A la Une : Haïti : L'urgence c'est aussi l'Ecole 

Par François Jarraud



Inspectrice générale de l'éducation nationale, Martine Storti travaille depuis 1999 (le Kosovo) sur l'éducation d'urgence. Depuis 2002, elle a multiplié les propositions aux ministres successifs pour que l'Education nationale devienne un acteur international dans ces situations. Le Café pédagogique avait rendu compte du rapport remis à François Fillon, alors ministre de l'Education nationale, en 2005. Il a été suivi de nombreuses notes aux Affaires étrangères ou à la DRIC. Mais ses propositions sont restées dans un tiroir dans les deux ministères. Elle est sans doute la personnalité la plus qualifiée pour parler de l'éducation en situation d'urgence. Celle d'Haïti.


 

Dans les catastrophes naturelles l'élan de sympathie se porte sur l'aide médicale, alimentaire, le logement. Pensez vous que l'aide éducative soit aussi urgente et pourquoi ?


photo Alexis BastinA mon sens, l’aide éducative doit intervenir très vite. Elle fait partie de l’urgence, à tout le moins de l’immédiat post-urgence. A l’évidence, face à une catastrophe comme celle qui vient d’arriver en Haïti, mais cela est vrai dans bien d’autres circonstances, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, de crises, de conflits, il faut en premier lieu soigner, donner à manger, fournir des vêtements, des médicaments, un abri.


Mais il est nécessaire aussi que très vite, le plus vite possible, quelque chose de la vie « normale », « ordinaire », se remette en place. Pour les enfants, la vie normale, c’est d’aller à l’école (même en sachant que de nombreux enfants dans le monde – et particulièrement les filles, et particulièrement les adolescentes - ne vont hélas pas à l’école). Restaurer, retrouver rapidement quelque chose de la « vie normale » permet de reprendre le présent, aussi de se tourner vers l’avenir. J’ajoute que cette « restauration » a des effets non seulement pour les enfants mais pour la communauté humaine dans son ensemble. Je l’ai souvent vu et dit : une école dans un camp de réfugiés change la vie de tout le camp.



Que faudrait-il faire concrètement ?


Il y a beaucoup de choses à faire dans cet immédiat post urgence où doit s’inscrire « l’école ». Je ne peux pas de dire de Paris ce qu’il faut faire « concrètement » à Haïti pour reprendre votre terme. Il faut évidemment regarder quelle est la situation, le contexte, comme c’était avant, quels sont les besoins etc. Mais pour le dire à grands traits, il convient de recréer le plus vite possible des lieux, des espaces, fut-ce dehors, fut-ce sous une tente, où des enfants, des adolescents peuvent aller, s’asseoir, avoir un maître, un professeur, des cahiers, des crayons, des livres...Donc il y a ce qui renvoie à l’aspect matériel, et ce qui renvoie au recensement des enseignants, à leur regroupement, à leurs paiements etc. Cela suppose des moyens, évidemment, mais parfois c’est très peu de chose.


Je vais vous raconter une anecdote, c’était en Indonésie, juste après le tsunami. J’étais à Banda Aceh en février 2005, je sors d’une réunion avec des organisations internationales où l’on nous avait expliqué qu’il y avait beaucoup d’argent, trop même. Je vais dans un village qui avait subi pas mal de destructions, je vois des enfants, je demande s’ils vont à l’école, on me répond que non, parce que leur école est détruite. L’école du village voisin fonctionne mais les enfants ne peuvent pas payer le car qui les y emmènerait ! Voyez-vous, se soucier de donner l’argent permettant ce transport des enfants n’avait pas traversé l’esprit de ceux qui en « avaient trop », pour reprendre leur expression. N’était pas assez visible ? assez prestigieux ? spectaculaire ? publicitaire ?



L'Association des Régions de France invite les régions à reconstruire les lycées haïtiens. Qu'en pensez vous ?


C’est très bien. Il faut saluer cette initiative et d’autres qui sont prises. Mais reconstruire prend du temps. Pendant le temps de la reconstruction, il faut se soucier de l’école, sous une forme ou une autre, ainsi que je le disais précédemment.


Par delà des particularités, et avec la conscience qu’aucune situation n’est semblable à une autre, il est possible, en dressant le tableau à très grands traits, d’énoncer les besoins les plus fréquents, sachant que la transition est souvent rapide entre la phase d’extrême urgence, celle de la réhabilitation, celle de la reconstruction : installation de lieux permettant la reprise d’activités d’enseignement, réhabilitations et reconstruction d’établissements scolaires, fournitures scolaires et équipements pédagogiques, reconstitution des équipes pédagogiques et administratives, appui financier aux enseignants et parfois aux familles, formation des enseignants et formation de formateurs, reprise et développement de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, (en particulier pour répondre aux nécessités de la reconstruction), aides au traitement des traumatismes liés à la catastrophe ou à la guerre, à la perte des proches, à l’exil, aux violences subies, aide à la scolarisation des filles, organisation du rattrapage scolaire, reconversion des enfants soldats...


Je le répète, c’est un tableau brossé à très grands traits. Et aucune situation ne ressemble à une autre.


Qui a l'expérience et la possibilité d'agir efficacement pour relancer l'Ecole à Haïti ?


Rien de moins improvisé que l’intervention en situations d’urgence. L’urgence ne signifie pas faire n’importe quoi à la va vite. Pour être réactif et efficace, il faut être prêt. Pour être prêt, il faut se préparer. J’espère que le réseau INEE (interagency network emergency education), l’Unicef, voire l’Unesco vont intervenir. Sur la scène française et francophone, dans cet enjeu de l’éducation en situations d’urgence, et surtout de la préparation, des compétences, il n’y a pas hélas beaucoup de monde. Il faut le regretter.


Martine Storti


Entretien : François Jarraud



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Des french doctors aux french teachers

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L'éducation en situation d'urgence

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Eduquer en situation d'urgence

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La mission de M Storti en Afghanistan (2002)

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Par fjarraud , le vendredi 15 janvier 2010.

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