Le mensuel Imprimer  |  Télécharger nous suivre sur Twitter nous suivre sur Facebook

Enquête : « Enseigner les arts du cirque en EPS… » Pourquoi pas… 


Par Antoine Maurice


Lors de notre dossier intitulé les Arts du Cirque en EPS, nous vous avions présenté rapidement notre coup de Cœur : le site “Enseigner les arts du cirque en EPS…”. Justement, Cécile Vigneron et Philippe Bouzonnet ont accepté de répondre à plusieurs de nos questions au sujet de l’enseignement des arts du cirque en EPS, à travers le site de l’académie de Lyon.  Nous tenons à souligner ici, la qualité des propos des auteurs et l’incroyable pépite, que sont les arts du Cirque.

Bonjour, tout d’abord, comment l’idée de créer un site sur l’enseignement des Arts du Cirque en EPS a-t-elle vu le jour, et pourquoi ?
C'est avant tout la rencontre d'une enseignante passionnée de cirque et d'un enseignant passionné d'informatique. Lors d'une réunion de travail sur l'apport des outils TICE en EPS, il nous a semblé que l'on pourrait permettre aux enseignants d'EPS de mieux appréhender les arts du cirque via ces outils. De nos échanges est née l'idée d'un site internet, accessible à tous les enseignants, qui aiderait à une meilleure connaissance de l'univers circassien.
Ce site a connu plusieurs étapes : Le début par la mise en ligne de documents écrits qui présentaient le cirque et les moyens de l'enseigner, puis, nous avons franchi une étape en incorporant des situations d'apprentissages, sous forme de croquis et de photos, et logiquement, avant d’incorporer des vidéos qui venaient illustrer les textes. Ces vidéos ont été tournées essentiellement grâce à la participation des élèves du lycée Doisneau, mais aussi, lors de stages de formation avec les enseignants d'EPS de l'académie de Lyon.
Ce site a évolué au gré des stages de formation et des situations d'enseignement. C'est ainsi qu'aujourd'hui est mis en ligne un cycle d'enseignement ? L’idée est toujours de montrer aux enseignants, mais aussi aux élèves, que le cirque est une aventure riche et complexe, que les apprentissages y sont nombreux mais accessibles.

Vous mettez en avant dans le site le rôle des podcasts pour l’enseignement des Arts du Cirque, dans quelle perspective et comment les mettre en place dans son enseignement ?
La vidéo est devenue une des ressources incontournables du site des arts du cirque de Lyon. Les images viennent illustrer les connaissances abordées dans les articles. Lorsque l'on filme des élèves en action, on montre aux internautes la faisabilité des situations ou, encore, les réponses motrices possibles ou attendues chez les élèves. Si ces ressources sont disponibles via le site Internet, cet accès devient plus problématique à mettre en œuvre lors des séances. Nous avons donc opté pour les Podcasts d'iTunes. Cet outil nous permet de mettre en libre accès l'ensemble des vidéos du site. L'enseignant peut télécharger ces Podcasts sur n'importe quel support nomade : smartphones, tables ou ordinateurs portables (Mac, PC ou Android) et accéder à leurs contenus lors des séances d'enseignement. On peut alors montrer aux élèves une illustration des contenus abordés, si le besoin s'en fait sentir, en sélectionnant le Podcast sur son outil nomade. Cet accès aux supports vidéo peut aussi engager l'enseignant vers une démarche complémentaire : Il s'agit de filmer les prestations des élèves (avec le même outil nomade) et de les comparer aux Podcasts vidéo. Cette démarche peut permettre à certains élèves de mieux appréhender une compétence à atteindre.
On peut aussi concevoir qu'un groupe d'élèves dispose d'un outil nomade numérique pour accéder à ces contenus lors de la séance mais dans un cadre strict, défini par l'enseignant. C'est une approche nouvelle, qui place l'élève dans un rôle d'acteur de son apprentissage avec un accès direct aux connaissances. Celui-ci devra être capable de sélectionner les connaissances pertinentes (Podcasts) qui lui permettront de répondre aux problèmes rencontrés lors de ses apprentissages.
Cet outil est un moyen supplémentaire d'accéder aux connaissances et aux compétences visées dans les arts du cirque. Il n'est pas indispensable à mettre en place et les enseignants qui n'intègrent pas ces outils sont bien sûr compétents pour faire progresser leurs élèves. Il est juste à disposition des enseignants et des élèves qui désirent l'utiliser ou le tester.

