A la Une : Enseignement d’exploration : Du « Tour du monde en 80 jours » au tour du programme en 90 minutes 

Par Hélène Hétier


En classe de seconde, les Sciences Economiques et sociales sont devenues depuis septembre 2010 un « enseignement d’exploration », que les élèves doivent obligatoirement choisir s’ils n’étudient pas les « Principes Fondamentaux de l’Economie et de la Gestion ». Et l’on  peut dire,  comme le ministre de l’Education en décembre dernier, que les élèves et les familles ont « plébiscité » cet enseignement puisque 85% d’entre eux, voire plus de 90% dans certaines académies, ont opté pour les SES au cours de cette année 2010/2011. Les SES ont-elles donc gagné le jackpot ou les « Cinq cents millions de la Begum » ? Ce n’est peut-être pas si simple.


En une heure trente par semaine, souvent à 35 (parfois plus) par classe, le tout jeune « Capitaine de quinze ans » a donc découvert, pour la première fois dans sa scolarité, huit chapitres lui présentant la valeur ajoutée, le capital humain, les effets externes, ou encore  la socialisation et les effets de distinction.


A la tête de cette « Ecole des Robinsons »,  notre héros à la Jules Verne  est un enseignant à qui il est demandé d’être aussi efficacement ingénieux  que Passepartout pour relever le défi en 90 minutes hebdomadaires. Hélas, nous raconte une exploratrice, nous vivons dans le monde réel. A la demande du Café pédagogique, cet article se fonde en effet sur un seul témoignage*, recueilli au fond du « Château des Carpathes » -à moins que ce ne soit dans les cales de la Bounty- car pour ma part je suis restée à quai, n’ayant pas de classes de seconde cette année.


Les tribulations d’une exploratrice en exploration


En fin d’année, cette enseignante de SES, qui exerce dans un lycée privé d’un quartier favorisé de Paris, trouve que le nouveau programme a dans l’ensemble davantage intéressé les élèves que les années précédentes.  Elle  tire cependant un bilan  désabusé de son voyage au centre de l’amer : « nous avons tous fait ce que nous pouvions avec un programme dont nous savions que nous ne pourrions pas l’achever : c’est un  programme trop prétentieux pour un horaire peau de chagrin». Comment faire rentrer quatre éléphants dans une deux-chevaux ? C’est pourtant simple : on en case deux devant, deux derrière.


Et pour cela, on retaille, redécoupe et aménage le programme : « J’ai personnellement regroupé le chapitre sur les courbes d’offre et de demande avec celui sur l’emploi (« Le marché du travail : un marché comme les autres ? ») afin de gagner du temps et de traiter ce qui me paraît le plus intéressant pour ceux qui ne referont jamais de SES. Et pourtant, je n’en suis encore que là. C’est dire le retard ! ». Il faut dire que la classe s’est offert une courte mais audacieuse excursion en dehors des sentiers balisés ( acte certes répréhensible mais pas imprévisible de la part d’explorateurs qui voudraient  découvrir le monde qui les entoure) : « Oups ! J’ai aussi fait quelque chose de très, très mal : j’ai consacré une semaine de cours (oui, 1 h 30) à un exposé  - hors programme - d’élèves sur la crise économique. Bizarre, ce sont eux qui l’ont demandé … ».


En ce qui concerne l’apprentissage des méthodes, elle dresse un bilan contrasté : « Nous avons réussi à « caser » proportions, taux de variation, coefficients multiplicateurs et indices au gré des documents utilisés.  La méthode d’analyse des documents a été travaillée puisque nos cours s’appuient sur des documents. Quant au travail sur la méthode de construction raisonnée d’une synthèse : quand ? Quand ? Mais quand ? Résumée en une demi-heure ! ». 


Intéresser les adolescents mais tout survoler, avoir des pratiques innovantes, qui impliquent  des initiatives des élèves, mais  traiter beaucoup de chapitres et de notions face à une classe entière en 90 minutes: l’enseignante de SES est frappée d’injonctions contradictoires.


Pour l’an prochain, des inspecteurs de Sciences Economiques et Sociales suggèrent que peut-être, il serait possible de relâcher quelque peu la contrainte imposée par le nombre de chapitres à traiter, pour peu que l’on innove dans les pratiques… Une reconnaissance de ces injonctions contradictoires serait-elle à l’ordre du jour ?  Si c’est le cas, comment se traduira-cette reconnaissance de manière à éviter de plonger les enseignants vingt mille lieues supplémentaires sous des mers d’incertitude, face à la contradiction entre programme officiel écrit et assouplissements évoqués oralement ?


Les enfants du Capitaine se plantent


« Des « acquis » ! Ça reste à démontrer.

