Primaire : Evaluation ou inquisition ? 

Par François Jarraud 



A nouveau, les évaluations de CM2 se déroulent dans un climat inquisitorial. Le gouvernement semble avoir tellement peur des "désobéisseurs" qu'il les pourchasse avec une rare maladresse. Ce faisant, il construit lui-même les pièges qui le font chuter.


Gilles Lehmann est-il un homme dangereux ?

L'Inspection académique de Haute-Vienne a suspendu brutalement un enseignant, Gilles Lehmann, au prétexte qu'il ne respectait pas le protocole de l'évaluation de CM2.


C'est un fait sans précédent qui s'est produit dans la modeste école de Condat sur Vienne (Haute-Vienne) (12 classes), lundi 18 janvier. Lundi matin l'IEN de secteur et l'inspecteur d'académie adjoint sont arrivés dans l'école, ont demandé à Gilles Lehmann s'il allait appliquer le protocole des évaluations de CM2  et devant son refus l'ont immédiatement suspendu. Un remplaçant est venu faire classe à sa place.


L'inspection académique lui reproche de ne pas respecter le protocole de l'évaluation de CM2, qui commençait officiellement lundi. Dans la lettre officielle qui lui a été remis on lui reproche de fausser ainsi les résultats de l'évaluation et de "désorganiser le service public". En effet, Gilles Lehmann a décidé d'étaler sur trois semaines cette évaluation (au lieu de 3 jours) et il effectue les exercices lors de l'aide personnalisée, un autre dispositif qu'il ne respecte donc pas. Il ne s'en cache pas : il a signé l'appel des "200 désobéisseurs".


Une évaluation contestée. L'évaluation de CM2 avait été largement rejetée en 2009 par de nombreux enseignants qui contestaient son protocole et sa finalité, au point que le ministère avait fini par reconnaître qu'un pourcentage important de résultats n'étaient pas remontés, sans parler de tous ceux qui étaient faussés. En décembre les "désobéisseurs" avaient appelé à refuser l'évaluation. Début janvier les trois principaux syndicats avaient demandé au ministre de suspendre l'évaluation projetée.  Le Snuipp a donné aux enseignants des consignes (ne pas faire passer d’exercices correspondant à des notions non étudiées depuis le début de l’année) qui ne respectent pas le protocole de l'évaluation.  Comme elles sont suivies par bien d'autres enseignants que G Lehmann, la sanction qui lui tombe dessus semble bien injuste.


Gilles Lehmann nous a fait part de sa surprise. "Cette décision me parait absurde et disproportionnée. Cela montre qu'il n'y a plus de discussion possible dans l'éducation nationale. On est plus des enseignants mais des fonctionnaires. Or c'est insupportable pour un enseignant d'autant qu'un fonctionnaire ce n'est pas forcément quelqu'un qui oublie de réfléchir".


Le procédé est surprenant. On suspend généralement en urgence un pédophile ou quelqu'un qui met en danger les élèves, pas quelqu'un qui a un différent sur l'application d'une consigne officielle. Pour ses amis de l'appel des 200, c'est "Limoges sous Vichy". "Cet acte odieux est sans précédent depuis l'époque de Vichy", écrivent-ils. "L'Inspecteur d 'académie fait du zèle dans la répression des enseignants quitte à sortir de la légalité et à risquer une nouvelle condamnation de l'Etat par un tribunal administratif". La sanction n'a donc pas refroidi le zèle des 200. Elle a créé autour de Gilles Lehmann un mouvement de sympathie. Il a reçu des lettres de soutien de parents et sait pouvoir compter sur les sections syndicales de Haute-Vienne du Snuipp, du Sgen et de l'Unsa. Tous vont appeler à une manifestation devant l'I.A. vendredi 22 janvier à 17h pour accompagner G Lehmann devant l'inspecteur d'académie.


Dans son livre, paru le 14 janvier, Alain Refalo, un des dirigeants du mouvement des désobéisseurs, explique que "la désobéissance pédagogique trouve sa légitimité dans l'affirmation d'une exigence éthique et morale" et que "l'administration en sanctionnant durement, reconnaît que cette action l'inquiète… Tout l'enjeu est alors de rendre cette répression dérisoire pour permettre la poursuite du mouvement. C'est pourquoi la fermeté face à la répression est décisive".


Pour avoir sanctionné des enseignants qui se déclaraient en désobéissance, Xavier Darcos a réussi à faire naître un mouvement qui regroupe maintenant 3 000 enseignants. Non seulement la peur n'a pas fait fuir les militants mais, l'Etat étant régulièrement condamné en justice pour des sanctions qui sont légalement apparues comme arbitraires,  il a levé un grand mouvement de sympathie au bénéfice de ces enseignants. Gilles Lehmann, lui, estime qu'on lui fait un procès en hérésie.