Cécile Vigneron, à plusieurs reprises, vous avez souligné la pertinence des arts du cirque pour gérer la diversité des élèves et répondre à leur singularité. Pouvez-vous préciser vos propos ?
Nous avons précédemment utilisé la formule : des élèves « tous pas pareils » qui reflète bien l’idée de nos propos. En effet, chaque élève a une histoire, une pointure de chaussure, une couleur de peau, des yeux marrons ou verts, un groupe sanguin, un prénom, un poids, une adresse, une taille, une main préférentielle, une origine sociale, un vocabulaire, un regard, une fratrie, une souplesse, une résistance, une LV2, un signe astrologique aussi, un régime, un genre, une bourse d’étude, et mille choses encore qui lui donnent son identité. C’est à partir de ce constat que l’idée d’individualiser plutôt que de différencier a germé. En quoi l’appui principal, sinon exclusif, sur l’une ou l’autre de ces caractéristiques, serait-il plus pertinent ?
Pour jouer au handball, c’est peut être intéressant d’être gaucher en équipe nationale, mais au collège ? Et d’avoir un an d’avance ou 2 de retard, ça change quoi avec le diabolo ? A la piscine, quelques kilos supplémentaires sont-ils parfois bénéfiques ? Sur le fil est-ce important ?
Appréhender les caractéristiques des élèves, c’est souvent les hiérarchiser les unes par rapport aux autres, pour a postériori et implicitement coller des étiquettes à chacun, l’affecter dans un groupe en référence à une norme ou à des pré-supposés plus ou moins énoncés. Le niveau 2 est toujours meilleur que le niveau 1. Or, au cirque, certaines ressources peu pertinentes par ailleurs peuvent tout à coup se révéler être des talents, des atouts géniaux. C’est la mise en regard d’une ressource particulière avec un projet humain qui va illuminer le travail. Avec les élèves, il nous a semblé préférable de ne pas organiser un enseignement à partir d’une assignation des élèves à un groupe de référence construit sur une « conduite typique » majoritaire, parfois affublée d’un nom imagé (pas toujours glorieux) : « les gymnastes », « les pitres », « les casse-cou » etc., mais au contraire de rechercher le talent caché de chacun, celui qu’il aura aussi envie de bonifier. Investir dans le déjà-là, dans le présent, l’acquis, le disponible, faire fructifier le potentiel plutôt que de se centrer sur les carences, les absences.

La diversité, l’hétérogénéité sont des pépites. Il faut surtout les préserver, les distinguer. Le cirque, c’est justement la différence, la singularité, la vanité à vouloir sortir du rang. C’est de l’individualisation du travail, de la construction de parcours tous divergents que va naître la réussite du cycle. Certains diront que c’est mission impossible, qu’il leur faut organiser des groupes, mettre ensemble les élèves qui présentent les mêmes difficultés. Ils oublient aussi, quelquefois, qu’une telle organisation est souvent injuste et peu féconde (cf sciences de l’éducation).
L’itinéraire de chacun part le plus souvent d’une tâche commune à toute la classe. Mais chacun va donner une réponse singulière et la compétence de l’enseignant va se jouer dans son ingéniosité à rebondir sur cette réponse. Certes, le poids de l’effectif rend la tâche ardue mais si l’enseignant prend garde à consacrer un instant à chaque élève sans exception, à « échanger » avec lui, pas nécessairement dans tous les exercices, il y a fort à parier, alors, que la reconnaissance témoignée jointe à la détermination, curiosité à apprendre dans cette activité, va booster les apprentissages. (L’élève qui apprend en cirque goûte à la solitude, il aimerait avoir toujours plus de temps pour expérimenter, tester de nouvelles choses quand l’enseignant serre toujours le timing. Pris dans son impérieuse envie de maîtriser l’objet, l’équilibre, l’élève sait aussi très vite solliciter la personne avisée, compétente (pas forcément l’enseignant mais souvent le camarade expert) ; apprendre, c’est échanger).
 
Plus généralement : Enseigner les arts du cirque avec des publics particuliers ou non c’est toujours : Re-questionner les évidences, renverser les injonctions, les habitudes et quelquefois même dogmes pédagogiques  (ex les groupes de niveau, la polyvalence, la mixité, l’échauffement, l’évaluation…), bousculer les catégories, les profils, les « conduites typiques » et s’adresser à chaque personne.
Chaque élève est singulier, particulier et les arts du cirque sont un outil précieux pour justement révéler les identités, les personnalités. Dans les arts clownesques, on dit que le plus difficile, c’est de « trouver son clown ». Avec nos élèves, essayons de donner une chaussure à chaque pied : Un nez à chaque regard.

Plus concrètement : comment faire pour gérer la diversité des élèves et répondre à leur singularité dans les arts du cirque ? 
Nous pouvons envisager trois axes de réponses et les illustrer ici :
L’appui sur des valeurs fortes, des intentions éducatives affirmées permet de montrer à chaque élève qu’il est important, unique et qu’il mérite attention. Si l’enseignant propose à chacun des apprentissages ambitieux, des techniques remarquables alors l’élève va percevoir cette attention à lui, cette reconnaissance. Ses réalisations, figures difficiles, singulières mais maîtrisées l’éloignent de la médiocrité, du commun : il peut alors être fier, digne, il aura envie de venir sur la piste montrer quelque chose de bien : Vraiment. Pas « se taper la honte avec un truc nul ».

En supprimant tout classement, toute comparaison sociale, toute hiérarchisation au sein du cours d’EPS, l’enseignant montre aussi qu’avec les arts du cirque, la notion de compétition n’a pas cours : on s’en fiche, on est « tous pas pareils » donc on ne peut pas se comparer. Chacun fait un truc différent. On ne peut pas comparer une figure au diabolo avec une sur le fil... ce qui compte, c’est que cette figure vous surprenne, vous étonne. Avec une balle qui disparaît, réapparait dans mon dos, derrière ma nuque, je peux surprendre et intriguer beaucoup plus qu’avec une routine à 3 balles même si les autres ne réussissent qu’à 2 balles.
Justement, le cirque n’existe pas sans « l’autre » qui m’aide, me regarde, m’imite, me porte, me soutient. ; Au propre comme au figuré. En EPS il est opportun d’avoir recours à beaucoup de contacts, d’échanges, d’exercices collectifs. Par exemple, il est possible de travailler très tôt sur les procédés de composition collectifs (unisson, cascade), les chaînes, partages, échanges, mélanges d’objets, d’espace, d’énergie. C’est au contact de l’autre qu’on comprend ses difficultés, qu’on donne à voir nos échecs et on apprend l’humilité, la modestie, la complémentarité. Au cirque, on a toujours besoin de l’autre pour faire, pour exister : ce que je fais n’existe pas sans lui, n’a pas de sens s’il n’est pas là, c’est seulement parce que c’est lui que c’est possible, parce qu’il est petit, qu’il a des lunettes, qu’il est lourd, que c’est une fille !! c’est pour toi que je fais ça !

