Du point de vue des sociologues... 

par Florence MOTTOT Permettre à l'élève rom d'exister avec son histoireJean-Pierre Liégeois
(Sociologue, Professeur à l’Université Paris 5, Sorbonne. Expert auprès du Conseil de l’Europe.)
liegeoisJean-Pierre Liégeois dresse le bilan de 25 ans de séminaires européens pour la formation des enseignants en contact avec le public rom. Pour mémoire, le premier séminaire européen de formation a pris place en Allemagne en 1983. Le conseil de L'Europe avait alors 21 états membres, il en compte 47 aujourd'hui.
Croiser les expériences, comparer à l'échelle européenne les connaissances sur cette population, introduire des innovations dans la prise en charge des élèves roms, autant d'objectifs visés depuis le premier séminaire. Quel bilan tirer de ces rendez-vous après 25 ans? . « Aux professeurs, a estimé le sociologue, les formations donnent des connaissances historiographiques leur permettant de répondre clairement aux questions  des enfants tziganes. Pour autant, a t-il regretté, la formation n’est bien souvent pas qualifiante. Elle n’échappe, par ailleurs, pas toujours elle-même aux préjugés sur les roms. »
Pour Jean-Pierre Liégeois, on ne peut que dresser le constat d’une « certaine orientation du regard posé sur  la population  rom». Des années 80 jusqu'à aujourd’hui, le dossier de la scolarisation des enfants tziganes a été traité dans le cadre de l’enfance inadaptée. Or, pour le sociologue, la question fondamentale est la suivante : les conditions socio-économiques dans lesquelles les roms évoluent rendent-elles ou non possible leur scolarité ?  En somme, ne faut-il pas considérer que l'éclairage économique est plus pertinent que celui de l'inadaptation pour expliquer les difficultés rencontrées par les jeunes?

Apprendre à l'enfant ce que signifie être élève.
Lors de son intervention à Besançon, J. P Liégeois a également tenu a faire réfléchir sur ce que signifie prendre en charge les enfants roms. « Etre hospitalier, a t-il considéré, signifie leur faciliter la découverte du contexte dans lequel ils vont vivre (établissement scolaire, matériel). Apprendre à l’enfant ce qu’est le « métier d’élève » en France est également une priorité. Il s'agit de le familiariser avec les exigences et les rituels de l’école républicaine. »
Intégrer l'enfant, sans nier sa particularité identitaire, voilà l'enjeu principal. Un but qui ne s'obtient pas sans quelques aménagements, estime le sociologue : « L'enfant rom doit pouvoir bénéficier d'un parcours scolaire spécifique, qui n’est pas forcément compatible avec l’organisation traditionnelle de la scolarité en année. Il semble également parfois bienvenu d'adapter les pratiques d’évaluation à leur mode de vie nomade, en les rendant annuelles au lieu de trimestrielles ». Priorité des priorités : faire accéder, sur le long terme, les enfants à la langue française. Encore une fois, le but est d'éviter l'écueil de l'assimilation. « Il est important de valoriser leur propre langue d’origine. L’ignorer serait à l’origine d’une déstabilisation affective et cognitive chez ces enfants, d'un  traumatisme symbolique, perturbant tout apprentissage. Etre bilingues, voire trilingues, voilà à quoi peuvent prétendre les élèves tziganes. »  Au final, Jean-Pierre Liégeois appelle de ses voeux le développement d'une école interculturelle, permettant au jeune rom d’exister en soi, avec une histoire, un passé, une richesse intérieure.


Un peuple marginalisé, mais riche de sa jeunesseAlain Reyniers
(Anthropologue, professeur à l'Université catholique de Louvain La Neuve, Belgique) 
liegeoisAlain Reyniers a dressé le portrait du peuple rom de l'est européen, faisant état, tout d'abord, d'une population nombreuse : 8 à 10 millions de tziganes en Europe centrale et orientale. La moitié n’aurait pas 20 ans. « On doit prendre en considération l'immense richesse que constitue une population si jeune » a t-il estimé.
Depuis la chute du régime communiste et la transition des pays de l'est vers le modèle libéral, ces communautés sont marquées par un chômage massif, des problèmes sanitaires et un manque de reconnaissance identitaire fort. Les populations majoritaires des pays de l 'est sont des populations qui ne supportent pas la présence des tziganes et cultivent des préjugés négatifs à leur égard. Ces données expliquent, pour une grande part, le mouvement migratoire de nombreux roms vers l'Europe occidentale.


Des conditions de vie dures
« Les roms des pays de l'Est présentent le profil d’une population du Tiers-Monde, pas d’une population européenne. Les mariages sont  précoces, le nombre de naissance important, et l'espérance de vie inférieure de 10 ans à celles des  populations locales» a expliqué Alain Reyniers. La situation de la femme rom, en particulier, est alarmante. Au delà des grossesses fréquentes qu'elle connait, elle subit une double marginalisation : la première, au sein de son foyer où elle travaille très durement ; la seconde, au sein de la société où elle est rejetée en tant que rom. Les conditions des enfants en bas âge sont difficiles: « Certains enfants d’un an vivent dans un mètre carré et sont gris de sous-alimentation », explique l'anthropologue. Le problème de la prostitution concerne très jeune les filles.


Une réalité plurielle 

Cependant, il s'agit de nuancer le tableau.  « Certains roms de l'Est, constate Alain Reyniers,  appartiennent aux classes supérieures et sont très bien intégrés. 60% vivent dans un état de marginalité en Roumanie. Les autres sont la preuve d’un dynamisme des roms. »  La situation se retrouve en France également. A partir des années 90 s’est enclenchée une vraie dynamique sociale liée au nomadisme, les tziganes gagnant leur vie dans le cadre de mouvements de va et vient à l’échelle internationale ou régionale. « Pour échapper à la précarité, la mobilité est une voie de salut. Davantage qu'à déplorer, elle est la preuve d'une vivacité des communautés roms», analyse l'anthropologue


Un sens de la collectivité

Les Roms sont des individus insérés dans la collectivité. Leur sens de la famille est très fort, empreinte d'une démarche égalitaire qui empêche l'individu  de s’élever au dessus des autres. Pour autant, « si la conscience communautaire est vive, il existe peu de conscience collective au sein des roms. C’est à dire, qu’au delà des généalogies individuelles, les roms ne se présentent pas comme un peuple prêt à s’unir, à collaborer pour défendre ses intérêts», résume Alain Reyniers.


Des modèles de réussites rapides

En France, l’école rivalise peu avec des exemples de réussite rapide donnés en modèle dans les communautés tziganes installées. « L’argent facile est quelque chose de plus attractif pour des jeunes issus de familles marginalisées qu’une insertion dans la société majoritaire. », observe l'anthropologue. L'enfant rom éprouve un sentiment de rejet. Les tziganes quittent un pays ou ils sont malvenus pour rejoindre des pays où ils sont mal perçus. « L’interculturalité prônée ne signifie pas seulement accepter l’autre dans sa différence. Il sous-entend d’aller beaucoup plus loin : c'est à dire co-construire avec l’autre», conclut Alain Reyniers.
Par ppicard3 , le dimanche 15 février 2009.

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