Suicide de Béziers : Le silence et l’oubli 

Par François Jarraud



Il y a des drames inconcevables dont on recherche désespérément le sens. Ne rien dire est ce l’ignorer, en parler est ce en dire trop, risquer l’indécence ? Lise, enseignante de mathématiques, s’est immolée dans l’enceinte de son lycée de Béziers et l’on reste sans voix. Dans la presse  sont distillées des informations personnelles, femme fragile peut-être mais nous qui vivons dans l’école savons que l’acte tient dans sa dimension dramatique les stigmates d’un sens perdu, d’une dimension de plus en plus oubliée, celle du genre humain.


Dans le chapelet des nouvelles s’égrènent les signes d’une époque en devenir, des graines  de couleur, des graines grises, des graines sombres, des souffles nouveaux  nés du  refus, des élans citoyens, une justice qui se met en marche même envers le pouvoir, des gestes désespérés aussi. Relier les uns aux autres serait déjà trouver un sens, trouver une logique dans un monde en désordre, tisser des fils entre des réalités empreintes de différences ; expliquer de façon rationnelle pour trouver à l’évènement un éclairage tamisé.


L école n’est plus un sanctuaire, elle vit de plein fouet le délitement économique, social. Elle doit poursuivre vaille que vaille sa mission éducative entre pression et dévalorisation, entre engagement et respect des consignes. Les fragilités se révèlent comme dans tant d’autres métiers où le sens s’efface, constat macabre trop vite classé dans le fourre-tout des drames individuels. L’histoire de Lyse nous restera mystérieuse et nous devons le doigt sur la bouche respecter la sphère de l’intime.


Nous ne pouvons pour autant fermer les yeux devant la difficulté que certains éprouvent à exercer le métier d’enseigner. Quelle issue, quel avenir pour ceux pour qui la classe est devenue un lieu impossible à vivre sereinement, ceux que gagne l’angoisse au moment de franchir le seuil ?


Si le silence s’impose en minutes, en manifestations dignes pour ne pas laisser dans l’indifférence l’issue désespérée de la vie d’une enseignante, il ne doit pas recouvrir de son voile la souffrance au travail dans l’école. Demain, après demain des hommages seront rendus à Lise, à Béziers, à Montpellier et dans toute la France. Après l’émotion, ne laissons pas l’oubli recouvrir hâtivement d’un voile le malaise enseignant.


Monique Royer



Philippe Tournier (SNPDEN) : "On a acquis des directeurs des relations humaines mais ils n'ont pas de réponses à ce type de situation"


Secrétaire général du principal syndicat de chefs d'établissement (le SNPDEN), Philippe Tournier met en cause les restrictions budgétaires dans le drame de Béziers. Pour lui l'Education nationale n'a plus les moyens de gérer les personnes fragiles.


Avez-vous une idée de ce qui va se passer mardi et mercredi dans les établissements ?


 On est dans l'inconnu sur ce qui va se passer. Jusque là les minutes de silence n'ont pas toujours été très suivies. De toutes façons, je ne suis pas sur que cela donne la dignité que l'on attend.


Comment expliquez-vous ce drame ?


C'est un drame qui , hélas, n'est pas isolé. Il y a eu d'autres suicides de personnels d'éducation ou d'élèves depuis le début de l'année. Mais il a une dimension très spectaculaire. Et le climat électoral ne va pas dans le sens de la décence nécessaire.


Sur le fond, cela renvoie à la difficulté que rencontrent maintenant les chefs d'établissement face aux personnes en grande difficulté. Il y a dix ans, les personnes fragiles étaient prises en charge sur des postes particuliers. Par exemple on les inscrivait comme TZR en leur demandant très peu de remplacements. Il y avait des dispositifs d'accompagnement dans la vie professionnelle. On ne mettait pas devant les élèves ces personnes.


Tout cela a disparu. Aujourd'hui la logique c'est que chaque enseignant doit être devant des élèves. Du coup, les établissements n'ont plus le choix. Ils sont amenés à envoyer en classe des personnes qui ne peuvent pas faire classe. En dix ans on a acquis des directeurs des relations humaines mais ils n'ont pas de réponses à ce type de situation. Tout simplement  parce que cela a un coût.


Cela remet-il en cause l'accompagnement médical des enseignants ?


C'est simple : il n'y a aucun accompagnement médical. Il faut que ce soit grave pour qu'un établissement alerte un médecin conseil et que l'enseignant rencontre quelqu'un. Ce qui n'est pas traité c'est le mal être ordinaire d'une grande partie des personnels. On n'a pas de possibilité d'adaptation modulaire aux interventions devant les élèves. Sur ce terrain on est moins bien outillé qu'il y a 10 ans.


Enseignant c'est un métier à risque ?


Sur un million de personnes , il y a bien sur des gens fragiles.  Mais les statistiques ont montré il y a déjà longtemps que le taux de suicide est plus élevé chez les enseignants. Ils connaissent un haut niveau de stress. Mais il faut ajouter que ce niveau est partagé avec les élèves. L'école française a un niveau de stress comparable à celui de pays du sud-est asiatique. Sur ce plan l'école française est très différente de celles de nos voisins. Il y aune dizaine d'années on a découvert cette réalité. Et le ministère a immédiatement mis cette information sous le coude. Depuis cela n'a pas été traité. Parce que cela interroge le fonctionnement du système, ce que font les enseignants, les pressions sur eux et sur les élèves. Les organisations qui disent que la solution c'est de  revenir au bon vieux temps ne feraient qu'aggraver les choses.


Propos recueillis par François Jarraud



Sur le site du Café

Par fjarraud , le vendredi 21 octobre 2011.

Partenaires

Nos annonces