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TICE et Apprentissage Coopératif : Rencontre avec Lionel Amatte 

Par Antoine Maurice



Il ne s’agit plus de « penser que l’outil TICE va apporter quelque chose, mais d’organiser ses effets ». Ces mots de Lionel Amatte, professeur agrégé d’EPS et chargé de mission d’inspection pour la Nouvelle-Calédonie, résument bien l’essence même de la réflexion actuelle sur l’efficacité de l’usage des outils numériques. Son étude fait le choix d’une option pédagogique mettant au cœur l’apprentissage coopératif. Nous avons logiquement voulu en savoir davantage.


Bonjour, pouvez-vous dans un premier temps nous présenter globalement votre démarche?

Elle est issue de travaux entrepris pour l’intégration des TICE dans les séquences d’enseignement. Nous pouvons maintenant penser que plus personne ne doute de la place grandissante des outils numériques à l’École. Faut-il encore devoir démontrer leur plus-value et convaincre de leur utilisation dans les séquences. Ces travaux, en EPS,  tentent ainsi d’apporter une réponse aux questions : En quoi et comment intégrer les TICE au service des acquisitions des élèves ? Une des réponses réside dans la nécessaire articulation entre outil TICE et procédures particulières d’enseignement. Dans notre démarche, nous avons souhaité articuler apprentissages vicariants, connaissance du résultat et apprentissages coopératifs pour un environnement didactique facilitateur. La volonté est de donner de l’importance aux interactions dans les apprentissages. Dans l’activité Acrosport, mais nous avions également développé des propositions pour l’Escalade, les élèves sont confrontés à leur image numérique, à celle des autres, à des images de la compétence, le tout constituant des vecteurs aux interactions sur les critères de réalisation et de réussite. L’organisation de la classe n’est donc plus liée à l’organisation du travail des élèves, mais elle correspond aussi aux options pédagogiques. L’organisation est anticipée, pensée, réfléchie pour ne pas abandonner au hasard l’environnement social où vont se dérouler les interactions et leurs effets sur les acquisitions. Cette procédure permet à l’enseignant d’augmenter ses champs de transmission en donnant à l’outil TICE une fonction didactique, celle de l’expression des contenus à acquérir, leur lecture, leur mise en débat, leur validation.

C’est donc ,ne plus penser que l’outil TICE va apporter quelque chose mais organiser ses effets.


Justement, comment cette démarche a-t-elle vu le jour?

Nous pourrions dire qu’elle a vu le jour au croisement d’un empirisme pédagogique et d’une conception de l’enseignement. Cette démarche coopérative est issue d’une réflexion pragmatique d’innovation pédagogique. Innover, c’est se mettre en rupture avec le cadre social établi des méthodes normées de l’enseignement. La volonté reste toutefois de favoriser les apprentissages ou acquisitions par de nouveaux « process », par de nouveaux chemins. Nous ne souhaitions pas réinventer des procédures d’enseignement, mais, par contre, nous voulions développer des moyens nouveaux qui les rendent encore plus efficaces. A la question : « Comment rendre la dévolution de l’utilisation de l’outil plus large et plus efficace ? », la réponse immédiate a été d’associer à l’intégration des TICE, un enseignement de type coopératif où « le jeu » des interactions devait favoriser l’utilisation des processus cognitifs dans la construction des acquisitions.

D’autre part, conceptuellement, je suis très attaché à deux « courants pédagogiques ». Le premier est celui du collectif CEDREPS, Groupe de réflexion bien connu, qui aborde l’enseignement de l’EPS sous l’angle de l’articulation des visées éducatives avec celles de la transmission des techniques dans des propositions de formes de pratiques scolaires. Le deuxième est celui du concept « d’efficacité professionnelle » développé par l’Inspection Pédagogique de l’académie d’Aix- Marseille qui propose un cadre de lecture et d’analyse des pratiques d’enseignement, selon des critères d’efficacité, pour transformer les pratiques au service des acquisitions des élèves. L’un des critères est celui du déploiement d’une activité dense et précise d’aides aux apprentissages (typologies de guidage) dans les procédures d’enseignement mises en œuvre. Un autre est la mise à disposition des élèves d’une organisation sociale qui facilite leurs apprentissages. La démarche est alors un fabuleux moyen d’articuler, de façon très concrète, compétences propres et compétences méthodologiques et sociales. Les habiletés sociales (écoute, communication, empathie…) sont favorisées et développées par l’environnement didactique proposé au service des acquisitions motrices.


Justement, comment l’expérience a-t-elle été réalisée ?

