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Seconde Carrière 

Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs


Ce mois-ci, nous attirons votre attention :
-       Sur la diversité des situations de souffrance des enseignants, qui, cumulées, peuvent expliquer que certains aillent jusqu’au suicide. La GRH de l’Education nationale saura-t-elle un jour faire son mea culpa ?
-       Sur la souffrance des directeurs d’école, mal payés pour des taches complémentaires écrasantes, prouvant une fois de plus que l’administration sous-estime le temps de travail de ceux dont elle exige chaque année une masse de paperasseries et de tracasseries croissantes et inutiles ;
-       Sur l’amertume des enseignants qui démissionnent en demandant une Indemnité Volontaire de Départ pour créer leur entreprise ou un projet personnel, en découvrant que le montant accordé est très inégal selon les académies ;
-       Sur le parcours de Gwendoline Perret, qui avait choisi d’enseigner par passion de transmettre, et qui a préféré démissionner au bout de 2 ans, afin de ne pas se laisser laminer par un système peu valorisant professionnellement et peu compréhensif sur les difficultés rencontrées. En créant Interface Com Events, elle a retrouvé sa joie de vivre !


La diversité des situations de souffrance vécues par les enseignants n'interpelle pas assez les cadres RH de l'Education nationale, puisque des enseignants en viennent à se suicider.
L’actualité du 23 octobre illustre bien la manière dont s’effectue la GRH actuellement dans l’Education nationale. Alors que l’Express attire l’attention de ses lecteurs sur le suicide d’une enseignante de Béthune, qui a envoyé à son syndicat un email où elle évoque sa souffrance professionnelle liée à des classes surchargées, et l’oppression de sa hiérarchie, le Rectorat de son académie ne trouve qu’une chose à répondre : son poste n’était pas menacé.
Eh bien quoi ? Rien d’autre ? Pas de condoléances à la famille ? Pas de projet d’enquête interne pour savoir qui oppressait cette enseignante ? Pourquoi l’administration ne remet-elle jamais en cause les pratiques de ses personnels ? Pas de regrets qu’un tel drame puisse endeuiller l’Ecole, alors que la réaction saine du syndicat Action et Démocratie est de tous nous sensibiliser à la question en prévoyant un préavis de grève pour le 12 novembre ? Ce sont tous les syndicats qui devraient se mobiliser sur la question, partout, sur toute la France. Ce drame nous rappelle celui de cette enseignante de Béziers, qui s’était immolée dans la cour devant ses élèves, le 13 octobre 2011. « Je fais ça pour vous », avait-elle prononcé dans son immense souffrance. Et depuis ? Quelles mesures ont été mises en place par les DRH ? Quelles réformes du bien être au travail ont été entreprises ? Quelles « leçons » les rectorats tirent-ils chaque fois qu’il y a un suicide d’enseignant ? Remettent-ils en question leurs pratiques d’affectation, leur incapacité à établir l’ordre dans certains établissements scolaires, et leur inflation d’expérimentations et de circulaires sur l’évaluation tout au long de l’année ? Faut-il attendre que les suicides d’enseignants se multiplient pour que l’Education nationale propose de créer une commission dont les membres rédigeront des rapports sur la nécessité de créer un comité de réflexion dont les conclusions serviront à créer des médiateurs de proximité, qui, manquant de moyens et débordés de demandes, finiront par jeter l’éponge ou se faire muter dans un autre ministère ?
La souffrance des enseignants nous interpelle, car elle est en augmentation, et ses raisons sont multiples, et en priorité ces cinq années de compression d’effectifs qu’ils ont subies, impuissants, sous la férule de ministres qui restaient sourds à leurs appels, leurs plaintes, leurs craintes :
-       Multiplication des taches administratives, en particulier avec la montée en puissance du socle de compétences en Primaire et en collège, qui a transformé les enseignants en machines à pointer des croix (146 items pour 7 compétences clés, rappelons-le, par élève !) ;
-       Utilisation du cahier de textes électronique, qui complique le travail des enseignants ;
-       Réponses aux mails des parents d’élèves le soir après les cours sur les modules mis en place par les établissements ;
-       Rapports plus ou moins tendus avec des parents d’élèves de plus en plus exigeants, et qui préfèrent culpabiliser l’enseignant quand leur enfant ne réussit pas plutôt que d’interroger leurs propres pratiques à la maison ;
-       Difficulté à instaurer la discipline en classe, dans une société où le respect de l’enseignant n’existe plus, peut-être parce qu’il n’est plus le seul dépositaire du savoir, et que ce qu’il enseigne est en profond décalage avec le quotidien des jeunes d’aujourd’hui ;
