Claude Lelièvre : L'école publique peut-elle échapper à son passé catholique ? 

Par François Jarraud



L'histoire de France a été marquée par la lutte des Républicains pour sortir l'Ecole de l'emprise catholique. Mais ils ont construit une école conçue sur le même modèle et des enseignants formant une sorte de congrégation laïque, nous explique Claude Lelièvre. Où en est ce modèle aujourd'hui ?


A quel point l'école française été marquée par le conflit originel avec l'école catholique ?


La concurrence engendre d'une certaine manière une certaine similarité. On ne mesure pas à quel point les fondements même de l'école publique en France ont été pris en relation avec l'école catholique. Elle a servi de référence aux fondements de l'école publique.


Ca s'est marqué comment ?


D'abord par la formation par Napoléon de ce qu'on appelle l'université qui est le mode de gouvernement centralisé de l'école. Ce qui est remarquable c'est que la centralisation de l'école a eu des modalités particulières par rapport à la centralisation générale. Napoléon avait installé des préfets dans les départements. or pour l'école il a créé des recteurs et des académies de façon à ce que , avec la justice, l'école soit une institution, certes organisée de façon centralisée, mais à part. Il a voulu que ce soit un corps. C'est pourquoi en France, les chefs d'établissement, les recteurs sont obligatoirement pris parmi les enseignants. Il y a un corps. L'université veut dire corporation. C'est pas sacré mais c'est une administration extraordinaire qui doit avoir un esprit de corps. Ce qui est remarquable c'est ce que dit Napoléon : "il y aurait un corps enseignant, si tous les proviseurs, censeurs et professeurs de l'Empire avaient un ou plusieurs chefs comme les jésuites avaient un général et des provinciaux. Le corps enseignant étant un, l'esprit qui l'animerait serait nécessairement un". Nous avons donc une administration extraordinaire faite selon le modèle des jésuites avec au dire de Napoléon , au lieu du pape et de l'Eglise comme colonne vertébrale, l'Empire et l'Empereur. Nous sommes toujours dans cet esprit . Je pourrais dire une congrégation laique.


Emile Durkheim dit que le modèle scolaire en France c'est "le projet de conversion", il dit que le modèle de l'école est un modèle où il s'agit de "se convertir, et on non de se divertir". A quoi ? Pour l 'école impériale, à l'empereur. Pour l'école républicaine laïque à la république une et indivisible. Il parle de conversion. On a affaire à un monde régulier et non sécularisé.


Si on cherche des exemples on peut prendre Jules Ferry pour qui ce qui est sacralisé c'est la nation. Il pense que l'enseignant ne doit pas être seulement un maitre d'école, magister, ni même un instituteur, celui qui contribue à instituer la république, mais un éducateur (ce qui est renversant pour les fameux "républicains" qui n'ont pas beaucoup lu l'histoire..). Ainsi dans son discours au congrès pédagogique des directeurs et inspecteurs du primaire en mai 1886, il dit : "Est-ce que l'on pourrait dire que pour être éducateur il faut porter éternellement une certaine robe et qu'il n'existe pas d'éducateur laïque". Cette robe fait allusion aux congréganistes. Pour lui l'instituteur est un congréganiste laïc avec une nouvelle religion : la religion de la patrie. Avant le lire, écrire, compter il y avait avant Jules Ferry la morale et la religion. Avec Jules Ferry, l'éducation civique prend la place. Pendant très longtemps, dans l'école catholique, il y avait Dieu au centre de cette école. et la République et la nation au centre de l'école publique. Un enseignant de l'école catholique devait avant tout faire des catholiques. Un enseignant de l'école publique devait faire avant tout des républicains et des nationaux. Si l'élève est au centre du système éducatif c'est que dieu et la république n'y sont plus...


L'école publique s'est beaucoup inspirée du modèle régulier congréganiste. Paul Bert, libre penseur, initiateur des écoles normales dit, comme ministre de l'instruction publique : "il faut une pensée unique, une foi commune pour un peuple, sans quoi il ne serait qu'une agrégation d'hommes juxtaposés. C'est ce que fera l'instruction publique". Tous ceux qui croient que l'école publique est branchée directement sur les Lumières oublient cela. Condorcet l'était mais Ferry et Paul Bert ne le sont pas.


On parle donc de vocation, de "bonnes soeurs laiques". Au départ le célibat était recommandé pour les professeurs hommes par Napoléon. Dans les modes de formation on passait par l'école normales avec internat, une formation proche du fonctionnement des congrégations. Ainsi une ancienne sévrienne (école normale supérieure de Sèvres) dit : "C'était un couvent laïque. Oui c'est bien la vieille tradition ecclésiastique qui pèse encore sur nous. Elle voulait que l'éducation des enfants soit confiée à des hommes et des femmes vivant a coté du siècle". Félix Pécaut voyait les écoles normales comme une occasion pour une nouvelle naissance grâce à la clôture. "Appliquez-vous à vous reformer", disait-il "à vous refaire". Ainsi on est toujours dans l'idée d'un corps forme dans une école normale close, hors du monde.


