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Faut-il revoir les programmes de maternelle ? 

Le ministre a demandé au Conseil supérieur des programmes de préparer de nouveaux programmes de maternelle pour la rentrée 2014. Pourtant la question fait débat depuis la publication des bons résultats des élèves entrant en CP. Bruno Suchaut défend l'idée qu'il ne faut rien changer. Rémi Brissiaud lui répond.


Bruno Suchaut : Le CSP et les programmes de l’école maternelle : Une priorité ?

Pour Bruno Suchaut il n'y a pas urgence à modifier les programmes de maternelle qui ont donné de bons résultats. "C’est l’école élémentaire qui apparaît être le maillon faible de la baisse des performances des élèves, par ailleurs constatées dans les évaluations internationales. L’école maternelle, au contraire, prépare beaucoup mieux les élèves à la suite de la scolarité aujourd’hui qu’auparavant et confirme ainsi son influence positive en matière d’équité'. C'est l'école élémentaire qui est la vraie urgence.


On mobilise souvent les conclusions des évaluations internationales pour apprécier la qualité d’un système éducatif ; les comparaisons temporelles du niveau de compétences des élèves à l’échelle nationale fournissent pourtant des indications beaucoup plus pertinentes et précises pour instruire les politiques éducatives. Ces évaluations permettent en effet de se faire une idée objective des progrès réalisés par les élèves sur plusieurs années tout en offrant, à la fois la garantie d’une rigueur méthodologique indispensable à la comparaison et, l’avantage d’évaluer les élèves sur des connaissances et des compétences plus proches des programmes scolaires que peuvent le faire les évaluations internationales comme PISA et PIRLS.


En France, ces évaluations concernent de larges échantillons d’élèves avec deux cas de figure possibles : soit un panel suivi à plusieurs moments du cursus, soit des échantillons différents testés à plusieurs années d’intervalle avec les mêmes outils et au même niveau de la scolarité. On peut disposer, grâce à la D.E.P.P., d’études récentes qui permettent de se prononcer sur l’évolution du niveau des élèves à l’école élémentaire, au collège et même en ce qui concerne l’école maternelle. Il y a tout d’abord le panel des élèves entrés au CP en 1997 qui a récemment donné lieu à une reconduction : les mêmes épreuves ont en effet été administrées à un nouvel échantillon d’élèves entrés au CP en 2011. Dans cette même logique, l’évolution des performances des élèves à trois années différentes (1987, 1997 et 2007) a pu être observée en fin d’école primaire, au niveau du CM2. Enfin, les évaluations CEDRE (Cycle des Evaluations Disciplinaires Réalisées sur Echantillons) permettent quant à elles, entre 2003 et 2009, de mesurer l’évolution des compétences des élèves en fin d’école primaire et en fin de collège.


Que nous apprennent alors les résultats de ces évaluations concernant la maîtrise de la langue ? En ce qui concerne tout d’abord les élèves en fin de troisième, et sur la base de l’évaluation CEDRE, on constate une légère baisse des performances moyennes mais particulièrement sensible dans les compétences complexes (« exploiter une information » notamment). Selon l’échelle de mesure retenue dans les tests, les élèves les plus compétents sont moins nombreux en 2009 qu’en 2003 et, de manière complémentaire, la proportion d’élèves faibles a augmenté significativement au cours de ces six années. Au niveau du CM2, et toujours avec les évaluations CEDRE, c’est une relative stabilité des performances qui est observée dans le domaine de la lecture sur la période considérée (de 2003 à 2009), le pourcentage d’élèves en grande difficulté tendant toutefois à diminuer légèrement (13% versus 15%). L’étude de la D.E.P.P. qui compare l’évolution des performances des élèves de CM2 entre 1987 et 2007 fournit des résultats différents avec une forte baisse du niveau moyen sur la période mais surtout entre 1997 et 2007. Il ressort aussi de cette étude la forte accentuation des inégalités sociales de réussite puisque la diminution des performances est d’autant plus forte sur cette même période que l’on se situe à un niveau plus bas dans la hiérarchie sociale des professions des parents.


Mais ce qui est sans aucun doute, à la fois le plus surprenant et le plus pertinent pour alimenter le débat sur les programmes de l’école maternelle, c’est ce que l’on peut retenir de l’étude récente de la D.E.P.P. sur l’évolution des compétences des élèves à l’entrée au CP. En effet, entre 1997 et 2011, on assiste à une forte augmentation du niveau moyen dans toutes les dimensions évaluées. Ce constat est même renforcé par les enseignants qui confirment les progrès des jeunes élèves dans leurs comportements scolaires (sur leur capacité d’attention par exemple). Il est aussi intéressant de voir que les dimensions les plus prédictives de la réussite ultérieure (repérage dans le temps et épreuve numérique) sont particulièrement concernées par cette évolution positive. Au-delà cette élévation du niveau moyen, la comparaison temporelle met aussi en évidence deux points importants. En premier lieu les disparités globales entre les élèves se réduisent avec un pourcentage d’élèves faible en très nette diminution et, en second lieu, un impact du milieu socio-économique lui aussi en diminution entre 1997 et 2011.


