Après Périgueux : La fin du "pédagogisme" ? 

"On ne réalisera pas les points positifs de la Lettre aux éducateurs  de Nicolas Sarkozy avec les mesures annoncées à Périgueux par Nicolas Sarkozy". En mettant en parallèle les deux textes, Pierre Frackowiak, IEN, pose la question d'un nouveau virage de la politique éducative du pays. "Les quelques belles phrases de la lettre aux éducateurs n'étaient que des mots pour donner une apparence. Le discours de Périgueux est la vérité qui s'imposera dans l'indifférence, les silences assourdissants à gauche permettant toutes les audaces". Les nouveaux programmes du primaire, avec le retour de "l'instruction civique et morale" sont-ils un signal fort en ce sens ?


 Le prochain best-seller promu par les médias et la grande distribution du livre avec le soutien des cafés du commerce, des nostalgiques de l'antiquité, de tout ce qui fleure bon le conservatisme et la démagogie, annonce que "la récréation est finie". Prétendre que 30 années de tentatives de rénovation pédagogique auront été une récréation est à la fois méprisant pour les gouvernants successifs de droite et de gauche de 1969 à 2002 qui ont eu à des degrés divers, hors la parenthèse Chevènement, le courage de tenter de transformer une école qu agonisait et qui tardait à s'inscrire dans la modernité, méprisant pour les milliers d'enseignants qui ont se sont engagés à modifier plus ou moins leurs pratiques pédagogiques dans des conditions souvent difficiles, insultant pour tous ceux qui ont élaboré les programmes, notamment ceux de 2002 que tout le monde ou presque considérait comme une bonne synthèse équilibrée des différents points de vue sur les disciplines. Prétendre que la responsabilité des difficultés actuelles de l'école d'aujourd'hui, qui sont incontestables mais que l'on se garde bien de comparer avec celles de l'école des années 60, incombe à ces acteurs du système alors que l'on est incapable de démontrer la réalité de la mise en œuvre des réformes et d'analyser la force d'inertie et la résistance au changement d'un corps complexe comme le corps enseignant, alors que l'on ne sait hélas bien peu de choses, et même quasiment rien, sur les rapports entre les pratiques pédagogiques et les résultats des élèves, est à la fois une preuve d'ignorance des réalités de la vie des classes et des écoles et une nouvelle manifestation d'une volonté de destruction de l'école accusée précédemment, par le même auteur, d'être une fabrique de crétins. On pourrait toutefois se réjouir du fait que les élèves aient pu être plus heureux dans cette école-récréation qu'au pensionnat de Chavannes, si l'on n'avait pas le sentiment que plutôt que la fin de la récréation, la convergence du triomphe éditorial des ouvrages réactionnaires, la relance exacerbée des procès et des menaces contre les "pédagogistes" et les tendances lourdes affichées au plus haut niveau de l'Etat n'annonçaient pas la fin de l'école avec la fin de la prétendue récréation.


Après la catastrophique "ère de Robien" dont les conséquences ont été dramatiques sur la démobilisation des enseignants, sur la dégradation des rapports école/familles, sur l'échec scolaire relancé avec l'abandon de l'intelligence au profit de la mécanique, on pouvait légitimement espérer une ère nouvelle. On pouvait raisonnablement penser, sans succomber à l'angélisme et à la naïveté, que la nomination de Xavier Darcos ouvrirait quelques fenêtres sur un avenir meilleur. Sa compétence, son expérience d'enseignant, d'inspecteur général, de ministre et de maire, sa capacité d'écoute et la distance qu'il a su prendre, au moins publiquement, avec les mouvements et groupuscules ultra réactionnaires, les intégristes de l'anti pédagogie comme SLECC, GRIP, SOS Education et autres fanatiques d'un âge d'or de l'école qui n'a jamais existé, étaient des atouts. La lettre de Nicolas Sarkozy aux éducateurs du 4 septembre 2007, un évènement innovant dans les pratiques politiques de notre République, permettait plusieurs lectures comme ce fut souvent le cas dans l'histoire des déclarations officielles,  des circulaires et  des programmes: une lecture conservatrice de nature à ne pas effaroucher des électeurs attachés à un système éducatif ancien même quand ils en ont été des victimes et une lecture plus ouverte et plus positive fondée sur quelques phrases-clés.


Cette ouverture paraît aujourd'hui, après le discours de Périgueux, complètement abandonnée voire durement rejetée. A la lecture du décryptage du discours, on peut même se demander si les phrases de la lettre aux éducateurs ont réellement été pensées et appréhendées par leur auteur et par leur signataire.


Il est important d'en rappeler quelques unes:


Page 3: Aider l'intelligence, la sensibilité à s'épanouir, à trouver leur chemin, quoi de plus grand et de plus beau en effet?

 

Page 6 : Il serait vain pourtant de chercher à ressusciter un âge d'or de l'éducation, de la culture, du savoir qui n'a jamais existé. Chaque époque suscite des attentes qui lui sont propres.