L'école s est aussi inspirée des méthodes de la Contre réforme. Par exemple dan les livres d'histoire on a repris les techniques de la contre reforme ; les exempla, les images, la forme catéchistique. Dans les pays protestants on ne fait pas d'explication de texte, nous si, car on suit le modèle catholique qui veut qu'il y ait un intercesseur qui dise ce qu'il faut comprendre. Ainsi bon nombre de "républicains" patentés sont de culture pédagogique catholique !


Aujourd'hui il y a des brèches ?


Il y en a. Tout cela a fonctionné jusqu'aux années 1960. Maintenant il y un effritement car même du coté catholique il n'est plus si sur que dieu soit au centre . Symétriquement la République et la nation ne sont pas non plus au centre de l'école publique. Cela facilite d'ailleurs les passages d'une école à l'autre. Les deux écoles se sont rapprochées par une certaine sécularisation Il y a actuellement beaucoup de mouvement entre elles : 45% des familles empruntent au moins partiellement les deux écoles. Dans les écoles catholique il y a deux tiers de zappeurs. On peut penser que c'est parce qu'il y a quelques différences entre les deux écoles En même temps ces passages sont le signe qu'elles ne sont plus d'une nature différente. La concurrence en général joue sur les marges...


Quand même on voit aujourd'hui revenir des écoles catholiques hors contrat très virulentes...


Mais elles sont très minoritaires. Il y a des tensions chez les catholiques sur la mission des écoles sous contrat avec des protestation des évêques qui trouvent qu'elles ne mettent pas assez la fabrication de catholiques au centre de l'école. C'est cela qui explique le succès de ces écoles hors contrat.


Mais les deux écoles se rapprochent des deux cotés. Coté catholique, le contrat impose de suivre le programme et les examens du public. Si elles respectent la loi Debré, les classes doivent faire un enseignement laïc commun à celui du public. Les établissements ont un caractère propre pas les classes. Egalement, pour avoir des interlocuteurs avec l'organisation de l'école publique, les écoles catholiques se sont organisées au niveau départemental dans une structuration moins congréganiste qu'avant. Enfin il y a l'effondrement de la place réelle des congrégations dans le personnel enseignant et d'encadrement.


Et du côté de l'école publique ?


Les écoles normales ont disparu. Jules Ferry avait soutenu Paul Bert dans le projet d'écoles normales de filles avec internat. P Bert disait en faisant référence aux écoles qui existaient jusque là : " avec les écoles anciennes vous pouvez faire d'honorables individualités enseignantes, seules les écoles normales peuvent former un corps enseignant". Avec les iufm et les masters vous pouvez former d'honorables individualités enseignantes mais pas un corps ! Pas une congrégation laïque. Les normaliens ont suivi les congréganistes dans l'effondrement. Mais le cadre même de la loi Debré peut généraliser une gestion privée de l'école publique et aboutir à un rapprochement dans l'autre sens. C'est ce à quoi on assiste plus ou moins. Le privé peut se dire en avance par rapport aux modalités de gestion préconisées aujourd'hui.


Pourrait-on voir se dessiner un modèle d'école qui échappe à ces deux écoles ?


Ce serait le privé lucratif. Le modèle catholique a intérêt a ce qu'il y ait du privé mais pas du privé non catholique. L'ennemi des deux systèmes c'est le privé commercial. Or il faut bien dire que les épines dorsales des deux écoles se sont affaiblies avec la disparition des esprits de corps. On peut imaginer qu'il y ait davantage de tensions envers ces écoles, que l'idée que l'école coûte cher pour des résultats médiocres et qu'après coup chacun devrait pouvoir dépenser un budget école à sa guise. C'est l'idée du "bon éducation". Il n'y a plus d'idéologie forte qui s'y oppose. Ni Dieu, ni la Nation ne sont encore au centre des écoles. Dieu ne mobilise plus. La nation aussi. D'ailleurs on n'administre plus on gère l'éducation. Ce nouveau vocabulaire révèle une perte de transcendance.


Vous pensez que les TICE peuvent accélérer cette évolution ?


Oui s'il y a une plus grande individualisation. Si on met en première place dans l'école l'épanouissement individuel, si on a un point de vue purement technique sur l'école opnpeut aller dans ce sens.


Claude Lelièvre



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Par fjarraud , le jeudi 01 septembre 2011.

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