-       Situations de harcèlement entre collègues (vécues lorsqu’un enseignant a par exemple dans sa classe le fils/la fille d’un de ses collègues, ou par jalousie de statuts, entre agrégés à 15h en collège et certifiés qui enseignant 3 h de plus en étant payés beaucoup moins, etc.) ;
-       Situation d’oppression subie de la part du chef d’établissement, ou d’un inspecteur, dont le comportement laisse à désirer, sans qu’à aucun moment son autorité ne puisse être remise en cause, quelles que soient ses attitudes et ses évaluations ;
-       Situation d’instabilité d’affectations, soit comme titulaire remplaçant sur plusieurs établissements (certains font jusqu’à 200 km par jour !), soit comme Brigade ZIL à remplacer à la journée en Primaire ;
-       Situation de stress récurrents face à des élèves irrespectueux voire violents verbalement et/ou physiquement dans les établissements sensibles, l’inflation des sigles pour en masquer la nature n’ayant pas réussi à les faire disparaître complètement du paysage ;
-       Situations de burn-out, pour ceux qui subissent l’imbrication d’une vie personnelle complexe et d’une vie professionnelle pesante.
Bon nombre d’enseignants, passionnés par leur métier, attendent d’être au bout du rouleau avant de se mettre en arrêt maladie. Combien sont-ils ?
Rien que dans le second degré, en 2011, 2028 enseignants titulaires étaient en Congé de Longue Maladie (plus 10 stagiaires, quelle entrée dans le métier !) et 2893 en Congé de Longue Durée (plus 39 stagiaires !), pour diverses raisons (sur un total de 400 880 enseignants). Ce sont les enseignants de 40 à 60 ans qui sont les plus touchés, avec 79.2% du total des CLM et CLD (à noter que 3.8% des enseignants de moins de 34 ans sont en CLM ou CLD). Les enseignants en CLM ou CLD dans le 1er degré nous sont encore inconnus pour l’instant.
Et lorsque les CLM et CLD n’ont pas permis aux enseignants de s’en sortir, que propose-t-on aux enseignants, qui, par le passé, ont sans compter leurs heures pris le souci de leurs élèves et mis en application les directives de leur ministère pour faciliter la réussite de leurs élèves ? Comment remercie-t-on ceux qui n’en peuvent plus ?  Tout simplement en les mettant en disponibilité d’office (sans salaire : 95 enseignants concernés en 2011, le plus mauvais des services à leur rendre dans cette situation pourtant !), ou en les invitant à demander leur mise à la retraite anticipée pour invalidité (où ils gagneront beaucoup moins !), puisque, comme l’indiquait les services de la DGRH aux parlementaires, « S'agissant du reclassement des personnels, celui-ci reste difficile à mettre en œuvre ». Bien qu’il existe pourtant un texte sur la question, pour les enseignants devenus inaptes à leur fonction, le manque de budget conduit l’EN à pousser vers la sortie ceux qui ne peuvent plus être devant élèves !
Comment qualifier une GRH qui place les enseignants en difficulté en invalidité pour s’en débarrasser, au lieu de créer en son sein des possibilités de réemploi, largement insuffisantes aujourd’hui ?
Les moyens en postes adaptés (PACD et PALD) évoluent peu, malgré l’accroissement de situations de souffrance. « Ils comprennent 2 057 possibilités d'affectation en PACD (874 pour le 1er degré et 1 183 pour le 2nd degré) et 677 possibilités d'affectation en PALD (211 pour le 1er degré et 466 pour le 2nd degré). De plus, les académies ont la possibilité de financer les affectations en PALD sur leur budget opérationnel de programme. 246 affectations en PALD ont été ainsi réalisées en 2007, 398 en 2008, 433 en 2009 et 519
en 2010. » Soit +111% en 3 ans !
Les services DGRH ajoutaient « Les différentes fonctions exercées pendant les affectations sur postes adaptés permettent aux personnels de découvrir d'autres métiers et de se préparer à une reconversion. Celle-ci peut s'opérer par concours, par détachement ou bien, si le comité médical émet un avis en ce sens, par un reclassement dans un autre corps. Dans tous les cas, les personnels sont accompagnés et peuvent bénéficier de bilans de compétence et de formations. »

Aide aux Profs est contacté de tous les départements et de toutes les académies, et il est de notoriété publique que, depuis 2011, la majorité des académies ne finance plus de bilans de compétence, que le reclassement ne fonctionne pas, que les enseignants qui ont été en PACD ou en PALD n’obtiennent quasiment pas de détachement (car l’étiquette « malade » leur colle à la peau), et que les formations obtenues ne sont quasiment pas financées par l’Education nationale.