Enfin, les arts du cirque permettent de passer d’un rapport au savoir externe à l’élève (« en EPS j’apprends le diabolo ») à un rapport interne, auto-référencé (avec la prof j’ai appris à faire le nœud magique au diabolo ) Il s’agit de développer la curiosité des élèves, susciter leurs sollicitations : waouh M’dame !  là, comment vous avez fait ? et la semaine dernière vous avez… ». Il est important, tout simplement, de créer des besoins, des envies, des projets personnels en travaillant sur la notion de « dépassement de soi, ne fut-ce que de quelques  millimètres ».


Pour gérer la diversité des élèves et répondre à leur singularité l’enseignant d’EPS doit s’attacher aussi à réaliser un travail approfondi de transposition didactique. Il doit réellement proposer des contenus d’apprentissages qui disent comment faire, à quel moment, etc. Il doit effectuer une explication granuleuse des tâches : identifier les obstacles, spécifier les actions, énoncer les intentions, préciser et exiger les critères de réussite. Il s’agit d’expliquer avec des images, des métaphores, des mots et des couleurs, des expressions, des signes… Par exemple, l‘assiette : d’abord on la met en oscillation-rotation « à peu près à plat, bien au dessus de ma tête, baguette verticale. Mais la pointe de la baguette ne bouge pas, elle est collée contre le bord, toujours au même endroit, là il faut dessiner un cône (comme une glace, un cornet à la vanille ou à la pistache !) et puis seulement, alors, on accélère, on bat l’omelette, la crème chantilly sur la glace. Alors la baguette se décolle toute seule du bord, et l’assiette tourne plus vite que la baguette. C’est gagné ! Il ne reste plus qu’à arrêter tout. Surtout, ne pas oublier de dire qu’il faut s’arrêter… c’est pour ça que les élèves n’y arrivent pas !  Et répéter, asséner aux élèves qu’il y a 3 temps, 3 choses à enchaîner : bien différentes : le cône, la chantilly, l’arrêt ! ».

Le recours à un guidage fort, une pédagogie assez directive, notamment en jonglage, fait gagner un temps infini aux élèves. L’enseignant présente les tâches et oriente le travail des élèves en utilisant différents registres : le visuel, l’auditif, le kinesthésique. Il prend le temps de décomposer, zoomer sur les moments clés, les instants dangereux.
Cependant,  ce guidage fort a une contrepartie... il doit être efficace. Tous les élèves acceptent la contrainte, la directivité quand ils observent qu’elle est rentable, rationnelle, féconde : la réussite doit être tangible, sinon immédiate, du moins proche, accessible sinon elle n’est pas crédible. On ne ment pas au cirque.

Quand on enseigne les arts du cirque il convient aussi de rechercher la qualité plus que la quantité, C’est la finesse et la précision d’une figure, d’un geste qui lui confèrent sa beauté, son pouvoir de séduction pas l’accumulation de dizaines de routine approximatives. (Quelque fois les enseignants pensent qu’ils n’auront « pas assez de billes » mais on est pauvre parce qu’on dépense trop).
Après des années de doute, désormais une certitude nous anime : il vaut mieux privilégier chez nos élèves en effet  la spécialisation plutôt que la polyvalence. Laisser aux élèves l’opportunité d’apprendre vraiment en autorisant la spécialisation. Curieuse remarque s’il en est ! C’est lorsque l’élève réussit une belle figure qu’il rayonne, pas quand il met vaguement son assiette en rotation et qu’elle s’effondre, qu’il lâche ses balles sans cesse, pose le pied à terre... On ne peut pas apprendre en faisant 5 mn de fil puis 3 de boule, puis 2 de rolla puis 10 de diabolo, 7 de balles et 4 d’assiettes. On bricole, alors, on réussit de façon aléatoire des figures moches, médiocres, communes… Où se situent le plaisir et la fierté de l’apprentissage ?
Mais pour apprendre des éléments différents à chaque élève, sans être un virtuose soi-même, l’enseignant devra reconstruire un enseignement original : imaginer des figures où les trajets, espaces, parties du corps impliquées, énergies, contextes sont sensiblement différents… faire un rebond sur le pied, sur le coude, l’intérieur du bras, le dessous du pied...