IL faut bien dire qu'avec Gilles Lehmann une nouvelle étape risque d'être franchie. En suspendant de façon aussi brutale ce professeur des écoles, l'Inspection académique de la Haute-Vienne pose à tous les enseignants une question identitaire. Sont-ils des fonctionnaires soumis à l'obéissance passive ? Sont-ils des éducateurs ? Si l'on ne peut pas apprendre sous la contrainte, peut-on enseigner dans la sujétion ? L'homme dangereux est-il bien Gilles Lehmann ?

Communiqué Résistance pédagogique

http://resistancepedagogique.blog4ever.com/blog/lirarticl[...]

Luc Chatel : finissons-en avec les procès en sorcellerie pédagogique

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/06/25[...]

Sur l'ouvrage d'Alain Refalo

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/12/2[...]



Les désobéisseurs appellent au boycott des évaluations de CM2

Avec "l'appel des 200 maîtres", les désobéisseurs repartent en guerre contre l'évaluation nationale de CM2 prévue en janvier. Trouver une solution sera le premier exercice du nouveau patron de la Dgesco, JM Blanquer.


En 2009, les évaluations de CM2 avaient rencontré une résistance certaine.  Officiellement près d'un enseignants sur quatre n'a pas évalué les élèves et probablement la moitié ne l'ont pas fait dans les règles imaginées par la Dgesco. Le ministère avait minimisé cet échec et annoncé le maintien de l'évaluation en 2010. Les critiques portaient sur la conception d'une évaluation portant sur les connaissances d'un programme qui n'était pas terminé en janvier et sur son utilité, cette évaluation n'étant d'aucune aide pour les enseignants pour détecter des difficultés précises chez les élèves et risquant de mettre en concurrence les écoles.


Dans un communiqué, le mouvement des "désobéisseurs" appelle à "s'opposer à ces évaluations selon les modalités de leur choix : boycott (un élève absent invalide les évaluations), simple passation des compétences déjà travaillées, notation plus intelligente, autre usage des documents... Dans tous les cas, nous demandons à nos collègues de ne transmettre aucun résultat à l'administration ou à le faire sous des formes qu'elle ne pourrait pas exploiter". L'appel est signé par 200 enseignants, parmi lesquels A Refalo et B Cazals. Il bénéficie du soutien de l'Icem Freinet et de la Foeven ainsi que d'universitaires : P Meirieu, A Ouzoulias, P Frackowiak, A Giordan, D Manesse, H Montagner, L Mucchielli etc.

L'appel

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Le dossier du Café

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Evaluation CM2 : Les syndicats demandent au ministre de revoir sa copie

Les trois grands syndicats du primaire demandent à Luc Chatel de " remettre à plat le dispositif actuel d’évaluations CM2 et CE1".


Dans une lettre ouverte datée du 6 janvier 2010, Gilles Moindrot (Snuipp), Thierry Cadart (Sgen) et Christian Chevalier (Se-Unsa) rappellent les "nombreuses critiques de la part des enseignants, des parents d'élèves, de chercheurs et de parlementaires" qui ont accompagné la mise en place des évaluations de CM2 et CE1 en 2009.


De fait, les évaluations de CM2 avaient rencontré une résistance certaine.  Officiellement près d'un enseignants sur quatre n'a pas évalué les élèves et probablement la moitié ne l'ont pas fait dans les règles imaginées par la Dgesco. Le ministère avait minimisé cet échec et annoncé le maintien de l'évaluation en 2010. Les critiques portaient sur la conception d'une évaluation portant sur les connaissances d'un programme qui n'était pas terminé en janvier et sur son utilité, cette évaluation n'étant d'aucune aide pour les enseignants pour détecter des difficultés précises chez les élèves et risquant de mettre en concurrence les écoles. Enfin, le 4 janvier 2010, le mouvement des désobéisseurs a appelé les enseignants "s'opposer à ces évaluations".


Pour le SNUipp-FSU, le SE-UNSA, le SGEN-CFDT, "malgré les quelques modifications apportées, le protocole qui sera mis en oeuvre cette année, sans nouvelle concertation avec les enseignants des écoles, ne permet pas de clarifier les objectifs, ne fournit pas d’informations suffisamment précises pour la régulation des apprentissages dans les classes, et n’aide pas à la communication avec les parents". Les trois syndicats demandent au ministre une véritable concertation "qui permette de construire de véritables outils d'évaluation utiles aux enseignants et favorables à la réussite de tous les élèves".

