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L’éducation en Asie en 2014 : quels enjeux mondiaux ? > Catégories
Alain Bouvier : Pourquoi ce colloque ?

Rédacteur en chef de la Revue Internationale d'Éducation de Sèvres, organisatrice du colloque, Alain Bouvier est un expert reconnu des systèmes éducatifs. Que peut-il bien apprendre des modèles éducatifs asiatiques ?


Les systèmes éducatifs asiatiques ont une excellente réputation. On pense au Vietnam, un pays pauvre qui se classe en tête de peloton. Ou au Japon. Mais tous ont-ils de bons résultats ?


A. BouvierLe but de ce colloque est, d'une part, d'interroger la notion de résultats et, d'autre part, d'essayer de comprendre, pour un système éducatif, ce qui tient aux traditions, à la culture, à l'histoire, à la géographie, à l'économie, au développement, etc.


Beaucoup sont en développement économique rapide. Comment cela influe-t-il sur l école ? Cela aide-t-il par exemple à créer de la confiance ou l'école est-elle en concurrence avec la vie active ?


Ces questions seront abordées dans les ateliers, à partir de 24 études de cas très différentes, d'une quinzaine de pays. Les différences d'un pays à l'autre sont considérables.


Au delà des différences peut-on dire que la civilisation asiatique, si elle existe, est un appui à un modèle d'école ?


Sans doute faudrait-il plutôt parler des civilisations asiatiques tant les différences sont grandes entre l'Indonésie, l'Inde et la Chine par exemple. Un atelier particulier tentera de discerner s'il y a en germe des modèles d'école. Savoir s'ils peuvent inspirer d'autres continents sera l'objet de la table ronde finale où l'Asie sera interrogée par l'Afrique, l'Australie, l'Amérique du sud, l'Europe etc.


On pourrait avoir l impression que ce modèle d'école est immuable. Est-ce le cas ?


Le singulier n'a pas de sens, même s'ils ont en commun d'avoir de bons résultats selon les enquêtes internationales. Cela montre que des systèmes scolaires très différents, d'un point de vue historique et culturel, économique également, peuvent atteindre les mêmes hauts niveaux d'excellence. Pourquoi pas nous ?


Pourquoi un organisme français comme le CIEP s intéresse à ces modèles ? Quelles retombées peut-on en attendre pour notre Ecole ?


Notre école travaille souvent en ignorant le reste de la planète, sauf parfois pour lui donner des leçons inaudibles. La logique des comparaisons internationales c'est de penser que nous pouvons tous apprendre des autres et apprendre aux autres, à travers des échanges d'expériences. Ensuite, chaque pays, dans sa grande sagesse, en tire les leçons qui lui semblent pertinentes.


Propos recueillis par François Jarraud


N. Mons : "Ce qui peut être intéressant pour nous c'est la façon dont les Japonais gèrent l'hétérogénéité"

Intervenante au colloque sur les systèmes éducatifs en Asie, Nathalie Mons préside aussi le Cnesco, une structure indépendant chargée d'évaluer le système éducatif français. Quelle évaluation fait-elle des systèmes éducatifs asiatiques ?


On se représente les systèmes éducatifs asiatiques comme particulièrement performants. Est-ce le cas ?


 C'est une image à travailler. Oui certains pays asiatiques, souvent des cités états, comme Hong Kong, sont bien placés. Mais durant ces deux jours on s'est rendu compte que ces états ne représentent pas toute l'Asie. On a mis en évidence l'existence de plusieurs asies.


Le colloque met en évidence le rapport entre éducation et développement économique. Sur ce terrain, l'Asie peut-elle nous apporter quelque chose ?


C'est une question très débattue en économie. Le lien entre investissement en éducation et économie est très discuté. Il semble qu'il ne faille plus penser en terme de génération éduquée mais penser plutôt à ce que les élèves apprennent réellement, à ce qui est enseigné. C'est là d'ailleurs notre difficulté.


Les systèmes asiatiques sont des arguments utilisés aussi bien par les partisans du par coeur que par ceux des apports du numérique. Finalement peut-on parler d'un modèle pédagogique asiatique ?