Alors qu’existaient 50 médecins du travail pour 850 000 en 2007, il n’y en a eu que 17 de plus en 2012…quand un grand ministère comme l’Education nationale, premier budget de l’Etat, est incapable d’offrir à ses personnels une médecine du travail digne de ce nom, il y a de quoi se poser des questions sur la nature et l’utilité de la GRH telle qu’elle perdure dans les académies (Josette Théophile plaidait pour une GRH de proximité, au sein des établissements scolaires, cette idée sentait-elle le soufre à ce point ?), on comprend mieux pourquoi, en l’absence de psychologues de proximité dans les établissements scolaires pour soutenir le moral d’enseignants en difficulté (et tenus au secret professionnel !), des enseignants craquent, sans que leur administration ne se remette, à aucun moment, en question.


Le mode de calcul des IDV devient un vrai scandale et n'honore pas l'Education nationale sur le respect de ses propres textes.
De plus en plus d’enseignants sont amers de contacter que les académies interprètent chacune à leur sauce les décrets ministériels. Ceux sur l’Indemnité Volontaire de Départ en font partie. Alors qu’il aurait dû exister un barème national, égal dans toutes les académies, on s’aperçoit que sur le terrain, certaines académies sont généreuses (Versailles, Créteil, Caen), d’autres très radines (Reims, Lille, Nantes, Nice, Rouen, etc.).
A moins de 10 ans d’ancienneté, le montant de l’IDV est laissé « à l’appréciation du Recteur ». En clair, du fait d’un budget restreint, l’administration essaie de justifier les montants les plus bas possibles. Malgré tout, des enseignants réagissent, et ceux qui obtiennent les sommes les plus élevées sont ceux qui ont menacé de saisir un avocat, ou de tout dévoiler dans les médias. Mais de quelle GRH s’agit-il, là encore ? Comment les enseignants peuvent-ils avoir confiance sur la durée de leur carrière par une administration qui n’est même pas à l’écoute de leurs besoins lorsqu’ils décident de faire valoir leur liberté à vouloir faire autre chose de leur vie ?
Alors que l’IDV devait exister pour « création/reprise d’entreprise » et « projet personnel », les académies refusent de plus en plus de financer les projets personnels, car le législateur est resté trop flou dans sa définition, et si faire un tour du monde pourrait constituer un « projet personnel », l’administration se sentirait sans doute frustrée d’accorder une IDV à un enseignant qui démissionnerait pour aller se faire plaisir ailleurs !
Entre 10 et 15 ans d’ancienneté, un semblant de barème a été créé. Mais en réalité, les académies font toujours ce qu’elles veulent, et les enseignants ont le pur sentiment d’être traités « à la tête du client », certains obtenant un refus là où d’autres, pour le même projet, dans une autre académie, obtiennent 20 ou 30 000 €. Les enseignants mécontents s’expriment sur la Toile, et l’Education nationale devrait prêter un peu plus attention à leurs ressentis, puisqu’elle a en 2013 la dure tache de convaincre qu’enseignant est toujours « le plus beau métier du monde ».  Mais pas le plus respecté, en tous les cas…
Heureusement, un cabinet d’avocats s’est penché sur la question, et peut aider les enseignants à obtenir un calcul plus favorable de leur IDV lorsque l’administration annonce une somme ridiculement basse…


