Par Lyonel Kaufmann

Si depuis la rentrée 2007 les blogs pédagogiques ont rencontré un succès certain, le tour est-il venu au web 2.0 de supplanter définitivement le web 1.0 avec le développement des réseaux sociaux et leurs usages pédagogiques ou n’est-ce réservé qu’à quelques «happy few» ?

Dans ma chronique du mois de mai, je vous entretenais des blogs en histoire-géo et de leur intérêt relativement aux pratiques enseignantes [1]. Si la tenue de blogs pédagogiques ou de wikis s’est développée en France depuis 2007, d’autres outils ont fait leur apparition depuis dans la catégorie de ce que l’on appelle les réseaux sociaux, connaissent un engouement certain dans le grand public (Twitter, Facebook) et commencent à être utilisés dans un cadre pédagogique. [2] Si ces outils apportent des plus-values dans l’approche collaborative, ils créent aussi certaines tensions s’apparentant à une nouvelle version de la querelle des anciens et des modernes entre utilisateurs des outils issus du web 1.0 (forum, liste de diffusion, site internet, flux rss) et les utilisateurs recourant aux nouveaux outils du web 2.0 (blogs, twitter, ning, diigo, Google Documents). Les débats actuels de la liste H-Français autour de Ning [3] les illustrent et permettent de nourrir nos réflexions sur l’usage des technologies en éducation. [4]

Tout commence le 3 juin lorsque Caroline Jouneau, présidente de l’Association des Clionautes envoie le message suivant sur la liste H-Français [http://bit.ly/uoCuc]:

Bonjour !

Il se passe des choses sur notre NING http://clionautes.ning.com

- la discussion sur les manuels s’élargit : après les manuels de 6ème

http://clionautes.ning.com/forum/topics/quel-nouv[...] ,

les manuels de bac pro : lequel choisir ?

 http://clionautes.ning.com/group/lyceprofessionnel/forum/[...]

- j’ai fait un compte-rendu partiel de la conférence e-learning Africa à laquelle j’ai participé la semaine dernière

http://clionautes.ning.com/profiles/bl[...]>

- Quelles ressources utilisez-vous sur la Turquie, les turcs et le monde turcophone ?

http://clionautes.ning.com/profiles/blogs/la-turq[...]

- le rapport Descoings et la rénovation du lycée, qu’en pensez-vous ?

http://clionautes.ning.com/group/lycee/forum/topics/la-renov[...]

Un groupe “Sortie pédagogiques” s’est formé, on y trouve pour le moment des idées de sortie, mais pourquoi pas des idées pour financer les projets ?

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Dans un premier temps, le message ne fait l’objet d’aucun suivi ou d’un début de discussion sur la liste ni autour de l’outil, ni autour des discussions, objets ou thèmes évoqués par le message de Caroline jusqu’au 13 juin —soit 10 jours plus tard— et un message de François Tresboc qui trouve les matériaux publiés sur le ning intéressant, mais qui s’interroge: pourquoi limiter les échanges au ning et non les faire sur la liste clionautes? [http://bit.ly/CFDG6].  Après que Caroline Jouneau ait fourni quelques informations sur l’outil et ses particularités, elle précise alors le 14 juin concernant Ning [http://bit.ly/mlATG] :

C’est un outil qui me convient désormais mieux que la liste qui pourtant m’a beaucoup apporté depuis le début de ma carrière de prof, et sur lequel les conversations semblent plus libres que sur la liste. Mais je conçois que cet outil ne convienne pas à tout le monde, et qu’il est complémentaire de la liste, et c’est pourquoi nous faisons de temps à autre des liens entre les deux.

Ce message-ci engendre les réactions non pas relativement aux objets présents sur Ning, mais sur Ning versus la liste et Claude Robinot intervient le lendemain [http://bit.ly/uyRZd]:

Caroline et les ningonautes

Je comprends tous les avantages du ning mais cela ne me convient pas et ne remplace pas une liste indispensable  pour son caractère public, informatif et mutualisant.

L’ambition de cette liste est de faire le plus large écho à toutes les pratiques pédagogiques et d’apporter des réponses et des conseils à  toutes les questions que se pose une communauté professionnelle.

[…]

Bref cette liste est pour moi une très grande salle des profs. J’ai toujours aimé les salles des profs et destestés ceux qui ne passent dans ce lieu que pour ramasser le courrier dans leur casier.

Ce que je reproche au ning ce n’est pas son côté utilitaire, c’est qu’il est à terme, comme certains blogs, comme le web2, d’une manière générale un facteur d’éclatement de la communauté enseignante. C’est tellement plus simple de communiquer librement avec les membres de sa tribu et d’ignorer les autres. Il ne reste plus qu’à faire un lien de temps en temps avec la liste.

[…]

La liste, avec ses défauts techniques, doit rester un espace de partage et de rencontre, une référence incontournable pour la profession. Ma vieille culture politique me fait toujours regarder avec suspicion toutes les “activités fractionnistes” certains on été exlus pour moins que ça.

