Budget : L'éducation nationale sauve son budget. Pas celui des profs  

Par quel bout de la lorgnette regarder le budget ? Dans un Etat qui diminue ses dépenses, l'Education nationale échappe à la rigueur. Le ministère de l'Education nationale a réussi à obtenir un milliard supplémentaire pour soutenir la refondation et c'est un exploit. La promesse faite en 2012 de donner la priorité à l'éducation garde sa valeur. 9 421 emplois seront créés en 2015 et 25 000 seront mis aux concours. Mais suffit-il de créer des postes pour qu'ils existent ? Car, en 2015, la carrière des enseignants va encore se dégrader. On a là la contradiction fondamentale de ce budget.

 

2015 sera bien une année exceptionnelle. Le gouvernement a publié le 1er octobre le projet de loi de finances 2015. Il reste conforme aux arbitrages qui avaient été rendus publics cet été. Le budget 2015 est marqué par un effort exceptionnel de réduction des dépenses publiques. L'objectif c'est 50 milliards d'économies sur 3 ans dont 21 milliards pour 2015. Un tiers (7,7 milliards) concerne directement les administrations de l'Etat. Dans ce contexte de contraintes extrêmement fortes, le budget de l'éducation nationale est singulier : il augmente d'un milliard et cent millions en 2015 pour la partie enseignement scolaire. En 2015, l'éducation nationale (sans l'enseignement supérieur) pourra compter sur 65 milliards, soit 2,4% de hausse du budget. L'éducation nationale devient le premier budget de l'Etat. La promesse de faire de la jeunesse la priorité du gouvernement est respectée. On imagine qu'une  situation aussi exceptionnelle n'a pas être facile à obtenir. Benoit Hamon a probablement du batailler ferme pour cette exception éducative.

 

9 421 postes créés en  2015

 

Le budget va permettre de financer les 54 000 postes promis à l'éducation nationale. En 2015, 9 421 postes seront créés à l'éducation nationale, 2 595 postes d'enseignants titulaires, 6 276 postes de stagiaires (soit 3137 équivalents temps pleins), 350 emplois d'accompagnement du handicap (ex AVS) et 200 administratifs. On notera deux choses. Le nombre de postes d'enseignants créés (5734 au total en ETP) est supérieur à celui de 2014 (4 341). La hausse est particulièrement forte dans le privé avec 608 postes contre 345 en 2014. On comptera 2 511 nouveaux postes dans le primaire en 2015 contre 2 355 en 2014. Et 2 555 dans le secondaire, contre 1 986 en 2014. Le ministère veut afficher une priorité au primaire mais est tenu d'ouvrir davantage de postes au secondaire compte tenu des nombreux départs en retraite.

 

En tous cas cet effort est exceptionnel. Globalement l'Etat perd 1 177 emplois. La hausse dans quelques ministères (l'éducation nationale +9421), l'enseignement agricole + 140, l'intérieur +116 ou la justice +600) est compensée par des réductions drastiques dans les autres ministères. La Défense perd 7 500 emplois, les finances 2 491 par exemple.

 

Une incitation à opter pour le métier d'enseignant ?

 

L'effort de créations de postes devrait continuer en 2016 avec 10 711 postes et en 2017 avec 11 662 ce qui permettra d'atteindre les 54 000 emplois promis. En affichant dès maintenant cette programmation triennale, le ministère veut faire savoir aux étudiants qu'il y a des débouchés dans l'éducation nationale. En fait près de 32 000 emplois nouveaux vont être créés d'ici 2017 et, compte tenu des départs en retraite, plus de 25 000 seront proposés chaque année. Au total l'éducation nationale aura besoin de 78 000 titulaires d'un master d'ici 2017.

 

Cela suffira-t-il à améliorer le rendement des concours ? On sait que les difficultés de recrutement sont ciblées sur le secondaire et certaines disciplines comme les maths, les lettres ou l'anglais. La crise de recrutement y semble profonde. En maths la concurrence des autres métiers est écrasante pour l'éducation nationale qui ne peut offrir que des salaires très inférieurs à ceux du privé. Et le nombre d'étudiants est insuffisant.

 

Cela suffira-t-il à atteindre les objectifs de la refondation ? Les créations de poste sont bien "le carburant de la refondation", dit-on au ministère. Elles devraient permettre la scolarisation des enfants de moins de 3 ans au primaire, le dispositif plus de maitres que de classes, le développement du prioritaire, le rétablissement des Rased. Au secondaire on en attend le soutien au prioritaire. Mais en 2015 encore il y aura davantage de nouveaux enseignants en formation que dans les classes.

