La lutte contre le harcèlement, une nouvelle priorité ? 

Par François Jarraud


« Si déjà nous sortons d’ici avec un consensus politique sur le chantier à ouvrir, à long terme, pour que l’Ecole prenne en charge ce phénomène et que les politiques aident les acteurs de l’Education à pouvoir le faire, alors nous aurons franchi une étape déterminante », martèle E. Debarbieux en ouverture des Assises nationales sur le harcèlement à l'Ecole, le 2 mai 2011. Durant deux jours, hauts fonctionnaires du ministère et inspecteurs sont invités à écouter et à travailler avec les experts réunis par Eric Debarbieux.


Il faut reconnaître à la détermination du chercheur un grand mérite : celui d’avoir retourné à son profit une situation mal engagée, il y a un peu plus d’un an : non, parler de « sécurité », de « violence », de « harcèlement » dans le contexte scolaire, ce n’est pas adopter une posture sécuritaire, mais parler de pédagogie. Au risque de faire s’étrangler quelques uns de ses détracteurs, il tient son cap d’ex-pair, engagé lui-même dans la classe lorsqu’il était enseignant avec les élèves de milieu difficile. C’est d’abord par leurs compétences professionnelles et leur travail collectif que les acteurs de la communauté éducative peuvent faire reculer l’inadmissible, pourvu que les politiques les aident avec détermination, et sans en faire un objet de clivage démagogique. Le feront-ils ? Luc Chatel a promis une grande campagne d’opinion sur la question. Et pour la formation des enseignants.... il va en parler à sa collègue de l’enseignement supérieur…



« Refuser l’idée d’assises contre le harcèlement ? »


Eric Debarbieux refuse l’idée selon laquelle il n’y aurait pas d’études scientifiques autour de cette question. Il recense 28 études longitudinales, souvent anglo-saxonnes ou venant d’Europe du Nord, consacrées à cette question depuis quarante ans, permettant des suivis de cohortes et « des bases scientifiques » sur le harcèlement à l’école. « Ce n’est pas une bataille d’experts, mais un combat humain » précise-t-il en souhaitant « porter la parole des victimes », et refuser le déni. Il réclame un consensus politique, au-delà de l’urgence du temps médiatique. « Le harcèlement, terme pas forcément satisfaisant, c’est la loi du plus fort, l’abus de pouvoir agressif et continu d’un groupe ou d’un individu, l’intimidation, l’agression physique ou les rafales de messages sur Facebook sur une victime isolée, porteuse de défauts supposés ou de différences, de la maternelle au collège, créant un état d’insécurité permanent sur la victime, devenant littéralement le « souffre-douleur » condamné à la fuite perpétuelle ».


Pointer ces « petits faits », est-ce criminaliser des faits ordinaires ? Ce n’est pas parce que deux enfants se battent qu’il faut les ficher : « prévention précoce ne signifie pas fichage précoce ». Mais c’est d’abord au nom de la justice sociale qu’il faut s’opposer au harcèlement, comme on le fait désormais pour le harcèlement au travail ou les violences faites aux femmes. Ses chiffres sont têtus : sur 12 000 élèves tirés au sort par la DEPP, un sur dix se déclare victime d’un harcèlement au moins passager.


Ferait-on mieux de s’attaquer aux difficultés dans la transmission des connaissances, comme le déplorent ceux qu’il appelle les anti-pédagogues ? « Ce n’est pas secondaire, cela touche au cœur même de la mission de l’école. Le refus de la maltraitance à l’école amène généralement une hausse des résultats scolaires ». Le problème n’est pas nouveau ? « S’il est vrai que le harcèlement est aussi vieux que l’Ecole, la rage existait avantPasteur… Rien n’indique qu’il ait eu tort de chercher à l’éradiquer… »


Quels facteurs explicatifs ?


La personnalité ? Sans doute, même s’il n’y a pas plus de chromosome du harcèlement que de chromosome du crime. On sait que les enfants maltraités deviennent plus souvent maltraitants. Facteurs socioéconomiques, sans doute aussi, « mais dans notre enquête, ils sont peu explicatifs ». Cela ne signifie pas qu’il faille ne pas lutter contre les inégalités, mais « il n’est pas besoin d’attendre les lendemains d’élections pour agir ». L’importance de l’effectif de l’établissement, la cohésion des équipes éducatives, le lien avec le « climat scolaire » de l’établissement lui semblent au contraire très importants. « La solitude, tu éviteras » vaut aussi bien pour les victimes que pour les accompagnants.