Une enquête du SE-Unsa permet enfin de prouver à l'Education nationale que ses directeurs d'école souffrent d'un manque de moyens et de considération
Le Se-Unsa a publié une enquête qui a porté sur 7500 directeurs d’école et 800 de leurs adjoints,  soit un échantillon plus que convainquant, et en soi alarmant, puisque se confirme le diagnostic de souffrance au travail, de montée d’un malaise dans cette fonction, que les inspections académiques imposent plus qu’elles ne proposent.
83.12% n’ont pas assez de temps pour réaliser les taches qu’on leur impose, et 73.57% ont du mal à concilier leur vie personnelle et professionnelle. Cela fait éclater en morceaux le cliché de « l’enseignant toujours en vacances » ! 84.47% doit souvent répondre à des demandes de la hiérarchie, dont il ne voit pas l’intérêt. Pourtant, qui sont les mieux à même de juger ce qui est bon pour les élèves : ceux qui les côtoient tous les jours, ou ceux qui ne manient que des chiffres à longueur d’année, avec pour seul objectif des % de réussite toujours meilleurs, quels que soient les moyens employés pour les obtenir ?
84.18% ne se sentent pas reconnus par leur hiérarchie, et plus de 85% en moyenne estime ses taches de gestion administrative très lourdes, car multiples, dévoreuses de temps. Ils sont 95.91% à estimer trop lourd l’élaboration du projet d’école et son suivi, et 94.34% à se plaindre des l’inflation des demandes et enquêtes exigées par l’administration !
Pour à peine 100 € de plus par mois, tout en devant enseigner face aux élèves, comment convaincre de nouveaux hussards noirs de la République de supporter des conditions de reconnaissance pareilles, alors que Vincent Peillon a indiqué ne pas pouvoir augmenter les enseignants comme ils le mériteraient, tandis que le point d’indice est toujours gelé en 2013 pour tous les fonctionnaires ?
Cette situation n’est qu’une nouvelle conséquence de la politique outrancière de réduction d’un fonctionnaire sur deux entre 2007 et 2012 qui a particulièrement affecté l’Education nationale, tandis que l’ingéniosité de l’administration ne connaît plus de limites pour échafauder des usines à gaz d’évaluations en tous genres, peut-être pour se convaincre que « le niveau monte » ? Pour quelques % de plus sur le papier, combien d’énergies brisées ?
En savoir plus :


Après 2 ans comme Professeur des Ecoles, Gwendoline Perret a préféré démissionner pour créer son agence de voyages et d’évènementiel, bien plus valorisante intellectuellement

Quelles ont été les étapes de votre parcours professionnel ?

En 2007 j’ai obtenu une Licence en Sciences des Sociétés et de leur Environnement, spécialité anthropologie, puis j’ai tenté le concours de Professeur des Ecoles en candidate libre grâce aux cours du CNED de Toulouse. Admise à la session 2008, je suis devenue PE1 dans l’académie de Reims, puis, pendant deux ans (2009-2011), « titulaire Brigade », à ma demande. Je voulais être remplaçante. Cependant, fin novembre 2011 j’en ai eu assez de ne jamais pouvoir travailler correctement avec les parents d’élèves, de ne pas être soutenue par ma hiérarchie, et j’ai décidé de démissionner. L’administration a tenté de me détourner de mon projet de reconversion, et bien que j’aie obtenu une Indemnité Volontaire de Départ qui aurait dû être versée avant ma démission effective (fin juin 2012), j’en attends toujours le versement !
Ma démission était motivée par l’envie de me réaliser autrement professionnellement, par choix personnel, en créant une agence de voyages et d’évènementiel, Interface Com Events (www.sensationnelle.net), dans laquelle je m’épanouis, loin du stress et de l’épuisement généré par les tâches administratives multiples qu’on nous imposait en école Primaire, loin de cette hiérarchie cloisonnée et ne soutenant pas les enseignants dans leur métier difficile. Je ne regrette absolument pas mon choix, et mon entreprise se développe, c’est un nouveau départ dont je suis très contente.

Revenons sur ce poste en Brigade, ça consiste en quoi exactement ?

