Christophe Fabre, 34 ans 

Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs



de l’enseignement de la technologie à la création d’EXATICE

Quel a été le parcours de carrière de Christophe ?


« Mon parcours a été atypique. Après un Bac F3 en Technologie en 1992, j’ai obtenu un BTS en Contrôle Industriel et Régulation Automatique (CIRA), une formation poussée en 1994. Après avoir obtenu une bourse pour préparer l’IUFM, j’ai intégré une licence en 1996. J’ai réalisé cette licence en deux ans tout en faisant une préparation militaire Marine. J’ai, également pendant mon année de licence, pu réaliser des stages en collège deux jours par semaine dans le cadre d’une convention entre l’IUFM et la Faculté. En 1997, j’ai terminé mes études avec une maîtrise en Electronique Electrotechnique et Automatique (EEA). En 1998, j’ai réussi le Capet de Technologie, l’IUFM de Douai obtenant dans ce domaine les meilleurs résultats en France (98 à 100% de réussite). Dans un premier temps, j’ai enseigné en collège, cela s’est bien passé, hormis le fait que le conseiller pédagogique qui devait m’accompagner dans mes débuts n’a pas assumé son rôle. Ce fut l’une de mes premières désillusions. Lors de cette première année, en 1999, j’ai eu à enseigner en classe de 3e et je me souviens être rapidement sorti de mes gons suite à une altercation avec un élève qui ne savait ni lire ni écrire mais je ne le savais pas. Lors de conseil auprès de mes collègues, ils m’avaient dit : « celui-là, tu le mets au fond de la classe et tu es tranquille ». Mais comme j’avais de la passion pour mon métier, je n’ai pas suivi ce conseil et je me suis efforcé de l’aider à surmonter ses difficultés. Durant mes années de prof, j’ai eu de très bons contacts avec mes élèves, mais peu avec les enseignants qui étaient mes collègues.


Durant mon parcours d’enseignant, j’ai été très bien noté, en montant mes échelons au grand choix. J’ai connu des postes assez difficiles, comme à Bondy (Seine-Saint-Denis) où j’ai été TZR, en remplacement d’un enseignant qui venait d’avoir une crise cardiaque. Même si l’établissement était classé « à hauts risques », ma meilleure année d’enseignement demeure là-bas. J’avais réussi à prouver aux élèves que j’avais envie de leur transmettre des savoirs. Néanmoins, j’ai connu deux altercations avec des élèves que je ne connaissais pas, car j’étais intervenu pour tenter de régler l’un de leurs conflits. Enseigner dans cet établissement m’a quand même fatigué physiquement et nerveusement. Heureusement, dans ce genre d’établissement, il y a une vraie solidarité entre les enseignants, et pas de tabou en salle des profs sur les questions de discipline face aux élèves. Tout se dit. Ensuite, j’ai eu une mutation en Seine-et-Marne, dans la cité Beauval à Meaux, dans l’un des trois collèges classés à risques. Un élève a été égorgé une année dans l’un de ces collèges mais heureusement n’est pas décédé : dans ce cas, la mission des enseignants devient difficile à tenir dans un tel climat de violence. Dans le collège où j’étais, Beaumarchais, le principal, Monsieur Pellegrino, savait tenir son établissement, heureusement. Dans ce type de collège, la plupart des élèves sont difficiles et n’ont pas de reconnaissance pour ce qu’on tente de leur apporter. On donnait beaucoup de chances aux élèves, mais ils sont ancrés dans la culture de leur cité et s’excluent très vite d’eux-mêmes, ils ne saisissaient pas leur chance.


Je me suis souvent remis en cause pour faire évoluer mes pratiques pédagogiques, mais je ne suis resté qu’un an dans cet établissement. Ensuite, j’ai enseigné sur deux établissements, dont un qui s’ouvrait. J’y tenais une cellule d’accueil psychologique pour les élèves. Dans ma carrière, j’ai eu aussi l’occasion de mener quelques projets pédagogiques, dont un qui consistait à faire fabriquer un cerf volant par groupes d’élèves, pour les emmener ensuite le faire voler à Berck au concours de cerf volants. Dans les collèges difficiles où j’ai enseigné, il n’était pas question de conduire des projets de ce type, car il n’y avait aucune implication des élèves. Après avoir été tout un groupe de jeunes enseignants à mettre en place le nouveau collège où je n’étais pas titulaire, beaucoup d’entre-nous ont été dégoûtés d’être remplacés par des enseignants titulaires dont le barème de mutation était plus important que le nôtre. Cela m’a conduit à de nouvelles désillusions sur le fonctionnement de l’Education Nationale. J’ai été affecté ensuite à Henri IV à Meaux, un collège attenant à la prison. On entendait pendant les cours les prisonniers brailler de l’autre côté…c’était une ambiance stressante, même si l’ambiance entre les profs était sympathique et avec les élèves des différentes classes.