Quels principes d’action ?


D’abord, lutter contre la solitude des victimes. Mais aussi refuser « la conformité du comportementalisme » : les agresseurs ont le droit de changer de comportement, on peut les sortir de « l’enfermement de l’agression », les libérer de ces réflexes acquis. Mais surtout, ne pas attendre que le temps passe, jusqu’à ce que les problèmes deviennent chroniques : « la prévention précoce est six fois moins couteuse que toute mesure ultérieure ». C’est pourquoi« il faut vouloir la formation des personnels », parce que « lutter contre toutes les discriminations, c’est lutter pour l’égalité »…


Quelles propositions ?


Eric Debarbieux présente aux participants les propositions de son rapport. Il faut d’abord connaître et reconnaître le harcèlement, par plusieurs pistes : construire une campagne d’opinion bien construite, avec des messages positifs ; recenser et créer des outils et en leur donnant un label de qualité, « pour éviter les solutions-miracles de charlatans » ; responsabiliser les médias et fournisseurs d’accès internet. « En Pologne, une campagne coordonnée de ce type pendant cinq ans a été évaluée très positivement ».


Il faut miser sur la formation professionnelledes personnels relais : infirmières et médecins, RASED, psychologues, IEN, référents académiques, mais aussi des enseignants. « La masterisation nous bloque si elle ne s’accompagne pas de formation professionnelle ». E. Debarbieux demande une formation à la « dynamique des groupes », pour que les enseignants puissent apprendre à travailler en équipe, développer l’empathie envers les élèves et les adultes… Il réclame une « conférence nationale sur la formation initiale des enseignants », parce que « l’anti-pédagogisme est une cause importante du développement du harcèlement ». Il enfonce le clou : « Il ne s’agit pas d’évacuer les contenus au profit de la « pédagogie molle », mais de trouver un équilibre efficace ».Et donc mobiliser les équipes, les associations de parents, non pas pour « punir », mais pour « répondre », par une justice qui fasse prendre conscience à l’agresseur de l’importance de ces actes. « Le bizutage ordinaire n’est-il pas un phénomène pour lequel les adultes sont encore dans le déni, et rendent les victimes responsables des « mauvaises blagues » qu’on leur fait ? »


Sa conclusion est engagée : « J’espère que ces assises seront utiles , permettront d’inscrire un processus dans la durée, ne pas sombrer dans les « guerres civiles de la démocratie » que sont devenues les élections. Pouvons-nous être collectivement responsables et ne pas toujours tout remettre à l’ouvrage ? En avons-nous le droit ? »


Marcel Rufo


Marcel Rufo reprend le témoin : « l’intérêt de votre rapport se situe d’abord à l’âge du primaire, moment le plus efficace pour intervenir. La récréation n’est-elle pas le lieu premier de la vigilance des adultes ? » Mais il invite à se méfier des catégories innéistes : être relégué dans la catégorie des « vulnérables » signifie-t-il que certains soient invulnérables ?


Pour lui, le pathologique éclaire le normal : la phobie scolaire qui se développe est la forme ultime du décrochage. D’où vient cette « peur de l’école » ? Peut-être une crainte de l’idée de mort, réactivée à l’adolescence, qui inhibe l’adolescent. Pour un sur trois, cette phobie se nourrit de harcèlement, qui amène à considérer l’école comme hostile lorsqu’aucune main n’a été tendue au bon moment. « La confiance en soi n’est pas non plus chromosomique, mais se construit au long cours par le regard des autres… Lorsqu’on est attaqué dans l’enfance, cela va devenir un cancer métastatique dans la construction de l’estime de soi ».


Luc Chatel


Place au ministre qui ne fait pas dans la demi-mesure : « notre école a rendez-vous avec l’histoire. Et si l’école redevenait le lieu d’humanité qu’elle n’aurait jamais du cesser d’être, lieu obligatoire où on transmet un savoir et des valeurs. Comment n’a-t-on pas pu appréhender les violences répétées dont sont victimes les élèves, assurer la sécurité des élèves face à cette pression du harcèlement ? Nous avons fait le lit d’une violence insondable parce que nous n’avons pas voulu la sonder. C’est parce que le harcèlement avance masqué que nous devons le combattre sans merci. Mon engagement est total » devant cet « enjeu de civilisation »


Au « chœur des grincheux et des soupçonneux » qui voient dans la démarche un « processus compassionnel », il veut opposer les chiffres et dégager quatre axes d’action, dont certains directement puisés dans les propositions d’E. Debarbieux : il veut connaître et faire connaître, par la pérennisation des enquêtes de victimisation dans le premier et dans le second degré, l’intégration du harcèlement dans SIVIS et la publication d’un guide à destination des équipes éducatives. « Le harcèlement s’installe partout où les adultes abandonnent les enfants à eux-mêmes et à cet état primaire ».


