Evaluation des enseignants : Des clivages politiques ? 

Par François Jarraud



La journée d’action du 15 décembre a mis en évidence la division syndicale face au programme gouvernemental. Il y aceux qui négocient et ne font pas grève (le gen Cfdt), ceux qui refusent toute négociation (le Se Unsa) et ceux qui n’ont pas encore décidé (la Fsu). Si les argumentations données sont strictement professionnelles, les arrières pensées politiques sont bien là. Faut-il négocier avec Chatel signifie aussi « la droite sera-t-elle encore là dans 6 mois ? »…


Le calendrier politique a sans doute pesé sur la mobilisation de la journée d'action du 15 décembre, organisée par les principaux syndicats d'enseignants à l'exception du Sgen Cfdt. Il a aussi d'une certaine façon clos la journée avec la promesse de F. Hollande de revenir sur la réforme d'évaluation des enseignants voulue par Luc Chatel.


Une mobilisation très moyenne. De 3 000 à 7 000 manifestants à Paris, 3 000 à Marseille, moins de 1 000 à Montpellier ou Rouen, les cortèges ont été très modestes. Selon le ministère on comptait 11% de grévistes au primaire et 16% au secondaire. Les syndicats Fsu estiment aux que 47% des professeurs du secondaire ont fait grève et 21% du primaire. " Une assez belle mobilisation", estime B. Groison, secrétaire générale de la Fsu, qui rappelle que les enseignants ont participé à de nombreux mouvements depuis la rentrée. "J'ai le sentiment que les enseignants attendent une alternance à la présidentielle", nous a dit Christian Chevalier, secrétaire général du Se-Unsa.


"Avec cette évaluation, les gens enterreront davantage les problèmes dans les classes pour se faire bien voir du chef d'établissement", nous a dit Antoine, membre du collectif Stagiaires impossibles. "Cela se fera au détriment des élèves et des enseignants toujours sans formation". Pour C. Chevalier, les enseignants protestent contre l'arrivée d'un mode de gestion managerial. "On reproduit le schéma de l'entreprise avec un chef d'établissement "pierre angulaire de l'établissement", comme dit Mme Théophile (DGRH du ministère). On met à coté de la plaque. C'est contre productif. C'est le meilleur moyen de faire éclater les équipes". " Chatel a fait un projet sans aucune concertation avec les syndicats. Le dialogue social ne fonctionne pas", nous a déclaré B. Groison. " Jusqu'à présent le système d'évaluation visait à permettre aux enseignants de savoir où ils en sont dans leur pratique de métier. On passe à un objectif de pilotage pour gérer les conditions de carrière des enseignants en les ralentissant. J'ai l'impression qu'on pense gérer l'éducation nationale comme une entreprise. Or ce n'est pas une entreprise, c'est pas l'Oréal". 


Négocier ou pas ? Pour B. Groison, la négociation est possible avec le ministère. " Le préalable c'est qu'il reconnaisse l'absence de concertation et qu'il retire son projet". Mais pour le Se-Unsa il en va autrement. "Le dossier est trop complexe pour être traité en urgence comme vous le proposez" écrit le Se-Unsa à Luc Chatel le 15 décembre. Le syndicat estime aussi que le ministre refuse de discuter des points essentiels. Par suite le Se-Unsa "ne participera pas au cycle de concertation concernant l'évaluation professionnelle des enseignants". Le Sgen Cfdt avait fait savoir qu'il entrait en négociations pour justifier son retrait de la journée. Le premier bilan de la journée pourrait être cette division syndicale.


Une question pour la présidentielle. Sur France 3, Luc Chatel a défendu son projet l'estimant plus juste. "On veut que le système d'évaluation prenne en compte l'engagement des enseignants et qu'il ait un impact plus important sur la carrière des enseignants". Et Jacques Grosperrin, député UMP auteur d'un rapport remarqué sur la formation des enseignants, est allé dans el même sens. "Les personnels enseignants gagneront à être évalués sur la globalité de leurs activités. Chaque professeur sera mieux en mesure d'agir sur sa trajectoire professionnelle". Dommage que le projet ministériel ralentisse fortement la rapidité de l'avancement dans les échelons... Dans l'après midi, François Hollande a fait savoir que s'il était élu, il reviendrait sur la réforme gouvernementale. "Nous pourrons avec la discussion avec les syndicats d'enseignants, trouver des formules originales y compris collectives". L'évaluation des enseignants est entrée dans les objets de la présidentielle.

Le dossier Evaluer les enseignants

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2011/Evalu[...]



Le Sgen Cfdt suspend son appel à la grève du 15 décembre

Le Sgen-Cfdt  annonce avoir obtenu "l'ouverture de négociations sur l'évaluation des personnels enseignants, d'éducation et d'orientation" ainsi que "la certitude que les menaces sur le blocage de l'avancement jusqu'en 2015 sont levées". Un calendrier de négociations a été fixé avec Mme Théophile. Pour ces raisons, il suspend sa participation à la grève du 15 décembre mais "appelle les personnels à la vigilance. Il sera exigeant pendant ces négociations".