Il y a eu beaucoup d'interrogation sur l'existence d'un prétendu modèle. On a à la fois l'image de la mémorisation par coeur, dont on pense qu'elle est emblématique des modèles asiatiques, et l'image aussi caricaturale de l'enfant asiatique avec une tablette. Il faut aller au delà de ces caricatures et voir qu'il y a des expériences ponctuelles qui peuvent nous intéresser.  Elles interessent la pédagogie et la formation des enseignants avec un intérêt particulier pour les compétences transversales. Dans les systèmes éducatifs asiatiques, il y a aussi la capacité à développer des interactions entre enseignants et élèves Le colloque a pointé des expériences que l'on ne doit pas imiter mais qui doivent faire réfléchir.


C'est le modèle japonais qui est retenu plus que le par coeur singapourien ?


Il n'y a pas de modèle japonais. Au Japon, dans la scolarité obligatoire on a un intérêt pour le tutorat, les relations entre pairs de classes hétérogènes alors qu'au lycée on passe au compétitif. Donc il est difficile de parler de modèle. Ce qui peut être intéressant pour nous c'est la façon dont les Japonais gèrent l'hétérogénéité avec cette idée récurrente que l'école doit représenter la société dans son ensemble et être un lieu où il y a tout le monde. Tout l'intérêt d'une comparaison c'est bien de s'interroger sur ses propres pratiques. Il n'y a rien à importer en direct. Mais c'est intéressant pour nous d'observer qu'au Japon ils n'imaginent pas de classe sans hétérogénéité alors que chez nous on vise l'inverse.


Si on développait les compétences transversales comme au Japon, ça donnerait quoi ?


En France on a des entrées disciplinaires qui apportent énormément et qui doivent continuer. Mais on voit que, dans les sciences par exemple, il y a des démarches communes. C'est transversal et ça ne contrarie pas les entrées disciplinaires. En France on est plus orienté vers l'esprit critique et c'est un élément de renommée de notre système éducatif. On pourrait le garder tout en développant des liens entre les disciplines et en développant le travail de groupe.


Quelle conclusion tirez-vous de ce colloque pour le Cnesco ?


Le Cnesco doit être orienté sur l'international. Donc ce colloque a été l'occasion de contacts nombreux. On va continuer à travailler avec ces personnes.


Propos recueillis par F. Jarraud


Comment expliquer le succès du système éducatif vietnamien ?

Huitième mondial en sciences, 17ème pour les maths, le Vietnam apparait comme ayant un des  meilleurs systèmes éducatifs au monde. Il est vrai que le pays consacre 6% de son PIB à l'éducation ce qui est beaucoup plus important que ses voisins. Mais ce la ne représente que 845 $ par élève ce qui est peu même pour la région. Alors comment ce pays pauvre fait-il pour obtenir d'aussi bons résultats. Mme Tran  Thai Ha, Institut des Sciences de L’Education du Vietnam, nous aide à y voir clair.


Le succès tient-il au curriculum ?


"Après la réunification Nord/Sud du Vietnam en 1975, l’éducation est devenue plus souple et moins académique", nous dit-elle. "D’importantes réformes ont été mises en place pour améliorer l’accès à l’éducation et pour augmenter la durée de la scolarité. Les enfants ont facilement accès à une éducation scolaire mais la qualité n’est pas toujours au rendez-vous.  L’état a investi massivement dans les infrastructures scolaires et fourni de bons équipements.  Toutes les écoles ont accès à Internet, même les plus pauvres, même les écoles pour les enfants des minorités. Toutefois les écoles ont  peu de réels moyens financiers et les salaires des professeurs restent bas".


Quels autres éléments doivent entrer en compte ?


Les familles, même les plus pauvres, attendent beaucoup de leurs enfants et espèrent vraiment leur réussite scolaire. D’autre part un gros effort  est consenti actuellement pour la formation des professeurs.


