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De nets progrès enregistrés en maternelle 

Publiés le 14 septembre dans Le Monde, avec interview du ministre à la clé, les résultats d'une enquête de la Depp (direction des études du ministère de l'éducation nationale) montrent de nets progrès dans le niveau des enfants entrant au CP en 2011 par rapport à leurs homologues de 1997. Le débat porte sur les raisons de ces progrès alors que la droite n'avait pas été tendre avec la maternelle.


Les instits de maternelle ne font pas que changer les couches, comme Xavier Darcos les en avait accusées. Selon une étude de la Depp, portant sur 15 000 élèves, entre  1997 et 2011 le niveau des élèves entrant en CP s'est nettement amélioré. Le pourcentage d'enfants ayant des résultats faibles est passé de 10 à 3%. Quant à celui des forts, il a presque doublé de 25 à 46%.


L'enquête évalue les compétences des élèves dans 8 domaines précis. Entre eux, les progrès ne sont pas identiques. C'est en numération, en écriture et en prélecture qu'ils sont les plus nets. Ainsi un tiers seulement des enfants pouvait compter au delà de 20 en 1997. C'est la moitié en 2011.  En 1997 un enfant sur trois savait écrire la lettre "n". C'est deux sur trois en 2011. Pour la Depp, la numération et la prélecture sont de bons indicateurs pour la réussite e CE2. On devrait donc enregistrer de meilleurs résultats au CE2.


C'est la faute à 2002 ou à 2008 ?


Alors que les résultats du système éducatif français se dégradent selon toutes les enquêtes internationales, l'annonce de progrès en maternelle est une bonne nouvelle. Mais il reste à l'expliquer.


Selon la Depp, un tiers de ces progrès serait du à des changements sociologiques : modification des catégories socio professionnelles et du niveau de diplôme des parents. Mais pour les deux tiers restant ? La période 1997-2011 a vu le taux de scolarisation avant 3 ans diminuer drastiquement. En même temps les programmes de 2002, puis de 2008 sont entrés en application.


Pour l'ancien directeur de l'enseignement scolaire, JM Blanquer, qui se confie dans L'Express, c'est le résultat des programmes de 2008 qui ont amené en maternelle des apprentissages de l'école élémentaire, par exemple un apprentissage systématique du vocabulaire. Et il est vrai que ce qui est évalué dans cette étude correspond aux objectifs de ce programme qui avait renforcé les apprentissages scolaires en maternelle. Mais aussi en partie de ceux de 2002 qui avaient été bien accompagnés auprès des enseignants alors que les programmes de 2008 ont été boudés par une profession excédée.


Le Snuipp réagit


Ce n'est pas l'avis du Snuipp, premier syndicat du primaire. Pour lui, "les résultats ne permettent en aucun cas de conclure aux bienfaits de la primarisation de la maternelle. En effet, des domaines ne sont pas évalués et 26% des élèves rencontrent toujours des difficultés". Le Snuipp relève que " beaucoup de compétences évaluées par l’étude de la DEPP font appel à des activités d’entrainement, au demeurant nécessaires, mais pas suffisantes pour que les élèves maitrisent tous les apprentissages et développent toutes leur capacités . Qu’en est-il par exemple de la compréhension ? En français, pour devenir un lecteur expert, l’élève doit aussi accéder au sens de ce qu’il lit". Le Snuipp appelle donc à persévérer dans le projet de construction d'une nouvelle maternelle et à donner des moyens pour former les 80 000 enseignants de maternelle.


Quant à Vincent Peillon, il confie dans Le Monde qu'il "faut continuer la construction des préapprentissages en maternelle" et qu'il faut "restituer à la maternelle son équilibre" entre apprentissage scolaire et épanouissement de l'enfant. Justement c'est à lui de revoir les programmes. Il a promis de le faire cette année.



François Jarraud



Rémi Brissiaud : Maternelle : De faux bons résultats

Pour Rémi Brissiaud, spécialiste reconnu de l'enseignement des mathématiques au primaire, les bons résultats détectés à l'entrée en CP ne sont pas porteurs de bonnes nouvelles. L'apprentissage trop précoce du comptage se paye au prix fort dans la scolarité.


