temps plein en classe. Au bout de ces deux années de formation, ils sont titularisés. Ces choix ont toujours été pleinement assumés, et présentés comme tels, car il n’était pas souhaitable de continuer à recruter des enseignants qui étaient mis devant élèves sans aucune formation adaptée". Le ministère précise que 2095 poste sont été créés dans le 1er degré entre 2012 et 2014 "en plus des postes nécessaires au seul remplacement des départs en retraite". Et Le ministère de préciser que dans le 1er degré o est pasé de 313 000 postes sous Sarkozy à 318 000 sous Hollande. " Les postes créés ne sont pas intégralement absorbés par la démographie. Dans le 1er degré, 3 350 postes devant élèves ont été créés à la rentrée 2013, 2 355 à la rentrée 2014 et 2 511 seront créés à la rentrée 2015. Ces postes sont bien des postes devant élèves, qu’ils soient occupés par des titulaires ou par des stagiaires... L’engagement n°36 de François Hollande prévoyait la création de 60 000 postes supplémentaires dans l’éducation, la mise en place d’un prérecrutement des enseignants avant la fin de leurs études et le rétablissement de la formation initiale. Le gouvernement s’est donné les moyens de mettre pleinement en oeuvre cet engagement : le prérecrutement a été mis en place avec les emplois d’avenir professeur, la formation initiale a été rétablie grâce à la création des Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) et des postes d’enseignants stagiaires, le triennal prévoit la création des 60 000 postes", affirme finalement le ministère de l'Education nationale.

 

Dans ce débat on échange sur des publications de postes bien connues qui s'opposent au ressenti des enseignants. " En 2015, 9 421 postes seront créés à l'éducation nationale, 2 595 postes d'enseignants titulaires, 6 276 postes de stagiaires (soit 3137 équivalents temps pleins), 350 emplois d'accompagnement du handicap (ex AVS) et 200 administratifs", écrivait le Café pédagogique. "On notera deux choses. Le nombre de postes d'enseignants créés (5734 au total en ETP) est supérieur à celui de 2014 (4 341). La hausse est particulièrement forte dans le privé avec 608 postes contre 345 en 2014. On comptera 2 511 nouveaux postes dans le primaire en 2015 contre 2 355 en 2014. Et 2 555 dans le secondaire, contre 1 986 en 2014".

 

En fait depuis 2012, le ministère n'arrive pas à arbitrer entre des objectifs différents. Il veut à la fois recréer les postes nécessaires à la relance de la formation, améliorer l'encadrement en classe, développer de nouveaux dispositifs (plus de maitres que de classes, scolarisation des moins de 3 ans etc.) et faire face à la vive croissance démographique. Et il n'y arrive pas. "En 2014 les créations de postes ont été largement captées par la hausse démographique du nombre d'élèves", écrivions nous. "Cela a freiné l'application des politiques ministérielles comme la scolarisation des moins de 3 ans, le plus de maitres que de classes, le soutien au prioritaire ou la restauration d'un volant de formateurs. Résultat sur le terrain on a assisté à des tensions très fortes pour pouvoir accueillir les nouveaux élèves. En 2015, le retard à mettre en place ces politiques exercera une pression encore plus forte sur les créations de postes. Il y aura-t-il suffisamment d'emplois restants pour faire face à la croissance démographique ? On sait qu'à la rentrée 2015 il faudra accueillir 23 400 enfants supplémentaires au primaire et 29 600 au secondaire. Le ministère devra encore arbitrer avec des moyens insuffisants entre des objectifs différents. On voit mal comment les nouveaux engagements pris cette année, comme le droit au retour en formation, pourraient être sérieusement appliqués. Surtout les enseignants ne verront pas plus en 2015 les retombées positives de la refondation qu'en 2014. Ils continueront à enseigner dans des classes chargées, à gérer sur place les absences sans un volant de remplaçants suffisant, à devoir se battre pour garder leurs moyens".

 

Dans l'échange entre Le Monde et le ministère, pas plus que dans le débat budgétaire toutes les données n'ont pas été sorties. Par exemple, le vécu réel dans les classes dépend largement, surtout au secondaire, du volume d'heures supplémentaires accordé par Bercy. Il représente des milliers de postes  qui changent du tout au tout la perception réelle de la vie en classe. Or là dessus on n'a pas une grande visibilité.

 

Le Monde a raison de croire modérément dans la promesse de tenir les 54 000 postes. D'abord la vraie priorité du gouvernement s'est portée ailleurs que sur l'éducation à partir du virage marqué par l'arrivée de M Valls. La position de l'Education nationale qui engrange des postes alors que les autres ministères sont saignés est intenable. Comme le ministère n'arrive pas à recruter sur les postes mis aux concours, ces postes non couverts pourraient bien être rayés d'un trait de plume par Bercy. Et on voit bien le ministère s'engager avec sagesse dans l'exploitation des véritables gisements de moyens dont il dispose en interne. Il y a celui de postes libérés par la suppression de facto du redoublement (au moins 20 000). Il y a ceux que permettront les réformes du collège et du lycée. L'opération pourrait être liée avec le "redéploiement des moyens" que la ministre a annoncé. Sur ces pistes il y a paradoxalement la possibilité d'améliorer le quotidien des classes et l'efficacité de l'enseignement tout en faisant plaisir à Bercy.

 

François Jarraud

 

Article du Monde

L'Education nationale sauve son budget

 

 

Par fjarraud , le jeudi 06 novembre 2014.

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