Les arts du cirque ne se limitent jamais à une démonstration de virtuosité. La plus belle des prouesses, même époustouflante reste fade si elle n’est pas mise en valeur, en scène. Nombreux sont les élèves à disposer de véritables talents pour présenter, suggérer, découvrir un moment de poésie ou de risque, appuyer un regard, susciter un sourire. Un cycle d’arts du cirque passe par un travail à chaque séance de manipulation, ou d’équilibres, d’acrobaties certes,  mais chaque leçon explore aussi le registre de la composition et de la présence afin de permettre à chacun de mettre en évidence cette dimension plus sensible de sa personnalité. Il puise dans d’autres ressources de son être et montre quelques talents originaux (chant, musique, slam, danse, souplesse, expression du visage, force, équilibre….).


Enfin, il nous semble essentiel de choisir des procédures et adaptations pédagogiques qui permettent vraiment de progresser.
Nous n’apprécions guère la constitution de groupes de niveaux et privilégions souvent le travail en grand groupe classe : 1 élève / 1 objet, en cercle (sur un cercle : pas de premier- pas de dernier).

Il est possible de recourir à différentes formes de groupements inhabituels, incongrus pour montrer que le cirque ne s’attache à aucune habitude ou certitude... (cf situation des « gromlos »), et aussi de ré-investir les jeux collectifs, du patrimoine (chat perché, 1/2/3 soleil…).

Bien sûr, l’engagement de l’enseignant, son implication sont déterminants. C’est parce que le prof joue lui aussi, chute, bégaie, trébuche, échoue, recommence que tout est possible pour chacun. Si le prof rate... alors nous aussi on peut rater ! Mais surtout si le prof ne se formalise pas de ses échecs publics alors là tout est gagné !  Le prof est un être humain, fragile, modeste, humble.

Il faut aussi préciser qu’enseigner en arts du cirque comme ailleurs, ne se résume pas à animer : par exemple, l’aménagement du milieu à lui seul, ne suffit pas, la mise à disposition de fiches et de matériel reste peu féconde. Il ne suffit pas de sortir les assiettes pour qu’elles tournent !

Dans de nombreuses APS, le travail par atelier, la pédagogie de la découverte, la présentation de SRP sont souvent utilisés comme moyens pédagogiques. En arts du cirque, nous avons observé que ces procédures sont coûteuses en temps et limitent les apprentissages.

Un travail ancré sur le corps, et ses multiples sources d’information, sensation compréhension du monde est tellement plus fécond ! L’enseignant guide l’élève dans le prélèvement de son ressenti : le poids de la baguette, l’appui des mains, la vitesse de rotation, la coordination des membres, le regard, le bruit, ... tout est source de compréhension, apprentissage si on aide les élèves à verbaliser ensuite : pour les élèves (et aussi l’enseignant !), il convient alors d’être en mesure de « dire ce que je fais et faire ce que j’ai dit ».

La construction, l’écriture de la présentation finale, du « moment de cirque » part elle aussi, dans notre démarche, par ex d’un canevas super contraignant qui donne cependant des choix. Il faut anticiper les réponses possibles en proposant des situations a priori contraintes mais au final très ouvertes sur des réponses divergentes de la part des groupes d’élèves. Ex : Vous devez  être assis à 5 endroits différents de 5 chaises :pardon ? Comment???? ).
On peut également donner plusieurs choix, qui créent une sorte d’illusion de liberté, d’auto-détermination mais entre les propositions N°1, N°2, N°3... au final les apprentissages se recoupent et c’est quand les élèves observent qu’ils sont parvenus au même endroit avec des chemins différents qu’ils peuvent alors accéder à une véritable auto détermination. Ils se sont fixés un but et choisissent parmi différentes possibilités les voies les plus opportunes. Souvent, dans cette démarche, les élèves demandent « s’ils ont le droit » de dépasser un peu, contourner un peu la consigne « madame est ce qu’on peut prendre... »  « parce que comme ça ... alors on pourrait... », Cette demande est non seulement légitime, acceptée mais plus encore, elle est le témoignage de la compréhension du processus de construction de leur propos vers l’affirmation d’une intention, un parti pris. 

Enfin, dans les arts du cirque la dimension purement matérielle, les tâches ingrates, sont partie intégrante du travail. Les arts du cirque sont une activité risquée et la sécurisation de l’espace, le rangement du matériel, la préparation minutieuse des objets apparaissent très vite aux élèves comme une évidence et pas une obligation. Dans nos classes, comme sous le chapiteau nous aimons à ritualiser les « besognes » et à attribuer à chacun une responsabilité incongrue : le « chef tapis » ne les porte jamais pas mais il est garant de leur rangement parfait !


