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Redoublement : La ministre dément mais aménage enfin la suppression 



"Nous sommes en train de construire le contenu du soutien pédagogique, et les formes, les modalités de l'accompagnement renforcé qui doivent être apportés aux élèves pour ne pas leur lâcher la main". Dans une déclaration à l'AFP, N. Vallaud-Belkacem a posé la vraie question de la suppression du redoublement, celle des alternatives. Lancée le 4 juillet par le Café pédagogique, l'annonce de la suppression du redoublement fait un retour médiatique le 24 septembre. La ministre dément la suppression mais reconnait le caractère "exceptionnel" de son maintien. La capacité de l'institution à accompagner les élèves en difficulté reste encore à démontrer.


Un démenti qui confirme

"La ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche dément les informations selon lesquelles le redoublement serait abandonné à la rentrée prochaine", annonce le ministère le 24 septembre. "La loi du 8 juillet 2013 de refondation de l’Ecole de la République (article 37) a fait du redoublement une procédure exceptionnelle. Le législateur n’a pas souhaité supprimer le redoublement mais le limiter à certaines circonstances particulières qui le justifient absolument". Ce communiqué alambiqué, les lecteurs du Café en ont eu la primeur dès le 4 juillet. Le Conseil supérieur de l'éducation du 3 juillet avait étudié et renvoyé un projet de décret ministériel. Ce texte ne supprime pas totalement le redoublement mais il en limite tellement les cas qu'ils deviennent plus qu'exceptionnels. C'est en fait l'effondrement d'une pratique massive qui est cherché par un texte présenté au début de l'été...

A l'AFP, la ministre a déclaré le 24 septembre, que " le redoublement sera limité à des cas qui le justifient comme par exemple le fait que l'élève ait eu une rupture scolaire assez longue pour des raisons de maladie ou des raisons familiales, dans ces cas là on pourra lui faire recommencer son année. Ou encore le fait que l'élève arrive à une année qui est un pallier d'orientation et qu'il n'a pas réussi à obtenir  le choix qu'il avait fait, dans ces cas-là il peut recommencer son année pour espérer obtenir son choix l'année suivante". Ces propos renvoient au texte du projet de décret présenté le 3 juillet au CSE. Le redoublement ne sera possible que s'il y a rupture scolaire longue et accord des familles. Le passage sera automatique dans les autres cas.


L'enjeu institutionnel est énorme.

"La France a une pratique très massive du redoublement". Le 28 août, Nathalie Mons, présidente du Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) a présenté un important programme d'étude sur ce sujet. Selon le Cnesco, 28% des jeunes français âgés de 15 ans ont déjà redoublé ce qui nous place dans le peloton de tête des pays de l'Ocde. Ce taux peut monter à 60% en L.P. Deux périodes sont marquées par une forte hausse du redoublement : le CP et le CE1 où le redoublement est plutôt vu comme un outil de remédiation; et les 3ème et 2de (9% des élèves y redoublent) où il est une réponse aux stratégies des familles. Les chercheurs arrivent ainsi à faire le portrait robot du redoublant : un garçon, issu d'une famille monoparentale en précarisation économique, avec une mère de niveau éducatif faible. S'attaquer au redoublement c'est donc s'installer au coeur des inégalités sociales à l'Ecole.

Le coût du redoublement est énorme. Il est évalué par le Cnesco à 1,6 milliards soit nettement plus que le coût de l'éducation prioritaire. Cela correspond à environ 30 000 postes d'enseignants qui pourraient être libérés grâce à cette suppression. De quoi mettre la refondation sur les rails sans impacter le budget.


Inutile le redoublement ?

La croyance dans l'utilité du redoublement est très répandue aussi bien chez les parents que les enseignants. La récente enquête de la Peep montre que 52% des parents croient en son efficacité. Chez les enseignants une vaste majorité y est attaché car, comme le montre le Cnesco, le redoublement peut sembler efficace dans un premier temps. Mais les chercheurs ont bien démontré son effet négatif à moyen et long terme sur la carrière scolaire des élèves.

Pour autant on aurait tort de croire le redoublement inutile. On vient de voir qu'il peut entrer dans les stratégies scolaires familiales. Par exemple, redoubler une troisième peut être proposé pour éviter une orientation dans la voie professionnelle. En seconde on l'utilisera pour empêcher une orientation dans la voie technologique ou une filière générale non souhaitée. Pour les enseignants, la menace du redoublement est aussi une arme pour faire régner l'ordre scolaire. C'est la force des ces croyances et des ces situations qui ont permis aussi longtemps le maintien d'une pratique aussi coûteuse.


Quelles réponses à la suppression du redoublement ?

La nouvelle information du 24 septembre c'est que la ministre pose enfin avec insistance la question des réponses à apporter à la suppression de facto du redoublement. " Ce que nous sommes en train de construire avant de sortir ce décret c'est le contenu du soutien pédagogique, et les formes, les modalités de l'accompagnement renforcé qui doivent être apportés aux élèves pour ne pas leur lâcher la main", a déclaré la ministre. Ces propos semblent aller plus loin que le texte du décret présenté le 3 juillet. C'est sur ce point que la ministre devra convaincre les professionnels de l'éducation.

