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La Rubrique juridique : Meurtre avec préméditation, liberté d’expression et autres… 

En ce début d’année, je vous propose de revenir sur les évènements des 7, 8 et 9 janvier 2015.

Si l’Instruction relève de programmes formatés au niveau national par l’administration parce qu’elle vise à obtenir un diplôme ou un examen, l’Education ne saurait exister sans une nécessaire adaptation du discours aux élèves que le professeur a en face à face.

Dès lors, quelle réponse nationale apporter en quelques jours à cet évènement ?

En Europe, la liberté de pensée, de conscience et de religion est garantie par les dispositions de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

 

En France, cette liberté est consacrée par l’article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 qui rappelons le, a été proclamée « (…), en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, (…) »

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi »

 

Et la Constitution du 4 octobre 1958 pose pour principe que «  La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

 

La liberté d’expression est, elle, garantie par les dispositions de l’article 10 de la Convention précitée :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

 

En France, cette liberté est garantie depuis le 26 aout 1789 par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui énonce : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

 

De nos jours, c’est principalement la loi du 29 juillet 1881 qui fixe les limites de l’abus de cette liberté d’expression.

Il apparaît donc utile d’en rappeler, au préalable, les dispositions les plus fondamentales :

Article 23 « Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet.

Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue par l'article 2 du code pénal. »

 

Article 24 « Seront punis de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet, à commettre l'une des infractions suivantes :

1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;

2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal.

Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l'un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal, seront punis des mêmes peines.

Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi.

Tous cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics seront punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 5° classe.

Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement.

Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.

En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :

1° Sauf lorsque la responsabilité de l'auteur de l'infraction est retenue sur le fondement de l'article 42 et du premier alinéa de l'article 43 de la présente loi ou des trois premiers alinéas de l'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, la privation des droits énumérés aux 2° et 3° de l'article 131-26 du code pénal pour une durée de cinq ans au plus ;

2° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »

 

Article 24 bis « Seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.

Le tribunal pourra en outre ordonner :

1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »

 

Article 29 « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »

 

Article 30 « La diffamation commise par l'un des moyens énoncés en l'article 23 envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l'air, les corps constitués et les administrations publiques, sera punie d'une amende de 45 000 euros. »

 

Article 31 « Sera punie de la même peine, la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers le Président de la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'Etat, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition.

La diffamation contre les mêmes personnes concernant la vie privée relève de l'article 32 ci-après. »

 

Article 32 « La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens énoncés en l'article 23 sera punie d'une amende de 12 000 euros.

La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement.

Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent la diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap.

En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :

1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »

 

Article 33 « L'injure commise par les mêmes moyens envers les corps ou les personnes désignés par les articles 30 et 31 de la présente loi sera punie d'une amende de 12 000 euros.

L'injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu'elle n'aura pas été précédée de provocations, sera punie d'une amende de 12 000 euros.

Sera punie de six mois d'emprisonnement et de 22 500 euros d'amende l'injure commise, dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent l'injure commise dans les mêmes conditions envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap.

En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :

1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »

 

Durant les 134 dernières années, la jurisprudence a affiné les limites posées par cette loi et, si elle a posé les limites à l’humour et à la caricature, elle a également consacré le droit à l'excès, à l'outrance, à l'irrespect, à l'insolence et à la parodie.

C’est en application de cette abondante jurisprudence que, en 2007, la 17ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, la chambre spécialisée dans les délits de presse, avait, aux motifs suivants, relaxé l'hebdomadaire Charlie Hebdo :

« Attendu qu’en France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse ; que le blasphème, qui outrage la divinité ou la religion, n’y est pas réprimé (…) .

 Attendu que Charlie Hebdo est un journal satirique, contenant de nombreuses caricatures, que nul n’est obligé d’acheter ou de lire (…) ;

que toute caricature s’analyse en un portrait qui s’affranchit du bon goût pour remplir une fonction parodique (…) ;

que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre à la liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions (…) ;

qu’ainsi, en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal Charlie Hebdo apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans ;

que les limites admissibles de la liberté d’expression n’ont donc pas été dépassées.  »

 

Ainsi, la France étant un pays laïque, la loi n'interdit pas de se moquer d'une religion.

Malgré cela, il peut être difficile pour certains élèves de comprendre pourquoi Dieudonné M’bala M’bala a été condamné pour ses agissements alors que Charlie Hebdo ne l’a pas été pour ses caricatures, et, du coup, facile d’en faire un martyr.

 

La réponse est simple même si l’analyse peut être difficile.

Les caricatures de Charlie Hebdo visant les intégristes musulmans et non les musulmans dans leur intégralité, c’est un comportement religieux extrémiste qui était caricaturé et non une religion dans son ensemble.

Par contre, Dieudonné a été condamné pour « diffamation, injure et provocation à la haine raciale » (respectivement articles 29, 33 et 24 de la loi précitée), « contestation de crimes contre l'humanité, diffamation raciale, provocation à la haine raciale et injure publique » (articles 24 bis, 29, 32, 24 et 33 précités), et « injures antisémites » (article 33 précité) parce qu’il était difficile de discerner le supposé humour dans les propos mais, également, parce que, par ces mêmes propos, il stigmatisait un groupe de personne dans son ensemble.

La différence explique la condamnation de l’un et pas de l’autre dans les affaires évoquées.

On retiendra donc que l’humour peut être excessif, outrancier, irrespectueux, insolent ou parodique mais à la condition que le but poursuivi soit légitime et qu’il ne vise pas une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou encore à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap.

 

Laurent Piau


Laurent Piau, juriste, est l'auteur de l'ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF

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Par fjarraud , le vendredi 23 janvier 2015.

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