Il semble que les arts du cirque puissent être un catalyseur des projets transdisciplinaires, qu’en pensez-vous?
A l’école primaire, la mise en place de projets transdisciplinaires autour des arts du cirque constitue souvent un levier qui fédère l’acquisition de compétences langagières, historiques, artistiques, scientifiques. Pourtant, les projets construits se limitent souvent, faute de temps, de concertation avec les artistes intervenants à la préparation du spectacle de la fête de l’école…
Dans les établissements du second degré, les Arts du Cirque servent quelquefois de point d’appui à des itinéraires de découverte (en voie de disparition !) en collège ou au lycée à des TPE. Une approche centrée sur des processus d’apprentissage et des savoirs à acquérir en physique (application de forces, équilibre, moment de rotation, frottements etc.), arts plastiques (choix de matériau, de couleurs, détournement des objets, représentation du clown, du masque, dans la peinture du 19ème …), musique (composition de la bande son, musique live, percussions beat box…), littérature, sciences sociales (mouvements sociaux, cultures populaires), philosophie, histoire, SVT, EPS… est très intéressante. Les élèves s’approprient de vrais savoirs et savoir-faire appréhendés, issus de leur vécu par maints aller-retour entre pratique, expérimentation, rencontres d’artistes et conceptualisation, formalisation de connaissances théoriques.
Pourquoi ne pas accorder une place plus large aux arts du cirque dans le cadre des projets d’établissement ? Ainsi, il importe de signifier et souligner la place que peut prendre l’enseignement des Arts du Cirque au sein des projets d’établissement. En effet les objectifs visés, les valeurs éducatives énoncées sont très souvent convergents. Les axes prioritaires des projets d’établissement listent régulièrement des intentions éducatives comme la construction du respect de l’autre, de valeurs citoyennes, l’accès à une mixité sereine et épanouie, la réussite de tous, la préparation et la gestion d’une sécurité optimale, la recherche d’une autonomie progressivement construite et assumée, l’ouverture culturelle, la préservation et l’entretien de sa santé ou encore la mise en projet de l’élève. Ainsi, l’engagement des élèves dans les arts du cirque illustre, concrétise, opérationnalise véritablement ces intentions dans la prise de risque physique et affectif qu’il requiert dans la réussite d’une épreuve personnelle et délibérément projetée qu’il suppose, dans l’implication au sein de l’écriture d’une pièce collective qu’il propose, dans préparation et gestion du matériel qu’il exige, mais surtout dans la rencontre de l’autre, la curiosité posée sur son propos, le métissage et la découverte d’arts et de cultures nouvelles.
Pourquoi ne pas utiliser les Classes à projet artistique et culturel (PAC) ? Les Arts du Cirque trouvent aussi de plus en plus souvent une place dans les établissements scolaires via les dispositifs d’éducation artistique et culturelle. La classe à projet artistique et culturel fédère autour d’un projet annuel animé par plusieurs enseignants et inscrit dans les programmes et horaires règlementaires. Ce travail associe un ou plusieurs artistes professionnels (BO N°24 du 14 juin 2001). Les ateliers artistiques offrent, quant à eux, l’opportunité d’une pratique artistique approfondie à des élèves volontaires à raison d’environ 2 heures hebdomadaires. Ils vont de pair avec une ouverture sur la création en tant que spectateur et pratiquant et officialisent des partenariats avec des compagnies. (BO N° 24 du 14 Juin 2001).
Même démarche pour l’Histoire des arts ! Le BO N° 32 du 28 août 2008 précise l’organisation de l’enseignement de l’histoire des arts devenue obligatoire dans tous les établissements scolaires. Cet enseignement concerne tous les élèves, il est porté par tous les enseignants, convoque tous les arts, s’appuie sur la rencontre avec des œuvres et des artistes et ne se substitue pas aux enseignements obligatoires ni facultatifs. Organisé en 3 piliers (périodes historiques, grands domaines et listes de références ou de thématiques) de l’école primaire à la terminale, cet enseignement inclut bien évidemment les Arts du Cirque. On y trouve de nombreux points d’appuis, au collège par exemple, dans les 6 domaines énoncés : arts de l’espace, arts du langage, arts du quotidien, arts du son, arts du spectacle vivant, arts du visuel ou dans les riches et nombreuses thématiques (ex : art- état- pouvoir). Les acquisitions attendues distinguent des connaissances essentiellement langagières, culturelles, historiques, des capacités qui s’ancrent sur une large pratique des lieux de culture, sur la réalisation de projets artistiques et l’établissement de liens et d’analyse entre les domaines artistiques et des attitudes qui valorisent curiosité, autonomie, esprit d’initiative. Il faut rappeler que le volume horaire conséquent de 312h sur l’ensemble de la scolarité est arrêté et qu’à compter de la session 2011, cet enseignement doit faire l’objet d’une évaluation dans le cadre du diplôme national du brevet.

