Du contexte à la construction du sujet cognitif 

 

J.-P. Berniè, M. Rebière, M. Jaubert, V. Boiron,
université de Bordeaux II

Didacticiens du français, linguistes, les membres de cette équipe tentent d’interroger les concepts vygotskiens pour mettre en évidence des « situations intermédiaires » au cours desquels se feraient les passerelles entre concepts quotidiens et concepts scientifiques.

 

La notion de « contexte » intersubjectif ne fait pas partie du monde vygotskien. Pourtant, l’équipe bordelaise cherche à comprendre ce qui organise l’activité de l’élève : « ne cherchez pas à savoir ce qu’il y a dans la tête, cherchez à comprendre où est la tête » dit Michel Brossard. Pour eux, la co-construction du contexte par le maître et l’élève dépend étroitement du contexte, notamment de l’utilisation du langage. Devenir élève, c’est construire un ensemble de représentations relatives à l’univers scolaire : du maître, de l’élève, des tâches, de soi-même en tant qu’écolier.

 

 

Qu’est-ce que le « contexte » ? La fenêtre par laquelle l’enfant accède à la culture de son temps...

 

Le contexte est composé de l’ensemble des indices appartenant à l’univers social, retenus comme pertinents pour la construction de la représentation de la tâche. C’est la « posture ».

Le contexte a deux sens :

- un sens large (contexte culturel, institution scolaire)

- mais aussi une zone d’intention conjointe pour la co-construction du sens scolaire et du savoir

Le contexte est la fenêtre par laquelle l’enfant a accès à la culture de son temps... Nous avons donc une nouvelle manière de penser la situation scolaire.

 

L’élève développe une activité, liée à la construction des savoirs (objets), mais dans une action. Nous parlons de « communauté discursive communautaire scolaire », au sein de laquelle l’élève va faire des déplacements, des positions énonciatrices nouvelles, différentes de celles qu’il occupe dans la vie quotidienne. Nous avons donc regardé de près les pratiques langagières pour permettre la décontextualisation / recontextualisation.

 

Au delà des concepts « quotidiens », c’est l’accès au concept scientifique qui passe par la situation scolaire. Le sujet doit donc être plongé dans un contexte signifiant, passant par des pratiques sociales de référence.

 

 

Au départ, l’élève ne peut être conscient du savoir savant

 

Les activités disciplinaires à l’école sont en résonance avec le contexte socio-historique.

Au début de l’apprentissage, l’élève n’est absolument pas conscient du savoir savant, alors que le maître à organisé la situation de l’apprentissage pour permettre que se croisent l’expérience concrète et les concepts scientifiques, et rendre ainsi possible la « secondarisation » à travers un « processus de passage » qui permet la transformation du sujet apprenant. L’élève modifie alors son regard sur l’activité, sur l’objet et sur les acteurs de la communauté apprenante, adopte une nouvelle posture, rompt avec ses contextes quotidiens.

Nous avons donc repensé l’analyse des situations d’apprentissage, notamment en insistant sur le fait que tout énoncé d’élève est marqué socialement. Nous nous sommes intéressés aux « langages intermédiaires « entre oral et écrit, entre élèves, entre différents moments de la classe, entre différents état du savoir, qui nous conduit à l’idée de mettre en place en classe des situations intermédiaires, permettant de passer d’une situation à une autre.

 

 

Pour passer du quotidien au savant, que doit être un outil ?

 

L’opposition entre concept spontané et concept scientifique nous amène à regarder comment s’est forgé la conception scientifique au XIXe, à travers une « tresse » de pratiques. Mais les savoirs scolaires ne sont pas exactement les savoirs scientifiques, il faut les articuler avec des outils qui modifient l’activité de l’élève, facilitent les échanges langagiers...

Notre conception de l’outil n’est pas partagée par tous les didacticiens du français :

- nous nous reconnaissons dans les « genres discursifs » comme outils psychologiques, tels que présentés par Bernard Schneuwly : le sujet doit pouvoir adapter un genre à un contexte précis, mais également pouvoir identifier une situation langagière.

