Lycée : Voie technologique : Pour le SNES, "ça va péter" 

Par François Jarraud



STL, STI, STG, ST2S : toutes les voies technologiques enchaînent les réformes, certaines la réforme de la réforme. Comment cela se passe-t-il sur le terrain ? Pour le Snes , qui réunit le 8 décembre un colloque national, la situation devient très grave dans certaines branches comme STI ou STL. La réforme génère une grande souffrance au travail.


L'enseignement technologique est en crise. S'il représente encore un quart de tous les bacheliers, celle-ci diminue. Toutes les voies connaissent une érosion à l'exception de ST2S. Elle est particulièrement forte en STI. Et cela même si la filière donne accès a des études supérieures et à une insertion réelle dans l'emploi. Aujourd'hui son identité est questionnée entre filières générales réformées et un enseignement professionnel qui devient une voie d'accès au supérieur.


"On est pas loin de se foutre sur la gueule pour savoir qui va rester", témoigne un enseignant de STI. "Les inspecteurs nous renvoient la responsabilité de tout ce qui va mal". Les témoignages réunis par le SNES pour le colloque de la voie technologique viennent de toute la France, de Bayonne à Dunkerque. Pourtant les situations décrites en STI et STL sont partout les mêmes. Les seules interrogations c'est de savoir quand les élèves vont exprimer leur ras le bol.


Les enseignants vivent la réforme comme une remise en question profonde."On est bi admissible, on a un doctorat, on était une pointure. Et là on nous demande d'enseigner dans une discipline qu'on ne connaît pas. On n'est même pas comme un stagiaire. On est des bleus". La refonte de la filière STI s'accompagne de la disparition d'anciennes spécialités et la reconversion des enseignants dans de nouvelles. Il faut en même temps changer de discipline, changer de lieu en passant de l'atelier au labo informatique, changer de pédagogie et de type d'élève. Ca se passe souvent mal. Yves Baunay, chercheur à l'institut de la FSU, a mené de nombreux entretiens avec des enseignants. Il montre la déstabilisation du travail enseignant, même s'il y aussi réappropriation. Les enseignants appliquent la réforme à leur manière. Ils continuent d'enseigner des points qui leur semblent importants même s'ils sont diminués dans le curriculum. Ils "trichent" avec la démarche d'exploration qu'on leur demande de prendre. "Derrière ces formes de résistance.. il y a la nostalgie et l'espoir d'un travail dont on pourrait être fier, un travail reconnu par les élèves et les parents, utile socialement".


Un ancien professeur de génie mécanique témoigne. "Ma formation ne me sert à rien. Je n'ai ni matériel, ni logiciel, ni manuel. Et j'enseigne une matière que je ne connais pas. Quand j'étais en difficulté avec un groupe d'élèves, on allait à l'atelier et là les choses entraient en ordre. Aujourd'hui je n'ai plus ce recours. Je travaille comme un débutant 60 à 70 heures par semaine car je dois tout préparer. C'est le stress, la course continue. A 58 ans, je suis passé de professeur expérimenté à débutant. Parce que mon travail est dégradé par mon incompétence pour moi le sentiment qui caractérise cette année c'est l'humiliation".


En STL , un professeur signale des élèves attachants qui attendent beaucoup. "J'essaie de dégager l'essentiel mais je n'ai pas de perspective sur le niveau attendu en terminale. Je me demande quoi enseigner , à quel niveau. Et je n'ai plus le temps d'en discuter avec les collègues. Je me demande ce que vont devenir ces élèves".


C'est une culture disciplinaire qui disparaît et aussi une pédagogie, explique Thierry Reygades, secrétaire du Snes. "Ce qui se met en place nie la particularité de la voie technologique. On avait une pédagogie de projet, avec des contenus adaptés qui placaient les enseignements technologiques et généraux en synergie. Cette voie apportait une possibilité de promotion à des jeunes de milieu défavorisé. Aujourd'hui on empêche l'élève d'aller jusqu'à la réalisation du produit. On oblige l'enseignant d''enseigner des contenus éloignés de leur spécialité ".