Elle s’est déroulée avec l’aide d’une classe de 2nde générale. Trente élèves étaient concernés (20 filles et 10 garçons de 14 à 16 ans). Plusieurs groupes (6), homogènes entre eux ont été constitués en rapport à un pré-test, prenant en compte leur niveau initial et leur sexe. Nous avons ainsi tenté de comparer les apprentissages au cours d’un cycle d’enseignement d’acrosport, entre différents groupes d’élèves qui utilisent ou non l’image numérique (outil TICE) et les interactions didactiques qu’elle favorise sur, à partir de l’image comme moyen d’apprendre.

Pendant un cycle de dix leçons, trois groupes d’élèves utilisent une borne numérique, « La borne acro ». Elle leur permet de visualiser l’évolution d’élèves « experts » dans des tâches à réaliser (renversement par appuis tendus dynamiques vers l’avant), afin d’intégrer les éléments clefs d’une motricité plus efficace, de copier des placements, postures et positions, de reconnaître les actions mécaniques, d’avoir des images de la compétence. À partir d’un simple clic sur la difficulté à réaliser sur l’écran, l’élève est guidé vers des images lui permettant de se confronter au modèle. L’outil a été construit à partir de l’enregistrement de plusieurs séquences vidéo d’élèves experts dans l’activité. Cet ensemble a été stocké sur un ordinateur portatif. La lecture du modèle est orientée par des informations précises sur les indices à prélever. Ainsi, nous demandions aux élèves de diriger leur regard sur la qualité de l’ouverture de l’angle bras/tronc du voltigeur et la position de sa tête, la direction de l’action des bras du porteur sur ce dernier et la posture finale des deux acrobates. Il s’agit d’orienter le regard du sujet sur les déterminants prioritaires de l’action et son intention caractérisée dans l’atteinte du but. Un outil logiciel d’acquisition et de traitement des images accompagnait « la borne acro ». Il permettait, pour ces trois mêmes groupes, de capturer le travail des élèves dans la tâche et d’analyser leurs conduites en direct à partir d’un logiciel de lecture. L’intérêt d’un tel logiciel réside aussi dans la possibilité de mettre en lecture comparée et côte à côte l’image de l’expert et celle des élèves en activité momentanée. Mais aussi de faire des arrêts sur images, d’utiliser des ralentis et de visionner plusieurs fois leur vidéo. Il  s’agit ensuite de contraster deux conditions : un travail avec la borne vidéo qui sollicite des interactions entre pairs à partir du logiciel « Kinovea » d’analyses d’images en référence à leur propre activité et un modèle pour 3 groupes (nommés 1, 2 et 3), et un travail sans les TICE pour les 3 autres groupes (nommés 4, 5 et 6). Ce contraste s’est effectué au cours des leçons deux, trois, quatre et cinq.

Pour satisfaire à la faisabilité de l’étude, nous filmions les élèves au cours de ces séquences. Nous faisions le choix d’un grand angle de prise de vue afin d’avoir tous les groupes dans le champ de l’image. Ce recueil vidéo permettait d’effectuer un relevé quantitatif des interactions et des réalisations motrices, tout en permettant à l’enseignant de mener à bien sa leçon. Nous avons mesuré alors le nombre d’interactions et de réalisations motrices entre les groupes pouvant utiliser l’outil TICE et ceux qui ne le peuvent pas. Une évaluation intermédiaire quantitative en fin de leçon quatre a complété le pré-test. Elle avait pour objectif de vérifier, dans le cas où les niveaux d’acquisitions seraient identiques en fin de cycle, si l’outil TICE permettait d’apprendre plus ou moins rapidement.

Le niveau des sujets à l’issue de l’expérimentation fut enfin évalué (leçon six) pour vérifier quel était leur nouveau niveau de motricité d’un point de vue qualitatif et quantitatif. Cette seconde évaluation était destinée à rendre compte des progrès consécutifs à la situation d’interaction avec borne numérique et utilisation d’outils de prise d’images vidéo, comparativement au travail sans outil TICE. Les progrès constatés pouvaient, alors, avec toutes les limites envisagées, être considérés comme provenant de l’intégration de l’image et de son analyse dans des interactions entre pairs. Une autre évaluation était réalisée au titre de la vérification des qualités de transfert des acquisitions dans une tâche avec rotation arrière.


Les résultats vont-ils dans le sens d’une amélioration des apprentissages et d’une augmentation des interactions des élèves ?