Il veut répondre aux critiques en expliquant que « l’enjeu ne relève pas de la question des postes » et des conséquences des suppressions liées au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. « C’est le devoir de tous les acteurs de la communauté éducative de travailler ensemble pour faire front, pas uniquement des surveillants ». C’est pourquoi il veut lancer une grande campagne d’information sur cette question à la rentrée prochaine. Pas sûr que ça réponde aux inquiétudes…


Et la formation ? Il parle d’abord de celle des élèves, en appelant de ses voeux une « éducation civique vivante et concrète », inscrite dans le sixième pilier du socle commun,« pour mettre à distance l’ignorance de l’autre ». Le film « Kenny » lui semble un moyen précieux pour libérer la parole et amener la réflexion dans les classes. « Mais pour lutter contre la violence il faut former nos personnels ». C’est pourquoi Luc Chatel… « attirera l’attention de sa collègue Valérie Pécresse sur les conclusions du rapport »… Au risque de renforcer chez ses auditeurs l'idée que la formation des enseignants n’est pas l’affaire du ministre de l’Education…


Quatrième piste d’action, le traitement des cas de harcèlement avérés, avec un guide de procédure destiné aux chefs d’établissement, et un numéro d’appel unique pour permettre aux parents de témoigner. « Je n’accepterai plus que les équipes bottent en touche, comme si le harcèlement ne relevait pas de la compétence des équipes » conclut-il…


Kevin Jennings : « les préjugés de genre et de sexe, avant même les discriminations raciales ou sociales


Invité à témoigner à la tribune, Kevin Jennings est un des pionniers contre les préjugés homophobes aux Etats-Unis, dont le travail opiniâtre a amené à ce que ce type de discrimination devienne un délit dans certains états américains. Aujourd’hui vice-ministre d’Obama, il cite un chiffre effarant : 72% d’enfants américains témoignent d’expérience directe ou indirecte de harcèlement, avec un pic au collège, entre 11 et 13 ans. Lorsqu’on détaille les motifs et les circonstances, c’est d’abord les sobriquets, les moqueries sur l’aspect physique, l’orientation sexuelle ou l’expression de leur genre, largement avant ceux sur la race ou l’origine sociale…


« Que pouvons nous faire » ? D’abord, avoir le sentiment qu’on peut y faire quelque chose. Et comprendre qu’en tant qu’adulte travaillant dans un établissement, on ne sait pas tout, on ne voit pas tout ce qui se passe. Il faut donc croire les jeunes qui osent parler, repérer les changements de comportements d’élèves, qui peuvent être des indices. Dans « l’agenda de Washington » mise en œuvre par les Démocrates, il a été décidé de modifier les critères de « l’école sûre » : y prend désormais place « une ambiance positive pour favoriser les apprentissages, vérifiée par des enquêtes auprès des élèves, des familles et des enseignants ». Une politique spécifique du département de l’Education est menée, à partir de l’impulsion d’Obama, qui a récemment reçu la mère de Carl Joseph Walker Hoover, jeune adolescent qui s’est pendu plutôt que de retourner à l’Ecole : « le harcèlement n’est pas un rite de passage, il peut avoir des conséquences négatives, nous pouvons tous agir pour cela pour permettre à chacun de prendre la place qui lui revient ».



Le cerveau est prêt. Et les jambes ?


Lors de la seconde journée des Assises nationales sur le harcèlement, le 3 mai, de nouveaux experts ont intéressé les participants. Eric Debarbieux estime "qu'un espoir est né". Mais Luc Chatel n'annonce aucune mesure importante de formation initiale ou continue. Seul l'accord avec Facebook qui permettra de fermer un compte sur signalement de l'éducation nationale semble faire avancer les choses sur le terrain du cyberbullying.