La crise est aggravée par les suppressions de postes et les insuffisances des formations. Dans tel établissement c'est la moitié des enseignants de STI qui ont disparu avec la réforme. Comme les effectifs baissent , les enseignants sont mis en concurrence pour rester. Les formations dispensées ont lieu hors temps de travail alors que les professeurs sont déjà surchargés par la refonte complète de leur enseignement. Du coup ils ne bénéficient pas réellement de ces formations. Certaines sont d'ailleurs à distance.


Ca va péter ? C'était une question qui revenait dans la salle. Si le choc est trop écrasant chez les enseignants pour que l'esprit de révolte se répande, les enseignants observent le mécontentement des élèves. "Ils ne s'y retrouvent pas. Les nouveaux programmes ne sont pas adaptés". La situation semble explosive en STI et STL. La réforme de ST2S semble se passer nettement mieux. Celle de STG est à venir.



Thierry Reygades, secrétaire national SNES


On voit dans les documents une évolution à la baisse de toutes les filières technologiques. Les réformes sont présentées comme une réponse. Pensez-vous que ce soit le cas ?


Non seulement je ne le pense pas mais le ministère lui-même n'y croit pas puisqu'une note de la DEPP publiée en novembre prévoit une baisse du nombre d'élèves de 10% d'ici 2020. Le proviseur de l'ENPC où nous sommes me dit qu' il y a un problème de recrutement en STL Dès lors qu'on imagine des formations où les élèves ne savent plus sur quel système ils vont travailler c'est moins attractif.


La filière STI semble en perte de sens. C'est une perte de la professionnalité pour les enseignants ?


C'est une perte de sens sur le sens que les élèves peuvent donner à leur formation. Par exemple on avait une filière automobile où les élèves apprenaient des concepts technologiques et c'était attractif avec des débouchés en BTS. Aujourd'hui il reste les équipements mais plus d'élèves . Les élèves sont mis sur des systèmes virtuels et la formation perd son sens.


Est-ce vraiment justifié d'opposer le réel et la simulation ?


Une simulation ce n'est pas concret. C'est s'arrêter au milieu du gué et ne pas avoir conscience de ce qu'on peut réaliser.


Que va devenir l'enseignement technologique. Il va entrer dans le général ?


Si on organise ce colloque c'est qu'on croit dans son avenir. Il peut y avoir des modifications qui replacent les formations au centre. On est pas pour le retour en arrière. La réforme était nécessaire sur les systèmes industriels. Sur le tertiaire et le médico-social c'était moins évident car elles avaient été réformée sil n'y a pas longtemps. Sur les systèmes industriels il fallait retrouver des champs technologiques attractifs et former les jeunes sur ces champs là. Une spécialité comme éco conception ce n'est ni un système, ni un champ technologique, ni une activité.


En STG pourquoi une réforme alors que la dernière est très récente ?


C'est une stratégie du ministère de finir sa réforme. Il veut construire l'autonomie des établissements : ce sont les heures dévolues aux groupes dont l'utilisation est laissée à l'initiative de l'établissement. Et avoir des dispositifs comme l'accompagnement personnalisé imposés alors qu'ils ne servent à rien en technologique compte tenu des pédagogies utilisées.


Dans vos études on voit une souffrance au travail. C'est vrai ?


On a mené des entretiens. Vous savez quand vous avez été formé dans une discipline et que du jour au lendemain ce n'est plus cela qu'il faut enseigner vous vous interrogez. Quand vous êtes mécanicien et qu'on vous dit que vous pouvez enseigner le génie civil quasiment sans formation, pour un prof qui a l'habitude de former des élèves pur qu'ils aient un certain niveau de compétences ça fait mal. Les professeurs s'interrogent beaucoup. Ils sont en train aussi de se réapproprier leur travail pour que ce soit le moins déstructurant possible.


