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L'Ecole veut éduquer contre l'homophobie 

 

L'école ne doit plus laisser faire. "L'éducation ne doit pas accepter l'homophobie", déclare Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU. C'est le message que le Snuipp fait passer de façon efficace à travers un colloque qui s'est tenu le 16 mai à Paris et une importante documentation pédagogique mise gratuitement à disposition des enseignants. Les travaux des experts ont démonté les ressorts de l'homophobie. Des enseignants ont montré comment on peut dans sa classe accompagner un changement que la société semble souhaiter et que la loi impose.


Le 17 mai est la Journée mondiale contre l'homophobie. L'Internationale de l'Education appelle les enseignants à défendre les droits des homosexuels. "Mais", pour Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp, " les enseignants n'ont pas toujours les mots pour réagir". Voilà ce qui motive le syndicat à organiser un colloque réunissant experts et enseignants le 16 mai et à proposer des fiches pédagogiques.


Pourquoi tant de haine ?


"Pourquoi tant de haine contre les homosexuels", interroge le psychanalyste Serge Héfez. Les chiffres dévoilés le 16 mai par SOS homophobie montre une importante hausse des agressions homophobes de toutes sortes en 2013 (+37%). Dans l'éducation, les victimes se plaignent du manque de soutien de la part des enseignants. Parfois c'est l'école qui persécute par exemple quand elle blâme deux jeunes filles qui se sont embrassées.


C'est que l'homosexualité perturbe l'ordre social, affirme Serge Héfez. Et particulièrement l'homosexualité masculine. Elle affaiblit la cité avec des hommes qui ne sont pas perçus comme tels et ne peuvent défendre la cité. Dans cette vision elle est perçus comme dissolvante. C'est pour cela que l'homosexualité masculine  suscite, pour Serge Hafez, beaucoup plus d'agressivité que la féminine qui est plus invisible.


Pour Nicole Mosconi, professeure émérite en IUFM, l'école participe à défendre l'ordre sexué qui est en place. L'école n'est pas plus sexiste que la société mais pas moins non plus. Les enseignants participent à la construction de cet ordre. Pour Réjane Sénac, Cévipof, cet ordre sexué est politique, il est fondateur de notre République. Et l'école est organisée pour le maintenir.


Il y a pourtant des outils pour déconstruire la domination sexuée


Une seconde table ronde réunit des professeurs des écoles autour d'Aminata Diallo, IEN. "Les textes officiels nous invitent à agir", rappelle A Diallo. Mais les enseignants montrent leur souci de se protéger des réactions des parents. Une enseignante est victime de plaintes de parents qui ont peur que leurs enfants "attrapent" l'homosexualité quand elle organise un atelier philo sur ce sujet. Un autre enseignant s'appuie sur le projet de l'école qui prévoit 4 demi-journées de travaux contre les discriminations en général. "Le fait que ce soit inscrit dans le projet de l'école met un point final aux réactions des parents", souligne-t-il.


C'est sur le faire que le Snuipp a fourni un gros effort. Toutes les écoles recevront un numéro spécial de Fenêtres sur cours qui propose des analyses (avec S Héfez, R Sénac, N Mosconi et des responsables d'associations). Mais on y trouve aussi des présentations de supports pédagogiques (vidéos, livres etc.) ainsi que des exemples de pratiques.


Pour ceux qui veulent aller plus loin, le Snuipp met en ligne une brochure de 300 pages avec 150 pages de fiches pédagogiques. Les associations, des enseignants proposent des jeux, des séquences pédagogiques complètes pour lutter contre la discrimination homosexuelle. L'accueil des familles homoparentales est abordé. La question des précautions à prendre  vis à vis des parents aussi. On trouve des fiches pédagogiques pour tous les niveaux de la maternelle au CM2 pour déconstruire les stéréotypes et lutter contre les discriminations.


Resouder au positif le groupe


Ainsi on peut aborder le thème des familles différentes dès la GS en s'appuyant sur les dessins des enfants et des lectures. Les contes peuvent être un superbe outil dès la GS pour faire émerger le stéréotypes et les combattre. Une autre séance aborde la représentation sexuée des métiers.En cycle 1 ou 2, une fiche montre comment travailler la construction du genre dans les aspects ou les comportements.. La brochure propose aussi un très intéressant travail sur les insultes homophobes en cycle 3. Pour une enseignante, ces moment "renforcent les liens à l'intérieur du groupe parce qu'on parle de choses assez intimes et qui viennent du coeur". Du coup la portée pédagogique de ces moments est particulièrement grande.