Le harcèlement vu par une psychologue. Pour Nicole Catheline, psychologue clinicienne ,il faut effectivement s'occuper de la question du harcèlement. Car, si le harcèlement a toujours existé, la société a changé par rapport aux sociétés traditionnelles où chacun devait apprendre la place où il se trouvait. Et le harcèlement laisse des traces durables , on le verra. Enfin les TIC font apparaître de nouvelles formes de harcèlement. Sur le mécanisme du harcèlement, N Catheline évoque la "sidération" de la victime qui ne comprend pas où veut en venir le harceleur. Du coup cela renforce son sentiment de vulnérabilité et cela justifie l'attaque aux yeux du harceleur. Mais ce sont les spectateurs qui jouent le rôle le plus important. Eux aussi sont fascinés par la violence. Il sont indispensables pour l'agresseur.


Les conséquences du harcèlement sont lourdes pour la victime et le harceleur. Tous deux risquent la dépression à court terme. A moyen terme peut s'y ajouter l'usage de drogues. A long terme, phobie scolaire, délinquance et surtout répétition sur ses enfants.Les enfants de harceleurs deviennent souvent harceleurs. La victime à court terme s'isole. Elle peut développer des troubles anxieux. A moyen terme on a des cas de phobie scolaire et de dépression. A long terme on observe la limitation des études.


Que faire ? Pour N Catheline il faut développer un "humanisme de coopération" dans els établissements, travailler sur le groupe d'élèves et l'établissement par exemple en utilisant des jeux de rôle qui permettent de développer l'empathie.


Comment lutte-t-on ailleurs ? Professeur à Los Angeles, Ron Astor est un des plus célèbresexperts mondiaux sur la violence scolaire. D'un exposé très dense et très riche on peut ressortir une philosophie et des outils. L'idée principale c'est que les problèmes de harcèlement doivent être traités au niveau de l'école ou de la ville. Ce ne sont pas des problèmes individuels. D'ailleurs une des meilleures armes est de travailler démocratiquement avec les communautés. Cette intégration dans la communauté protège l'école. Ron Astor a montré de puissants outils développés en Israël et aux Etats-Unis comme ces cartographies des risques. Pour le chef d'établissement faire établir une carte des zones perçues comme dangereuses c'est déjà commencer à lutter efficacement contre la violence. Globalement chaque établissement devrait faire son diagnostic sur la violence dans l'établissement et ses abords.


Peut-on lutter contre le harcèlement avec des outils virtuels ? Thomas Jäger (université deLandau, Allemagne) et Andy Hickson (université d'Actionwork, Angleterre) ont d'abord montré l'importance des outils virtuels. Certains réseaux sociaux accueillent des groupes de 100 000, voire 500 000, qui s'intéressent à ce sujet. Youtube abrite plus de 7 000 vidéos sur le sujet. PLus de 2 millions de blogs traitent de ce sujet. Maisles deux universitaires étaient là surtout pour présenter leur projet decampus virtuel anti-violence. Ouvert sur Second Life, il propose des formations d'adultes. Ils travaillent maintenant, toujours sur fonds européens, à un village virtuel destiné aux élèves.


Les ateliers. Dans la suite des propos tenus le 2 mai, les ateliers ont évoqué des dispositifs et des situations pédagogiques. Ainsi les représentants de l'institution, qui travaillaient dans ces ateliers, ont insisté sur la nécessité de responsabiliser tous les acteurs de l'établissement à ces questions, de veiller au climat scolaire et evidemment de former les enseignants en formation initiale et continue. Pour la formation initiale ils envisagent des modules dès L1jusqu'à M2 et des stages en m2. La lutte contre le cyberharcèlement passe par la formation des adultes aux outils utilisés par les jeuens (Facebook et les mobiles). La réponse doit être aussi technique et d'ailleurs Facebook est prêt à collaborer avec le ministère.


Debarbieux : Nous avons construit le consensus. Il revenait aux deux acteurs principauxdes Assises à les clôturer. Pour Eric Debarbieux, "on a avancé, on a construit quelque chose d'extraordinaire : le consensus". Il est revenu sur le fait qu'on reconnaissait enfin le problème."Reconnaître c'est casser la solitude des victimes, c'est changer leparadigme : depuis 20 ans on aborde la violence que sous l'angle de la délinquance. Ici on la voit sous celui de la santé publique". Consensus aussi sur les mesuresenquête de victimation, non-stigmatisation des agresseurs... L'éducation nationale a su se remettre en cause". "On a clamé la nécessité de la formation", ajoute E Debarbieux. "IL va falloir la clamer encore", ajoute-il en faisant allusion à la décision ministérielle de transmettre le dossier à V. Pécresse. Il relève aussi l'évolution du discours sur l'absentéisme passé d'une faute de parents menacés par des sanction financières à l'état de signal du harcèlement. "Un espoir s'est levé", termine E Debarbieux.Avant d'ajouter : "Même si les combats à venir vont être rudes"...