Vous avez constaté des démissions, des suicides ?


Bien sur des suicides. Ils sont pas liés aux élèves mais à l'environnement de travail. Par exemple un collègue de productique qui s'est suicidé quand on a déménagé son atelier. On a aussi beaucoup de professeurs qui s'interrogent sur leur reconversion.


On va proposer un appel pour médiatiser les réussites de cette voie technologique, par exemple sur le plan social, et réaffirmer ces voies. Les replacer sur les rails du concret qu'elles n'auraient pas du quitter.


Propos recueillis par François Jarraud



Perrot (IG) : STI : "On a stoppé le mouvement de chute"


Nouvel éclairage sur le devenir de la filière STI. Après le colloque du Snes, dont le Café s'est fait l'écho le 9 décembre, Norbert Perrot, doyen du groupe STI de l'Inspection générale, explique pourquoi à ses yeux la réforme était nécessaire et revient sur la souffrance au travail des enseignants.



Pourquoi avoir lancé cette réforme ?


La France a besoin de jeunes scientifiques. Or le bac STI était en net déclin (-20%), pris entre deux évolutions. D'un coté le nouveau bac professionnel en 3 ans donne la possibilité aux jeunes de poursuivre des études en BTS particulièrement dans l'industriel. De l'autre la filière S stagne avec très peu d'élèves en SSI (sciences de l'ingénieur). Entre les deux la voie technologique STI reculait avec ses vieux programmes obsolètes.  Elle-même entraînait celui des BTS qui étaient l'exutoire naturel de la filière. Aussi, en 2010, le ministre a décidé de transformer la filière en faisant de la nouvelle série STI2D une voie d'excellence qui permette à des jeunes qui n'ont pas le profil S d'envisager des études scientifiques supérieures longues.


Et ça marche ?


Les effectifs cette année sont en hausse de 3%, on a donc stoppé le mouvement de chute. Mais cela a nécessité une vraie rénovation. STI2D permet à des élèves qui n'ont pas le profil d'une première S d'aller vers l'excellence grâce à une pédagogie basée sur des activités expérimentales, s'appuyant sur des systèmes pluritechniques. Ils travaillent sur les énergies, la matière ou la construction mais avec une approche pluridisciplinaire, associant simulation et expérimentation. Car on réalise en STI2D.


Selon le Snes cette mutation génère de grandes souffrances chez certains enseignants. Ils se retrouvent déqualifiés.


Je constate surtout des équipes qui se sont mises au travail, qui font ce qu'elles peuvent malgré un manque certain de vision sur l'avenir car on démarre la nouvelle filière. Et je leur en suis très reconnaissant.


Mais je suis très sensible aussi au cas de ces enseignants qui ont de véritables compétences mais qui ne se sont pas adaptés au nouveau bac STI2D. Il faut voir au cas par cas s'ils peuvent évoluer. Certains ont probablement leur place en enseignement professionnel. C'est une question qui dépend des directeurs des relations humaines des académies. Sans doute a-t-on trop longtemps laissé perdurer des programmes obsolètes.


Pour faciliter leur reclassement on a fait un gros effort de formation pour les enseignants qui veulent suivre l'évolution de la STI2D. On a multiplié les formations associant présentiel et à distance.  Actuellement près de 400 heures de formation sont en ligne.


Le ministre a installé des classes de STI dans des lycées prestigieux comme Louis-Le-Grand à Paris. Qu'en pensez vous ?


Pourquoi ferait-on du français ou des maths partout et pas des sciences de l'ingénieur ? Nous baignons dans un univers technologique. Il n'y a pas de raison que ça ne pénètre pas dans tous les lycées.


Propos recueillis par François Jarraud



Sur le site du Café

Par fjarraud , le mercredi 21 décembre 2011.

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