Rapport parlementaire sur la réforme de l’Etat (RGPP) : « on atteint des limites »… 

Par Marcel Brun


Peut-on évaluer la fameuse "Révision générale des politiques publiques (RGPP)" ? Les représentants de la Nation le doivent. Le rapport des députés F. Cornut-Gentille (UMP, Marne) et Christian Eckert (PS, Meurthe-et-Moselle), réalisé pour les Comités d’Evaluation et de Contrôle des politiques publiques de l'Assemblée, est une véritable bombe à fragmentation. Il nous fait entrer dans le détail des choix et surtout des motivations gouvernementales. Et comme ils prennent en exemple l'Education nationale, ils font pénétrer le lecteur derrière le paravent et donnent à voir la finalité de politiques souvent présentées sous des jours plus flatteurs. Ils réalisent un exercice qui honore la représentation nationale : évaluer sans concession une politique publique sans céder uniquement à la logique partisane. Attention, saignant.


Un bilan sans concession, véritable exercice démocratique


Quel est l’objet de leur enquête ? La désormais célèbre RGPP (révision générale des politiques publiques) qui guide depuis 2007 l’action publique avec l’ambition de mieux pouvoir répondre à des questions essentielles : quels objectifs pour les politiques publiques ? Quels services garantis ? Quelles attentes du public ? Faut-il continuer à faire à l’identique ? Qui doit le faire ? Qui doit payer ? Quels scénarii de transformation pour faire moins cher et plus efficace ? Après tout, qui pourrait contester le principe de vouloir ne pas en rester à la reconduction de l’existant, surtout lorsque les politiques publiques ne parviennent pas tout à fait à faire ce qu’elles promettent ?


« Le lancement de la RGPP a été marqué par une commande hiérarchique ignorant agents publics et usagers du service public » (…) « La communication officielle sur la RGPP est caractérisée par une forme d’hagiographie peu crédible, une simplisme de la présentation et une ergonomie de lecture déficiente ». On verra pp.85-86 une critique acerbe de l’évaluation par feu vert et feu rouge dont le Café s’étonnait déjà en 2010.


L’exemple de l’Education Nationale : Un projet piloté par le haut, sans mobilisation des agents


« A tort ou à raison, (la RGPP) est  pour un grand nombre d’agents publics et toutes les organisations syndicales un « repoussoir » ou l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire ». Les recommandations du rapport invitent donc à revenir à une concertation impliquant les usagers et les agents publics, permettant d’impliquer les personnels par un « pilotage en mode projet ». « La réforme de l’Etat est assimilée  à une simple recherche d’économie ». C'est qu'un document gouvernemental a fixé dès 2007 les objectifs : "Cette cible s’élèverait sur les cinq exercices 2008 à 2012 à une baisse des effectifs d’environ 90 000 ETP, dont 79 400 pour les enseignants et 10 000 à 12 500 dans les services administratifs du ministère". Le document détaille p. 37 les mesures à prendre pour l'atteindre. Page 39 on voit comment les cabinets d'audit envisagent de faire face à la hausse démographique tout  en diminuant  le  nombre d'enseignants : mutualisation inter écoles au primaire par exemple, appel aux contractuels, remise en question de l'offre en lycée, etc.


De fait, l’emblématique règle du « un sur deux supprimé » est synthétisée dans un tableau (p.27) qui rappelle le volume des coupes en 5 ans : 117 440 suppressions d’emploi, dont 54 540 dans l’Education Nationale. Dans le même texte, signé E. Woerth affirmait que « loin d’être des annonces sans lendemain, les décisions de la RGPP font l’objet d’une évaluation permanente de leur application effective ». Ce qui, déplore le rapport, est loin d’avoir été tenu.


Les préconisations des cabinets d’audit partiellement suivies ?


Pour quelles raisons la mise en place de la RGPP a-t-elle été entourée de tant de secrets, jusqu’à aujourd’hui ? se demande le rapport. Sans doute parce que les objectifs explicités figurant dans les documents de l’époque justifient les critiques syndicales les plus radicales (pp.37-40). Les cabinets d’audit aboutissaient à la recommandation de 100 000 suppressions d’emploi ! C’est sans doute la raison pour laquelle le ministère de l’Education nationale a été « discret » sur les préconisations de ces cabinets secrets…


Les  111 millions d’euros consacrés aux missions d’évaluation par des cabinets privés (p.63) sont considérés comme une dépense jugée « positive » pour faire avancer les procédures administratives. Cependant, dans l’Education Nationale, les rectorats estiment avoir été tenus à l’écart, même si la mise en œuvre du « dialogue de gestion » entre le MEN et les académies, en 2010, a fait surgir les « leviers pour les gisements d’efficience » destinés à rendre les recteurs responsables des suppressions de postes… « L’augmentation de la taille des classes constitue un levier in fine difficilement contournable » (p.74). Côté organisation administrative, le regroupement académique de certaines missions auparavant gérées dans les départements (par exemple la gestion des personnels du premier degré) permet d’encaisser les suppressions de postes.