 

Le privé mieux traité ?

 

Apparemment l'enseignement privé s'en tire mieux en 2015 qu'en 2014 avec 608 emplois créés contre seulement 345 en 2014. Mai ces 608 emplois ne représentent que 11% des emplois créés soit moins que la règle habituelle des 20%. Le ministère assume cette différence en arguant que l'enseignement privé n'applique pas les directives publiques comme la scolarisation des moins de 3 ans ou le plus de maitres que de classes. Par suite la parité avec le public ne s'applique pas. Les créations de postes ne sont là que pour faire face à la croissance démographiques.

 

Des carrières dégradées en 2015

 

La vraie contradiction de ce budget réside bien dans la volonté de recruter davantage d'enseignants en dégradant les carrières des enseignants. Car jusqu'en 2017, une bonne partie des économies budgétaires sont réalisées sur le dos des fonctionnaires. Sur les 7.7 milliards d'économies dans les services de l'Etat, 1,4 milliards sont prélevés sur les salaires des personnels. Le gel du point Fonction publique permet de dégager 1 milliard d'économie par rapport à une revalorisation au seul niveau de l'inflation. Ce milliard est directement prélevé dans le porte monnaie des agents de l'Etat dont le niveau de vie est amputé. Les enveloppes catégorielles, qui permettent de négocier avec les syndicats des avantages salariaux pour certaines catégories d'agents sont amputées de moitié. 300 millions sont récupérés là aussi sur les revenus des fonctionnaires. Enfin la réduction des postes permet de récupérer 400 millions. En 2015 la masse salariale de l'Etat augmentera de 0.6% soit nettement moins que l'inflation.

 

Voilà pour les moyennes. Mais la situation réelle dans l'enseignement est plus dégradée que ces moyennes. Au ministère on se flatte d'avoir réussi à sauver une partie de l'enveloppe catégorielle en arguant que les négociations dans les groupes de travail sont entamées. N'empêche ! L'enveloppe est diminuée de moitié et les négociations atteignent un niveau de contraintes qui en font perdre une grande partie de leur intérêt. Les mesures indemnitaires s'élèveront à un total de 100 millions en 2015 contre 200 habituellement. Presque tout sera absorbé par l'éducation prioritaire où la hausse des indemnités (elles doublent en rep+) absorbera 87 millions. 38 000 enseignants de Rep+ toucheront 2 312 euros par an et 81 000 enseignants de Rep bénéficieront de 1734 euros. 13 millions seront attribués en indemnités pour les missions des enseignants référents qui encadreront les débutants dans les établissements prioritaires. Les autres améliorations de carrière concernent les directeurs d'école qui bénéficieront  de décharges un peu améliorées et  d'une revalorisation modeste de leur indemnité (+100 euros pour un école de 5 à 9 classes). Les conseillers pédagogiques, les maitres formateurs voient aussi leur prime réévaluée.

 

Ca fait d'autant plus mince que  l'on sait que les autres ministères ont des capacités à réduire l'effort salarial en compensant avec des primes le gel du point Fonction publique. Or à ce jeu là, l'éducation nationale a toujours été perdante. Une étude de l'insee a montré qu'entre 2011 et 2012 le salaire moyen des enseignants a diminué de 1,5%. Chez les non enseignants, la chute n’a été que de 0,1%. Autrement dit la dévalorisation des salaires par rapport à l'inflation a été 15 fois plus rapide chez les enseignants que chez les autres fonctionnaires ! En 2015 l'amplitude des primes sera réduite partout. Mais encore une fois les enseignants s'en tireront plus mal que les autres.

 

Tireront ils profit des créations de postes ? En 2014 les créations de postes ont été largement captées par la hausse démographique du nombre d'élèves. Cela a freiné l'application des politiques ministérielles comme la scolarisation des moins de 3 ans, le plus de maitres que de classes, le soutien au prioritaire ou la restauration d'un volant de formateurs. Résultat sur le terrain on a assisté à des tensions très fortes pour pouvoir accueillir les nouveaux élèves. En 2015, le retard à mettre en place ces politiques exercera une pression encore plus forte sur les créations de postes. Il y aura-t-il suffisamment d'emplois restants pour faire face à la croissance démographique ? On sait qu'à la rentrée 2015 il faudra accueillir 23 400 enfants supplémentaires au primaire et 29 600 au secondaire. Le ministère devra encore arbitrer avec des moyens insuffisants entre des objectifs différents. On voit mal comment les nouveaux engagements pris cette année, comme le droit au retour en formation, pourraient être sérieusement appliqués. Surtout les enseignants ne verront pas plus en 2015 les retombées positives de la refondation qu'en 2014. Ils continueront à enseigner dans des clases chargées, à gérer sur place les absences sans un volant de remplaçants suffisant, à devoir se battre pour garder leurs moyens. L'administration continuera à leur envoyer, par feuille de paye interposée, le message que leur métier se dévalue.