Les résultats nous ont montré de manière évidente que même si le nombre de répétitions motrices est inférieur pour le groupe TICE, les apprentissages moteurs sont plus importants et plus transférables en fin de cycle d’enseignement. Ce ne serait donc pas la seule répétition de l’action motrice qui permettrait d’apprendre, mais bien une répétition organisée et finalisée par un objet d’enseignement autour d’interactions. Trois résultats particuliers à l’étude nous ont, en effet, permis de tenir cette conclusion : L’évaluation quantitative finale montre une augmentation significative des niveaux individuels d’acquisition pour le groupe TICE. La progression est constante tout au long du cycle pour ce groupe, le groupe sans TICE, quant à lui, évolue jusqu’à l’évaluation intermédiaire avant de stagner. Le nombre d’interactions verbales pour le groupe TICE est le double de celui du groupe sans TICE. Le nombre de réalisations motrices du groupe sans TICE est nettement plus important que celui du groupe TICE.

Le nombre d’interactions entre pairs est plus important avec la présence de l’outil. L’artefact suscite donc des interactions plus nombreuses, tout en réduisant le nombre de réalisations motrices par élèves d’un même groupe. Les évaluations finales rendant compte d’acquisitions plus stabilisées (d’un point de vue qualitatif au regard du niveau de réalisation) pour les groupes ayant utilisé les TICE. Ces outils et les interactions qu’ils suscitent sont donc une source d’apprentissage plus « performante », au sens où les élèves ont construit les moyens de reproduire et généraliser les actions motrices selon des contextes différents ou des tâches différentes (exemple d’un démontage acrobatique intégrant la verticale renversée dynamique vers l’arrière).


Ainsi, est-il possible de dire que les TICE proposent également une vision plus précise de l’apprentissage, qui, ici, ne se résume pas « seulement » à la quantité de pratique ? 

Pour cette étude, il apparait évident que ce n’est pas la quantité de pratique (en termes de nombre de réalisations) qui favorise les acquisitions, mais bien une « qualité de pratique » construite entre dévolution et interactions organisées. La répétition reste un facteur positif de l’apprentissage, il s’oppose cependant au temps contraint que nous avons dans les établissements… à nous de suivre l’adage d’André Gide : « un enseignant a ce souci constant : enseigner à se passer de lui ».

Ainsi, si l’outil TICE est un moyen d’orienter, grâce à l’observation du modèle, le regard du sujet sur les déterminants prioritaires de l’action et de la réussite, il est aussi, grâce à la connaissance de son résultat après visionnage de sa réalisation, le moyen d’identifier les causes de l’échec. C’est au cours des interactions verbales entre élèves qui vont suivre l’observation, que seront manipulées les connaissances et critères objectifs, car issus de l’image, favorables aux acquisitions. L’outil devient référent des interactions. En cas de réussite dans les réalisations suivantes, l’outil se transforme, alors, en mémoire objective du sentiment d’auto-efficacité du sujet. Ainsi, si l’outil suscite le partage dans la classe grâce à l’augmentation du nombre d’interactions, il permet également de faire partager les émotions en dehors de la classe lorsqu’il prend la fonction de mémoire collective.

L’outil TICE influence également un mode de relation à l’action motrice différent. En effet, des interactions décalées apparaissent. Débutées devant l’outil et déplacées autour de la tâche motrice, celles-ci permettent aux élèves de manipuler les critères de réalisation selon un mode cognitif et réflexif avant de les mettre en action. Si le recueil de données ne permettait pas de visualiser cet objet, l’observation au cours de l’expérimentation nous aura permis de conclure au développement d’une autonomie particulière et favorable aux apprentissages coopératifs (écoute, argumentation, utilisation d’informations pertinentes). Ces derniers étant alors garants du développement d’attitudes nécessaires à la construction d’un citoyen éclairé.

L’observation du modèle ou l’analyse de son image motrice ne sont pas porteuses de contenus propres au dépassement des obstacles affectifs ou à la construction d’un nouveau système de repères. Deux déterminants de l’activité motrice très présents dans les acrobaties. Au regard des progrès constatés, pouvons-nous considérer que ce sont les interactions suscitées par l’outil qui participent et facilitent le dépassement de ces deux obstacles ? Voir le modèle, se voir réaliser, puis discuter de son activité motrice et du décalage avec le modèle, à partir de critères techniques ou de critères de réalisation, permettrait-il de construire une confiance supplémentaire dans son activité et de dépasser les obstacles affectifs ? Si l’observation d’une action activerait des structures cérébrales impliquées dans son exécution motrice, quelle est la part de ces supports neuraux dans la régulation de la posture et la stimulation des organes sensoriels ?

