Climat scolaire et bienveillance : Entretien avec Odile Le Masson 

"Le climat scolaire  dépend de la volonté de chaque établissement et de chaque adulte de porter un regard bienveillant sur les élèves". Professeur de lettres dans un lycée technologique puis dans des lycées d’enseignement général, O. Le Masson enseigne au lycée du Kreisker, à Saint Pol de Léon et est par ailleurs formatrice d’enseignants à Lille et  à l’ARES  (1) à Montreuil. Ses travaux portent sur l’analyse Transactionnelle, la programmation neurolinguistique et l’écoute active.

 

Quelles sont les caractéristiques d’un mauvais climat scolaire ?

 

En fait, et c’est cela qui fait la richesse du concept, il n’y a pas de définition définitive et simpliste. Mais, en même temps, tout le monde comprend plus ou moins intuitivement de quoi il est question. Un mauvais climat se caractérise par le fait que le système (la classe, l’établissement, l’Education nationale) semble fonctionner à vide, comme une mécanique. C’est comme si ce qui est important, c’est, plus ou moins consciemment, de pérenniser  le système tel qu’il est, sans se référer à ce pour quoi il existe. Et évidemment, ça empêche de tenir compte de la réalité et des êtres humains. Les finalités profondes au nom desquelles le système existe sont oubliées. Et c’est inhumain. Mais cela a des incidences sur la satisfaction, sur la motivation, sur les comportements, et sur les réussites.

 

Dans certains établissements, c’est comme s’il y avait un impensé sur les missions de l’Ecole. Faire fonctionner la boutique, remplir les classes (pour l’enseignement privé), finir le programme ou mettre des notes, ça ne peut pas être une fin en soi ! La transformation ne peut pas venir d’en haut : les textes de l’Education nationale sont très clairs sur ces thèmes ; mais c’est du papier. Le sens, c’est chaque adulte et chaque collectif d’adultes qui doit décider de le faire vivre.

 

Et quelque soit l’objet de la formation, la question du sens se pose à un moment donné ; si une majorité d’enseignants répond que c’est la transmission académique des connaissances qui passe avant tout, je peux être certaine que le souci de l’épanouissement de leurs élèves en tant que personnes à faire grandir comme être humain, et  en même temps leur propre épanouissement professionnel, passe à la trappe ! En plus, même si on ne considère que les performances, ce n’est pas efficace. Attention ! Les profs ne sont pas responsables de leur manque de formation initiale et de l’inertie globale du système. Beaucoup sont de bonne volonté mais ont la tête dans le guidon ; les chefs d’établissement ont du pouvoir et des responsabilités aussi par rapport au climat.

 

Dans un passage de votre livre vous parlez de l’intelligence émotionnelle.  Quelle est-elle exactement ? En quoi concerne-t-elle le climat scolaire ?

 

L’idée que l’intelligence va au-delà des capacités cognitives valorisées traditionnellement par notre système scolaire n’est pas neuve ! L’intelligence émotionnelle, c’est l’ensemble des capacités à percevoir les affects, les siens et ceux des autres, à les comprendre, à les moduler. L’intelligence émotionnelle est un aspect des compétences psycho-sociales. Elle est en rapport avec l’estime de soi, elle est au cœur des compétences relationnelles.  J’aime bien l’expression, intelligence émotionnelle, qui vient de Daniel Goleman, parce qu’elle associe deux termes qui sont rarement associés dans le monde scolaire. Nous savons tous qu’une bonne relation à soi et aux autres favorise l’épanouissement, que le bien-être crée de la sécurité; établir de bonnes relations, ce n’est pas chercher un monde de bisousnours ; c’est se donner les moyens de penser, de créer, de résoudre des problèmes.

 

C’est vrai pour les adultes, les adolescents, les enfants. Mais on met de la pression, on installe l’individualisme et la solitude pour tout le monde, adultes et plus jeunes. On fait comme si l’être humain se réduisait à un bout de cerveau ! Et ça fonctionne en boucle : des profs stressés, fatigués, qui utilisent peu leurs compétences relationnelles avec les élèves, qui ont peu de connaissances sur le fonctionnement psychique, fabriquent des élèves stressés, excités ou endormis en classe et passifs dans l’apprentissage.

 

Le développement de l’intelligence émotionnelle des adultes et des jeunes est un élément qui permet de jouer positivement sur le climat relationnel. Mais ce n’est pas une fin en soi : c’est pour améliorer le vivre ensemble qui permet de travailler ensemble. De plus, pour la qualité du climat, améliorer les relations sans toucher aux autres aspects du système est un leurre : prendre en compte la qualité des relations sans toucher aux évaluations ou au règlement, par exemple, ne sert à rien.

 

Vous  prônez une école bien-traitante.  Quelle forme peut prendre cette bientraitance ?

 

Avant la bientraitance,  il y a d’abord le respect de la loi, dans le règlement intérieur par exemple et les conditions de son élaboration, dans le comportement au quotidien des adultes et des élèves : il est intolérable qu’un prof puisse insulter  ou se moquer d’un élève ou une classe en toute impunité, et que les adultes acceptent que les élèves aient entre eux des propos racistes ou sexistes.

