Vocabulaire des didactiques : Un gain d'intelligibilité pour l'enseignement 

Par Jeanne-Claire Fumet


Sait-on bien de quoi on parle lorsqu'on évoque les notions de transposition, de dysfonctionnement, de dévolution, voire d'apprentissage ou d'évaluation dans le domaine des didactiques ? Comment ne pas confondre cette discipline avec la pédagogie ou la psychologie de l'éducation ? Relève-t-elle de l'épistémologie de l'enseignement ou des méthodes de développement de son efficacité ? Faut-il d'ailleurs parler de « la » didactique ou « des » didactiques, est-ce une catégorie ou une constellation de disciplines ? A toutes ces questions, le Dictionnaire  des concepts fondamentaux des didactiques d'Yves Reuter apporte des réponses éclairantes, en trois moments :   approche notionnelle, éclairages, problèmes et débats, qui mettent à jour leurs soubassements et leurs enjeux.  


Avec la nouvelle édition de ce Dictionnaire, Yves Reuter et son équipe apportent un précieux instrument de compréhension de cette discipline récente et pas toujours très bien connue. On sait à quel point, dans le domaine des sciences humaines, le manque de définition des termes engendre de disputes vaines et de blocages dogmatiques. Le débat ne peut s'engager que si l'on élabore les notions en cause sous forme de concepts  définis, établis au regard de leur domaine d'application et ouverts sur un champ de problèmes spécifique. En ce qui concerne les didactiques, elles doivent d'abord distinguer leurs objets et leurs intérêts propres de ceux de la pédagogie, mais aussi de la psychologie, de la philosophie ou de la théorie épistémologique.


Quelle différence entre didactiques et pédagogie ? La pédagogie s'interroge sur les manières d'apprendre, tandis que les didactiques étudient la « triade contenu d'enseignement – apprenant – enseignant dans leurs interactions », rappelle l'article « Système didactique ». Partant, là où la pédagogie se réalise en pratiques d'enseignement, en prescriptions et en recommandations, les didactiques étudient les phénomènes produits par les corrélations des pôles de la triade, dans un souci de compréhension plutôt que d'intervention. Pour autant, souligne l'article « Didactiques », les positions ne sont pas univoques : l'approche didactique doit-elle s'en tenir à une phénoménologie analytique et descriptive, ou au contraire s'appliquer à résoudre les problèmes concrets, par exemple en éclairant les concepteurs des réformes scolaires, ou enfin poser des hypothèses de travail à titre indicatif pour de possibles inflexions des pratiques des enseignants ?


La complexité des perspectives s'accroit par  la pluralité des objets : la « didactique comparée » s'efforce d'établir des relations entre les didactiques spécialisées, déterminées par les différents contenus d'enseignement étudiés, c'est-à-dire les différentes matières scolaires. Mais comment développer cette approche comparatiste sans verser dans une « didactique générale » qui perdrait de vue sa caractéristique principale, d'être attachée à un contenu d'enseignement précis ? Entre cloisonnement des spécialités et dissolution dans la généralité, s'impose pourtant l'exigence de rechercher de possibles invariants qui structureraient de l'intérieur une discipline encore en construction.


Une épistémologie des contenus d'enseignement, alors ? On pourrait ramener les didactiques à l'analyse critique de la transformation des savoirs en objets d'enseignement, ce dont rend compte la notion de « transposition » : dissocier les savoirs du contexte évolutif de leur émergence pour les figer en données « enseignables » est une condition nécessaire à leur transmission ; n'est-ce pas au prix d'une dénaturation qui les faussent et que les didactiques auraient fonction de mesurer ? Mais elles deviendraient alors des instruments d'évaluation, chargées de discerner les bonnes ou mauvaises transpositions. Or il est sans doute plus fécond d'observer, dans une neutralité axiologique préservée, le processus de l'« erreur ou dysfonctionnement » par lequel se révèlent les obstacles impensés  (ceux que Bachelard qualifiaient  « d'obstacles épistémologiques ») à l’œuvre dans la situation d'apprentissage.


Dans ce domaine en pleine élaboration, riche des crises d'identité que lui imposent ses développements internes comme les rivalités externes avec les disciplines voisines, le rappel méthodique des notions fondamentales et des difficultés qu'elles soulèvent place le lecteur au cœur des questions d'actualité, mais avec une distance théorique qui lui permet d'en situer plus justement les enjeux. Cet ouvrage rappelle, par ailleurs, à quel point il serait insensé de vouloir réduire le domaine des enseignements à de simples pratiques empiriques ou à la stricte maîtrise disciplinaire des savoirs : un ouvrage vivement recommandée aux actuels réformateurs du système éducatif !



Jeanne-Claire Fumet


L'ouvrage d'Yves Reuter (dir.)

Yves Reuter (dir), Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, de Boeck, 2010.


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Par fjarraud , le jeudi 18 novembre 2010.

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