Propos recueillis par Anne Vallet



De Ketele : Penser de façon holistique

Comment expliquer le succès des systèmes éducatifs asiatiques ? Jean-Marie de Ketele, co organisateur du colloque et professeur à l'université de Louvain la Neuve, met en avant les racines culturelles des familles et des systèmes éducatifs.


Les systèmes éducatifs asiatiques sont renommés. Quelle importance du confucianisme, des traditions familiales dans ce succès ?


 Je suis étonné que religion et culture soient profondément imbriqués alors que c'est moins le cas en occident. La fusion culture religion autour de quelques valeurs est telle que les gens ne font plus la différence. Dans nos pays occidentaux il y a des valeurs liées à la culture par exemple francophone ou anglo saxonne, mais qui sont plus indépendantes des religions. On distingue d'ailleurs davantage les pratiques religieuses et les valeurs des religions et cultures. J'ai fait la préface d'une enquête menée par un chercheur de Bruxelles sur ce que pensent les étudiants et lycéens des rapports entre religion et sciences. Il a trouvé 3 groupes : des catholiques, des musulmans et des laïcs ou agnostiques. On voit une différence dans les réponses. plus l'emprise de la religion est forte dans la vie quotidienne plus il y a une schizophrénie de la pensée sur ce qu'il faut penser de la science quand on en fait et quand on est en dehors d'un travail sur la science. Elle est moins forte chez les laïcs , pas très forte en Belgique chez les catholiques mais la coupure est forte chez les étudiants qui se réclament d'être musulmans. Je ne trouve pas cela en Asie.


Un autre point c'est le rapport entre croissance de l'éducation et croissance économique chez ces pays. Chez nous ce  rapport semble plus délicat ?


Les 7 pays dont on parle toujours car ils ont d'excellents résultats sont ceux qui mettent le plus l'accent sur le développement économique. La devise de Singapour, par exemple, c'est "une éducation compétitive pour un développement économique compétitif". Mais on ne parle pas des autres comme la Malaisie l'Indonésie ou la Thailande ont des résultats faibles et n'ont pas le même rapport au développement économique. Et il ya l'asie de l'ouest musulmane. On a été trop obnubilé par ces 7 pays.


Un colloque comme celui la permet il de mieux comprendre nos systèmes éducatifs?


Je pense que oui. Les méthodologues de la recherche disent qu'on ne comprend bien que par comparaison. Pour bien comprendre son pays il faut aller dans d'autres pays. Je ressors d'ici en comprenant mieux les systèmes occidentaux par comparaison.


Une idée s'en dégage ?


Pour moi l'idée la plus importante c'est le fait que ces pays asiatiques qui ont réussi ont des systèmes éducatifs qui pensent de façon holistique  (qui consiste à considérer les phénomènes comme des totalités NDLR). On ne pense pas programmes, formation des enseignants ou ce qui se passe dans la classe mais ce qui se vit dans l'établissement. On  pense a mettre les élèves en situation d'être responsables de leur environnement scolaire. On pense à la famille. Chez nous on est analytique. Les disciplines sont morcelées, les horaires aussi. L'enseignant se retire après la classe; Au Japon l'enseignant vit avec ses élèves. Il se réunit avec ses collègues pour échanger. Il a des contacts réguliers avec les familles au niveau local. Au niveau macro aussi. On devrait réfléchir davantage à inclure davantage cette dimensions holitisme dans notre système.


C'est faisable ?


Il faudra au moins une génération et en France peut être plus. Car il y a beaucoup de blocages, de baronnies. Les enseignants se reconnaissent par leur discipline. On a du pain sur la planche..


Propos recueillis par François Jarraud


Les fiches et les contributions au colloque

http://ries.revues.org/3710


Marc Bray : Faut-il avoir peur de l’école de l’ombre ?

C'est une particularité des systèmes éducatifs asiatique : l'école de l'ombre, les cours particuliers privés, y est très répandue. Quels effets cela a -t-il sur l'éducation ? L'Europe, qui connait une forte croissance des ce s cours privés, doit-elle se protéger ?


L’école de l’ombre, celle des cours particuliers, supplémentaires, dispensés par des professeurs ou des entreprises occupe une place croissante dans les débats en éducation. Qui sont les plus gros consommateurs et pourquoi ?