 

Je vais donner des exemples de ce que je mets sous le terme de bien traitance : le matériel scolaire est adapté et confortable ; le nombre des  toilettes est proportionnel au nombre d’élèves,  nettoyées aussi souvent que celles des profs ; profs et élèves ont à leur disposition des locaux agréables pour se détendre et se reposer ; les élèves évaluent la pédagogie des enseignants, comme les profs évaluent les performances des élèves ; les profs enseignent aux élèves comment réguler leurs affects et adapter leurs comportements; chaque élève est considéré comme un être éminemment respectable et aimable, indépendamment de ses résultats ; chaque élève reçoit le plus possible en classe toute l’aide dont il a besoin dans ses apprentissages ; les parents ne sont pas considérés comme gênants ou accessoires ; le travail en coopération est systématiquement valorisé pour les profs et les élèves ; les cursus, la répartition des classes, les emplois du temps sont organisés pour les élèves, pas pour la commodité des adultes ou pour faire perdurer le système…

 

L’école ne génère-t-elle pas des aberrations  institutionnelles qui acculent certains élèves à la violence ?

 

Bien sur ! Les phénomènes de violence n’arrivent pas par hasard; le fonctionnement  du système global et le fonctionnement des établissements peut engendrer en réaction des comportements agressifs. C’est assez sain de se révolter contre ce qui est en train de vous faire du mal ! La sélection par l’échec, la relégation dans certaines filières, l’incompétence pédagogique ou relationnelle de certains profs, c’est d’abord ça la violence. Mais en plus de ces comportements de révolte qu’on repère par des passages à l’acte, il y a tous les comportements de passivité, de soumission, d’indifférence, de refus de faire fonctionner son intelligence de peur de se tromper, ces attitudes générées par l’ennui ou la peur. C’est une autre manière de réagir au même environnement. Un enfant qui rentre au CP est heureux d’aller à l’école et a de l’appétit pour découvrir le monde. Et 10 ans plus tard ? Qu’est-ce que nous avons fait de lui ?

 

Comment réagir face à ceux qui pensent  que le climat scolaire est une retombée du climat social et que l’école reste impuissante quoi qu’elle fasse ?

 

Il faut leur dire que c’est faux, qu’il n’y a pas de corrélation directe et absolue ni de déterminisme. Cette réflexion relève de la paresse intellectuelle, ou d’une certaine complaisance à l’inaction et à l’inertie : « Puisque je suis persuadé(e) que l’école est impuissante et que ça ne peut pas changer, il est très important que je ne bouge pas le petit doigt pour améliorer les choses ! ». Que ceux qui pensent que c’est impossible d’améliorer les choses laissent tranquilles ceux qui sont en train de le faire ! 

 

Comment analysez-vous  le droit de retrait  ou le déclenchement d’une grève qu’utilisent parfois des enseignants lors de faits violents dans leur établissement ?

 

Le droit de retrait existe, les personnels doivent être en sécurité, c’est normal. Cependant,  les cas de violence grave sont rares même s’ils sont très médiatisés. Lorsqu’il y a des actes de violence dans un établissement, il faut se demander ce qui a fait qu’on en est arrivé là et ce qu’il faut faire en amont pour enseigner aux élèves à réguler leurs comportements. Je développe tout cela dans mon livre. Et on ne se demande jamais si les élèves peuvent exercer un droit de retrait face à certaines formes de violence, infligées par d’autres élèves, par des adultes de l’établissement, par le fonctionnement de l’établissement ! Je pense que les élèves sont aussi victimes de violence.

 

Propos recueillis par Gilbert Longhi

 

Le climat scolaire : pour une école bientraitante  Marie-Odile Le Masson, préface d'Yves Montoya Chronique sociale, Lyon. Collection Pédagogie formation, (mai 2014).

 

Dossier : Le bien être à l'Ecole

Les entretiens de G Longhi

 

Note :

1  Marie-Odile Le Masson Responsable des publications de l'ARES www.ares.asso.fr

65, rue Voltaire - 93100 Montreuil  01.49.88.87.10  ou  02.98.78.59.38

 

Par fjarraud , le mercredi 04 juin 2014.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 06/06/2014 à 21:22
    Je suis d'accord avec la position de Franck et de Delafontorse.
    En étant trop permissive, l'école n'est pas bienveillante. 
    En suggérant que les enseignants sont malveillants qu'on fait avancer l'école.
    Il s'agit d'un recueil de recettes, certaines justes, d'autres inadaptées.
  • Franck059, le 05/06/2014 à 07:26
    L'école n'est pas bienveillante, elle est mieux que cela : elle est devenue extrèmement permissive. 

    Elle permet à des élèves ne travaillant pas de passer de classe en classe de la maternelle jusqu'en 2de (soit plus de 10 ans !) et de perturber les cours.

    Elle sanctionne de moins en moins pour des incivilités de plus en plus graves.

    Elle donne donc un très mauvais exemple à la jeunesse qui grandit dans une zone de non droit, jeunesse qui pour s'épanouir aurait au contraire besoin d'être particulièrement cadrée.

    In fine, quand le pot aux roses est découvert, il est trop tard et c'est cela qui est d'une violence extrême : je finis par découvrir que je ne peux pas faire ce que je veux dans la société, je finis par découvrir qu'il faut travailler pour s'y faire une place mais jamais l'école ne m'a permis de faire miens ces codes-là.

    J'en sortirai donc sans maîtriser les bases de la lecture et du calcul, j'en sortirai donc sans diplôme. Finalement doublement exclu : de l'école et de la société.

    Parmi les nombreux choix de révolte dont je disposerai, il ya aura, par exemple, celui d'aller voter FN.

    Cette foutue bienveillance (traduisez permissivité qui devient insupportable) se révèle en fin de compte d'une violence inouïe tellement elle cache la réalité d'une société qui est, elle, très loin d'être bienveillante.
  • Delafontorse, le 04/06/2014 à 21:34
    Grâce, ou plutôt, à cause des poncifs débités par les gens comme cette dame, ce qui est très médiatisé, c'est l'idée que l'école est malveillante.
    Les professeurs ne la remercient pas.
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