Mais comment fait-on pour lutter contre le redoublement ? Le 28 août, le Cnesco avait présenté l'action de 4 collèges de l'éducation prioritaire du 19ème arrondissement parisien. Christine Mengin, principale du collège Louise Michel, a fait passer le taux de redoublement de 7 à 1% en fin de 3ème en travaillant sur les difficultés des élèves. Une aide individualisée financée sur fonds européen (FSE) permet un suivi efficace et individuel des élèves en difficulté sur la base d'un diagnostic posé par les enseignants. Ces élèves sont aussi suivis par des dispositifs locaux en dehors du collège. Mais pour faire reculer le redoublement "on communique énormément avec les parents", confie C Mengin.

Dans la plupart des pays européens, un remède simple est institué : l'examen de rattrapage. Jean Louis Auduc l'avait présenté dans le Café pédagogique. "Dans presque tous les pays européens (sauf en France, à Malte et au Portugal), les élèves n’ayant pas réussi l’année scolaire ont la possibilité de passer des examens de rattrapage ou de recevoir des devoirs supplémentaires afin d’améliorer leur(s) note (s) et ainsi d’éviter le redoublement. Il s’agit de faire bénéficier l’élève d’une seconde chance d’être évalué et donc d’être admis dans la classe. Les pays qui pratiquent ces dispositifs proposent des devoirs supplémentaires dans les matières où ils ont échoué ou des examens/tests en fin d’année ou juste avant la rentrée des classes. Il y a donc dans la grande majorité des pays de l’UE, une session de juin qui propose et une session de conseil de classe fin août qui décide".

Il semble que le projet de décret présenté en Conseil d'Etat n'aille pas aussi loin dans la mise en place de dispositif. C'est sur ce point que la ministre devra convaincre rapidement parents et professionnels que la suppression du redoublement n'est pas qu'une mesure de gestion.


François Jarraud


Le ministère décrète la fin du redoublement

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/07/04072014Article63[...]

Le Cnesco à l'assaut du redoublement

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/08/29082014Article635[...]

Oser affronter les tensions

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/08/29082014Article63[...]

Comment limiter le redoublement ?

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/07/09072014Article63[...]

Redoublement : Le Snes pas hostile

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/09/19092014Article63[...]






Le Cnesco à l'assaut du redoublement

Les chercheurs peuvent-ils changer l'Ecole ? C'est le défi que relève le Cnesco  (Conseil national d'évaluation du système scolaire) en s'attaquant au redoublement sur tous les fronts. Championne mondiale du redoublement, la France tient à cette pratique qui rassure les parents et maintient l'ordre scolaire. Pour changer les choses, le Cnesco mise sur des stratégies d'information innovantes. Car s'attaquer au redoublement peut causer beaucoup de déni et même de désarroi...


"On a la volonté que la recherche soit utilisée par les acteurs de l'éducation". Car c'est du coté de la recherche, en totale indépendance avec l'Education nationale, que le Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco) sent battre son coeur. Crée par la loi d'orientation, le Cnesco est chargé d'évaluer en toute indépendance l'organisation et les résultats de l'enseignement scolaire". La loi prévoit qu'il réalise des évaluations " à la demande du ministre chargé de l'éducation nationale, du ministre chargé de l'enseignement agricole, d'autres ministres disposant de compétences en matière d'éducation, du ministre chargé de la ville ou des commissions permanentes compétentes en matière d'éducation de l'Assemblée nationale et du Sénat". Présidé par Nathalie Mons, il a choisi le redoublement pour faire son entrée dans l'univers éducatif français. Si le sujet a déjà été bien étudié , le Cnesco arrive avec des synthèses documentaires nouvelles et surtout une stratégie pour que la recherche rencontre les acteurs de terrain.



"La France a une pratique très massive du redoublement", explique Nathalie Mons le 28 août en présentant le programme du Cnesco sur ce sujet. Le Cnesco a réalisé une synthèse des recherches existant sur ce sujet avec l'aide de l'IFE. 28% des jeunes français âgés de 15 ans ont déjà redoublé ce qui nous place dans le peloton de tête des pays de l'Ocde. Ce taux peut monter à 60% en L.P. Deux périodes sont marquées par une forte hausse du redoublement : le CP et le CE1 où le redoublement est plutôt vu comme un outil de remédiation. Et les 3ème et 2de (9% des élèves y redoublent) où il est une réponse aux stratégies des familles. Les chercheurs arrivent ainsi à faire le portrait robot du redoublant : un garçon, issu d'une famille monoparentale en précarisation économique, avec une mère de niveau éducatif faible. S'attaquer au redoublement c'est donc s'installer au coeur des inégalités sociales à l'Ecole.