Mais que fait le ministère ?


S'il est temps pour les enseignants "d'agir très tôt, pour combattre les représentations et les comportements discriminatoires", Sébastien Sihr interroge aussi le ministère. "L'institution doit assumer ses responsabilités. A l'heure, où le ministre veut redéfinir les contenus d'un enseignement moral et civique dans les nouveaux programmes de 2015, il paraît essentiel d'y intégrer l'éducation contre l'homophobie et de mettre en place des modules de formation. Il est temps de franchir un nouveau pas".


Lutte contre l'homophobie : Parler aussi d'amour


Après une matinée consacrée aux stéréotypes, discriminations et injures, le colloque « Lutter contre l'homophobie dès l'école primaire », organisé par le SNUIPP le jeudi 16 mai à l'Hôtel de Ville de Paris, abordait en seconde partie les questions de relations amoureuses, de familles et d'éducation à la sexualité. Des thèmes qui ne vont pas sans difficulté : l'évocation des sentiments amoureux (quels qu'ils soient) suscite parfois chez les petits des réactions de dégoût, le modèle traditionnel de la famille reste dominant dans les idées, en dépit de la diversité des situations réelles, et l'éducation à la sexualité, après le grand moment d'urgence de la prévention du SIDA, semble un peu tombée dans les oubliettes du monde éducatif. Des enseignants et des représentants d'associations sont venus apporter leur éclairage sur ces points, avant la conclusion de la rencontre par Michel Teychenné. Chargé par le Ministre d'un rapport sur les discriminations LGTB, rendu en avril, il a évoqué les  propositions encore en cours d'arbitrage qu'il a avancées. De l'avis général, le monde éducatif est prêt à évoluer en profondeur sur les questions de LGTB-phobies, mais ne pourra le faire sans un cadrage institutionnel clair et le soutien d'une formation adaptée.


Les drôles d'histoires d'amour de la littérature enfantine


Les enseignants venus évoquer leur expérience du travail contre les discriminations auprès des très jeunes publics (maternelle) ont témoigné de la richesse de la littérature enfantine pour aborder les questions par le biais des sentiments et de l'amour. Le Baiser de la Lune, de Sébastien Watel, dont la diffusion a fait polémique, qui raconte les amours contrariés de deux petits poissons, mais aussi Tango a deux papas, de Béatrice Boutignon, contant l'histoire de deux pingouins manchots qui couvent un œuf et élèvent ensemble un petit, ou encore Papa porte une robe, de Piotr Barsony, où un papa boxeur est amené à remplacer une danseuse, tous ces ouvrages pleins de poésie permettent de déplacer en douceur les repères normatifs et de susciter la discussion de manière libre et ouverte. Les réactions négatives sont rares, expliquent les enseignants, et les enfants s'intéressent au vécu des personnages. Il n'en reste pas moins délicat, quand on déconstruit les stéréotypes, de mettre les enfants en regard de leurs familles, de la dissymétrie de la répartition des tâches et des rôles : ils s'aperçoivent qu'elle n'est pas toujours très équitable, remarque une enseignante. Mais c'est aussi la condition pour les amener à prendre conscience des schémas classiques et de la possibilité d'en transgresser l'ordre implicite.


Les relations familiales sous le joug de la normalité


Du côté des associations, Nathalie Mestre, présidente des Enfants de l'Arc en Ciel – L'asso !, qui s'adresse aux familles homoparentales, souligne l'importance d'approcher ces thématiques dès le début de l'école : les enfants qui vivent avec des parents de même sexe sont eux aussi à l'école dès 3 ans et le sentiment de rupture avec le discours scolaire, pour eux, intervient très tôt. Essayer de faire attention aux schémas véhiculés par les discours et les attitudes courantes permet aussi d'épargner les enfants de foyers monoparentaux (qu'en est-il de la consigne « dessine ton papa », pour beaucoup de ces enfants ?). De nombreux témoignages semblent aussi montrer que le sentiment homosexuel s'éveille à un âge précoce ; surveiller ses propres automatismes, dans la pratique enseignante, permettrait d'épargner leur affectivité naissante. L'association Contact, qui réunit depuis 20 ans des parents d'homosexuels, rappelle combien la révélation de l'orientation sexuelle entraîne de rejet par le milieu familial. L'augmentation des demandes d'intervention par des collèges, voire des écoles primaires,  contredit clairement l'idée qu'il serait « trop tôt » pour en parler dès le primaire.