Thierry Cadart, interrogé le 2 décembre, fixe le cadre de ce revirement. "On est entré dans le processus de négociation préalable prévu par le Service minimum (dans le primaire). On a demandé l'ouverture de négociations. Et dans un courrier, J. Théophile, DGRH du ministère, a donné son accord et fixé des étapes". Pour lui la mobilisation du 15 décembre "n'aurait pas été à la hauteur des efforts nécessaires pour faire plier le gouvernement". "On veut en finir avec l'inspection individuelle notée", continue T Cadart, "et mettre en place un regard croisé pour l'évaluation des enseignants entre chef d'établissement et inspection qui soit un instrument intéressant pour les collègues. Pour cela il faut déconnecter au maximum l'avancement et l'évaluation." Sur le modèle de gouvernance qui semble s'imposer dans le projet gouvernemental, basé sur le rapprochement de l'autorité des enseignants, T Cadart pense qu'il y a bien "un débat idéologique avec un modèle d'autonomie des établissements éloigné de ce que l'on souhaite. Ce débat aura lieu aussi à propos de l'autonomie des établissements".


Souvent partenaire du Sgen, Christian Chevalier, secrétaire général du Se-Unsa, interrogé par le Café, "regrette" la position du Sgen. Pour lui , "une action est lancée pour le 15 décembre, il faut la réussir solidairement. "Je comprends que le Sgen soit intéressé par l'idée de voir supprimée l'inspection. On n'a pas forcément de désaccord avec lui sur l'idée de faire évoluer l'évaluation. Mais il y a un grand désaccord sur la stratégie et le moment".


Pour le Se-Unsa, la marge de négociation avec le ministère semble trop étroite. "On nous dit que la plupart des points ne sont pas négociables. Par exemple l'évaluation par le chef d'établissement. Et je n'ai pas le sentiment, après avoir entendu le dernier discours de N Sarkozy que ça évolue dans le bon sens.  Quant au déblocage de l'avancement jusqu'en 2015, ce n'est pas un gain obtenu par le Sgen, mais une avancée obtenue collectivement il y a déjà quelque sjours".


Plus sur le fond, C Chevalier juge que ce n'est pas le moment. "Est-ce bien de négocier un accord sur un point aussi important, les carrières, à quelques mois des présidentielles ? C'est un dossier qu'on ne voit passer que tous les 40 ans". C Chevalier lie ce dossier de l'évaluation à un projet de gouvernance pour l'école. Le projet porté par l'UMP qui met en concurrence les établissements et fait d'eux l'unité centrale et autonome du système éducatif. Faire évaluer les enseignants par les chefs d'établissement entre dans cette vision. L'accepter c'est mettre en danger par exemple le salaire. On peut imaginer qu'un recteur en difficulté financière demande aux chefs d'établissement de stopper les promotions pour certains indices. Face à ce projet il propose un système éducatif rénové qui s'appuie sur le droit à l'éducation de tous les enfants.

Le point de vue du Sgen

http://www.cfdt.fr/rewrite/article/37259/actualites/[...]

Se-Unsa : Pourquoi il faut faire grève

http://www.se-unsa.org/spip.php?article4045


Les chefs d'établissement du Snpden prêts à évaluer sous condition les enseignants

" Le système actuel de notation est obsolète et inopérant pour reconnaitre l’investissement des personnels comme apprécier leurs compétences professionnelles. Le passage à une évaluation au sein de l’établissement, déjà engagé pour tous les autres personnels, serait reconnaitre le métier des enseignants tel qu’il est aujourd’hui c'est-à-dire significativement défini par l’environnement dans lequel il s’exerce : la classe et l’établissement", écrit le Snpden, principal syndicat de chefs d'établissement. Mais le Snpden reconnaît que l'appréciation de la didactique disciplinaires "relève des corps d'inspection" et ne saurait faire partie de l'évaluation. Enfin le Snpden entend que l'entretien d'évaluation n'ait pas "pour objectif de gérer des flux d'avancement".



Une grève, à quoi bon ?


Comment interpréter la relative modestie du mouvement de grève de ce 15 décembre ? Faut-il y lire une acceptation par les enseignants de la réforme de leur mode d'évaluation ou un simple problème de timing ? Au moment où s'écrivent ces mots, les estimations syndicales sur la portée du mouvement donnent à penser que, malgré une très large unité syndicale, le mouvement du 15 décembre aura une force inférieure aux dernières grandes journées comme celle du 27 septembre. Et beaucoup penseront que cela signe une acceptation des réformes voulues par Luc Chatel.


Pourtant trois facteurs éclairent différemment cette journée. Le premier c'est la perspective des présidentielles. Pour beaucoup d'enseignants l'échéance électorale remet à plus tard la confrontation. Même si le gouvernement s'obstinait à maintenir ce projet et s'il arrivait à boucler les textes avant l'élection, celle ci donnerait l'occasion de maintenir ou pas la réforme.