Rattachée à un établissement, je m’y rendais le matin pour attendre un coup de téléphone de l’Inspection m’indiquant dans quelle école primaire, dans un rayon de 40 km environ, j’allais devoir remplacer un enseignant absent. Je préférais avoir des remplacements courts, d’une demi-journée à une semaine, mais en fait j’ai eu plus souvent des remplacements de longue durée. A chaque fois, le niveau était différent, m’obligeant à disposer de préparations de cours de la maternelle au CM2, ce qui représente une grosse charge de travail, mais j’ai été plus souvent appelée pour remplacer en maternelle.
Dans ce type de poste, la contrainte est que les trajets peuvent être longs et fatigants, et qu’il faut à chaque fois s’adapter à une nouvelle école, de nouveaux parents... J’ai fait en moyenne 200 km par mois pendant deux ans, ce qui reste raisonnable par rapport aux titulaires académiques ou remplaçants en collège ou en lycée, qui, nommés en général sur plusieurs établissements, peuvent réaliser jusqu’à 200 km par jour !
Il faut savoir aussi qu’il est très difficile pour un enseignant du Primaire d’obtenir sa mutation. Ça suppose d’obtenir un « exéat », en gros l’autorisation de l’Inspecteur d’Académie pour muter vers un autre département, et un « inéat », soit l’autorisation de l’Inspecteur d’Académie du département souhaité, pour y entrer ! Autant dire qu’il est très long d’obtenir la mutation de son choix, ce qui explique le succès du mouvement « Mutez-Nous » ! Il n’est plus rare que les profs des écoles attendent plus de 5 ans la mutation de leur choix, même quand les couples sont séparés…

Vous aviez pourtant choisi ce type d’affectation, pourquoi en avez-vous eu assez ?

J’ai eu des classes difficiles à tenir, des parents d’élèves peu coopératifs, situation très déstabilisante psychologiquement. Certains se permettaient de venir faire la discipline dans les classes de mes collègues, d’autres voulaient interférer sur la pédagogie en indiquant à notre place comment enseigner les programmes aux élèves, etc. Je n’avais pas de soutien des parents pour mener des projets avec les élèves, peu de soutien de la part de la hiérarchie et des discours complètement décalé par rapport aux moyens matériels dont je disposais. Ainsi m'a-t-on reproché de ne pas utiliser le Tableau Blanc Interactif (TBI) ni le rétroprojecteur, alors que l’école dans laquelle j’enseignais n'en avait pas, tout simplement ! J’en ai eu assez de ces incohérences. Comme des professeurs qui obtiennent ce qu'ils veulent en « dérangeant » alors que d'autres travaillent sans relâche pour peu de reconnaissance.
De plus, je dois dire que les taches des professeurs des écoles se sont sérieusement alourdies avec cette manie de l’Education nationale de vouloir tout évaluer. Pour chaque élève, chaque année, c’est un dossier  interminable à remplir : évaluation du socle commun, des compétences acquises, attestation de sécurité routière, attestation de natation, attestation TICE, etc. La constitution de ces dossiers est obligatoire, et en plus, ils ne servent quasiment jamais ! Cela permet de rassurer une administration qui est dans l’évaluationnite aïgue.  Remplir des tonnes de paperasses est-il professionnel, dans un métier dénigré ?

Mais dans ce cas, pourquoi ne pas prévenir votre supérieur hiérarchique ?

En Primaire, c’est bien simple, dans l’école, il n’y a pas de supérieur hiérarchique, et ça pose réellement problème. Les profs des écoles ne se pressent pas au portillon pour devenir directeur d’école car c’est une fonction très prenante, parfois sans décharge, pour une centaine d’euros par mois en plus. La fonction de Directeur d’école actuellement sème plus la zizanie dans les équipes qu’autre chose, puisqu'on leur demande de « piloter » les écoles sans rôle hiérarchique. Elle est synonyme de pénibilité, et souvent l’administration trouve des « volontaires » en leur affectant d’office la mission d’être directeur. Et refuser, c’est être du coup mal vu de l’inspecteur…
L’Inspecteur, un IEN de circonscription, lui, est trop loin. A chaque rentrée, il vient faire ses visites dans toutes les écoles de sa circonscription, c'est assez rapide, ce qui ne lui permet pas vraiment de voir ce qui ne fonctionne pas. Ensuite, tous les 3 à 4 ans, il inspecte les profs des écoles de sa circonscription. J’ai connu un IEN qui était à l’écoute, et un autre qui ne l’était pas. En général ils sont faciles à contacter, mais ne raisonnent que par les chiffres, les % de réussite, car avant tout, les IEN doivent rentrer de bonnes statistiques pour faire avancer leur carrière. Ils manquent parfois de diplomatie.  Le rôle de l’IEN c’est d’inspecter, de noter.

Quelles étaient vos motivations en entrant dans l’enseignement ?

J’avais la passion des apprentissages, avec une envie de transmettre, de partager. J’étais amoureuse de la connaissance, et j’avais déjà enseigné le FLE et l'anglais à des adultes. Je m’imaginais aussi que j’allais motiver des élèves, leur redonner le moral en enseignant différemment. Tout cela n’était qu’un beau rêve, du fait du fonctionnement très rétrograde de l’Education nationale.