Autre point : La question du matériel est-elle un problème pour commencer les arts du cirque ?
L’enseignement des Arts du Cirque requiert d’abord un espace conséquent. C’est une erreur de considérer qu’une petite salle de danse par exemple ou de combat sera adaptée à cette pratique. Au cirque, on doit pouvoir rouler, basculer, tirer, lancer sans craindre pour le revêtement, les vitres: il faut donc éviter les tatamis, parquets ou miroirs fragiles, et disposer d’une grande hauteur sous plafond. Un vieux gymnase type B qui ne craint rien et regorge de ressources avec placards, portes, tribunes, recoins, rails de cordes, main courante, endroits où se cacher, s’accrocher est souvent parfait. Dans cette activité de spectacle, il est important de pouvoir installer, démonter un décor, des structures, un véritable petit « chantier » puisé dans les ressources locales (tables, vieux agrès gymniques, séparations mobiles, poteaux de badminton…). Un rideau de séparation peut devenir un élément scénique intéressant (ou des chemins de tapis articulés). De plus, avant de penser « matériel du cirque », il faut de la place, et penser à utiliser : Des agrès gymniques qui « ne craignent rien » type vieux plinthes, édugym, poutres, moutons, bancs, cordes, espaliers, mains courantes, chemins de tapis articulés … ; Des objets du quotidien : bancs, chaises, tables, poubelles, escabeaux, tabourets, échelles, pneus, tourets de chantiers, cartons ; De petits objets pédagogiques : cerceaux, caddys , cordelettes, bâtons, poteaux mobiles de badminton, percussions, médecin ball… Mais surtout de nombreux objets divers : parapluies, journaux, valises, cartons, chapeaux, vieux costumes, draps, gants, tissus, bouteilles plastiques, sachets plastiques, gobelets, boites métalliques, pinces à linge, vieux livres, catalogues-annuaires, clochettes, ballons de baudruche …
Le piège des kits qui « obligent ». Trop souvent, par commodité, les équipes pédagogiques acquièrent des kits arts du cirque scolaires qui proposent des objets issus de chaque discipline qu’elles complètent le cas échéant par une boule, ou un fil. Ce contexte matériel contraint l’enseignant à proposer des ateliers nombreux et fort distincts en termes d’apprentissages, issus de différentes familles circassiennes. Dans une telle configuration, l’enseignant doit par exemple assurer la sécurité à la boule ou aux acrobaties et en même temps réguler les apprentissages aux autres ateliers. Les élèves ont trop vite reçu et oublié les consignes pour chacun des nombreux ateliers et exercices et le recours à des fiches pédagogiques ne fonctionne pas. Le temps de pratique à chacun des ateliers est fort, bref et au final, les élèves sortent de la tâche et restent dans une activité de découverte. Leurs échecs aux premières tentatives dus à l’oubli de consignes souvent élémentaires les découragent d’autant plus que le matériel acquis, souvent de modeste qualité, nuit à la réussite. Il est de loin préférable de disposer en nombre, d’un même matériel et de mettre toute la classe au travail sur un même objet, engin, quitte à différencier alors les consignes pour chacun. Souvent oublié, comme nous en avons parlé précédemment, le travail en grand cercle, par exemple, présente l’avantage de souder la classe, de voir et d’être vu dans une sécurité affective et un confort pédagogique pour l’enseignant. Une organisation permettant le fonctionnement en parallèle de 2 groupes sur 2 disciplines distinctes dont le jonglage (risque limité) peut constituer une solution pédagogique assez adaptée. Bien évidemment, cela signifie que l’équipe pédagogique effectue des choix d’achat de matériel et privilégie l’achat de 25 diabolos à celui de 4 assiettes plus 12 balles plus 6 massues plus 9 foulards…  Et considère aussi qu’il est sans doute préférable pour les élèves de parfaire une belle séquence au diabolo « et seulement ça » que d’en rester à des réalisations motrices quasi spontanées. Il convient donc, de préférence, d’éviter les kits tout prêts, souvent de médiocre qualité, à la fois peu résistants, peu durables et sources d’échecs! On peut s’orienter vers l’acquisition de moins de matériel s’il est de bonne qualité.
Enfin, il faut avoir en tête que le cirque, c’est le jeu avec l’objet, la trajectoire et l’équilibre de celui-ci et aussi son détournement et toutes les images qu’il peut évoquer, suggérer.
Il faut alors ouvrir grands les yeux sur tous les objets du quotidien disponibles dans l’environnement scolaire ou familial ! Comme une grande partie des compagnies de cirque aujourd’hui, l’enseignant peut construire son cycle avec des chaises, tables, brouettes, palettes, pneus, manches à balai, journaux, bobines électriques, bancs, bidons, sacs, bouteilles plastiques, cartons, parapluies, boîtes, vieux cadres, cannes, rouleaux de moquette, cageots de marché, barrières, bâtons, caddies, valises, échelles … Le travail sera sans doute tout aussi intéressant et aussi plus créatif ! On peut marcher sur des boites de conserves au lieu d’un fil…(cf J Le Guillerm sur des bouteilles). Dès le début de la leçon, les situations de mise en piste peuvent s’effectuer avec des objets du quotidien. Mais il conviendra cependant, avec les élèves, de ne pas oublier d’’expliciter les propriétés, les symbolismes aussi, vecteurs de sens éventuel ! On ne prend pas des bouteilles, sachets, pinces à linge pour rien... On ne gesticule pas à vide, manipule pas seulement : on cherche à jouer avec les propriétés intrinsèques ou supposées pour créer du déséquilibre, du désordre dans l’entendement et interpeller celui qui voit. Pour moi, mais pas nécessairement pour vous, la boîte de café métallique est d’abord ronde, légère, bruyante… le bottin du téléphone est plat, lourd, le bâton est long, rigide, la valise a une poignée, un volume, une envie de voyage, le balai est déséquilibré, méprisé, le journal donne des informations, se déchire, se plie, s’effeuille… Chacun a ses propres images en tête et il faut bannir la recherche effrénée d’un sens consensuel au risque de tomber dans « la reproduction du geste quotidien » , les clichés et autres caricatures.
Enfin lors des cycles de cirque, la question du costume « déguisement » ne doit pas être évincée. Le costume est d’abord un outil pédagogique, un moyen au service de l’enseignant pour engager dans le jeu. Ainsi, au-delà d’une large gamme d’accessoires, d’objets divers décrits plus hauts, disposer d’une malle, d’une valise de vêtements, d’un vestiaire offre l’opportunité de faire vivre et ressentir aux élèves de nouveaux registres corporels. Le port d’un chapeau transforme la personne, modifie son équilibre, oriente son visage, place ses yeux sans parler même de sa facture et de sa fonction. Le haut de forme rend altier et le bonnet plutôt bonhomme ou penaud ; le bibi à plume, le casque à pointe, le képi, le béret, le chapeau de paille…  entraînent non seulement les têtes dans un univers particulier mais plus encore dans des ports, maintiens, tonus, énergies… insoupçonnés.
La même démonstration peut être faite pour les gants, les chaussures, les vestes, les cravates ou foulards, les pantalons. Le costume n’est pas un déguisement, c’est un puissant artefact pédagogique : dans une veste trop courte pour moi, je deviens tout étriqué moi aussi, je raccourcis mes gestes, je réduis mon amplitude, je jongle tout petit. Dans une veste trop large, je m’embourbe, je me perds, mes gestes prennent la taille de mon costume, mes mains vont chercher mes balles trop loin….
Certains élèves disent que le chapeau, le costume, « jouent le même rôle que le dossard en sports collectifs ». Ils sont sans doute assez proches de la vérité. Trop souvent, le rôle du costume se limite au service du personnage ou de l’état, l’intention. Je mets un maillot de foot pour dire que je suis un footballeur, je mets des bottes pour dire que je suis à la campagne et quelque fois les élèves découvrent –mais un peu tard- que le costume choisi n’est pas opérationnel pour d’autres séquences du spectacle (comme par exemple faire du monocycle avec un jupon). Le costume est aussi parfois appréhendé sur le mode stimulus-réponse. Les élèves associent tristesse et costumes noirs, far-west et jeans. Certains groupes y voient seulement une manière commode de créer de l’unité par l’identité des vêtements ou couleurs, mais parfois le costume vire à la panoplie complète.
 