 

Page 7: Nous ne referons pas l'école de la 3ème République, ni même la nôtre. Ce qui nous incombe, c'est de relever le défi de l'économie de la connaissance et de la révolution de l'information. Ce que nous devons faire, c'est poser les principes de l'éducation du 21ème siècle qui ne peuvent pas se satisfaire des principes d'hier et pas davantage de ceux d'avant-hier.

 

Page 11: Je souhaite que nous reconstruisions une éducation du respect, une école du respect...

 

Page 17: Par dessus les catégories traditionnelles de la connaissance, il faut maintenant tisser la trame d'un nouveau savoir, fruit de la combinaison, du mélange, de la fécondation réciproque des disciplines.

 

Page 20: Il faut amener l'enfant à s'interroger, à réfléchir, à prendre de la distance, à réagir, à douter et à découvrir par lui-même les vérités qui lui serviront durant toute sa vie.

 

Signé Nicolas Sarkozy

 

On pourrait allonger la liste, notamment avec des phrases où sont évoquées les valeurs.

 

On pourrait se demander si l'auteur de ces citations et l'auteur du discours de Périgueux sont une seule et même personne ou si l'un et l'autre ne sont pas des représentants de pensées contradictoires.

 

Incontestablement, très objectivement, on peut désormais affirmer que ces belles déclarations sont aux antipodes des annonces faites à Périgueux et des projets de programmes. Elles semblent avoir été balayées d'un revers de main à la joie hystérique des intervenants sur les sites et les blogs des réactionnaires qui n'hésitent plus à recommander que les "meirieu, frackowiak, charmeux, etc soient capturés et lâchés dans le désert", soient "virés de leurs fonctions", soient allègrement insultés par la fine fleur des blogueurs, soient "remis dans une classe", ce qui serait un moindre mal car nous sommes parfois à deux pas du four pour "pédagogistes" ou plus poétiquement pour "pédagogols". Cette propagande n'est pas très importante au regard de l'ensemble du fonctionnement de l'école,  mais elle est simplement significative d'un climat et d'une opposition violente à la démocratisation qualitative du système.


Où est la cohérence entre les annonces de Périgueux, les programmes et les affirmations péremptoires citées ci-dessus?


Sur le plan des disciplines scolaires elles-mêmes, Roland Goigoux, Rémi Brissiaud, Eveline Charmeux et d'autres experts reconnus ont publié des analyses précises, claires, fondées sur une réelle connaissance des disciplines et de leur didactique, de l'école, des élèves, de la pédagogie. Leurs argumentaires sont logiques, limpides, attestent d'une réelle activité dans les classes et une excellente connaissance des enseignants. Ajoutons simplement à leurs écrits que le passage de 27 h à 24 h était une belle occasion de repenser complètement les programmes, chacun sachant bien qu'il est impossible de faire en 24 h ce que l'on ne savait pas faire en 27 h. Si, conformément à une déviance bien connue, on en ajoute sans en enlever (exemple: une heure d'EPS de plus alors que, pour des raisons diverses notamment matérielles, l'horaire précédent n'était guère appliqué), on conforte la priorité à l'apparence. Si le ministre décrète, c'est que l'on fait. L'un des grands penseurs de SLECC et du "bonnet d'âne" affirme pourtant, sans doute au nom de la loyauté républicaine, qu'il a toujours refusé d'appliquer les textes de 1989 qui avaient pourtant été votés par un parlement démocratiquement élu, ce qui ne l'empêche pas d'exiger qu'au nom de la loyauté républicaine – est-ce la même? -  que les textes actuels ou très prochains soient imposés fermement dans toutes les classes.


Il faut lire attentivement les analyses citées, les diffuser, les commenter dans les réunions des organisations démocratiques.


Mais  le vrai problème, le plus important, le plus fondamental, que la gauche n'a pas résolu non plus, est celui du rapport entre l'école et la société, entre les programmes et les finalités, entre la pédagogie et les valeurs. La comparaison entre les citations de la lettre du président aux éducateurs et les déclarations de Périgueux illustre fortement l'évidence.  Reprenons quelques unes de ces idées:


  • " Aider l'intelligence à s'épanouir "... mais on privilégie la mécanique et les contenus au détriment des outils mentaux et la mémoire au détriment de l'imagination.
  • " Ne pas refaire l'école de nos ancêtres "... mais on se prépare à l'imposer.
  • " Relever le défi de la société de la connaissance "... oui, mais comment? En refaisant l'école de nos aieux? C'est que l'on prévoit.
  • " Savoir nouveau? Fécondation des disciplines? " Mais on retrouve les vieux démons de Bentolila: on apprendra la grammaire, la conjugaison, l'orthographe, le calcul, les tables et les règles, les mots et les dates et on ne saura pas parler ni écrire.
  • " Amener l'enfant à douter? " Mais on le plonge dans un monde de certitudes, de consignes, d'évaluations et de sanctions, de remédiations de compétences dont ne se préoccupe guère de la construction, de progressions rigides... Le retour à la machine école dont on a pourtant mesuré les dégâts...
  • " Les valeurs " que l'on retrouve à de nombreux détours de phrases... Mais comment les enseigner et les apprendre? Par des cours spécifiques? Par des professeurs de valeurs? Par des discours extérieurs à l'école? Par une transmission magique indéfinissable?

