De la craie à l'ordinateur 

Vendredi 28 mars, le 1er Forum des enseignants innovants a accueilli Evelyne Hery. Maître de conférences à Renne II, E. Hery est l'auteur d'un ouvrage sur l'histoire des pratiques pédagogiques dans l'enseignement secondaire. A ce titre elle connaît bien la longue histoire des rapports entre l'enseignement et l'innovation…



Comment les pratiques pédagogiques se renouvellent-elles ?
Comment se fait-il que beaucoup d’enseignants soient innovants et que l’Education Nationale apparaisse comme inerte ?


La définition de l’innovation pédagogique sur laquelle il est possible de s’appuyer peut être : action visant à obtenir du changement dans les situations pédagogiques et les apprentissages avec comme intention de les faire évoluer. L’idée de progrès est attachée à celle d’innovation.


Au début du XXème siècle, la forme traditionnelle d’enseignement est le cours. La craie a été une innovation parce que les professeurs se sont levés, se sont déplacés, ont tourné le dos aux élèves alors que jusque-là ils se contentaient de parler.

Un second outil d’innovation a été le manuel scolaire pour fixer l’attention de l’élève alors que jusque-là les « auxiliaires » étaient bannis.

L’enseignement par l’aspect (les projections lumineuses, les affichages) a été considéré à son tour comme objet d’innovations.

De même pour l’introduction du disque dans l’enseignement des langues vivantes, pour la radiophonie, la télévision et l’outil informatique.


Avec l’innovation, on s’adapte à la société et au monde dans lequel on se trouve. Toutefois, un autre but à l’innovation est à considérer. En France, elle a été portée par un projet démocratique dont le principe était qu’il ne suffisait plus de moderniser mais de démocratiser l’enseignement, afin que tous les élèves réussissent et jouissent des meilleures conditions pour apprendre. L’innovation recouvre donc des enjeux idéologiques forts.


La plupart du temps, ces innovations se sont faites spontanément, par des professeurs souvent anonymes et n’ont pas fait l’objet d’un label, n’ont pas été reconnus comme tels par l’administration. Cela pose la question de la visibilité des innovations. Une grande partie d’entre elles a été perdue par cause d’absence de traces laissées. De plus, de nombreux professeurs se sentent isolés, ce qui donne l’impression de bricolages.

Les revues et les mouvements pédagogiques, bien que moins implantés dans le secondaire, sont souvent porteurs d’innovations.


Pourquoi se fait-il que l’Education Nationale renvoie une image forte d’immobilisme ?

Cette image est d’autant plus forte à l’extérieur de l’institution. A l’origine, c’est au sein d’écoles privées que les innovations sont apparues. L’instruction publique prenait ses exemples dans ces écoles-là.

Quel est le rôle de l’Etat et du ministère en la matière ? Il a entretenu des relations très complexes avec l’innovation pédagogique. Pour exister, elle a besoin de liberté, ce qui lui fait souvent défaut au sein de l’EN. Il y a toujours eu des personnes qui poussaient dans le sens de l’EN, rarement des inspecteurs généraux.

Souvent, ce sont les enseignants eux-mêmes qui ont fait obstacle à l’innovation, tout du moins pour le personnel du secondaire. Ils apparaissaient comme extrêmement individualistes. De plus, la pédagogie a toujours été peu appréciée parmi les professeurs en tant que corps. Pour eux, la « bonne » pédagogique est l’action du maître sur ses élèves. Tout ce qui est introduit fait figure d’intrus. Les pratiques pédagogiques engagent des représentations de soi, de son métier et de la discipline que l’on enseigne, ce qui ici a fait barrage à l’innovation.

Des disciplines ont une image plus innovante que d’autres ce qui est par exemple le cas pour les langues vivantes et les sciences qui, en tant que disciplines jeunes, ont besoin de se faire une place.

En 1995, 10 à 20 % des enseignants étaient reconnus comme innovants.


Une autre force barrant l’innovation sont les parents et parfois les élèves eux-mêmes.


Comment des innovations multiples et dispersées peuvent-elles donner lieu à une rénovation du système ? Comment passer du foisonnement à de la rénovation ?

Pendant longtemps, on a cru à la contagion. C’était bien optimiste, sans prendre en compte les blocages décrits précédemment. Les rares moments où l’innovation a percé est lorsqu’il y a eu synergie entre les professeurs et l’institution. Les professeurs ne peuvent pas innover longtemps si l’institution ne donne pas les moyens et autorise. A contrario, l’institution ne peut rien sans les professeurs, par exemple après 1902 avec un décret sur les méthodes actives. Lorsque l’institution récupère les innovations, elle les dénature par des instructions officielles qui ne correspondent plus aux contextes d’enseignement.

Enfin, pour que l’innovation réussisse et change d’échelle, la formation est un enjeu central.


Pourtant, les innovations ne se perdent pas complètement. Elles se glissent dans les formes plus ou moins traditionnelles. L’institution sait les absorber, elles sont devenues une sorte d’instrument de régulation de l’EN.


A partir des notes prises par S. Connac

 

 

Dernier ouvrage d'Evelyne Hery :

Les pratiques pédagogiques dans l'enseignement secondaire au 20ème siècle, Paris, L'Harmattan, 2007, 248 pages.


 

 

Lien :

Dans le Café : Entretien avec E. Hery

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2007/Lacraieetlordinateur.aspx

Sur le site du Café
Par fgiroud , le dimanche 30 mars 2008.

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