Comment vous y êtes-vous prise pour quitter l’Education nationale ?

Ça n’a pas été sans mal. Un prof qui veut démissionner, ça n’est pas prévu par le système, et ça reste tabou, même entre profs !
D’abord, entre septembre et novembre 2011, j’ai voulu tester mon employabilité dans le privé et dans la fonction publique territoriale. Après envoyé des dizaines de CV, de lettres de motivation, en répondant à des annonces, j’ai réussi à passer quelques entretiens. Quand mon profil plaisait, je me suis entendu dire plusieurs fois par un recruteur « comme vous avez été prof, je ne vais pas prendre le risque de vous recruter, même si votre CV est bon. » Voilà, tout est dit : il ne fait pas bon avoir été prof quand on souhaite se reconvertir ensuite. Alors, comme j’avais depuis longtemps dans l’idée de créer mon entreprise, j’ai commencé à préparer ce projet en novembre 2011.
Quitter l’Education nationale n’a pas été facile. Fin novembre 2011 j’ai écrit une première lettre sous couvert de mon IEN à l’Inspecteur d’Académie, pour demander à bénéficier d’une Indemnité de Départ Volontaire (IDV) puis de démissionner. Trois semaines plus tard, cette personne me téléphone, m’indique qu’elle a toujours ma demande entre ses mains, et m’interpelle ainsi « êtes-vous sûre de bien comprendre ce que cela entraîne ? » puis « Vous êtes un bon élément, pourquoi souhaitez-vous quitter l’Education nationale ? ».
Après avoir exposé mes raisons, l’IEN a transmis ma demande aux services RH, qui m’ont répondu début janvier 2012 pour me dire qu’il leur fallait calculer le montant de mon IDV. Puis rien. Alors je les ai relancés en février par courrier. Ils ont mis deux mois pour calculer le montant de l’indemnité, car ils m’ont dit avoir dû d’abord rechercher dans les circulaires internes à quoi j’avais droit pour création d’entreprise. C’est là que j’ai appris que chaque Recteur fait la pluie et le beau temps en fixant le barème qui lui plaît pour le montant de l’IDV dans des fourchettes données par les textes et plus ou moins respectées. Certaines académies sont généreuses et d’autres pas. J’ai su à cette occasion que l’académie de Reims, où j’étais alors, était la moins payante de France.
Une fois mon attestation obtenue, on m’a pressé de démissionner et de créer mon entreprise, comme ça, en cours d’année, et je me suis demandée « pourquoi si vite » et j’ai alors lu les petites lignes contenues dans l’attestation. Il était bien indiqué que l'IDV serait versée sous réserve de création d'entreprise après la date effective de la démission. L’administration espérait-elle ne rien me verser en me poussant à la faute ? J’ai donc refuser de démissionner, et ai demandé que soit indiqué sur l’attestation que mon entreprise serait créée avant ma démission, afin de pouvoir bénéficier de l’IDV. Pendant 2 mois, tous les mercredis, je me suis rendue à l’Inspection Académique pour obtenir cette attestation, et, laconiques, les secrétaires du bureau de gestion me répondaient « …justement, nous étions en train de nous occuper de votre dossier… ». Puis rien, ça a duré 2 mois à ce train là. Etait-ce les lenteurs administratives habituelles ? Du désintérêt ?je ne le sais pas. Ils étaient polis, mais pas très efficaces.
J’ai donc pu créer ma société fin juin, en fournissant mon KBis début juillet, tandis que ma démission a été acceptée le 5 juillet à 16h40, le dernier jour, à la dernière minute. Mais voilà, j’attends toujours que me soit versée l’IDV promise, ça fait déjà 4 mois ! Je suis donc obligée de les relancer jusqu’à obtenir satisfaction.

Mais comment avez-vous pu créer votre entreprise puisque vous ne pouviez pas compter encore sur l’IDV ?

