Travailler dans une « 6ème compétences », qu’est-ce que cela change ? 

Par Myriam Ménager


Comment l’approche par compétences peut changer la vie des enseignants et des élèves. Au collège Jean Monnet de Janzé (35), Myriam Ménager, professeure de français, témoigne de 3 années d’expérience.


Les élèves du collège Jean Monnet (Janzé, Ille et Vilaine) présentent des profils variés parfois même contrastés du point de vue des origines sociales (45,7% de Professions et Catégories Socioprofessionnelles (PCS) défavorisées en 2010, 28,6% pour le département), des niveaux scolaires, du rapport à l’école et aux apprentissages, des parcours personnels, de la maturité…


- Comment favoriser les apprentissages de tous les élèves ?

- Quels dispositifs pédagogiques mettre en place pour renforcer l’autonomie, la motivation et éviter le désintérêt ou même le  décrochage ?

- Comment développer des compétences civiques, créer une dynamique de classe, renforcer la solidarité entre les élèves ?


Ces questions ont été le point de départ de la réflexion qui s’est engagée au collège au cours de l’année scolaire 2007, la mise en place nationale du Socle Commun de Connaissances et de Compétences constituant un point de repère intéressant et important. Une équipe d’enseignants a choisi de monter un projet avec une classe de 6ème. à la rentrée 2008. En 2009, une deuxième équipe s’est constituée. Depuis la rentrée 2011, une troisième 6ème sur les cinq que compte l’établissement fonctionne sur les mêmes principes.

Le choix de ce niveau - cycle d’adaptation au collège- s’est imposé naturellement : l’année de 6ème est décisive pour les élèves qui doivent découvrir un environnement, une organisation, un rythme de travail nouveaux,  des méthodologies et des contenus d’enseignement qu’ils doivent s’approprier. Porter une attention accrue aux nouveaux collégiens, c’est sans nul doute leur permettre de se construire durablement une représentation positive du collège comme lieu de vie et de travail.


Trois années après la mise en place du projet, voici un « état des lieux » qui précise les axes de travail adoptés par les équipes pédagogiques.


Travailler par compétences


On apprend pour pouvoir agir et non dans le but de réciter une leçon. C’est en agissant, en résolvant des problèmes que l’on apprend (1). Favoriser l’acquisition de compétences, c’est mettre en place régulièrement dans chaque discipline des situations complexes (2) : un problème à résoudre mobilisant connaissances, capacités et attitudes qui suscite chez les élèves un questionnement, génère des tâtonnements (Quelles démarches adopter, quelles connaissances utiliser ?...), et le met en position de raisonner, produire, créer.


Il ne s’agit pas pour autant de mettre au second plan les apprentissages systématiques de notions. Ils conservent toute leur place dans le cadre des cours : la leçon, les exercices d’application, de répétition qui permettent de stabiliser les connaissances ne sont nullement considérés comme secondaires (la première colonne du bulletin s’intitule d’ailleurs « Apprendre et appliquer »). « Une approche par compétence change la place des savoirs dans l'enseignement. Plutôt que d'occuper tout le terrain, ils deviennent des ressources pour résoudre des problèmes.» (3)



Privilégier, au sein de la classe l’apprentissage coopératif


C’est d’abord réfléchir à une pédagogie qui rende les travaux de groupes  pertinents et efficaces. Coopérer ne consiste pas à faire ensemble ce que l’on pourrait faire séparément, moins encore à « regarder faire » le leader ou l’élève le plus habile du groupe (4). Faire travailler les élèves en groupes, c’est, pour l’enseignant, mettre en place des activités qui vont susciter les échanges, les négociations entre eux de manière à créer une interdépendance positive (je suis responsable de la réussite de mon équipe) … indissociable de la notion de responsabilité individuelle (je suis responsable de mes apprentissages).