Mais ailleurs, le rapport nous apprend que les préconisations n'ont pas toujours été suivies. Ainsi pour la réforme du lycée. "La réforme du lycée d’enseignement général et technologique (LEGT), qui devrait entrer en vigueur à la rentrée de l’année scolaire 2008-2009, constituait la pierre angulaire de la stratégie d’économies du ministère. Elle était conçue pour conduire à terme à une économie de 20 000 ETPT. Cette réforme fut abandonnée et il y fut substitué une réforme du LEGT sans économies en termes d’ETPT. Dans ce contexte, il a été décidé que la détermination des voies et moyens à mobiliser pour mettre en oeuvre la « règle du un sur deux » dans le ministère de l’Éducation nationale s’appuierait sur un dialogue de gestion déconcentré" (p 72).


Des changements dans le travail


Un chapitre complet du rapport est consacré aux rapports qu’entretiennent les agents publics avec la RGPP et ses conséquences. Censée « valoriser le travail des fonctionnaires », il semble que les dispositions prévues par la loi en matière de mobilité ou de traitement indemnitaire n’aient pas bouleversé les services. La « rémunération au mérite » prévue notamment par la mise en place de la PFR pour les administratifs (prime de fonction et de résultat, p.101,  variable de 0 à 6, prévue y compris pour les chefs de service) a selon le rapport suscité « malaise » et « rejet » du fait que les personnels (et leurs représentants dans les commissions paritaires) n’ont souvent pas été suffisamment informés. Conséquence, la RGPP est « trop souvent ramenée au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux » par les agents (voir sondage p.108). 80% d’entre eux, interrogés en 2011, considèrent que les réformes détériorent leurs conditions de travail autant que le service rendu aux usagers…


Des gains financiers à pondérer ?


Les « mots d’ordre » de la grande majorité des mesures de la RGPP (optimiser, rationaliser, mutualiser, fusionner, moderniser) semblent difficiles à mettre en œuvre. «Peut-on continuer longtemps à faire mieux avec moins ? » demande avec euphémisme le rapport à l’écoute des rectorats qui considèrent que la limite est atteinte et que les marges d’autonomie affichées sont plus que restreintes (p.151). Il note également que les mesures en direction des personnels, que le ministre de l’Education estime publiquement à la moitié des sommes gagnées par la RGPP, sont bien moins importantes dans l’Education Nationale qu’au ministère du Budget ou dans les services du Premier Ministre, où elles sont largement dispensées (p.249). Par contre, l’inflation des heures supplémentaires pour faire face aux suppressions de postes rend les rapporteurs très dubitatifs sur les moyens réellement dégagés par les mesures RGPP : un emploi à temps complet coûte moins cher que son équivalent en HS…


Un nouveau trésor enterré ?


Dans son mot de conclusion de la présentation du rapport, le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a regretté que « pendant plusieurs décennies, nous avons publié des montagnes de rapports, qui n’ont pas débouché sur grand-chose. Que de temps perdu, pour les élus comme pour les fonctionnaires qui travaillent – remarquablement – avec nous ! Ces rapports sont des trésors, mais les suites qui leur sont données ne sont guère satisfaisantes. Nous devons lutter contre cette inflation. On ne peut pas, pour faire plaisir aux auteurs ou à leur formation politique, ouvrir quantité de chantiers qui ne serviront à rien. Le CEC doit veiller à la suite que les pouvoirs publics donnent à ses travaux, sans limite de temps, par-delà même les changements de législature. » Si seulement…


Citons Eric Woerth, ministre du budget et de la fonction publique en 2007: « la réforme de l’Etat ne peut s’accomplir que si les fonctionnaires trouvent dans le processus de changement une nouvelle source de fierté professionnelle et de motivation »… Il semble qu’on n’y soit pas encore tout à fait…


Marcel Brun

 

Liens :

Le rapport Cornut-Gentille - Eckert

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Docume[...]

Les feux tricolores dans le Café

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseign[...]

La droite réinvente le Gosplan

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/201[...]

Les projets du ministère dévoilés par la RGPP

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/07[...]

Avec moins peut-on encore faire bien ?

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2[...]


Par fjarraud , le jeudi 08 décembre 2011.

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