Lorsqu’une évaluation des performances scolaires montre que les lignes ont bougé dans un sens ou un autre, avant de se réjouir ou se désoler, le premier réflexe doit être d’en examiner les épreuves. Concernant les nombres, la récente étude la DEPP montre qu’entre 1997 et 2011, les élèves rentrant au CP ont progressé dans deux taches : écrire la suite des nombres dans l’ordre et reconnaître parmi plusieurs propositions d’écritures chiffrées, celle d’un nombre prononcé. Elle ne montre que ça et il n’est pas sûr que ce soit une bonne nouvelle.


Pour comprendre ces résultats, il faut revenir au tournant pris en 1986 quand de nouveaux programmes pour la maternelle ont amorcé une profonde rupture dans la façon d’enseigner les nombres à l’école. Avant 1986, sous l’ère piagétienne de notre école, ni le comptage, ni la lecture, ni l’écriture des nombres n’étaient enseignés à l’école maternelle. En revanche, depuis 1986, le temps consacré à ces apprentissages est de plus en plus long. Or, une autre étude de la DEPP (Roche, 2008) a mis en évidence qu’après le tournant de 1986, en une douzaine d’années, les performances en calcul des élèves de CM2 se sont effondrées. En fin d’école primaire, les élèves ayant appris avec les divers programmes publiés depuis 1986, calculent beaucoup moins bien que ceux ayant appris avec les programmes de 1970 (ceux de l’ère piagétienne). Il s’agit d’un phénomène bien étrange : en commençant leurs apprentissages numériques bien plus précocement, les élèves d’après 1986 calculent très mal en fin d’école primaire.


Cependant, les pédagogues exerçant vers le milieu du siècle dernier nous avaient alertés : un apprentissage précoce du comptage et de la lecture-écriture des nombres conduit effectivement à des progrès à court terme dans chacun des savoir-faire exercés mais, pour beaucoup d’enfants, cela se fait au prix de l’entrée dans une mécanique sans signification dont ils ne sortiront qu’avec beaucoup de difficulté. C’est que qu’écrivaient Fareng & Fareng (1966), par exemple : « …cette façon empirique (le comptage) fait acquérir à force de répétitions la liaison entre le nom des nombres, l’écriture du chiffre, la position de ce nombre dans la suite des autres, mais elle gêne la représentation du nombre, l’opération mentale, en un mot, elle empêche l’enfant de penser, de calculer ».


Il suffit de lire le rapport publié en 1955 avec l’aide de l’Unesco concernant la pédagogie des débuts du calcul (Mialaret, 1955) pour s’apercevoir que la citation précédente résume l’opinion des principaux pédagogues de l’époque, qu’il s’agisse d’enseignants de terrain, d’inspecteurs généraux ou d’universitaires. Et aujourd’hui, que faut-il en penser ? Les résultats des recherches en psychologie des apprentissages numériques publiées ces 50 dernières années sont tout à fait compatibles avec la thèse du rôle ambivalent d’un enseignement précoce du comptage, tel qu’il était exprimé par les anciens pédagogues (Brissiaud, 2013).


Ainsi, la récente étude de la DEPP, lorsqu’on en interprète les résultats avec une culture pédagogique minimum, est loin d’apparaître comme nécessairement porteuse d’une bonne nouvelle : les progrès à court terme qu’elle révèle ne sont peut-être que les signes annonciateurs d’une nouvelle dégradation des performances en calcul des élèves en fin d’école primaire. Une chose est sûre en tout cas : l’inculture pédagogique conduit à de fausses certitudes.


Rémi Brissiaud


Rémi Brissiaud est inspecteur général. Il était maître de conférences en psychologie cognitive à l'IUFM de Versailles.


Il faut refonder l'apprentissage des nombres 1

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/11/13112012Arti[...]

Il faut refonder l'apprentissage 2

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/11/13112012Art[...]

Il faut refonder l'apprentissage des nombres

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/11/14112012A[...]


Bibliographie :

Brissiaud, R. (2013) Apprendre à calculer à l’école – Les pièges à éviter en contexte francophone. Paris : Retz

Fareng R. & Fareng, M. (1966) Comment faire ? L’apprentissage du calcul avec les enfants de 5 à 7 ans. Paris, Fernand Nathan.

Mialaret, G. (1955) Pédagogie des débuts du calcul. Fernand Nathan, Paris (avec la collaboration de l’Unesco).

Rocher T. (2008) Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à vingt ans d'intervalle 1987-2007. Note 08.38 de la DEPP ; décembre 2008.



Sur le site du Café

Par fjarraud , le lundi 23 septembre 2013.

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