Que faut-il alors retenir de la mise en perspective de tous ces résultats en prenant en compte à la fois les niveaux d’enseignement et les périodes ? Si l’on se base sur l’hypothèse de croissance linéaire de l’augmentation du niveau des élèves à l’entrée au CP entre 1997 et 2011, il semble que c’est l’école élémentaire qui apparaît être le maillon faible de la baisse des  performances des élèves, par ailleurs constatées dans les évaluations internationales. L’école maternelle, au contraire, prépare beaucoup mieux les élèves à la suite de la scolarité aujourd’hui qu’auparavant et confirme ainsi son influence positive en matière d’équité. Pourquoi serait-il alors une priorité de réformer les programmes de ce niveau d’enseignement ?


La priorité actuelle devrait donc plutôt se centrer sur les premières années de l’école élémentaire et, au-delà des programmes, ce sont les pratiques qui méritent d’être interrogées. De nombreuses recherches (principalement anglo-saxonnes) ont pourtant mis en évidence les effets bénéfiques des pratiques orientées vers la pédagogie explicite et le développement de programmes d’apprentissage de la lecture pour les élèves les plus fragiles ; le programme « PARLER » est,  à ce titre, une bonne illustration dans le contexte français. On attendra bien sûr avec impatience les résultats de l’évaluation des compétences des élèves du panel d’élèves entrés au CP en 2011 pour voir si l’école élémentaire a pu, au cours de ces dernières années, inverser la tendance… Quelle que soit la réponse, pourra t’on mobiliser l’argument des programmes pour justifier cela ?


Bruno Suchaut



Rémi Brissiaud : Il est urgent de modifier les programmes de l’école maternelle

Dans le Café pédagogique du 11 octobre 2013, Bruno Suchaut défend l’idée qu’il ne serait pas urgent de modifier les programmes de l’école maternelle. Le plus souvent, j’apprécie les travaux et les analyses de ce collègue chercheur. Il est d’autant plus important aujourd’hui d’alerter les lecteurs du Café Pédagogique : concernant les apprentissages numériques à l’école, son analyse est erronée. Il est urgent de modifier les programmes de maternelle ; beaucoup de retard a même déjà été pris.

Bruno Suchaut s’appuie sur deux études de la DEPP. La première (Rocher, 2008) présente une comparaison des performances en calcul des élèves de CM2 en 1987, 1999 et 2007. Les épreuves proposées étaient une suite de calculs des 4 opérations posées ou à poser, avec des nombres à plusieurs chiffres, entiers ou décimaux. Bruno Suchaut commet une première erreur : dans le domaine des apprentissages numériques, la baisse des performances se produit entre 1987 et 1999 et non pendant la période qui suit (les performances sont ensuite stables au bas niveau de 1999). Par ailleurs, cette baisse est considérable, on peut même parler d’une sorte d’effondrement des performances et elle s’effectue dans les mêmes proportions chez les enfants de chômeurs, d’ouvriers agricoles… que chez ceux d’ingénieurs, de professions intellectuelles… Il est également important de noter que les élèves de 1987, ceux qui calculaient bien mieux qu’aujourd’hui, n’avaient eu aucun apprentissage numérique avant novembre au CP : ni à l’école maternelle, ni au début du CP. En effet, ces élèves avaient fréquenté une école maternelle très influencée par les travaux de Jean Piaget. Celui-ci avait montré qu’avant 6-7 ans, les enfants confondent la longueur d’une rangée de jetons avec le nombre de ces jetons et les pédagogues d’alors pensaient qu’enseigner les nombres à l’école maternelle ne pouvait conduire qu’à une sorte de dressage. Avec cette première étude de la DEPP, on est donc face à un phénomène peu banal : en commençant leurs apprentissages numériques bien plus tardivement qu’aujourd’hui, les élèves de 1987 calculaient bien mieux qu’aujourd’hui.