Jolie formule utilisée par les sixièmes cette année pour expliquer les bénéfices qu’ils avaient trouvés lors d’un travail effectué par groupes : on a bien réfléchi parce qu’on avait plusieurs cerveaux. En confrontant ses points de vue avec ceux des autres, en les regardant faire, en expliquant comment il veut procéder ou en démontrant pourquoi telle démarche ne lui semble pas adaptée, l’élève bouscule ou enrichit ses représentations initiales pour les remodeler : il construit ses apprentissages.


Partager le matériel, s’écouter, accepter le point de vue des autres, trouver des solutions qui conviennent à tous… c’est difficile pour les élèves. C’est un apprentissage au quotidien qui nécessite une régulation de la part de l’enseignant, des verbalisations fréquentes, des recherches de solutions collectives. En mettant régulièrement en place des activités qui rendent nécessaire la coopération entre les élèves, en prenant le temps de revenir sur les dysfonctionnements qu’ils ont vécus et sur les bénéfices qu’ils ont retirés, l’enseignant favorise la construction d’attitudes indispensables pour vivre ensemble. Des apprentissages sociaux aussi importants et utiles pour la vie future que les apprentissages spécifiquement scolaires.



Réfléchir à d’autres façons d’évaluer


L’’évaluation sommative est celle qui est le plus couramment pratiquée au collège : bilan des acquis à la fin d’une séquence d’apprentissage, elle révèle de manière claire les réussites et les difficultés des élèves. Elle est nécessaire mais comporte des limites. En effet, le bilan qu’elle établit est souvent définitif : la note attribuée est comptabilisée dans la moyenne (une sanction et une source de stress pour ceux qui ont échoué) et ne tient donc pas compte des rythmes d’apprentissages des élèves qui parfois déclarent  avoir compris au moment de la correction du contrôle. Par ailleurs, sans en avoir toujours conscience, les enseignants, le jour de l’évaluation, demandent aux élèves d’exécuter des tâches plus complexes que celles qui ont été travaillées en classe. Ils proposent, par exemple, un travail d’écriture qui nécessite le réinvestissement, la mise en lien des différentes notions étudiées au cours des semaines précédentes, pénalisant ainsi, de manière involontaire une partie de la classe. (Souvent, un enseignant juge que si tous les élèves ont réussi, c’est parce que l’évaluation était trop facile et non parce qu’ils ont bien appris !). Evaluer autrement est une nécessité pour permettre aux collégiens de progresser dans leurs apprentissages de manière plus constructive et sereine. Il s’agit donc, sans évacuer l’évaluation sommative, de la rendre plus pertinente en proposant des contenus qui soient les plus proches possible des situations d’apprentissage, en respectant davantage les rythmes des élèves (donner plus de temps à certains, prévoir un exercice supplémentaire facultatif pour « les rapides »…), en offrant aussi la possibilité de refaire en cas d’échec. La pratique aussi d’autres types d’évaluation est également privilégiée : évaluation diagnostique/ en cours de formation/auto et co-évaluation…


A l’issue de discussions et débats parfois animés, l’abandon de la notation a été choisi par l’ensemble des membres des équipes pédagogiques : il a semblé intéressant d’adopter collectivement ce fonctionnement afin d’interroger en profondeur pour les modifier les pratiques habituelles :

•La notation est admise par tous comme un support de dialogue sur les acquis : avec les parents, les élèves, entre professeurs… or les différentes enquêtes qui sont régulièrement effectuées depuis de nombreuses années sur la notation montrent que l’idée de « mesure exacte » d’un niveau (au quart de point parfois !) n’est qu’une illusion :

- quand ils notent une copie, les professeurs sont influencés par de nombreux biais (5) ; (la double correction d’une même copie d’examen peut révéler des écarts surprenants parfois !)

- que nous dit une note et à plus forte raison une moyenne sur ce qu’un élève sait ou ne sait pas faire ? Un 8 en maths peut-il être compensé par un 12 en anglais ? Et au sein d’une même discipline, que nous dit une moyenne de 12 ? En français par exemple, elle peut révéler des profils bien différents : un élève moyen partout, un élève bon lecteur et en difficulté d’écriture ou le contraire !