Pour créer une EURL comme agence de voyages, il faut un capital social minimum de 8000 € pour être crédible auprès des banques, des professionnels de l’hôtellerie, les restaurateurs, les prestataires, etc. J’avais économisé 1600 € et j’ai bénéficié d’une aide de la part d’une association, Ardennes initiatives, qui m’a prêté au taux de 0% la somme de 5000 €. J’ai aussi apporté à l’entreprise mon matériel informatique et bureautique personnel, dont la valorisation a permis d’atteindre ces 8000 € de capital social.
L’avantage de créer une EURL est que l’on crée une personne morale, responsable aux yeux de la loi. Cela m’a permis de bien distinguer mes biens professionnels de mes biens personnels. L’inconvénient, c’est que la comptabilité est plus difficile que dans une auto-entreprise, car on doit gérer la TVA, et faire sa comptabilité est assez complexe. J’y passe 2 jours par mois en moyenne pour calculer quoi reverser à l’Etat, respecter le plan comptable...

Quand vous vous êtes installée, avez-vous été bien accueillie par les professionnels en place ?

Très vite, une fois l’EURL créée, j’ai appelé ma concurrente directe, dans mon secteur, et elle m’a encouragée dans mon projet, en me donnant des conseils, cela s’est très bien passé. Au début de l’entreprise, j’ai bien senti que les professionnels que je rencontrais tentaient de me décourager, mais quand ils se sont aperçus que mon activité allait sensiblement être différente de la leur, tout s’est bien passé.
Mon activité est double :
-       Je développe d’une part une agence de voyages sur mesure pour particuliers provenant du Monde entier, et qui souhaitent visiter l’Europe principalement;
-       D’autre part, je propose des services aux professionnels, en leur apportant de la visibilité sur le plan international, grâce au réseau que je développe, avec des offres intégrées de proximité. Je propose par exemple de traduire leur site web, puisque je parle plusieurs langues. Je peux aussi employer un traducteur pour le faire. J’organise des séminaires pour des professionnels, des soirées publicitaires pour promouvoir un produit, des inaugurations de bâtiments, j’organise des formations, des mariages, des anniversaires…mon métier est de réaliser la logistique de chaque évènement, incluant le transport, l’hébergement et la restauration, puisque mon autre activité est d’être agence de voyages.

Quels types de voyages sur mesure proposez-vous ?

Par exemple, j’ai organisé pour une famille de 20 personnes venue des Etats-Unis une semaine d’accompagnements, avec un guide, de monuments historiques, pour des visites privées, sur Paris. Je propose aussi des semaines tout compris pour deux ou plusieurs personnes, selon les critères définis par les clients. Je peux aussi m’adapter en fonction du budget des personnes, pour leur concocter leur séjour.

Quelles compétences, développées dans l’enseignement, vous sont utiles actuellement ?

La gestion de projets, de gros dossiers impliquant différents partenaires, avec une analyse de la situation, la définition des principaux axes d’action, et l’évaluation de la prestation réalisée.
La pédagogie aussi, me sert beaucoup dans le cadre de l’organisation de voyages culturels.

Vous avez rejoint Aide aux Profs comme adhérente référente. Qu’est-ce qui vous a intéressée dans ce dispositif ?

D’abord, vos bons conseils dans mes démarches vis-à-vis de l’administration, votre soutien, et votre réseau. Chaque fois que je souhaite une mise en relation spécifique, vous en disposez dans votre réseau : cela me permet de gagner un temps précieux, donc de faire des économies.
Aide aux Profs m’apporte aussi une aide dans mes recrutements, puisque j’ai besoin d’accompagnateurs pour les voyages que j’organise, et que vous proposez aisément des candidatures de profs, en provenance de toute la France. Là aussi, je peux réaliser des économies.

Comment voyez-vous l’avenir aujourd’hui ?

Je me sens en pleine forme, beaucoup mieux qu’avant !
Je ne pense plus du tout à mon ancien métier d’enseignante, qui m’usait, me vidait, et surtout je ne ressens plus du tout ce stress face à la classe, cette pression permanente en classe tout au long de la journée, où chaque mot que l’on prononce peut être très mal interprété par les élèves, par leurs parents, ou par les collègues ! J’en ai fini de ce stress…et je n’ai plus jamais de mal être au travail.

Ma société démarre, et malgré les lenteurs de l’Education nationale qui m’ont fait perdre du temps dans l’élaboration de mon projet, les partenariats se multiplient, avec de grands groupes, et mes clients sont très contents, je me sens nettement plus valorisée dans cette activité que lorsque j’étais prof des écoles.

Sur le site du Café

Par rboyer , le jeudi 25 octobre 2012.

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