Expolangues : Le CECRL est-il un carcan ? 

Par Jeanne-Claire Fumet



A l'initiative des Editions Didier, des spécialistes des langues vivantes débattaient mercredi 4 février à Expolangues sur la place du culturel dans l'approche actionnelle.  Écho des inquiétudes légitimes des enseignants de langues vivantes, la discussion portait sur les conditions concrètes du changement de perspective exigé par le cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL). Ce cadre est-il un carcan ?



Maria Mendez Garcia, de l'Université de Jaen (Espagne), ouvre la séance en rappelant le contexte : le cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) met en avant l'acquisition de compétences concrètes en vue de l'action. Cela ne signifie pas l'abandon des exigences linguistiques culturelles, mais l'ouverture vers d'autres modalités de savoir, permettant d'inter-agir avec autrui, et pas seulement de communiquer. La connaissance de la culture de l'autre, en effet, n'appartient pas au savoir antérieur et se trouve déformé par les stéréotypes. Or, prendre conscience des conditions d'un échange interculturel suppose aussi que l'on apprenne à passer du monde d'où l'on vient au monde auquel on s'adresse - perspective quasi inexistante dans l'approche traditionnelle.


Des langues pour l'action


Le CECRL demande à intégrer des habiletés interculturelles dont la méthode n'est pas inscrite dans le cadre mais à inventer, en particulier par les auteurs de manuels scolaires. Le modèle du locuteur natif, comme idéal à atteindre, n'est plus pertinent ; il faut inventer celui de l'inter-acteur conscient et habile, apte à la résolution de conflits comme à la négociation. A cette fin, le Conseil de l'Europe propose des outils comme le portfolio européen des langues, pour motiver et évaluer l'apprenant, ou l'autobiographie des rencontres entre interlocuteurs.


Il ne s'agit pas pour autant de se contenter d'une approche fonctionnelle, non plus que strictement linguistique, souligne cependant Wolf Halberstadt, IA-IPR d'allemand : le cadre n'est pas réductible à la double-page d'évaluation des compétences. Le champ sémantique des termes traduisant le mot « cadre » en différentes langues l'illustre d'ailleurs : la connotation réductrice qu'il peut avoir en français est trompeuse,  comme le sont les adaptations littérales des termes d'une langue vers une autre. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : non pas d'apprendre une langue, mais de se familiariser avec l'écart qui sépare les modes de pensée spécifiques des communautés linguistiques, qui sont aussi des ensembles culturels non superposables. Loin de vouloir doter les élèves de quelques formules usuelles, l'approche actionnelle veut les introduire à l'esprit de la culture et de la langue de l'interlocuteur.


Inventer de nouveaux outils


Mais la difficulté d'un apprentissage par tâches et compétences, ajoute José Inzaurralde, IA-IPR d'espagnol, vient de la perte de repères assez simples et habituels, tels l'évaluation par le degré d'acquisition de compétences grammaticales. Il faut inventer de nouveaux outils ; à quoi se consacrent les auteurs des manuels, car l'enseignant ne peut pas à lui seul inventer chaque jour son cours. L'acquisition de compétences interculturelles  a toujours fait partie de l'apprentissage des langues, elle en devient un maillon essentiel, à travers des enseignements contextualisés (sans être pour autant triviaux). La manière d'enseigner et celle d'évaluer les acquis doit en conséquence se renouveler profondément.


Nous avons questionné José Inzaurralde sur l'opportunité d'accompagner ce changement d'une diminution des effectifs des classes et d'un élargissement des horaires consacrés à l'enseignement des langues. « Il ne faut pas y compter, tout se fera à moyen constant, admet-il. Il va falloir inventer de nouvelles organisations : par exemple, des regroupements d'heures sur de courtes périodes, en échange avec d'autres matières ; l'obtention d'heures de concertation pour les équipes, en particulier pour mettre au point les méthodes d'évaluation spécifiques à l'enseignement secondaire. Les proviseurs ont un rôle à jouer : les équipes doivent négocier avec eux une organisation nouvelle de leur temps et de leurs méthodes de travail. C'est la seule manière de réussir cette transformation ; encore faut-il en être convaincu ».


Rude épreuve en perspective, donc, pour les enseignants et leurs chefs d'établissement.


Jeanne- Claire Fumet



Expolangues - 28ème édition du 3 au 6 février 2010 - Salon des Expositions Porte de Versailles Paris.

www.expolangues.fr


Sur le site du Café
Par fjarraud , le dimanche 07 février 2010.

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