L’observation de son action permet au sujet de se faire une idée de la forme produite, forme qu’il pourra mettre en relation avec la somme des informations sensorielles reçues. Son modèle figuratif peut alors s’articuler avec son modèle informatif. On peut supposer que l’apprentissage émerge de la relation à l’outil, mais aussi au pouvoir que possède l’outil de mettre en œuvre des interactions sur les contenus à acquérir, ce que nous avons défini comme « interactions didactiques ». Ce protocole combiné de plusieurs modes d’apprentissages permet assurément de suivre le chemin des acquisitions d’une part, mais souhaite mettre en exergue une prégnance et une sensibilité plus importante à la considération de l’activité globale de l’élève, au rôle de l’intentionnalité de ce dernier dans l’acte moteur d’autre part. Ce sont, en effet, les conditions de l’acquisition motrice que nous souhaitions mettre en avant dans cette étude.


S’il convient de percevoir que l’intégration des TICE dans les séquences d’enseignement favorise les apprentissages, n’y a-t-il pas lieu de déceler, surtout, une nouvelle compréhension du métier d’enseignant, et de nouveaux champs d’investigations ?

Voici effectivement un champ de réflexion intéressant, celui de l’évolution du métier d’enseignant et des compétences professionnelles sous jacentes à construire pour les professeurs. L’arrêté du 01 juillet 2013 fixe de nouvelles dispositions en la matière. Pour aller plus loin, il s’agit de comprendre l’articulation formation initiale / savoirs professionnels.

La formation initiale prépare à l’anticipation du travail de l’enseignant pour des situations d’enseignement. Nous sommes dans le domaine du « Quoi et du Comment ». C’est une structuration du savoir par l’enseignant et d’appropriation par les élèves.

Les savoirs professionnels, quant à eux, font vivre le travail de l’élève en situation d’apprentissage.

Nous sommes dans le domaine du « modifier le Comment pour faire évoluer le Quoi ». C’est une transformation de ce même savoir par la pratique relationnelle et les actions de l’enseignant.

La compréhension du métier est alors ce lien entre représentation des situations d’enseignement et représentation des situations d’apprentissage. L’hypothèse étant que c’est, précisément à ce point d’articulation, que se situe le caractère professionnel de l’action, de la pensée et du savoir professionnel.

Caractère professionnel qui doit se traduire en postures d’investissement particulières, d’abord celle d’innovation pédagogique, puis celle d’efficacité professionnelle.

Pour ce qui est de l’innovation pédagogique, l’idée est de sortir de ses limites habituelles, et pour cela créer de nouveaux cadres conceptuels. Il s’agit alors, pour l’enseignant, de diversifier ses connaissances, ses relations professionnelles et devenir un individu pluriel pour s’ouvrir vers l’extérieur (au sens où il s’agit pour lui de se construire une culture professionnelle élargie). Les innovations ont cette double fonction, contradictoire mais interpénétrée, celle de la régulation du système et celle de sa transformation. Dans le cadre de l’intégration des TICE, et de ses effets sur les apprentissages, la posture d’innovation poursuit les mêmes buts. Elle se caractérise, entre autres choses, par son adaptation au contexte (évolution des technologies), son accessibilité, sa lisibilité, et le confort qu’elle produit pour l’enseignant. C’est donc le besoin pour l’enseignant de sortir d’une insatisfaction dans la transmission d’un savoir, le devoir de réfléchir à de nouvelles possibilités au service des acquisitions.

Pour ce qui est de l’efficacité professionnelle (concept emprunté à Alain Rhéty, IA-IPR EPS de l’académie d’Aix-Marseille), l’idée est de concevoir et de comprendre son métier avant tout au service des élèves et de leurs acquisitions. Pour cela, il s’agit de donner la primauté à la planification de mise en œuvre, à l’épreuve des élèves, au regard de critères normés et partagés d’efficacité. Ici encore, cette posture demande, de la part des enseignants, de comprendre le métier autrement. De concevoir que chacun des choix effectués influence l’activité de l’élève. Que la remise en cause est perpétuelle et exige donc une prise de distance nécessaire avec un système de savoirs (formation initiale) et de valeurs. L’intégration des TICE permet à l’enseignant de se détacher du savoir (nous parlerons de « dévolution »), de transformer sa posture de « porteur » pour devenir un « accompagnateur » du savoir. Lorsqu’il organise les élèves devant l’outil, il s’attache préférentiellement à faire construire le savoir et non le transmettre. Il organise, alors, un environnement didactique qui permet le déploiement d’une activité riche, multiple et précise d’aide aux apprentissages. Rien de révolutionnaire la dedans… mais une nécessité à rappeler dans le cadre de la construction du citoyen lucide et autonome, où la réflexion des élèves doit être première et organisée.



Vous pouvez retrouver plus de précision dans la revue enseigner l’EPS n°261 et 262

http://www.site.aeeps.org



Sur le site du Café


Par antoinemaurice , le vendredi 21 février 2014.

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