Les demi-mesures de Luc Chatel. "Nous sommesen ordre de marche" annonce Luc Chateldans son discours de clôture. "Le plus difficile et le plus stimulant est devant nous : faire de notre aspiration collective une réalité". Pourtant le mesures décidées par Luc Chatel ne sont pas inaccessibles. Le ministre annonce la prochaine publication d'un guide rédigé par N Catheline.Il ne sera pas imprimé mais diffusé électroniquement. Des formations académiques auront lieu sur le sujet et un représentant de chaque association de parents pourra y participer. La CNIL et e-enfance pourront fournir des outils pour aider les jeunes à utiliser positivement les réseaux sociaux. Les deux principales mesures sont finalement un accord avec Facebook qui clôturera le compte de tout jeune signalé par l'éducation nationale comme harceleur. Enfin l'ouverture d'un site de signalement accessible aux élèves à la rentrée.


Liens :

Les assises sur le site du ministère

http://www.education.gouv.fr/cid55689/assises-nationales[...]

Le discours de Luc Chatel

http://www.education.gouv.fr/cid55937/allocution-a-l-oc[...]

Le dossier de presse

http://www.education.gouv.fr/cid55934/assises-nationales-[...]

Le campus virtuel de Jager et Hickson

http://www.antiviolencecampus.org/



"Un sentiment d'amertume". Le point de vue de Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen Cfdt


Pour Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen Cfdt, les Assises nationales sur le harcèlement à l'Ecole laissent un goût d'amertume. Que de bonnes idées avancées ! Quel manque de moyens pour les faire aboutir...


Au terme de cesdeux journées, dressez-vous un bilan positif ?


Assurément un bilan positif de ce qui s'y est dit. On voit tout l'intérêt de réunir des praticiens, de travailler sur la réalité de ce qui est vécu dans les écoles, sur des solutions dont on sait qu'elles marchent. Ca c'est tout à fait intéressant. Après c'est la faiblesse de la réponse politique qui nous rend amers.


On attendait le ministre sur la formation. Le rendez-vous est-il vraiment pris ?


On a une contradiction profonde. A cause de la question des moyens. C'est un peu pathétique d'entendre à longueur de rencontres l'accent mis sur la formation professionnelle des enseignants et puis de voir ce qui se met en place avec la masterisation. On peut pas entendre sans bouillir le ministre renvoyer à sa collègue de l'enseignement supérieur la responsabilité entière de la formation des enseignants. Le concours, sa place, ses contenus c'est la responsabilité de l'Etat employeur, de l'éducation nationale. Le ministre n' a pas le droit de se défausser de cette façon.


C'est une question de moyens, de philosophie, d'institution.


Il y a les deux premiers. Ce sont les moyens qui bloquent car dès qu'on commence à penser que cela va couter un peu le minsitre ne parle plus. Mais il y a aussi un blocage idéologique. Le fait de ne pas vouloir réouvrir le dossier de la place du concours ce n'est pas budgétaire. C'est la continuation de l'espèce d'accord a minima conclu entre Darcos et d'autres pour dire "on va privilégier la formation académique dans la formation des enseignants". Et cela Chatel ne le remet pas en cause malgré les discours. Cet aspect là du métier n'est qu'un aspect. Mais se focaliser dessus est un contre sens absolu.


N'est ce pas aussi un problème d'avoir transmis aux universités indépendantes la formation ?


Il y a l'opérateur universitaire indépendant. Mais le cahier des charges qui leur est soumis n'est pas cohérent. On arrive à une situation où on amène de fait les futurs collègues à entrer dans le métier sans formation professionnelle. On ne peut pas à la fois avoir des opérateurs à qui on laisse de l'autonomie si en même temps on ne met pas en place un cadrage. Dans ce cas c'est finalement le désintérêt du recruteur qu'on constate. Quand Chatel renvoie à Pécresse la responsabilité de la mise en oeuvre de la formation des futurs enseignants on a la traduction de cette contradiction. La formation des enseignants devrait être universitaire et professionnelle. On ne devrait pas balancer le dossier de la formation en disant "débrouillez vous".