En 2003, j’ai enfin eu mon premier poste de titulaire à Coulommiers. J’étais en même temps professeur principal et j’étais responsable du réseau informatique et de la discipline de technologie dans l’établissement, et je m’occupais des projets de stages des élèves de 3e. En 2006, les effectifs des classes ont été réduits, et je me suis retrouvé à enseigner à nouveau sur deux établissements. Je travaillais aussi sur l’orientation, j’étais professeur principal en 3e et responsable de la découverte professionnelle. Peu à peu, j’ai ressenti un ras-le-bol administratif. En effet, j’ai eu l’occasion de gérer les corrections de copies du Brevet des Collèges, et je ne pouvais plus supporter de surnoter les copies à l’aveugle, de modifier les notes avant la saisie informatique, juste pour que les résultats annoncés soient dans la moyenne départementale, sans compter les consignes de notation lors des corrections. Cette manière d’agir que nous imposait l’administration a fini par me dégoûter de mes missions, et en avril 2007 j’ai pris la décision de quitter l’Education Nationale. « Je ne pourrais pas faire une rentrée de plus » ai-je alors dit à mon épouse, mais j’avais mûri mon projet de reconversion depuis 4 ans ».


De quelle manière s’est montée cette entreprise que vous dirigez, EXATICE ?


« Je donnais des cours d’informatique à un chef d’entreprise depuis quelques années, et un jour il m’a proposé de m’aider – si j’en avais le souhait – à créer mon entreprise. Ainsi, en trois mois, je suis passé du rêve à la réalité, avec dès le 1er juillet 2007 une disponibilité pour deux ans, dans le cadre du décret d’avril 2007. »


Quelles démarches doit-on réaliser pour créer son entreprise ?


« J’ai appelé le rectorat, plus exactement la Division des Personnels Enseignants (DPE7) de l’académie de Créteil. Auparavant, j’avais posé une question sur I-Prof sans jamais obtenir de réponse, tandis que l’inspecteur de ma discipline d’enseignement n’a jamais répondu non plus à mon courrier. J’ai donc adressé une lettre en recommandé avec accusé de réception à la DPE7, et je lui ai envoyé l’imprimé KBis de ma société dès sa création en juillet 2007.

J’ai su ensuite que j’aurais dû procéder ainsi, alors qu’en fait aucun document ne nous l’explique :

-           adresser une lettre au rectorat, à la DPE, sous couvert du chef d’établissement, qui doit bien entendu indiquer « avis favorable », pour indiquer que je souhaitais créer mon entreprise,

-           ensuite, la DPE doit envoyer un courrier de validation dans les 4 mois,

-           enfin, deux mois avant le début de la disponibilité, on doit fournir un extrait de KBis prouvant l’enregistrement de la société auprès de la CCI ou d’une Chambre des Métiers.


Pour ma part, j’ai reçu le courrier m’autorisant à démarrer mon activité bien après l’accord de ma disponibilité. Heureusement que j’avais eu un bon contact avec la DPE de Créteil et que tout a pu se gérer par téléphone. Il faut quasiment harceler l’administration au téléphone si l’on souhaite obtenir ce que l’on veut.


Actuellement, je pense démissionner fin juin 2009, puisqu’il est désormais possible d’obtenir une indemnité de départ volontaire. Le gros problème, c’est que le décret-loi est passé, mais pas le décret d’application m’a dit la Direction des Ressources Humaines de Créteil. Ils ne savent pas du tout comment appliquer ce décret, on ne sait toujours pas si des enseignants arrivent ou pas à obtenir la fameuse indemnité. »



Concrètement, comment avez-vous créé EXATICE ?


« Les enseignants ne disposent d’aucune aide pour créer leur entreprise, contrairement à tous les autres demandeurs d’emplois. Je voulais créer un centre de formations en informatique. J’ai d’abord dû réaliser de nombreuses recherches, beaucoup de prospections, de préparation de dossiers, de recherche comptable. C’est une jungle administrative, cela exige de nombreux rendez-vous, énormément de travail de fond. Heureusement, j’ai bénéficié de l’expérience d’un chef d’entreprise, qui m’a véritablement coaché à chaque étape.