Enseigner les arts du Cirque, n’est ce pas aussi se questionner soi-même ? Se rassurer par l’entrée par les éléments techniques pour les dépasser et rentrer dans une démarche artistique ?
Confrontés à une exigence institutionnelle d’enseignement artistique, expressif, façonnés par une formation initiale plutôt sportive, s’adressant à des classes mixtes et pas toujours enthousiastes face aux activités artistiques, les professeurs d’EPS se sont engouffrés dans la brèche des arts du cirque ou de la CP3. Entre créations contemporaines et cirque traditionnel, le fossé est immense, pourtant le cirque semble moins inquiéter les enseignants d’EPS que la danse contemporaine, organisée autour de l’expression, de la création et de la composition chorégraphique. Loin d’effrayer par ses techniques aussi spectaculaires que multiples, ses exigences sécuritaires, le cirque a en effet séduit tous ceux que la danse contemporaine aux attributs féminins a éloignés. L’enseignement du « cirque » (ou des « arts du cirque ? ») est construit sur un traitement didactique qui valorise souvent les réalisations techniques tout en gardant un plus ou moins lointain cap expressif et artistique. Cela rassure et, finalement, les enseignants, notamment hommes, paraissent prêts (prompts ?) à s’engager dans des cycles aux exigences matérielles, techniques à priori considérables mais sans doute plus proches de leurs savoirs gymniques, acrobatiques estimés et acquis par ailleurs. Les obstacles sont majeurs mais à priori beaucoup moins rédhibitoires qu’une entrée dans la danse esthétique et chorégraphiée, expressive et artistique dont les attributs restent perçus féminins.
Mais, enseigner les arts du cirque requiert une formation et des compétences conséquentes et similaires à celles requises en danse. En effet, enseigner les arts du cirque, c’est apprendre à : écrire et composer une forme, explorer les règles et procédés de composition, travailler sur la qualité du mouvement… De plus, il convient de s’appuyer sur une solide connaissance des arts de la scène, du théâtre, du jeu d’acteur et d’attester d’une maîtrise technique minimale des différentes disciplines circassiennes (acrobatie, jonglerie, équilibre, aériens etc.), elles-mêmes démultipliées en dizaines de spécialités ! Enseigner les arts du cirque, en EPS ainsi, ne se résume donc pas à disposer d’un catalogue de figures techniques, aussi spectaculaires soient-elles. Les enseignants d’EPS déplorent quelquefois la vacuité des productions de leurs élèves qu’ils comparent alors à des enchaînements ou des démonstrations, mais ils reconnaissent aussitôt qu’ils ont peu œuvré avec eux à l’émergence du jeu de l’acteur, à l’élaboration, à l’écriture de la petite forme donnée à voir. Mais apprend-on vraiment en EPS les « Arts du cirque ?. Pour s’engager dans la voie de la créativité dans les arts du cirque, il faut connaître les fondements de la création artistique et acquérir des outils et savoir-faire relatifs aux disciplines circassiennes, des processus de création, une motricité expressive et le  jeu d’acteur…. La tâche, les contraintes et compétences convoquées sont peut être beaucoup plus importantes qu’en danse !
De nombreux observateurs redoutent actuellement un délitement de l’approche artistique dans une approche centrée sur les techniques, des « cycles de jonglage ». On observe effectivement dans les projets EPS une sorte de hiérarchisation rarement contestée et qui trouve son expression parfois dans les programmations scolaires : un 1er cycle d’enseignement reposerait plutôt sur des techniques et un second cycle aborderait « la mise en spectacle, l’approche artistique de l’activité ». Un 3ème cycle est rarement envisagé et lorsque c’est le cas, on parle alors de « spécialisation ». Le risque peut être de s’emparer uniquement de la dimension technique. La pratique des arts du cirque se limiterait à une activité motrice et sportive et délaisserait l’aspect artistique, la communication d’une émotion, d’une écriture et d’une mise en scène. Il faut cependant dédramatiser les choses et aussi déculpabiliser les enseignants. Débuter l’enseignement des arts du cirque par une approche technique est quasiment le chemin que les enseignants les plus experts ont emprunté, même s’ils ne l’avouent pas toujours ! Celui qui rassure et conforte avant de prendre des risques plus créatifs. C’est un premier pas, un passage et très vite, pour peu que l’enseignant considère avec des yeux curieux les acquisitions de ses élèves, le besoin de ciseler le propos des élèves, de guider et