Un aspect de la réforme a été peu perçu par les enseignants qui sont davantage braqués sur le rôle du chef d'établissement. Il s'agit du redressement salarial qui accompagne le nouveau mode d'évaluation. La nouvelle grille indiciaire prévue par le gouvernement ralentit l'avancement et rapporterait gros à l'Etat. Or les enseignants vont être amenés à considérer cette question. A partir de janvier, ils vont payer le prix des récentes mesures d'économies gouvernementales. Plusieurs mécanismes vont entamer de 15 à 20 euros le salaire net des enseignants.


Enfin il y a toute l'idéologie qui accompagne le nouveau mode d'évaluation. Cette réforme s'inscrit dans un ensemble qui  change en profondeur le projet scolaire. Ce que met en place Luc Chatel c'est un mode de gestion libéral du système éducatif où des évaluations permettent de mettre en concurrence les établissements. Dans cette optique chacun devient autonome et on comprend que le chef d'établissement ait un pouvoir d'évaluation de "son" personnel. Par ce modèle, le gouvernement veut atteindre une efficacité plus grande de l'Ecole en soumettant aux parents et au chef d'établissement les enseignants. En focalisant ainsi toutes les difficultés du système sur les seuls enseignants il s'éloigne d'eux. Fort de sa cohérence interne et du fait de fonctionner dans plusieurs pays ce modèle est faible de  l'opposition qu'il génère chez les acteurs de l'Ecole. Peut-on accompagner l'Ecole vers le changement en n'usant que de la menace ?

Une réforme à contre courant : l'analyse de N Mons

http://www.liberation.fr/societe/01012377517-une-refor[...]



Royaume-Uni : L’évaluationnisme mis en action


Alors que le programme UMP demande la publication des évaluations des écoles primaires, l'Angleterre publie déjà ce classement. Les parents peuvent ainsi accéder d'un clic aux scores des écoles de leur ville et choisir leur établissement.


Ainsi à Liverpool, St Sebastian's Catholic Primary School affiche 91% de réussite au test national de lecture, écriture et maths. 35% des élèves bénéficient du "free meal" c'est à dire sont boursiers.A coté, à la Ranworth Square Primary School seulement 50% des élèves atteignent ces objectifs. 55% des élèves sont boursiers.  Le système anglais va encore plus loin. Le sparents peuvent aussi voir que chaque élève coute 5 176 £ par an à la collectivité dans la première école contre 7029 dans la seconde. Cette approche, qui gomme les inégalités culturelles, invite à penser que ce sont les enseignants de la seconde école qui font la différence négative et que la question des moyens est secondaire. Un raisonnement qui n'est pas réservé aux britanniques...

La carte interactive d ela League Table des écoles

http://www.guardian.co.uk/news/datablog/interactive/2011/de[...]


Quand l'évaluationnisme mène à la corruption

Une nouvelle affaire de corruption aux examens fait scandale au Royaume-Uni. Des cadres des services d'examen auraient vendu des sujets au Pays-de-Galles et indiqué un sujet particulièrement facile en Angleterre. Des membres du Parlement enquêtent et les gouvernement a déclaré qu'il prendra les mesures nécessaires.


Mais ce scandale n'arrive pas par hasard. Le système éducatif britannique est piloté par des évaluations nationales dont les résultats sont rendus publics école par école. Les parents disposent du libre choix de l'école. Par conséquent les écoles dont les résultats baissent encourent un vrai risque d'être désertées de leurs meilleurs éléments. Enfin les évaluations sont réalisées par des entreprises indépendantes qui les vendent aux établissements. La pression est si forte sur les enseignants, qui risquent leur poste, qu'ils consacrent énormément de temps à la seule préparation aux tests et qu'ils sont poussés à choisir les évaluations les plus faciles. Les entreprises de leur coté sont poussées à satisfaire leurs clients... C'est donc bien le pilotage par l'évaluation avec ses effets pervers qui est atteint avec ce nouveau scandale.

Article du Guardian

http://www.guardian.co.uk/education/2011/dec/08/exam-boar[...]

Article BBC

http://www.bbc.co.uk/news/education-16108818

Angleterre : Comment les enseignants sont obligés de tricher aux évaluations

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/09/08[...]


Evaluation des enseignants : Pour N. Mons, "penser le collectif "

Dans Libération, Nathalie Mons analyse le projet d'évaluation des enseignants français au regard des pratiques européennes. "Aujourd’hui, vingt-deux pays européens, sur les trente que nous avons étudiés, ont ces évaluations collectives en plus de celles individuelles des profs. Près de la moitié de ces pays ont en plus introduit une évaluation par les chefs d’établissement. Mais, à deux exceptions près - les Pays-Bas et la Norvège -, ceux-ci ne sont jamais seuls à évaluer. Partout, l’inspecteur garde un rôle important... Malgré la rhétorique en vogue sur l’autonomie, on a du mal en France à penser le collectif. On s’intéresse à chacun des membres de l’équipe pédagogique mais sans comprendre vraiment qu’il s’agit d’un collectif. La France est à cet égard en retard : elle est l’un des rares pays à ne pas évaluer ses établissements."

Dans Libération

http://www.liberation.fr/societe/01012377517-une-reforme-[...]



Sur le site du Café

Par fjarraud , le mercredi 21 décembre 2011.

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