 

Et le numérique ?

 

Le projet de budget mentionne bien les investissements d'avenir. Mais il ne prend pas en compte le plan e-education qui dépend d'un programme national dépendant de Bercy. On sait que 700 à 800 millions lui seront consacrées mais au ministère on réserve les annonces "à de hautes autorités dans les semaines à venir". Les arbitrages sont probablement terminés. Mais le ministère met en avant le débat pédagogique. Les équipements  pourraient concerner certaines disciplines plus que d'autres, comme les langues vivantes.

 

François Jarraud

 

Le projet de loi de finances 2015

Les enseignants champions des baisses de salaire

Le budget réduit en 2015 ?

Le plan numérique

 

 

Par fjarraud , le jeudi 02 octobre 2014.

Commentaires

  • Franck059, le 02/10/2014 à 13:27
    Bon constat, pas grand chose à redire (pour une fois !).

    Ah si petite anecdote issue du vécu quotidien :

    En mathématiques, de plus en plus de collègues surfent sur l'air du temps en donnant des cours particuliers.

    Afin d'augmenter leur pouvoir d'achat....

    Ils passent moins de temps certes à préparer leur cours ou corriger des copies , et alors ? quand le pouvoir d'achat est gelé, il ne faut pas venir s'étonner qu'il en est de même du travail, ou de la qualité de celui-ci.

    Moi-même je reconnais être sollicité par de nombreux parents chaque année, de plus en plus. Inquiétant comme phénomène je trouve.  Par contre, quand je propose mes tarifs, ils sont outrés !!! Bah oui quoi, ils se sont habitués à ce qu'on travaille pour de la misère...
  • Kicekela75, le 02/10/2014 à 10:22
    Des constats, qui font plaisir à lire parce que correspondent à ce qui est vécu sur le terrain.
    Beaucoup ont entendu "création" de postes, mais n'ont pas compris que c'est absorbé par la hausse démographique.
    Des effets d'annonce: constats, au mieux indignation: ce qui fait vaguement du bien peut-être, mais tout ce qui compte, c'est que l'on inverse cette pente, pas l'éternelle indignation qui ne mène à rien . La baisse constante du pouvoir d'achat, réelle, implacable: que vous le sachiez, amis non-enseignants, nous ne sommes pas millionnaires, et l'argent gagné: on le dépense! Ça fait de la consommation, des rentrées fiscales,... En coupant les vannes progressivement, c'est jouissif pour vous, mais c'est un cercle très dangereux dont on ne sait comment sortir!
    Et à ce propos: la 'dette' est totalement illégitime. Elle ne serait cette montagne infranchissable, si, comme ça le devrait, l'Etat empruntait ailleurs que sur le marché, à taux zéro. Ben oui, quand on entend "on n'arrive même pas à rembourser les intérêts de la dette..."!!!
    La fin de l'emprunt à taux zéro, c'était en 1973, début de la transformation lente et implacable d'un petit mont de dette en une montagne purement ingérable! On nous culpabilise. Perso, ça ne prend pas.
    Alors on coupe de petits millions très très dolores aux 'petits', pendant que ce qui fait vraiment mal, ce sont les milliards qui partent chaque année en banques off-shore et ne reviendront pas.

    Par contre, dans le porte feuille, ça baisse de partout. Une logique d'un système qui va étouffer dans l'oeuf, faisant beaucoup de victimes.
    Et pour l'éducation: plus d'enfants encore dans les classes, des écoles qui vont sortir de la ZEP avec la conséquence probable qu'on aura ensuite la fulgurante idée: "Zut, faudrait y revenir, les équipes ont volé en éclat, le climat s'est dégradé, on est redevenu éligible en un temps record". Ah oui, mais, non, on n'a pas les moyens de remettre l'appelation ZEP, REP, ou toute remarquable idée d'ici là, les appellations changent si vite...

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