circonscrire avec eux leur composition, préciser leurs gestes, et poser leurs regards s’imposent. Cependant, ce passage nécessite un important travail personnel et didactique notamment relatif au processus de création qui reste souvent un peu mystérieux, difficilement accessible aux non initiés, non spécialistes. Il est pourtant relativement aisé si tant est qu’il soit donné en formation et surtout posé comme clé, baguette absolument pas magique et source de transformation radicale des propos des élèves. « Si on m’avait dit ça avant » est à la fois  le nom d’un document personnel et une véritable révélation ! Il existe des règles (de composition, d’utilisation de l’espace, de gestion des relations, énergie, séquences) avérées et éprouvées depuis des siècles en musique, théâtre, danse, cinéma, peinture, photographie, littérature… Les émotions, frissons, étonnements ne surgissent pas ex abrupto… Les plans, silences, couleurs, flashbacks, travellings, contrejours ou contreplongées des cinéastes créent les attentes, angoisses, rires… Les crescendos, tremolos, point d’orgues, reprises, variations etc. Des compositeurs transportent les auditeurs et ceux là savent bien sur quel curseur il convient de jouer pour instiller peut-être un peu de joie, de peur, d’étonnement… Ce qui révèle le metteur en scène ou l’écrivain, le compositeur ou le peintre, le photographe … s’analyse, s’apprend aussi ! Dans tous les arts, il convient de manipuler des règles, combiner des paramètres, jouer sur des curseurs pour induire des effets (même si la touche personnelle contribue bien sûr à l’expression de la couleur !) Ces règles, (proportion, équilibre, écriture) ces procédures sont hélas rarement enseignées dans les instituts de formation et cela doit vraiment interpeller: absence de temps ? Hiérarchisation des savoirs ? Sélection des savoirs, rétention délibérée ? Pourquoi donne-t-on rarement aux jeunes enseignants les outils pour les aider à écrire un propos artistique quand on n’hésite pas à les armer en terme de stratégies ou tactiques en sport collectifs ?
La construction du personnage, la présence, l’accès à l’interprétation et à l’engagement chez les élèves n’ont eux aussi rien de magique ! Cependant, ils font aussi rarement l’objet de modules de formation pour les enseignants qui continuent à sanctionner les « gestes parasites » de leurs élèves sans s’interroger sur leur nature-origine et les acquisitions et apprentissages à construire en réponse. Chacun sait combien il est difficile, pour l’avoir lui-même éprouvé, d’être sur scène, sous le regard de spectateurs mais rares sont ceux qui consacrent du temps à apprendre le regard, l’écoute, l’immobilité, le silence, la suspension, la précision….  Chacun se gausse des émissions cultes TV qui reconnaissent les « incroyables talents » ou les « nouvelle star » sans s’interroger au final sur ce qui manque justement au commun, au vulgaire et qu’il n’a pas  appréhendé avec ses élèves.
Pour terminer, l’engagement de l’enseignant dans la leçon est essentiel. Il s’implique avec les élèves, rit de ses échecs et joue avec eux. Même si ses compétences techniques sont modestes, il peut s’investir notamment dans le cadre des exercices d’expression et donner à voir lui aussi une autre image de lui-même, à la mesure de ce qu’il attend chez ses élèves. Son regard est aussi déterminant. Il n’est pas neutre, comme on voudrait pourtant le croire, et avec sans doute beaucoup, beaucoup de prudence, sensibilité… Il peut aider les élèves à livrer le meilleur d’eux-mêmes dans un effet de miroir ou plutôt retro-viseur. Il peut aider les élèves à prendre conscience de leurs images, choix, énergies, attitudes, « donnés à voir » qui disent beaucoup, surtout quand on veut les cacher. Oui, tu es grand ou maigre, gaucher ou vêtu de noir, étranger, lent, sage, pieds nus, vif, myope, pauvre, bavard, abattu, black, blonde… et tous ces qualificatifs font ton identité. Tu ES comme ça et il n’y a pas de jugement de valeur à coller derrière tout cela. Un trait ne justifie pas un tri. Le cirque fait fi de la norme, ne rend de compte à personne. Le circassien convoque seulement la sincérité, la justesse, la vérité et si le clown fait rire, et aussi grincer, c’est qu’il pointe justement nos vérités et nos bassesses.

Cécile Vigneron et Philippe Bouzonnet, un grand merci !
 
Le site :

Les Arts du Cirque au Lycée Doisneau de Vaux en Velin

Le dossier du café pédagogique sur les Arts du Cirque



Sur le site du Café



Par antoinemaurice , le samedi 17 novembre 2012.

Partenaires

Nos annonces