Positif le redoublement ? La croyance est très répandue aussi bien chez les parents que les enseignants. Pour le Cnesco, les chercheurs ont démontré son effet négatif à moyen et long terme sur la carrière scolaire des élèves. Pourtant le système éducatif continue à le promouvoir. Même si l'institution fait pression pour qu'il diminue, le Cnesco relève à quel point la réglementation française est laxiste par rapport aux autres pays européens où le redoublement est très encadré. En France par exemple aucun critère objectif n'est exigé pour cette décision. Et cela alors que son coût direct pour l'Education nationale est estimé par le Cnesco à 1,6 milliard.


Peut-on faire diminuer le taux de redoublement ? De fait les travaux du Cnesco montrent qu'il a déjà beaucoup reculé. Dans presque tous les pays européens on organise un rattrapage en fin d 'année scolaire pour l'éviter. En France certains établissements ont particulièrement réussi à le faire reculer. Le Cnesco donne en exemple 4 collèges de l'éducation prioritaire du 19ème arrondissement parisien. Christine Mengin, principale du collège Louise Michel, a fait passer le taux de redoublement de 7 à 1% en fin de 3ème en travaillant sur les difficultés des élèves. Une aide individualisée financée sur fonds européen (FSE) permet un suivi efficace et individuel des élèves en difficulté sur la base d'un diagnostic posé par les enseignants. Ces élèves sont aussi suivis par des dispositifs locaux en dehors du collège. Mais pour faire reculer le redoublement "on communique énormément avec les parents", confie C Mengin.


Comment faire bouger les choses ? Le Cnesco mise, avec l'aide de l'IFE, sur une stratégie de communication originale. Dès la rentrée une centaine d'établissements se sont portés volontaires pour travailler sur la représentation du redoublement. Le Cnesco veut alimenter un débat national sur le redoublement. Il passera par des forums en régions avec les parents. Une conférence de consensus réunira tous les acteurs pour faire le point sur les enjeux et les points d'accord et de désaccord sur le redoublement. Le Café pédagogique prendra sa part dans la diffusion des travaux du Cnesco.


François Jarraud


Installation du Cnesco

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/01/29012014Article63[...]

Des conférences de consensus avec le Cnesco

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/06/02062014Article63[...]

Le minsitère décrète la fin du redoublement

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/07/04072014Article63[...]

Comment diminuer le taux de redoublement ?

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/07/09072014Article63[...]





Redoublement : Oser affronter les tensions

Depuis des années l'institution scolaire est entrée en guerre avec le redoublement. On attend d'ailleurs dans les semaines à venir un nouveau décret qui le rendra de fait rarissime. Or ces campagnes n'ont pas fait reculer les croyances des parents et des enseignants dans les vertus du redoublement. Et par suite elles ont relativement échoué à sortir le système éducatif de sa situation particulière de 'champion" du redoublement. Gageons qu'on ne règlera pas plus le problème avec un nouveau décret. On prendra juste le risque d'une mobilisation des enseignants passablement excédés en ce moment.


Si le recul du redoublement s'apparente à un défi c'est que le sujet n'est aps que scientifique ou administratif. Le redoublement est une pratique sociale qui se noue autour de tensions. L'institution scolaire aurait intérêt à oser affronter réellement ces tensions plutôt qu'à les gérer à coup de texte réglementaires.


La première tension c'est que le redoublement est aussi une pratique de gestion de la classe. C'est aussi par la menace du redoublement que l'ordre scolaire, qui est indispensable à la réussite éducative, est maintenu. Si on supprime le redoublement sans prendre en compte cette dimension on déséquilibre le système éducatif, on rend le métier enseignant encore plus difficile et on aggrave notablement les tensions dans le système. La réponse c'est le travail surla gestion de la classe. C'est d'ailleurs ce qui se pratique dans les 4 collèges parisiens présentés par le Cnesco. Evidemment cela suppose un accompagnement et une formation des enseignants.


Une autre tension est chez les parents. Le redoublement est un outil pour éviter une réorientation vers la voie professionnelle. On peut y remédier en expliquant aux familles que la voie professionnelle peut être une voie de réussite. Encore faut-il être crédible. On trouve d'excellents lycées professionnels où les élèves se forment et s'épanouissent. Ceux là d'ailleurs sont bien repérés par les familles et cela se répercute sur l'orientation en fin de 3ème. On trouve aussi des voies professionnelles ghettoïsées et sans perspectives. Pour lutter contre le redoublement il est impératif d'investir réellement dans cette voie et de lutter contre la dégradation de filières ou d'établissements.


Pourquoi rappeler tout cela ? Parce que la motivation réelle de l'institution pour faire baisser le taux de redoublement ces dernières années ne visait pas tant la réussite éducative de tous ou la lutte contre le décrochage que les énormes économies que permet la réduction du redoublement. On aura compris que si l'on vise la fin de cette pratique néfaste, la réussite et l'épanouissement des enfants, il va falloir réinvestir les gains financiers vers ces élèves et leurs professeurs. C'est la seule façon de rendre le redoublement inutile et de réduire les tensions qui lui permettent encore aujourd'hui d'être indispensable.


François Jarraud
Sur le site du Café


Par fjarraud , le dimanche 28 septembre 2014.

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