Abandonner la notation, ce n’est certainement pas abandonner l’évaluation : c’est revenir à sa fonction première : faire un bilan des acquis à un moment donné. Utiliser des grilles d’évaluation simples et précises, c’est assurer la lisibilité des points forts et des manques des élèves.


On aura beau répéter à un élève qui a obtenu 7 à une évaluation d’histoire que c’est le contenu de sa copie qui est insuffisant, que ce sont ses acquis qui ne sont pas encore assez solides, que c’est son travail et non sa personne qui est évalué, on aura bien du mal à lutter contre son sentiment d’échec. C’est un fait avéré : pour réussir, il faut avoir une bonne estime de soi et une « mauvaise note » l’entame immanquablement… à plus forte raison quand celle-ci est régulièrement « administrée » et cela dans la plupart des matières. 


Ceux qui ont de bonnes notes aiment les notes, dit-on… on constate dans le cadre de la classe que les élèves en difficulté réclament également cet outil de mesure. C’est certain, la note manque à quelques élèves, qui répètent souvent (discours relayé par certaines familles) qu’elle leur permet de savoir où ils en sont par rapport aux autres, de se situer par rapport à une norme. Il faut évidemment du temps pour faire évoluer les représentations : évaluer un travail ce n’est pas le comparer aux autres, c’est juger s’il est conforme aux attentes, si les compétences attendues sont maîtrisées, c’est mesurer les progrès, le chemin parcouru  de chaque élève dans ses propres apprentissages. L’enseignant doit lever les résistances éventuelles et pour cela rendre compte de la progression de chacun, des réussites et des lacunes, de manière lisible, en présentant aux élèves et à leurs parents des outils (grilles et appréciations) clairs, lisibles et compréhensibles, en dialoguant avec eux, en instaurant une relation de confiance.


Certains parents (ceux des élèves brillants en particulier) peuvent exprimer également le sentiment que la notation constitue une excellente stimulation pour leur enfant, qu’elle lui donne l’envie de se dépasser. On ne peut évidemment contester l’idée que l’esprit de compétition comporte des bénéfices ; mais nous avons bien d’autres moyens de le laisser s’exprimer au sein de la classe en organisant des activités de défi, des concours, des jeux… et avant tout au quotidien, en signifiant  aux élèves qu’on n’attend pas d’eux seulement l’essentiel exigé mais qu’ils doivent se montrer volontaires, perfectionnistes et donner le meilleur d’eux-mêmes.


Dès l’instant où l’on entre dans une évaluation qui est une évaluation plus précise, forcément on va vers une pédagogie plus formative, plus à l’écoute de chacun. […] faire en sorte que l’évaluation ne soit pas une évaluation qui dévalorise mais au contraire une évaluation qui renforce l’estime de soi… c’est en allant dans cette direction qu’on va vers une école plus juste. 


Tous ces constats ne conduisent pas pour autant à une position jusqu’au-boutiste : le choix d’abandonner la notation est uniquement fait pour le niveau 6ème, dans la continuité de ce qui se pratique généralement à l’école élémentaire. Il est difficilement envisageable, pour des raisons culturelles, d’envisager de l’étendre aux autres niveaux. Cependant, on peut penser que les enseignants qui ont abandonné la note en 6ème sont conduits à en faire faire un usage plus raisonnable et modéré dans toutes les classes du collège.



Réfléchir à l’individualisation, à la différenciation, à la personnalisation au sein de la classe


Faire avancer le groupe classe dans son ensemble tout en tenant compte de chaque élève est une préoccupation pour chaque enseignant mais la mise en œuvre au quotidien n’est pas toujours aisée ! Il ne s’agit évidemment pas de préparer trois cours différents pour chaque séance, ni d’élaborer quotidiennement pour tel élève une fiche personnelle  mais de réfléchir à un accompagnement efficace et adapté à tous au sein même de la classe et non plus dans des dispositifs externes. Le travail par compétences, par sa nature même conduit à envisager plusieurs axes qu’il convient d’explorer et d’affiner encore :


La différenciation : varier les situations pédagogiques, les démarches, les supports, les modalités et même les lieux de travail… pour permettre à chaque élève le plus souvent possible de travailler selon son propre itinéraire d’appropriation des connaissances.


