B. Groison : " Le gouvernement refuse tout débat"  

Par François Jarraud



Secrétaire générale de la Fsu, la première fédération de la fonction publique, Bernadette Groison invite au débat. Débat sur l'avenir de l'éducation et la gestion des moyens en temps de crise. Débat plus général sur la gestion de la crise avant les élections présidentielles. C'est renvoyer Luc Chatel et le gouvernement à leur bilan et à leur arrogance.

 


L'UMP vient de publier son programme de propositions pour l'Ecole. Quel jugement portez-vous sur elles ?

 

C'est une publication sans surprise. La majorité montre bien le choix qu'elle fait en terme éducatif et reste bien dans l'orientation gouvernementale : celle de la contrainte budgétaire. C'est ce qu'on connaît depuis déjà 4 ans. Or cette politique ne permet pas de prendre en charge tous les jeunes. L'UMP parle de réussite pour tous mais en fait elle acte le fait que le fait que le système éducatif ne permet pas à tous les jeunes de sortir avec une qualification. Ils maquillent cette réalité en disant que les jeunes ne font pas tous les mêmes efforts, en parlant de la responsabilité des familles, ou des enseignants qui n'arrivent pas à les faire réussir. Ils essaient de mettre des causes pseudo pédagogiques ou sociétales. Mais sur le fond ils n'ont pas décidé de remettre en cause le système et de casser le retard français en terme de décrochage et de corrélation entre réussite scolaire et origine sociale comme le montrent les études internationales.


Que peut-on faire face à l'échec scolaire ?


Il faut recentrer la réflexion et les mesures sur la classe. On a trop tendance à renvoyer hors de la classe le traitement de l'échec scolaire. Du coup on ne donne pas les outils aux enseignants pour que tous les jours ils prennent en charge ces difficultés dans leur classe. Il faut de la formation, donner la capacité à travailler différemment. Par exemple plus de professeurs que de classes au primaire, la possibilité de travailler en équipe et de faire des groupes d'élèves au secondaire. Même si pour certains élèves la difficulté ne peut être traité qu'ailleurs, il faut revenir à la classe. Un des dangers de la politique Chatel c'est de faire croire qu'avec un millefeuilles de dispositifs (sport l'après-midi etc.) il lutte contre l'échec scolaire. C'est dans la classe que se jouent et que se déjouent les inégalités. C'est une idée que la FSU va porter.


Luc Chatel s'est toujours présenté comme non-idéologue, presque neutre. Avec ce programme n'y a-t-il pas une orientation idéologique affichée ?


Mais Chatel n'a jamais été neutre politiquement même s'il a essayé de faire passer un discours rassurant, y compris en utilisant le vocabulaire des organisations syndicales. Il parle de réussite pour tous, de soutien aux élèves en difficulté. Mais il ne met pas le même contenu à ces mots que nous. Il parle de réussite pour tous mais il ne met pas en place ce qu'il faut pour y arriver. Il fait en sorte que les élèves qui perturbent ou qui peinent à trouver leur voie à l'école soient poussés un peu en dehors du système éducatif et en même temps de tirer les plus "méritants". Au final le résultat est toujours le même : il y a toujours 130 000 à 140 000 sorties sans qualification et un échec scolaire qu'on n'arrive pas à réduire. Il faut regarder les résultats. Les études internationales lui ont renvoyé cette réalité à la figure d'une manière très forte. Sous une personnalité rassurante sa politique est en fait évidemment celle de l'UMP.


J'ajoute que le dialogue social avec Luc Chatel est problématique puisqu'il ne passe que par voie de presse. Il ne nous donne jamais les moyens de prendre part à un débat, de travailler ensemble les questions éducatives. Il fait des annonces mais ne recherche pas la discussion avec la communauté éducative.


Je me rappelle la soirée très tendue des élections. Il y a maintenant ce programme. Luc Chatel ne se lâche-t-il pas ?