Avant de créer son entreprise, il faut avoir bien réfléchi. J’ai eu recours à la CCI de Paris pour obtenir de l’aide dans le montage de mon dossier, mais après avoir attendu plus d’un mois le rendez-vous, la personne qui m’a reçu n’a songé qu’à critiquer le dossier que je lui avais adressé, alors qu’elle n’avait fourni aucun effort au préalable pour m’expliquer quoi que ce soit. Elle a eu une attitude irrespectueuse en regard de l’investissement que j’avais fourni, elle a manqué de pédagogie !

Heureusement, entre-temps, grâce à mon associé d’expérience, j’avais réalisé un nouveau dossier, pour présenter mon « business plan », c’est-à-dire une projection à trois ans de l’activité et la rentabilité de ma société, afin de décrocher un prêt. J’avais besoin de 30 000 euros. Le business plan est le cahier des charges fonctionnel, il pose la problématique, il analyse la concurrence de proximité, il donne toutes les solutions possibles et réelles, prévoit les moyens en personnels et en matériels, les besoins financiers. C’est vraiment un plan d’évolution essentiel, le meilleur moyen de ne pas foncer dans le mur. Mon dossier faisait plus de 100 pages !

Ensuite, quand on souhaite monter une entreprise, il faut se doter de statuts, et faire appel à un juriste, un avocat, un expert-comptable…tout cela a un coût.

Pour commencer l’activité, ma trésorerie était minime, et je ne me suis pas versé de salaire durant quelques mois pour assurer la pérennisation de l’activité. Après 18 mois de travail, tout en travaillant plus de 70 heures par semaine, je gagne à peine 50% de mon ancien salaire de prof : c’est le prix de ma liberté.


J’ai créé une SARL avec un associé, puis deux aujourd’hui.  J’ai pu le faire car j’ai obtenu mon prêt assez facilement, et comme j’entrais dans mes congés scolaires d’été, eh bien j’ai pu travailler deux mois au lieu de les prendre… ».


En quoi consistent vos diverses tâches au sein d’EXATICE ?


« Je suis multi-casquette, à la limite de la saturation. Je suis le gérant de la structure http://www.exatice.com/ avec une responsabilité pédagogique. Mon rôle est de déceler les besoins en formations de bureautique et en informatique auprès des entreprises que je prospecte. Je définis les programmes de formations dont mes clients sont susceptibles d’avoir besoin pour leurs salariés, et les modalités d’accompagnement. Pour terminer j’assure certaines formations.

Pour chacune des formations que j’organise, il y a six personnes au maximum, afin d’assurer la qualité de la formation, et de constituer des groupes homogènes, tout en assurant une pédagogie différenciée si c’est nécessaire. J’individualise la formation, je travaille sur du concret, je propose au client une offre tarifaire et un accompagnement pré et post-formation.»


Comment avez-vous appris à établir un tarif pour vos formations ?


« J’ai observé ce que faisaient mes concurrents, c’est un peu par hasard que j’ai dans un premier temps établi les tarifs par rapport au marché ! Peu à peu, j’ai appris à calculer les coûts. Il est nécessaire de déterminer l’ampleur de ses marges pour déterminer le prix de vente. Comme j’enseignais aussi la gestion quand j’étais prof de technologie, ainsi que le marketing et la communication, je suis resté en fait dans mon cœur de métier. Je forme des adultes, j’agis toujours au cœur de la pédagogie. »



Quelles compétences avez-vous développées quand vous étiez enseignant ?


«Mon savoir-faire de pédagogue vient de l’Education Nationale. Je sais être à l’écoute des apprenants, comment faire aboutir quelque chose, je sais utiliser la pédagogie par l’action. Je sais analyser un problème rapidement et le résoudre. Quand on enseigne la technologie, cela nécessite d’être curieux, de s’adapter rapidement, d’être sans arrêt à la recherche d’informations, d’avoir le cerveau en ébullition, pour faire avancer les choses. En termes de savoir-être, cela n’a rien à voir avec l’enseignement, puisque maintenant, je dois gérer du personnel ».


Quelles compétences complémentaires vous a apporté votre nouvelle carrière ?


« Savoir manager une équipe, gérer mon temps en me fixant des priorités, organiser en ayant parfois des plannings très serrés ».