Finalement ce qui se passe aux Assises c'est un effet d'annonce ou c'est un engagement du ministre ?


C'est difficile à dire. Je dirais que c'est une tentative du ministre pour sortir du débat centré sur les moyens. sur lequel il n'a pas de marge de manoeuvre. Ce qui est intéressant c'est le fait que, du fait peut-être qu'il vient d'un autre milieu professionnel, il met en place des conférences de consensus. Ca c'est intéressant. Sauf qu'au bout d'un moment on revient sur le politique et le budgétaire. Et là le piège se referme sur lui. Les conclusions sont évidentes comme celles des Etats généraux l'an dernier. Chatel a mis en place un processus qui fait apparaître des propositions consensuelles sur lesquelles il faut avancer.


Il y a quand même une différence avec les Etats généraux : ils s'étaient terminés avec Hortefeux et des mesures répressives annoncées par Sarkozy. N'y a -t-il pas un gain ?


Quand Debarbieux dit "on a dépassé" tel point idéologique, il a raison. Et c'est l'intéret de ce type de conférence. On n'est plus dans l'épisode sécuritaire a tout prix de cette époque. L'analyse politique des dernières élections y est peut-être pour quelque chose. Mais on n'est pas non plus dans une volonté de mise en oeuvre politique de ce qui ressort de cette conférence. Ce hiatus, les personnels qui sont en charge des élèves, le ressentent. Il sont pris entre les injonctions données par ce type de conférence et l'absence de moyens pour le faire. Entre les communautés qui avancent dans le constat et l'incapacité de mettre en oeuvre faute de moyens, il y a quelque chose de très douloureux et susceptible de faire éclater un sentiment de colère.


Propos recueillis par François Jarraud



Debarbieux : Profiter de la fenêtre ouverte par les Etats généraux


Les assises nationales sur le harcèlement à l’Écoles font suite à la remise du rapport Debarbieux et doivent déboucher sur des décisions ministérielles. A la veille de cet événement, Eric Debarbieux a répondu à nos questions sur le rapport et sur le chemin parcouru depuis les Etats généraux de la sécurité à l'école.


Vous avez publié il y a quelques jours votre rapport sur le harcèlement à l'Ecole, quels échos en avez-vous ?


Là où j'ai le plus de réactions c'est chez les parents de victimes. C'est cette mère qui m'écrit : "nous partageons le même espoir et les mêmes attentes que l'offensé et l'offenseur soient pris en charge. On est avec vous". Ca fait d'autant plus plaisir que le débat est faussé par la mauvaise interprétation donnée par Le Monde d'un autre rapport. Si on lit bien ce rapport on y voit que 86% des chefs d'établissement se disent respectés par les parents. 19 chefs d'établissement signalent avoir été brutalisés une seule fois, soit 1% des enquêtés, et c'est en général par des élèves. Les brutalités exercées par des parents ne concernent que 3 cas. Je veux bien dire que j'écris mal mais on me fait dire le contraire de qui est publié.


On a l'impression, à la lecture du rapport, que vous croyez davantage dans les impulsions indirectes (des campagnes d'opinion) que dans les changements internes pour faire avancer vos idées dans le système éducatif. Est-ce vrai ?


La campagne d'opinion qui est mentionnée dans le rapport n'est qu'une proposition. Le problème doit être pris dans sa globalité. On parle beaucoup de campagne d'opinion en direction des jeunes. Mais c'est aussi en interne qu'il faut aller. Par exemple il ne faudrait pas rejeter les outils développés par les associations. C'est ce souci qui m'a fait imaginer un "label qualité". La responsabilisation des médias c'est important mais c'est surtout l'enquête et l'écoute à l'intérieur des établissements scolaires qui sont nécessaires. Il faut que les directions et les chefs d'établissement soient formés à cette écoute. Particulièrement les personnes relais comme les Rased, les infirmières. Le plus important c'est un changement radical de la formation des enseignants et des pratiques enseignantes.


Justement peut-on changer le climat scolaire et les pratiques dans les établissements ? Si oui à quelles conditions ?


Le lien entre climat scolaire et victimation est avéré. Travailler sur la violence à l'école c'est s'adresser directement au vivre ensemble. C'est ce que montre par exemple l'expérience espagnole. Ca veut dire faire évoluer la vie d'équipe dans l'établissement. Or où existe-elle vraiment ? Comment l'établissement peut-il se penser comme une communauté juste ? Quelles actions mettre en oeuvre pour que la communauté vive ? On se rend compte que cela nécessite des actions à long terme.