Les échéances politiques vont l'obliger à justifier sa politique. Le ton va peut-être être différent à cause de la campagne. On prendra moins de gants y compris envers les enseignants. On est dans la méthode Sarkozy où on vous dit quoi faire et où on justifie en disant qu'il n'y a rien d'autre à faire que ce que l'UMP propose. C'est le même discours sur la crise et sur l'école et il ne prête pas à débat. D'emblée il discrédite ce que disent les organisations syndicales et les enseignants. Par exemple, le 27 septembre , N Sarkozy s'est permis de dire que proposer 60 000 postes d'enseignants n'était pas raisonnable à part faire plaisir aux syndicats. C'est méprisant. Ca renvoie le PS et les syndicats dans les cordes. Le gouvernement parle beaucoup de dialogue social mais il répond de cette façon. Il reste dans le schéma où rien n'est à discuter alors qu'on a tellement besoin de débats. En dehors de la crise il y a des évolutions de la société énormes, dans un monde qui bouge. Comment éduquer aujourd'hui ? Quelle place de l'école dans la famille ? Que doit-on enseigner ? De quoi a-t-on besoin pour une formation tout au long de la vie ? Voilà des questions passionnantes. Mais le gouvernement refuse tout débat.


Là où il y a encore discussion, je pense au Sénat par exemple, on voit qu'un certain consensus s'est formé autour d'idées simples : le chef d'établissement manager, l'idée que les moyens c'est secondaire... Des thèmes que l'on retrouve dans le programme UMP et qui semblent avoir fait leur chemin bien au-delà.


Dans une situation difficile, on a tendance à chercher des solutions simples. Dire que les choses iraient mieux avec des managers à la tête des établissements ça peut paraître rassurant. C'est le modèle caricaturé du privé. Mais on se trompe. Il faudrait inventer des manières de gérer qui correspondent à l'histoire et l'identité du secteur public. Ce n'est pas d'un renforcement du pouvoir des chefs d'établissement dont on a besoin. C'est de redynamiser les équipes éducatives , de donner un sens au travail collectif en favorisant ce travail des équipes. Les enseignants sont trop seuls avec trop de comptes à rendre. Cette surcharge empêche de se confronter entre enseignants pour réfléchir aux pratiques, aux difficultés des élèves.  Mais il ne suffit pas de parler de travail en équipe. Luc Chatel acquiescerait sans doute lui-même à ce discours ! Il faut donner du temps, de la formation.


Pendant longtemps l'Education nationale a été cogérée. Aujourd'hui vous nous dites que le dialogue est courtois mais vide avec le ministère. Quels moyens d'action restent-ils aux syndicats ?


L'efficacité du syndicat c'est déjà de mettre les personnels en débat. C'est ce qu'on a fait avec les 500 débats dans tous les départements. J'y suis allé. J'ai vu ce besoin de discuter à la fois sur l'Ecole dont on rêve et sur celle que l'on vit. C'est une profession très mobilisée, découragée sans doute par les contraintes budgétaires mais attachée au métier et motivée. Notre second rôle c'est de dire à l'opinion ce que  l'on veut pour l'Ecole. Il va bien falloir dans les mois qui viennent que les candidats disent ce qu'ils comptent faire pour de vrai dans l'avenir. Quand le 27 septembre, Sarkozy répond à la grève des enseignants en disant que lui il s'occupe de l'industrie et pas des fonctionnaires, c'est provocateur. Mais c'est aussi se fourvoyer. Car on ne peut pas parler d'industrie sans parler recherche et éducation. Il va bien falloir parler de ce qu'on veut comme éducation pour nos jeunes et pour la société. Enfin le troisième rôle ce sont les actions. Même si c'est difficile avec ce gouvernement, on veut mettre fin à la règle du "un enseignant pour deux partis en retraite". On ne désarme pas.


Il faut inverser le raisonnement et partir des besoins de la fonction publique aujourd'hui. Si on ne pense le projet éducatif qu'en terme de moyens budgétaires on est dans l'impasse. La fonction publique doit coller aux évolutions de la société. Et partout où il faut recruter il va bien falloir faire des recrutements. Pour l'éducation, il faut évaluer ce qui est nécessaire sur le court terme et prendre des engagements d'Etat sur plusieurs années. C'est pour cela que l'on a fait des propositions sur le pré-recrutement des enseignants. Au-delà de la question des 60 000 postes, il y a celle de la fonction publique dans la crise. Considère-t-on que la fonction publique est un levier pour sortir de la crise ? Est-on décidé à en programmer la force ? Il faut partir des besoins et ensuite voir quels moyens on met et comment on les met.  Parlons de projets.