Bruno Suchaut utilise une deuxième étude qui, elle, a été publiée en septembre dernier (Le Cam, Rocher & Verlet, 2013) : diverses épreuves numériques qui avaient été proposées à l’entrée au CP en 1997, l’ont été à nouveau en 2011. L’analyse des résultats met en évidence un progrès dans toutes les épreuves proposées. Malheureusement, Bruno Suchaut semble ne pas s’intéresser au contenu des épreuves utilisées afin d’en apprécier la pertinence. Or, ces épreuves ont été élaborées en 1997 par des collègues chercheurs  en psychologie qui, à l’époque, pensaient que les enfants comprennent précocement le comptage tel qu’il est enseigné par les familles. Leur point de vue, donc, était à l’opposé de celui de Jean Piaget. Aujourd’hui, la communauté scientifique est unanime à penser qu’un tel enseignement du comptage, dans un premier temps au moins, fait entrer les enfants dans une mécanique sans signification. Il est presque certain que les mêmes collègues, sollicités en 2011, n’auraient pas construit les mêmes épreuves : on imagine mal un chercheur en psychologie qui, sollicité aujourd’hui pour élaborer un tel protocole, n’utiliserait pas une épreuve permettant d’apprécier si les enfants comprennent les premiers nombres autrement que de manière superficielle. Or, il n’y a rien de tel dans les épreuves utilisées.


Pour faire des comparaisons entre générations d’élèves, la DEPP a besoin de stabilité dans les épreuves utilisées. Malheureusement, dans le cas de l’étude qui vient d’être publiée, les épreuves qui avaient été utilisées en 1997 étaient devenues obsolètes en 2011. Pire : ces épreuves évaluent seulement le résultat d’un entraînement à une forme de comptage dont tout laisse penser qu’il est responsable de l’effondrement des performances en calcul entre 1987 et 1999. En effet (Brissiaud, 2013) : 1°) D’un point de vue chronologique, cet effondrement se produit immédiatement après que l’école maternelle passe d’une culture piagétienne à une culture états-unienne dans laquelle les enfants apprennent à compter le plus tôt possible le plus loin possible. 2°) Des arguments issus de l’histoire des pratiques pédagogiques, de la psychologie des apprentissages numériques, de la psychologie interculturelle et enfin de la psychologie clinique, permettent de comprendre pourquoi un tel basculement de culture a eu cet effet. 3°) Enfin, lorsqu’on cherche d’autre causes possibles à l’effondrement des performances en calcul des élèves français, aucune n’émerge. Cette analyse a été présentée début 2013 au séminaire des archives Piaget à Genève, puis au séminaire national de didactique des mathématiques à Paris et enfin au séminaire annuel de didactique des mathématiques de l’IFÉ de Lyon, sans qu’aucune objection majeure ne soit avancée. On peut donc penser qu’elle a beaucoup de consistance.


Pour bien faire comprendre la situation, risquons une métaphore et imaginons un pays dont les habitants pensent que pour apprendre à nager, il faut d’abord s’entraîner longuement à simuler les mouvements de la brasse hors de l’eau, sur un tabouret (dans l’analogie : à compter le plus tôt possible le plus loin possible). Depuis 1986, les décideurs de ce pays ont d’ailleurs choisi d’en faire le contenu du programme de l’école maternelle. En 1997, pour apprécier le niveau des élèves entrant au CP, il leur a été proposé une épreuve de brasse sur tabouret. Un peu après, les enfants de ce pays ne nageant pas aussi bien qu’espéré, il a été décidé d’abord en 2002, puis en 2008, de consacrer encore plus de temps à l’apprentissage des mouvements sur tabouret à l’école maternelle. L’épreuve de 1997, celle de brasse sur tabouret, a enfin été proposée aux élèves rentrant au CP en 2011 et, bien évidemment, ils avaient progressé EN BRASSE SUR TABOURET. Malheureusement, les résultats ont été annoncés sous la forme : « Grâce aux programmes récents de l’école maternelle, les élèves ont progressé EN NATATION ». Si la brasse sur tabouret éloigne les enfants de la natation plutôt que de les en rapprocher, on se rend compte de l’énormité de l’erreur commise !


Rémi Brissiaud

Chercheur au Laboratoire Paragraphe, EA 349 (Université Paris 8)

Membre du conseil scientifique de l’AGEEM


L'article de B Suchaut

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/10/11102013Article635170656179233445.aspx


Brissiaud, R. (2013) Apprendre à calculer à l’école – Les pièges à éviter en contexte francophone. Paris : Retz

Le Cam,M., Rocher, T. & Verlet, I. (2013) Forte augmentation des acquis des élèves à l’entrée au CP entre 1997 et 2007. Note 13.19 de la DEPP ; septembre 2013.

Rocher, T. (2008) Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à vingt ans d'intervalle 1987-2007. Note 08.38 de la DEPP ; décembre 2008.



Sur le site du Café

Par fjarraud , le jeudi 17 octobre 2013.

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