Le résultat de cette course contre la montre est que nous avons largué une bonne moitié de nos élèves. Ce qui était acquis en fin d’année pour une majorité d’élèves à 2 h 30 par semaine ne l’est plus. Les meilleurs élèves tirent leur épingle du jeu ; mais les élèves en difficulté et nombre d’élèves « normaux » sont en rade. Vive l’égalité des chances ! ». L’exploration en seconde est supposée être une découverte qui n’est pas censée aboutir à la maîtrise des connaissances, dit-on dans le cadre de la réforme. D’après le témoignage de cette enseignante, voilà un objectif de non-maîtrise qui pour être bel et bien atteint, n’en reste pas moins source de grande frustration. Et ce d’autant plus que les élèves qui passeront en première ES auront droit à une heure de moins qu’aujourd’hui, un programme énorme et des dédoublements non garantis, s’inquiète-t-elle.


L’évaluation des SES en seconde: comment passer de la Terre à la lune ?


En tant qu’enseignement d’exploration, dans une partie des établissements les SES ont été présentées comme devant être une matière non notée. Résultat : des pressions, y compris en plein conseil de classe c’est-à-dire en public, pour enlever les notes de SES, voire l’absence d’espace sur le bulletin scolaire pour transmettre à la famille une appréciation du travail réalisé en SES.  L’idée serait (si j’ai bien compris) que seule l’évaluation par compétences est censée présider à l’évaluation des enseignements d’exploration, afin d’en finir avec la « culture de la note » qui sanctionne, décourage et sélectionne.


D’où cette question : est-il réaliste de chercher à abolir le fétichisme de la note, avec tous ses défauts et autres « constantes macabres », en commençant  une telle révolution au sein du système scolaire par une toute petite minorité des matières enseignées en seconde ?


En effet, un élève qui suit un enseignement de « Littérature et société » ou « Méthodes et pratiques scientifiques » sera par ailleurs noté classiquement en Français ou en Physique dans le  « tronc commun ». Ce n’est pas le cas en Sciences Economiques et Sociales et Principes Fondamentaux de l’Economie et de la Gestion, que les élèves doivent obligatoirement choisir et qui deviennent ensuite des matières essentielles en séries ES et STG. De plus, on n’arrive pas en seconde vierge de tout passé. Non seulement on est noté depuis son plus jeune âge, mais en troisième, c’est-à-dire quelques semaines en ballon plus tôt, juste avant les grandes vacances, on avait même une note de vie scolaire sur son bulletin de troisième, prenant en compte les retards, la participation à des clubs, ou encore le comportement dans les couloirs ! C’est dire le poids de la note dans notre tradition scolaire et par conséquent dans le vécu des élèves.


Si vraiment l’évaluation par compétences, en remplacement et non en complément de la note, était la solution pour  faire mieux réussir  tous les élèves de seconde, ne serait-il pas criminel de ne pas l’imposer également comme unique mode d’évaluation aux matières de tronc commun ?  Faute d’abolir toutes les notes, le danger est de créer une seconde à deux vitesses et des enseignants de seconde zone, donc en souffrance,  de ceux dont la matière est de si peu de valeur qu’ils n’ont même pas le droit de noter et de parler. En voulant réduire la pression de la note, on pourrait prendre le risque, en accentuant ce contraste, de la renforcer.


En tout cas, dans l’établissement de notre collègue, le choix a été vite fait : « le raisonnement a été le suivant : une discipline obligatoire doit bien évidemment compter dans la moyenne. Faute de quoi, nous aurions eu le bazar dans nos classes. Etre, non seulement notés, mais dans une discipline obligatoire et non plus en option, donc qu’il ressentent comme une discipline qui compte, a sans aucun doute motivé  élèves et parents ».


Peut-on en conclure qu’en tant enseignement d’exploration mais suivi par une immense majorité des élèves,  doté d’un programme fondé sur des notions mais pas sur une démarche de projet, les SES peuvent donc aussi dans le domaine de l’évaluation pâtir d’injonctions contradictoires résultant de leur statut hybride en seconde, sauf quand on choisit clairement de les traiter comme un enseignement obligatoire ?


A-t-on atteint l’Ile mystérieuse ou la Ville flottante ?


Le récit de notre témoin ne saurait représenter tout ce qu’ont vécu tous les Phileas Fogg et autres explorateurs des lycées de  France et de Navarre cette année. Il corrobore cependant des inquiétudes qui s’étaient exprimées sitôt le programme et l’horaire de SES en seconde connus, ainsi qu’à travers une enquête menée par l’Association des Professeurs de Sciences Economiques et Sociales cet hiver, et dont les résultats sont visibles ici : http://www.apses.org/debats-enjeux/analyses-reflexio[...].


Un unique récit de voyage ne permet pas de savoir si les SES dérivent ou si elles sont en passe d’aborder, et où. Mais les questions qu’il pose méritent de recevoir une réponse si l’on veut aller de l’avant. La fin de cette première année d’expérimentation n’appellerait-elle pas un bilan d’ensemble des dispositifs mis en place? Et un bilan n’appellerait-il pas à son tour des ajustements ?



Sur le site du Café

Par fjarraud , le dimanche 29 mai 2011.

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