Marie Duru-Bellat : Il ne faut pas tout miser sur l'école 

A force de nourrir la mythologie d'une école rédemptrice de tous les maux de la société, estiment François Dubet, Marie Duru- Bellat et Antoine Vérétout dans l'ouvrage qu'ils consacrent aux rapports entre Les sociétés et leur école, on en oublie son rôle éducatif. On attend tout de l'école et on lui en veut d'échouer là où elle ne peut pas grand-chose. Les auteurs proposent un ensemble d'analyses comparatives chiffrées qui montrent la complexité des relations entre un ensemble de systèmes sociaux comparables et leur système scolaire. Leur conclusion : il est temps de chercher ailleurs qu'à l'école les moyens de former une société plus juste.

 

Les indicateurs clés : intégration et cohésion.

Quel angle d’observation adopter pour y voir plus clair dans les relations complexes entre école et société ? Les auteurs proposent de s'attacher à deux ftypes de variables, l'une plus objective et mesurable, l'autre plus subjective, intégration et cohésion. Ces deux critères recouvrent en effet à la fois le champ d'une certaine représentation de la société comme système organisé et harmonieux, et de l'école comme vivier de citoyens efficaces et solidaires.

Dans la société, le degré d'intégration correspond à la mesure des inégalités (revenus, traitement des minorités) et au dynamisme du marché du travail (poids du chômage). La cohésion correspond au capital social, à l'intensité du maillage relationnel et à la confiance envers les institutions, les autres et soi-même.

A l'école, l'intégration prend la forme d'une capacité à scolariser longuement et avec profit les élèves (niveau commun de connaissance élevé et faible écart dans la répartition des diplômes) et la cohésion, celle de l'aptitude du style éducatif à engendrer le sentiment d'appartenance et de confiance en l'institution, les autres et soi-même.

 

Une absence de symétrie entre système social et système scolaire.

Les résultats de l'étude révèlent une remarquable absence de symétrie : on attendrait qu'une école juste produise une société juste, égalitaire et solidaire, et qu'une société inégalitaire et peu cohésive abrite une école désertée par les valeurs de l'égalité et de la confiance. Or il n'en est rien : à part quelques pays scandinaves, qui font rêver les théoriciens, la divergence serait plutôt la règle.

Mais la disparité elle-même est riche d'enseignements : qu'une école égalitaire puisse s'inscrire dans une société qui l'est peu (États-Unis) ou une école inégalitaire dans une société qui en définitive l'est davantage (Allemagne) montre à la fois l'indépendance relative de l'école à l'égard de la société et la plasticité des relations d'adaptation entre les systèmes.

 

Le paradoxe écologique.

Première leçon de ces apparentes irrégularités, le paradoxe d'une hétérogénéité des effets selon les niveaux d'observation. Les effets positifs de l'école à l'échelle individuelle ne se retrouvent pas forcément dans une perspective d'ensemble. Ainsi, une école égalitaire dans ses principes et dont les diplômes sont bien reconnus sur le marché du travail, qui correspond donc à ce que chacun peut en attendre individuellement, conduit à une compétition inter-individuelle exacerbée, au profit des élèves les mieux armés, issus des milieux les plus favorisés.

Si certains peuvent s'estimer bien instruits, éduqués et formés par l'école, pour d'autres le principe démocratique du mérite républicain se retourne en son contraire : un processus d'échec et d'humiliation, sous couvert d'une égalité initiale des chances.

 

Dissiper le mythe de l'égalité des chances.

Il serait contradictoire d'exiger de l'école à la fois une haute efficacité en termes d'intégration sociale et un degré élevé d'éducation humaniste dans des proportions massives, sans admettre en corollaire de ce modèle de réussite une forte proportion de « perdants », de plus en plus pénalisés par l'élévation du niveau de la compétition.

L'école ne peut tout simplement pas accomplir l'égalisation forcée qu'on attend d'elle. Il faut chercher ailleurs les rouages d'une répartition efficace des chances, qui se jouerait tout au long de la vie et pas dans le seul temps de la scolarité. L'école n'est pas vouée à une mission de salut, mais elle a un rôle éducatif à jouer dont nos sociétés ont aujourd'hui le plus urgent besoin.

 

Jeanne-Claire Fumet

 

François Dubet, Marie Duru-Bellat, Antoine Vérétout, Les sociétés et leur école, Editions du Seuil, 2010 - 211 pages, 21 €


 

 



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Par fjarraud , le jeudi 01 septembre 2011.

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