En premier lieu il faut que la formation des enseignants comprenne ce que c'est que conduire un groupe. Aujourd'hui on a un consensus tout à fait nouveau pour dire qu'il faut une formation professionnelle des enseignants. Mais comment la mettre en place quand on a un master disciplinaire et un concours sans formation pédagogique ? Je propose un concours par module avec des expériences pédagogiques vécues dans et hors l'école. Et pour concrétiser je propose aussi une carte des ressources de formation, parce qu'il y a des tas de choses qui se font mais qui ne sont pas connues. Tout cela est en harmonie avec la rapport Jolion. Il est fondamental de remettre en cause le concours. Il faut que les universités intègrent cette formation professionnelle. CE qui nécessitera du courage pour les présidents d'université.


N'est ce pas aussi la pression élitiste et le tri permanent opéré par l'Ecole qui amène ce niveau de harcèlement . Que peut-on y faire ?


C'est une vision de l'enfant qui est derrière. Qu'est ce que l'éducation ? Est-ce simplement la transmission des connaissances ? Le problème du harcèlement peut faire réfléchir aussi bien les pédagogues que les antipédagogues. Car ses conséquences touchent tous les élèves , même les très bons. Le tri n'est pas que social, tous les types d'exclusion sont concernés. Un exemple : un élève très doué de 24 ans en école de commerce qui depuis trois ans est ostracisé par ses camarades avec la complicité d'un enseignant. Pour les autres élèves il est un concurrent à éliminer. C'est un exemple de pression élitiste contre un très bon élève. Cette pression marche dans les deux sens, aussi bien contre l'enfant différent ou avec des difficultés cognitives que contre l'enfant intellectuellement précoce. On a à faire avec la pression à la conformité du groupe et pas seulement à une sociologie élitiste.


Qu'attendez-vous du Haut Conseil de la Formation que vous préconisez dans votre rapport ?


Le vrai problème c'est la mise en place réelle de la formation professionnelle des enseignants. On doit prendre acte que cela se fera en université. Il faut donc faire évoluer les cursus avec un cahier des charges clair. Depuis un an , après les Etats généraux de la sécurité de l'Ecole, je travaille à la formation de formateurs et de jeunes enseignants. Mais j'ai l'impression que les choses avancent peu en ce qui concerne la formation initiale. Comme il y a un consensus sur cette question il faut que cela avance et cela ne concerne pas que l'éducation nationale mais aussi l'enseignement supérieur, avec cette difficulté que, depuis la loi LRU, les contenus des maquettes des formations est impulsé localement. Il faut donc une vraie prise de conscience des universités.


Quel bilan faites-vous des Etats généraux ?


Avant les Etats généraux on en était à l'idée qu'on allait mettre de la vidéosurveillance et fouiller les cartables pour lutter contre la violence scolaire. Il ya eu des avancées là dessus. La seconde séance consacrée à la microviolence répétée, où on parlera de prévention c'est aussi une avancée des représentations.


Il y eu aussi des mesures très concrètes comme la formation des référents académiques : 80 formateurs de formateurs qui ont fait plusieurs centaines de formations. Il leur faut du temps et il faut les appuyer. Il y a encore beaucoup à faire. Il faut aussi mentionner l'évolution des équipes mobiles de sécurité. On les voyait comme les gros bâtons qui allaient rétablir l'ordre. Or elles travaillent sur le climat scolaire, les relations humaines. Enfin en septembre il y aura la première enquête de victimation au collège.


On est à la veille d'une année très dure sur le plan politique avec la montée du populisme. L'impulsion qui est donnée sur la prévention est importante. On interroge le coeur même du fonctionnement des établissements scolaires. On a actuellement une fenêtre ouverte pour faire avancer ces idées. Elle peut se refermer très vite. Il faut en profiter pour parler de pédagogie.


Entretien : François Jarraud


Liens :

Le rapport Debarbieux

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/04/280[...]

Le rapport Unicef

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/03/30Un[...]

Debarbieux : Il est temps de déidéologiser le débat

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/01/1201[...]

Debarbieux : Il faut former les personnels

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/01/Debarb[...]

Sur les Etats généraux

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/201[...]


Sur le site du Café

Par fjarraud , le mardi 30 août 2011.

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