compétence (sentiment de) 

 

C’était il y a quelques jours, dans une très sérieuse journée d’étude organisé au CNAM par la revue « Recherche et formation », qui tente de faire des ponts entre deux univers qui se cherchent. On y parlait de « référentiels en formation ». Rien qui vous parle spontanément, collègues ? Erreur funeste. On y débattit notamment, certes avec le recul qui sied aux universitaires, d’un phénomène qui modifie en profondeur l’activité ordinaire des classes : l’évaluation référée à des référentiels de compétences.

 

"Un référentiel, c’est un outil pour mesurer la réalisation de la tâche plutôt que comprendre ce qu’il y a à apprendre", avança J.-C. Coulet, de Rennes 2. “Avec le risque d’une photographie statique plutôt qu’une information sur un processus dynamique, changeant”. Alors que, comme l’avait dit M. Crahay, former, enseigner, c’est travailler les tensions, les dilemmes, en prenant en compte les croyances des uns et des autres. “Le référentiel est du côté du prescrit, et c’est une des sources du malaise, quand les pouvoirs cherchent à l’imposer aux enseignants et aux formateurs” ajouta Y. Lenoir (Sherbrooke). Il est vrai que les référentiels (d’évaluation d’élèves ou de compétences professionnelles…) peuvent avoir plusieurs rôles, a précisé N. Postiaux (Bruxelles) : être le fer de lance d’une réforme, un outil pédagogique pour comprendre les apprentissages, ou même un instrument pour forcer la modification des pratiques…

 

Et quand les professionnels sont sommés de s’en servir sans avoir le temps et l’accompagnement pour les mettre à leur main, rien d’étonnant à ce que se déclenchent des réactions et des résistances qui font parfois finir les référentiels de compétences dans des armoires… « Quand ils n’ont pas été suffisamment négociés, qu’ils ne prennent pas en compte le « travail réel », « on ne s’y reconnaît pas » dit C. Chauvigné. Surtout quand le métier évolue vite sous la pression de la société ou du marché. La norme professionnelle, nécessaire, risque de se transformer en normalisation, en recherche de « bonnes pratiques » hors-sol. « Lorsqu’on découpe les compétences, le professionnel ne reconnaît plus la situation d’apprentissage et la nature de ses difficultés, souvent à explorer du côté de l’histoire des disciplines et des savoirs » a poursuivi S. Vanhulle.

 

La solution ? Mieux comprendre le travail réel de l’enseignant. Mais on en est loin. On culpabilise ceux qui « n’y arrivent pas », coincés entre le déclaratif de la réussite de tous et la discrimination persistante. Alors, se demanda avec malice P. Mayen, le plus important n’est-il pas que ceux qui travaillent « arrivent à faire quelque chose » de ces nouvelles listes et injonctions, dans l’ordinaire des situations de travail ? « Les compétences, c’est ce qui vient à la fin, lorsqu’on s’est mis en activité, pour agir et penser, en transformant la situation. Pas l’inverse. Sinon ça tourne à vide. Ce qui est important, c’est de pouvoir faire face aux imprévus, aux variations, aux incidents ». Y compris en s’appuyant sur l’histoire du métier, qui travaille ces questions depuis des lustres, qui parfois discute sur les manières de faire, mais qui tente de se débrouiller pour faire, malgré tout, comme on peut, en osant bricoler, braconner entre l’idéal et le possible, qu’on soit débutant ou chevronné.

 

Parce qu’à la fin, le pire serait l’empêchement d’agir, le blocage devant l’idéal impossible, qui glace et pétrifie. Parce qu’en fait, l’essentiel de la compétence à agir ne serait-il pas dans le sentiment qu’on en a, qu’on soit enseignant, élève, travailleur ou simplement humain ?

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Par MBrun , le lundi 25 avril 2011.

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