Cette seconde carrière a-t-elle été « un grand saut » ?


« Cela a été un vrai soulagement. Cependant, les élèves me manquent énormément, et certaines journées peuvent être longues avant de trouver une affaire, de décrocher un contrat. J’ai quand même un sentiment de liberté, j’arrive à prendre plus de recul par rapport à de nombreuses situations. Quand j’étais enseignant, j’avais une vraie vie de famille, je pouvais prendre du temps avec mes enfants, passer des vacances avec eux, arriver tôt le soir… maintenant, le revers de la médaille, c’est que je manque de temps, c’est un gros regret. Je suis souvent stressé, tendu, en songeant à la trésorerie du mois suivant, même si je croule sous les demandes de devis. Je perds beaucoup de temps en transport, puisque je mets 2h15 pour aller à mon travail et autant pour en revenir, alors qu’avant, quand j’étais prof, j’avais 20 mn de transport. J’ai placé ma société à Levallois, à l’opposé de là où je vis en région parisienne, par stratégie par rapport au marché de la formation et par rapport aux locaux de mon associé BURO-CLUB : http://www.buro.com/ »


Quel regard vos anciens collègues ont porté sur votre projet actuel ?


« Un collègue m’a dit que j’avais totalement raison, mais je n’ai pas eu d’autres échos. J’ai d’ailleurs mal vécu mon départ, car je n’ai pas eu de pot de départ, puisque je n’ai su qu’en juillet que ma disponibilité était accordée. »


Que conseilleriez-vous à une personne qui souhaite enseigner ?


« Aimer le métier avant tout. Ce métier est un échange de savoirs, un renouvellement constant de ses connaissances. Il ne faut surtout pas passer le concours pour la sécurité de l’emploi et pour obtenir de longues vacances. Il faut savoir vivre en collectivité, apprendre à supporter les collègues… Il faut beaucoup de courage. Enseigner, cela doit être une passion, on ne fait pas ce métier par hasard. Je me suis toujours demandé quelle épreuve instaurer pour détecter la passion de l’enseignement chez les candidats. Actuellement, tout est basé sur les savoirs, pas sur la pratique réelle. Il y a des étudiants brillants qui deviennent enseignants car ils sont excellents, mais qui ne tiennent pas la route ensuite, et des étudiants qui auraient adoré enseigner, mais qui n’ont pas été suffisamment à la hauteur des exigences élevées des jurys. Il y a malheureusement des vocations qui sont brisées par le concours. »



Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite quitter son métier ?


« Il est essentiel de bien mûrir son projet avant de quitter l’Education Nationale. Il ne fait pas partir d’un seul coup. Il existe une multitude de possibilités : la disponibilité, le temps partiel, le congé parental aussi. Il faut vérifier que le projet que l’on a est viable, sinon ce sera un calvaire. Il ne faut pas voir peur non plus de demander de l’aide autour de soi, et ne pas refuser les critiques. »


Que pensez-vous d’une initiative comme celle de l’association Aide aux Profs ?


« C’est très intéressant. Le professeur est enfermé dans un carcan, il est dans un autre monde. 90% des enseignants n’ont jamais mis les pieds dans le privé, ils sont totalement dans leur bulle. Votre dispositif est plus accessible pour un enseignant que de passer par sa hiérarchie. Et pour trouver une écoute et un accueil comme celui que vous proposez, ça lui sera difficile dans sa hiérarchie, qui évalue, contrôle, mais ne sait pas encourager les projets de mobilité professionnelle. »


Accepteriez-vous de conseiller un enseignant dans la création de son entreprise ?


« Oui, je suis d’accord pour donner des conseils à un prof qui souhaite s’engager dans cette aventure. J’ai réussi grâce à un accompagnateur, donc ce sera comme une forme de compagnonnage. »



Aide aux Profs rencontre tellement de professeurs qui ont réalisé une mobilité professionnelle externe, que nous sommes désormais en mesure de mettre en relation nos adhérents avec des enseignants reconvertis dans plusieurs dizaines de métiers distincts. Ils ont été enseignants comme vous, se sont posés les mêmes questions, ont éprouvé les mêmes peurs, et ils constituent ces relais d’expérience essentiels qui faciliteront votre projet personnel, au fil de notre méthode d’accompagnement.



Sur le site du Café

Par rboyer , le dimanche 15 février 2009.

Partenaires

Nos annonces