Mais on ne peut pas faire l'impasse sur la crise budgétaire...


On ne nie pas l'existence de la crise. Mais il faut voir aussi où on va chercher des recettes. C'est encore un débat que le gouvernement refuse d'ouvrir. On n'arrive pas à parler de fiscalité. Pourtant, par exemple, à la FSU on conteste l'efficacité du crédit impôt recherche. C'est 5 milliards : on pense qu'il y a là une niche intéressante. Les heures supplémentaires c'est 1,2 milliard. On pense que ce milliard serait mieux utilisé ailleurs. Il faut être conscient qu'on n'est pas dans une période faste et qu'il va falloir prioriser les dépenses. Mais on ne peut pas s'interdire  de penser à des mesures parce que l'on aurait un cadre budgétaire inamovible. On peut abonder le budget si l'on veut.


Aujourd'hui tout le monde dit que les plans successifs du gouvernement  font payer pratiquement que les seuls salariés. Tout le monde a compris que le gouvernement essaie de sortir de la crise en touchant le moins possible au système, en essayant de faire payer ceux qui travaillent encore. Peut-on sortir de la crise autrement que par ces plans d'austérité ? On souhaite que ce débat soit porté lors de la présidentielle. Les organisations syndicales disent qu'il y a une autre façon de sortir de la crise. Elles vont dire, avec le projet social qu'elles portent, ce qui leur semble nécessaire d'être fait. Il nous parait impensable que dans la situation actuelle le gouvernement, qui ne tarit pas d'éloges sur le dialogue social, ne reçoive aucune organisation syndicale ! Comment est-ce possible !


Il y a eu récemment les élections professionnelles. Comment expliquez vous la chute du taux de participation ?


On n'est qu'au début de l'analyse. Mais il faut distinguer deux choses : les dysfonctionnements liés au vote électronique et d'autres facteurs. Je reste persuadée que cette baisse de 20 points ne s'explique pas si l'on ne regarde pas les dysfonctionnements. D'autant qu'il y a stabilité dans tous les autres ministères. La chute n'existe qu'à l'éducation nationale, le seul ministère où l'on votait électroniquement. On sait qu'il y a des personnels qui n'ont pas pu voter. C'est pourquoi on a demandé une commission d'enquête au ministre de l'éducation nationale et aux parlementaires. Le ministère ne peut pas se dédouaner de cette question d'autant que , lors de la simulation, on l'avait alerté que ce n'était pas prêt. On n'a pas voulu nous entendre. On veut que le ministère assume cette responsabilité et que cela ne se reproduise pas. Sur l'idée que la baisse serait due au fait que des collègues n'ont pas voulu voter, on va regarder cela de plus près, corps par corps. Mais une baisse aussi forte ne peut pas venir de cette seule raison.


Le gouvernement utilise cette idée ?


Oui il en a la tentation. Le ministre de la fonction publique s'y est essayé en disant que "les élections c'est un engagement personnel". Mais ce phénomène n'existe que dans le seul ministère où a eu lieu le vote électronique. D'autre part il y a eu de fortes mobilisations syndicales juste avant le vote, comme le 27 septembre. Dire qu'il y aurait une fêlure entre les syndicats et le personnel n'est pas sérieux.


On voit s'amplifier des mouvements de "résistance" contre l'administration de l'éducation nationale, dans tous les domaines aussi bien dans le primaire qu'au secondaire. Par exemple l'Apses qui édite un "contre-manuel" pour subvertir un programme officiel. Vous sentez-vous menacé par ces mouvements ?


C'est un mouvement qui existe aussi dans d'autres pays. Cependant les syndicats restent le cadre privilégié d'action des personnels. Ce n'est pas un problème pour les syndicats. C'en est un plutôt pour le gouvernement. C'est l'expression d'une colère et d'une volonté de ne pas lâcher sur des convictions. Le cadre est différent du syndicat. Mais ces "résistants" disent-ils des choses différentes des organisations syndicales ? Leur message est important pour le gouvernement.


Propos recueillis par François Jarraud



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Par fjarraud , le dimanche 20 novembre 2011.

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