Le même jour, Anthony Lozac’h [http://bit.ly/11tYAN] lui répond notamment que

Tribu, allusion, “activités fractionnistes”, ce champ lexical n’est décidément pas celui que j’associe au ning. On peut critiquer l’outil, mais sur le projet, on y a parlé beaucoup de pédagogie parce que l’outil a des attraits qu’on ne peut limiter à sa technique. Des collègues qui ne participaient pas ou peu à la liste y sont très actifs. Des projets de mutualisation y naissent.

D’autre part, il me semblait que cette mutualisation devait servir les sites des Clionautes, et non la liste en soit. Sur ce point on a encore du travail à faire.

Et si on voyait les deux comme complémentaires, sans exclusives ni exclusions ?

Cependant, ces éléments et d’autres ne convainquent pas Claude Robinot qui reste sur sa position et qui ne veut pas discuter des bienfaits techniques de l’outil “ning”, car  selon lui «Le débat n’est pas là, c’est une activité de “happy few” qui prive la liste de son caractère généraliste, fédérateur et mutualisant et les arguments avancés ne me satisfont pas.» Il réaffirme que tant les blogs que le ning appartiennent au web 2.0 qui «est un facteur d’atomisation et de dispersion». Hors de la liste H-Français pas de salut pour les Clionautes. Point barre. [http://bit.ly/11J3Nq]

Tout en étant inscrit à Ning, mais en y participant pas, Laurent Gayme intervient le 17 juin pour ajouter sa contribution à la discussion et finit par poser la question suivante: si la liste H-Français n’est plus satisfaisante en l’état, faut-il alors que l’association [des Clionautes] la quitte ? [http://bit.ly/9Xptu] Ce message a-t-il servi de corne de brume devant le risque d’un sabordage possible? Toujours est-il qu’il s’en suit une forme de paix des braves (provisoire ?) où les deux versants des Clionautes parviennent à la suite d’un message de Caroline Jouneau à la conclusion qu’«il faut effectivement renforcer les liens entre les 2. Trouver une façon de joindre les forces plutôt que de les séparer. Il faut y réfléchir... faire des synthèses des échanges et les mettre sur la liste et le site ?» [http://bit.ly/w7DP4]

Au terme de ce compte-rendu de ce débat, parfois vif, je vous soumets les constats et les éléments de réflexion suivants :

-        À aucun moment la discussion sur H-Français n’a porté sur les éléments pédagogiques, collaboratifs ou mutualisés publiés sur Ning et signalés sur la liste H-Français. De même, les débats pédagogiques n’ont depuis connu aucune nouvelle vigueur sur la liste.

-        La modération a priori ou a posteriori renvoie à deux conceptions du savoir et de la classe. Dans le premier cas, il faut d’abord être autorisé ou agréé et disposer de l’autorité nécessaire pour apporter sa contribution au savoir ou à la classe. On y travaille la porte de classe fermée. Dans le deuxième cas, nous nous retrouvons dans une construction des savoirs suivant une philosophie comparable à celle de Wikipedia et l’intelligence collective prévaut. On y travaille la porte de classe ouverte.

-        Dans l’utilisation des (nouvelles) technologies en éducation, on sous-évalue largement le coût d’acquisitions des outils. Une fois que ceux-ci ont été acquis, il est difficile d’en sortir pour se projeter vers de nouveaux outils. À tel point, par exemple, que le succès du Tableau Blanc Interactif s’explique largement par ses similarités avec le tableau noir.

-        Parallèlement, une partie des enseignants sont eux très friands de tous les nouveaux outils technologiques proposés et de toute nouvelle expérience en ce domaine. Il n’est pas sûr que cette posture soit forcément rationnelle ou qu’elle favorise auprès des collègues leur adoption et leur généralisation.

-        De même, l’arrivée permanente de nouveaux outils technologiques ne sert pas forcément l’intégration au sens large des technologies en éducation en fonction du coût de leur acquisition et de leur durabilité. En effet, à quoi bon fournir des efforts conséquents, si la durée de vie de l’outil est trop brève ?

[1] «Les blogs en histoire-géo: les enseignants ouvrent les portes sur leurs pratiques» (2009). In Le Café pédagogique, No 103, mai, (http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaine[...])

[2] Je reviendrai plus en détail sur certains d’entre eux et leurs usages pédagogiques à partir de la rentrée d’août.

[3] «Ning is an online platform for people to create their own social networks, launched in October 2005. Ning was co-founded by Marc Andreessen and Gina Bianchini. Ning is Andreessen's third company (after Netscape Netscape and Opsware).» (article Ning de Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Ning).

En fonction de la suite, il n’est peut-être pas inutile de préciser que le mot « Ning » signifie «paix» en chinois ainsi que l’a expliqué Gina Bianchini sur son blog !

[4] Certaines questions soulevées rencontrent les questions se rapportant à l’usage du cahier de textes numériques. Vandergucht P. (2009). «Le cahier de texte électronique. Quelques réflexions.» In Espace Pédagogique - Académie de Nantes. (http://bit.ly/kiRXN)

Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, HEP-VD à Lausanne (Suisse)