- en revanche, nous appuyant sur notre expérience (par exemples dans un cours de biologie), nous avons croisé les conceptions ci-dessus avec l’articulation des concepts quotidiens et scientifiques. Le développement du « concept quotidien » doit atteindre un certain niveau pour permettre à l’enfant d’assimiler le « concept scientifique ». Vygotski écrit aussi que « les concepts scientifiques germent vers le bas, par l’intermédiaires des concepts quotidiens, ceux-ci germent vers le haut par l’intermédiaire des concepts scientifiques ».

 Cette confrontation nous semble passer par des « situations intermédiaires », où l’activité langagière des élèves est balisée par le maître (qui indique le champ scientifique) et permet aux élèves un objectivation de leur propre langage, un passage vers la « secondarisation ».

 

 

Questions pour conclure

 

- peut-on aller vers la construction d’une théorie des « situations d’apprentissage » ?

La transposition didactique ne peut pas uniquement partir du haut vers le bas (du concept à l’élève), mais aussi aller dans l’autre sens (de ce que l’élève sait à ce qu’il devrait pouvoir construire du contexte)

- « La didactique a des problèmes pour passer de l’acquisition de savoir au développement à long terme ». Le développement n’est pas la conséquence mécanique de l’apprentissage. Dans l’état actuel des choses, les didacticiens ont du mal à entrer dans la « chronogénèse » du développement...

 

 

 

 

Discussion avec Yves Reuter (équipe Théodile, Lille)

« On ne peut pas parler comme si toutes les situations d’enseignement étaient équivalentes... »

 

 

La didactique est une discipline à part entière, et il est légitime qu’elle ne réponde pas aux questions posées par la psychologie ou la sociologie. Donc, je n’ai pas de réponse à la question du développement. Par contre, je souhaiterais que les didacticiens, s’intéressant aux apprentissages disciplinaires, creusent la question de ce qu’est un « progrès », une « réussite ». Nous devons mieux savoir ce qu’est une discipline : le langage, est-ce le français ?

Quel est l’empan pour analyser l’activité enseignante ? Nous n’avons pas tous la même conception, d’autant plus qu’il y a plusieurs modes de travail enseignant. Il existe plusieurs définition de la « séquence », qui s’adaptent plus ou moins à tel ou tel modèle de travail enseignant. Parler « d’unité d’enseignement / apprentissage » me paraît bizarre : comment l’unité pourrait être la même pour l’enseignement et l’apprentissage ?

Je trouve à la fois stimulantes les réflexions vygotskienne sur l’outil... mais du coup, qu’est-ce qui n’est pas un outil ? S’il y a bien quelque chose que nous apprenons de la sociologie, c’est que ce qui constitue une aide pour les uns et un obstacle pour les autres... Je veux poser la question de la différentiation sociale : j’ai l’impression qu’on est constamment dans le « générique » !

 

De quel enseignement parle-t-on ? Il n’est pas le même partout !

De quelle école parle-t-on ? Les travaux de Guy Vincent sur la forme scolaire doivent nous interroger : la forme scolaire amène des formes de rapport sociaux qui ne sont pas neutres...

De quel sujet parle-t-on ? L’École construit des différenciation sociales, construit des différenciations scolaires. Les vygostikiens ne doivent pas être angéliques là-dessus, et masquer l’échec produit par l’École.

 

Chez Vygotski, la culture est donnée, pas problématique. Mais quelle conception de la culture avons-nous ? Que sont ces situations « intermédiaires » ? La « culture scolaire » n’est pas réductible ni au « quotidien spontané » ni du « scientifique ». La compréhension de cette spécificité est indispensable pour le didacticien. Pour peu qu’on la pose correctement, on peut alors comprendre pourquoi il y a « passage » ou « blocage » d’un état vers un autre...

 

 

Sommaire du dossier

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Par COFFEEASSO\ppicard3 , le mardi 01 mai 2007.

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