L’individualisation :

proposer des évaluations de différents niveaux, adapter les exigences en fonction des possibilités d’un élève, lui laisser plus de temps, le guider davantage, proposer des activités qui renforcent les apprentissages pour certains, qui permettent d’aller plus loin pour d’autres… pour prendre en compte la singularité des élèves au sein du groupe classe, permettre à chacun de progresser en fonction de ses propres connaissances et capacités.


La personnalisation :

mettre en place des plans de travail que les élèves réalisent à leur rythme, en étant accompagnés ou non par l’enseignant, leur permettre de faire des choix en déterminant eux-mêmes le sujet d’un exposé, le poème à réciter, le livre à lire, la date de présentation du travail, la forme adoptée pour la restitution au groupe ou au professeur (diaporama, oral, production écrite), pratiquer régulièrement l’auto et la co-évaluation… l’autonomie se construit progressivement, au jour le jour, dans les différentes disciplines, par l’expérimentation de situations qui, tout au long de l’année demandent de s’engager tout en ayant la possibilité de choisir. Il s’agit ici de prendre en compte l’élève dans sa personne pour participer à sa construction en tant que sujet. Cet axe de travail mérite d’être privilégié : la prise d’initiatives régulière évite certainement aux élèves de tomber dans la passivité ; les bénéfices sont certains en ce qui concerne la motivation, l’engagement dans les activités.


Conclusion


Rendre tous les élèves acteurs de leurs apprentissages, permettre à chacun d’entre eux de progresser selon ses possibilités en renforçant l’estime personnelle, améliorer les relations des collégiens entre eux et aussi leurs relations avec les enseignants, développer le travail en équipes des adultes du collège… sont des moyens de combattre l’échec et la violence scolaires et aussi certainement de rendre plus aisé l’exercice de son métier pour l’enseignant.

Depuis la rentrée 2011-2012, trois équipes de 6ème travaillent dans un esprit et une dynamique  communs, une extension du projet à toutes les classes de 6ème est prévue à la rentrée 2012 : en adoptant des principes communs, en élargissant le projet, en l’inscrivant dans la durée, les enseignants, collectivement, agissent pour faire avancer tous les élèves de leur collège.


Myriam Ménager

Professeure de Français

Collège jean Monnet, Janzé- 22/10/2011 



BULLETIN 6ème A - 2ème Trimestre



DOMAINES


DISCIPLINES


Apprendre et appliquer


Raisonner, créer, produire


Etre acteur, coopérer


Français

Mme Ménager








Histoire-Géographie, Education civique

Mme Calvez





Anglais

Mme Le Lay








E.P.S

Mme Larue






 



Éducation musicale

M. Anneix








Arts plastiques

M Ruelland








Technologie

M Josse








Mathématiques

M Le Roux








S.V.T

Mme Dumont








Vie scolaire

Mme Coirre 

Vivre au collège :


Bilan du trimestre :





Notes :

1 Gérard DE VECCHI, Aider les élèves à apprendre – Hachette Éducation, 2000

2 Le livret personnel de compétences, repères pour sa mise en œuvre – Eduscol, 2011

3 Philippe PERRENOUD, Des savoirs aux compétences : les incidences sur le métier d’enseignant et sur le métier d’élève - Pédagogie collégiale (Québec), Vol. 9, n° 2, 1995

4 Philippe PERRENOUD, Concevoir et faire progresser des dispositifs de différenciation - L'Educateur n° 13, 1997

5 Alain DUBUS, La notation des élèves ; Comment utiliser la docimologie pour une évaluation raisonnée – Armand Colin ; 2006



Sur le site du Café

Par fjarraud , le mercredi 21 décembre 2011.

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