Communiqué

http://www.snuipp.fr/spip.php?article6857

Les désobéisseurs appellent au boycott des évaluations de CM2

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Dossier Evaluation de CM2

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Désobéisseurs : Pour la Trêve de Noël

L'actualité vient rappeler au ministre de l'éducation nationale la nécessité de chercher l'apaisement dans le conflit ouvert par Xavier Darcos avec les "désobéisseurs".


Deux faits viennent à l'appui de cette thèse.  Une nouvelle fois, la justice a cassé une sanction prise contre un enseignant "désobéisseur". Par une ordonnance de référé du 21 décembre 2009, le juge des référés du Tribunal Administratif de Marseille a décidé de suspendre la sanction de déplacement d'office prise par l'Inspecteur d'Académie le 22 septembre 2009, à l'encontre d'Erwann Redon, un instituteur marseillais, à la suite du conseil de discipline qui s'est tenu le 17 septembre 2009 et qui avait proposé cette sanction. C'est d'ailleurs la seconde fois qu'Erwann Redon fait condamner l'Etat : il avait déjà obtenu en août la suspension des retenues sur salaire décidées par l'administration parce qu'il n'appliquait pas l'aide personnalisée. Cette fois ci c'est plus grave pour le ministère car le tribunal met en doute la légalité de la sanction, évoque la partialité du président de la commission disciplinaire et condamne l'Etat à réintégrer l'enseignant dans son école d'origine et à lui verser des dommages. Ce que montre cette décision, c'est, une nouvelle fois, que les poursuites engagées par le ministère sont illégales. C'est la légalité du combat mené par Xavier Darcos puis par Luc Chatel qui est atteinte. 


L'autre fait nouveau c'est la publication le 14 janvier par Alain Refalo, le désobéisseur le plus célèbre, d'un ouvrage, intéressant et fort bien écrit, qui retrace et explique son action. A. Refalo raconte comment est né le mouvement, explique longuement ce qu'il reproche à la réforme Darcos et pourquoi il en est arrivé à désobéir, et finalement réfléchit à l'avenir de ce mouvement. "En faisant raisonner le mot "désobéir" dès l'automne 2008… j'ai créé un déclic chez de nombreux enseignants qui se sont reconnus dans cette démarche" explique-t-il. Mais l'élément le plus nouveau de cet ouvrage c'est qu'A Refalo théorise la désobéissance. "La désobéissance pédagogique trouve sa légitimité dans l'affirmation d'une exigence éthique et morale" , "écrit-il. "Les nouveaux programmes, les évaluations nationales, l'aide personnalisée… contribuent selon moi à déconstruire l'école de la République au lieu de la renforcer". Voilà pour la justification. Mais A Refalo théorise aussi la suite, c'est-à-dire la répression. ""Dans le cadre de notre mouvement, l'administration en sanctionnant durement, reconnaît que cette action l'inquiète… Tout l'enjeu est alors de rendre cette répression dérisoire pour permettre la poursuite du mouvement. C'est pourquoi la fermeté face à la répression est décisive". Et Alain Refalo s'appuie sur les enseignements de Thoreau et Gandhi pour justifier cette position.


Le rapprochement de ces deux faits parle suffisamment. La répression exercée sur les désobéisseurs se trouve maintenant sanctionnée par la justice ce qui les place en situation de victimes innocentes. Les accusations lancées contre eux s'effondrent et ce n'est pas par hasard. Plus l'administration s'acharne sur eux, plus leur popularité progresse (ils sont maintenant 3 000) face à ce qui ressemble à de l'arbitraire administratif. Plus il apparaît que ce qui est jugé insupportable chez les "désobéisseurs" c'est sans doute d'avoir osé prendre ce terme puisque leurs actes peinent à être sanctionnés.


Il est temps de proclamer la trêve. Après les assauts de Darcos, l'école primaire a besoin de pacification. Luc Chatel pourrait s'inspirer de son prédécesseur. Il avait su mettre fin aux querelles idéologiques lancées par G. de Robien.

Alain Refalo, En conscience je refuse d'obéir. Résistance pédagogique pour l'avenir de l'école, Paris, Des ilôts de résistance, 2010, 251 p.

Le jugement d'E Redon

http://education-resistance-autoritarisme.org/images/erwan/delibe[...]

L'ouvrage d'A Refalo

http://www.ilotsderesistance.fr/DeboutEnConscience

A Refalo dans le Café : seuls nous ne gagnerons pas

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/02/AR[...]

Désobeisseur une nouvelle posture ?

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/primair[...]



Sur le site du Café
Par fjarraud , le vendredi 15 janvier 2010.

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