Un rapport commandité par le Ministère à paraître en juin


L'expérience des associations dans l’intervention en milieu scolaire pourrait être d'une aide précieuse à l’Éducation nationale pour la formation des enseignants, remarque Michel Teychenné, mais elles ne peuvent pas se substituer au rôle des personnels éducatifs. Leurs interventions touchent 2,6% des élèves, ce qui est beaucoup à leur échelle et faible pour l'ensemble de la population scolaire. Le problème est pourtant important et sensible : le débat sur le Mariage pour tous a mis en évidence les vieux démons de certaines mentalités et la lutte contre les discriminations LGTB n'en apparaît que plus urgente.


Le taux de suicide directement lié à ce problème est 3 à 4 fois plus élevé chez les filles et de 7 à 10 fois chez les garçons, rappelle Michel Teychenné. Environ 170 sur les 600 morts annuelles par suicide de jeunes garçons en seraient la conséquence directe. Sans évoquer en détail les propositions  qu'il a remis au Ministre, et dont les résultats devraient être publiés en juin, Michel Teychenné en évoque les grandes lignes : sensibiliser les enseignants et leur donner une formation suffisante pour les assurer dans leur action, serait le premier point, avec le problème des formateurs aptes à guider ce travail sur soi de déconstruction de préjugés ancrés, qui pose de réelles difficultés. Vient ensuite l'information auprès des jeunes, qui pourrait s'intégrer dans le cadre de la morale laïque, au titre de l'application des valeurs de la République. Un travail à l'égard des CDI, dans la mise en commun des ressources et des pratiques (« beaucoup de choses existent déjà »), et un renforcement des partenariats avec les associations serait utile, sans oublier de faire évoluer aussi le rôle du Ministère de l’Éducation nationale comme employeur au regard des droits des personnels. La mise en place de dispositifs de dialogue permanents entre chercheurs et association, de dispositifs de recherche universitaires qui font cruellement défauts sur ces sujets, permettraient de travailler sur la prévention, et pas seulement sur le harcèlement et la violence. « Mais ces travaux universitaires existent ! s'insurge un jeune homme dans le public. Ils ne trouvent pas de financement ! »


Dans un contexte économique et politique difficile, dans un climat tendu par des revendications conservatrices, les intentions du Ministère pour progresser dans la lutte contre les discriminations LGTB à l'école ne risquent-elles pas d'en rester au niveau des intentions déclarées ? Pour Michel Teychenné, entre 200 et 300 000 enfants sont directement concernés, répartis dans toutes les classes de tous les établissements. La loi sur le mariage pour tous change la donne : elle fait obligation de les accueillir dans les mêmes conditions que les autres. Le statu quo est en ce sens impossible.



Michel Teychenné : « les enseignants sont prêts »

 « Les personnels enseignants sont prêts à assumer cette ouverture : je l'ai senti dans les discussions et les rencontres que j'ai fait. Mais ils veulent un cadrage : le climat général a montré des tensions et des réticences dont ils veulent se protéger. Beaucoup des personnels éducatifs veulent bien faire mais ne savent pas comment faire : ils ne se sentent pas forcément concernés, ce n'est pas dans leur  culture. Quant à leurs propres réticences, je rappelle que l'homophobie est un délit et que les personnels éducatifs ont une mission de service public. »

« S'il y a une chose qui m'importe vraiment, c'est que ce rapport soit utile : il obéit à une logique d'ensemble, on ne peut pas en détacher un point ou un autre, c'est une démarche globale dont je souhaite qu'elle permette de sortir de la situation de vide actuelle. Je suis totalement confiant dans l'engagement du Ministre, je connais son implication dans la lutte contre les discriminations en général et l'homophobie en particulier. Je ne me serai pas engagé comme je l'ai fait dans ce travail si je n'avais pas pleinement confiance. »


François Jarraud et Jeanne-Claire Fumet


Eduquer contre l'homophobie

http://www.snuipp.fr/IMG/pdf/document_telechargeable-2013-05-04-22h40_150dpi.pdf

Fenêtres sur cours

http://www.snuipp.fr/IMG/pdf/eduquer_contre_l_homophobie.pdf

Document ressources à télécharger sur le site du SNUIPP

http://www.snuipp.fr/Education-contre-l-homophobie

Association Contact

http://www.asso-contact.org/idf/  

 Association Les Enfants de l'Arc-En-Ciel

http://www.asso-contact.org/idf/

Sur le site du Café

Par fjarraud , le samedi 25 mai 2013.

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