     

On sait parler des programmes et des disciplines, dans un sens progressiste ou dans un sens conservateur. On sait aménager ces disciplines, les compléter régulièrement, les expliciter, les placer sur un balancier... On sait en débattre à l'infini.


On ne sait pas comment construire la citoyenneté, l'exercice de la responsabilité, le libre arbitre.


On sait coloriser le passé.


On se sait pas construire l'avenir.


On sait retoucher les programmes tous les deux ans au gré des ministres et au gré des souhaits des savants de ces disciplines.


On ne sait pas s'inscire dans la durée alors qu'il faut plusieurs générations pour mettre en place un système éducatif cohérent et efficace. Il a fallu 50 ans pour que l'école de Jules Ferry fasse ses preuves et 80 ans pour qu'elle s'use. On n'a pas laissé 15 ans à la seule grande loi d'orientation susceptible de permettre la construction d'une école à la mesure des enjeux du 21ème siècle, la loi d'orientation de 1989, que l'on a détruite avec la complicité d'un bon  nombre d'amis de ses auteurs.


C'est une évidence. On ne réalisera pas les points positifs de la lettre aux éducateurs  de Nicolas Sarkozy avec les mesures annoncées à Périgueux par Nicolas Sarkozy. Les nouveaux programmes n'ont aucun rapport sérieux avec la notion de société de la connaissance et de la communication. Ils ne prennent absolument pas en compte l'idée d'éducation et de formation tout au long de la vie. Or, on sait que ces notions n'ont de sens que si elles sont préparées dès l'école maternelle et que si l'école est ouverte à la cité et au monde. Les projets de programmes sont autre chose: le retour au vieux tout en s'en défendant pour sauver les apparences, alors que l'on n'a pas pris le temps ni donné les moyens de construire du neuf. Il ne s'agit pas de moyens matériels, mais de moyens éducatifs et pédagogiques: réforme fondamentale des programmes intégrant " les savoirs nécessaires à l'éducation du futur " (cf Edgar Morin), reformation des formateurs, formation des enseignants, aide au travail d'équipe, pédagogie de la réforme, régulation concertée de la mise en oeuvre de la réforme, exploitation intelligente de tous les moyens de diffusion des savoirs... On est bien loin de ces rêves.


Pour reprendre un langage trivial désormais à la mode, notre système éducatif va dans le mur. Et le déni de la pédagogie vient à point nommé pour garantir cette issue. En se  protégeant derrière le bouclier de la liberté pédagogique qui permet d'éviter toute analyse des pratiques, toute réflexion sur le rapport entre les résultats des élèves et ces pratiques, en focalisant toujours sur la responsabilité des élèves et de leurs parents, en prônant le fétichisme des résultats sans connaître les pratiques qui les produisent, on s'interdit quasiment de progresser.


On aurait pu, si on l'avait voulu, transcender les obstacles liés au besoin de la durée au-delà des alternances politiciennes, à la contradiction entre un projet de société de gauche et un projet de droite - si l'on admet que cela peut encore avoir du sens -, en s'accordant sur une double perspective celle de la société de la connaissance et de la communication et celle de la formation tout au long de la vie, avec en ligne de mire la démocratisation qualitative du système.


A l'évidence, on ne l'a pas voulu. Les quelques belles phrases de la lettre aux éducateurs n'étaient que des mots pour donner une apparence. Le discours de Périgueux est la vérité qui s'imposera dans l'indifférence, les silences assourdissants à gauche permettant toutes les audaces


A voir le sourire de ceux qui prétendent que " la récréation est finie ", on peut craindre le pire.


A moins que dans les semaines qui viennent, il reste bien peu de temps, ceux qui, à gauche et à droite, aiment l'école, réussissent à se mobiliser. Chacun sait que, au lieu de persister dans l'exercice aléatoire et incertain de la conduite à l'envers, quelques marches arrière précises peuvent toujours permettre de se remettre en avant dans la bonne direction, celle de l'avenir.


Pierre FRACKOWIAK



Liens :

Sur le Café, sur le rapport Maternelle

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/MaternelleUnrapportmeprisant.aspx

Sur le rapport sur la grammaire

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/grammaire06_1.aspx

Sur le rapport du HCE

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/HCE_frack.aspx

Dernier article : sur les journées mathématiques de Maubeuge

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/ClairdelunemathMaubeuge.aspx


 

 

 

Par fgiroud , le mardi 04 mars 2008.

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