Entretien avec Marie Duru-Bellat, professeur à Sciences Po, chercheur à l’Observatoire sociologique du changement 

Par François Jarraud


 

En France, l'école se heurte à un taux d'échec scolaire stable (environ 17%) qui semble irréductible. Est-ce une conséquence nécessaire de la conjonction entre notre système social et notre système scolaire ?

La notion de nécessité n'a aucun sens ici. Les comparaisons internationales montrent que des pays comparables au nôtre, dont les systèmes sociaux sont similaires, s'en sortent mieux. Ce que nous soulignons dans notre livre, c'est que des solutions existent, mais elles débordent le cadre scolaire. Il ne faut pas tout miser sur l'école. Dans une société plus égale, où les familles auraient des conditions de vie plus égales, un niveau d'instruction plus égal, il y aurait moins d'échecs scolaires.

D'autre part, ce qui se passe après l'école pour les jeunes en échec scolaire pourrait être très important : la solution de la seconde chance n'est pas tellement prise en compte, en France.

 

Par opposition au modèle allemand, par exemple ?

La notion de « modèle » n'est pas adéquate : elle laisse croire qu'on peut emprunter quelque chose qui a l'air de marcher ailleurs, et l'intégrer tel quel pour résoudre les problèmes. Une société n'est pas un meccano, tous les éléments s'imbriquent : si on en retire un, il n'est pas sûr que le reste tienne.

Vous parlez d'un « paradoxe écologique ». Qu'est-ce que cela signifie ?

L'école a sur les individus une influence qui ne se retrouve pas dans l'ensemble de la société. Prenons un exemple : plus on est instruit, plus on vote. Mais en moyenne, ce ne sont pas dans les pays où on est le plus instruit qu'on vote le plus. A l'échelle d'un pays, l'impact de l'école est généralement plus faible qu'on ne le croit.

 

Est-ce pour cela qu'il semble si difficile d'obtenir des réformes les effets attendus ?

Contrairement à ce qu'on imagine, les questions d'éducation ne sont pas consensuelles. Tant que l'école sert aux gens à se placer sur un marché concurrentiel, il y a des tensions et des enjeux de rapports sociaux. La lutte des classes existe aussi dans le domaine éducatif. Il ne faut pas attendre du bon vouloir des élites une amélioration significative de la situation scolaire.

Mais les acteurs influents, les politiques, les dirigeants d'entreprise, sont issus des élites...

Mais d'autres acteurs existent ! Les syndicats, par exemple, peuvent défendre un système de formation continue de qualité ; ils peuvent aussi se battre (comme en Suède) pour limiter l'importance des diplômes sur le marché du travail, qui est en France un lourd facteur d'inégalité sociale.

 

En somme, il faudrait une mobilisation de la société civile face à l’État ? Mais cela ne soulève-t-il pas un problème de mentalités ? La défiance envers les formations alternatives reste grande.

Les mentalités évoluent avec les réalités : la formation professionnelle à l'université ne semblait pas envisageable en France, il y a vingt ans. Si les emplois d'ouvriers étaient mieux payés, les familles hésiteraient moins à envoyer leurs enfants dans les filières professionnelles. Les gens sont raisonnables, ils s'adaptent aux réalités.

 

Comment définiriez-vous le rôle fondamental de l'école ?

C'est une question de balancier entre deux pôles : celui de l'éducation et de l'instruction. Actuellement, on investit beaucoup trop la fonction de formation professionnelle et de sélection des jeunes à l'école, au détriment du pôle éducatif qui est pourtant très important. Quand des jeunes gens de 16 ans se battent à mort dans la rue, comment ne pas penser que quelque chose ne s'est pas bien passé à l'école ? Les jeunes gens de notre pays ont besoin qu'on soit capable de leur parler, qu'on ait des valeurs communes, que leur comportement trouve à s'insérer dans un fonctionnement qui ne soit pas trop brutal. L'école a beaucoup à faire dans cette direction là.

Entretien : Jeanne-Claire Fumet

 

François Dubet, Marie Duru-Bellat, Antoine Vérétout, Les sociétés et leur école, Editions du Seuil, 2010 - 211 pages, 21 €

 

Sur le Café :

Qu'est-ce qu'une école juste ?

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Par fjarraud , le jeudi 01 septembre 2011.

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