Marc Bray Marc Bray : Les champions asiatiques sont : la Corée du Sud, le Japon et Taïwan. L’école de l’ombre gagne très rapidement du terrain en Chine. En Europe, la Grèce, Chypre et Malte sont sur le podium mais la France est en train de les ratrapper. Les raisons en sont multiples. En Asie de l’est, il s’agit de pays riches où une bonne éducation est recherchée et le recours aux leçons particulières massif. En Asie du Sud, le système éducatif est déliquescent et les enseignants dispensent eux-mêmes des cours particuliers. Dans les pays asiatiques issus de l’ex-URSS, les cours particuliers ont toujours existé mais étaient clandestins. Avec l’acceptation du marché, cette pratique a perduré et est devenue ouverte. En Europe, les salaires des enseignants se sont effondrés avec la disparition de l’URSS, les enseignants étaient obligés de donner des cours particuliers pour subvenir aux besoins de leurs familles et la société dans son ensemble a accepté ce fait.


La situation est particulièrement perverse en France : le gouvernement encourage lui-même l’école de l’ombre grâce aux abattements fiscaux avantageux. Seuls les riches paient des impôts et bénéficient de ce système, les familles pauvres sont exclues de ce système et leurs enfants ne bénéficient pas de cours particuliers. En agissant ainsi, le gouvernement reconnaît et légitime l’école de l’ombre.


Quelles sont les facteurs à l’origine de ce phénomène croissant ?


La confiance se trouve érodée. L’anxiété parentale est le fond de commerce des entreprises pourvoyeuses de cours de soutien qui l’entretiennent et nourrissent la défiance vis-à-vis des écoles. Le discours typique est celui de la responsabilisation des parents « votre fille a besoin d’un soutien vous devez le faire pour elle, donnez-nous quelques euros et nous nous en chargeons. » Cette anxiété trouve son origine donc en partie dans le discours de ces entreprises mais également dans la mondialisation. Auparavant, les familles n’avaient pas le sentiment que la compétition se jouait au-delà des frontières nationales. Les évaluations comparatives internationales entretiennent cette anxieté parentale.


Existe-t-il une corrélation entre essor des écoles privées et essor de l’école de l’ombre ?


Pas tout à fait, les écoles privées n’endiguent en rien le recours aux cours particuliers bien au contraire. Les clients des entreprises de cours de soutien sont souvent inscrits dans des écoles privées. Souvent ils sont issus de familles favorisées à même de payer les frais supplémentaires.


Quel impact et leçons pour l’Europe et la France ?


Plus le nombre d’enfant bénéficiant d’une éducation parallèle croît, plus cela devient la norme et plus de familles y ont recours. Par exemple à Hong Kong 58% des élèves ont recours aux cours particuliers à la fin du collège et cette proportion atteint les 72% à la fin du lycée ! Par conséquent, ceux qui n’en bénéficient pas deviennent nerveux et intègrent le système aussi. On arrive ainsi à un point de basculement.


Cela a un effet pervers : les élèves respectent moins les enseignants des écoles et ces derniers, constatant que leurs élèves se tournent ailleurs pourraient relâcher leurs efforts et s’appuyer sur le secteur privé. Un cercle vicieux s’installe.


Ce phénomène de l’école de l’ombre est vieux et bien installé en Asie. De ce fait, l’Asie pourrait délivrer un message à l’Europe : évitez que cela fasse partie de la culture, découragez cette école de l’ombre. On peut partager l’Europe en quatre groupes : le sud où il est trop tard, le marché des cours privés est bien ancré. L’Europe de l’est : pour les raisons historiques déjà expliquées, le phénomène est accepté par la société. En Europe de l’Ouest : il n’est pas encore trop tard, il faut agir vite. Dans les pays scandinaves, les parents font confiance aux enseignants et à l’école, c’est un bon endroit pour être un écolier, alors protégez ce que vous avez de bien ! Une arme efficace est la réglementation de ces cours particuliers. C’est une tâche à laquelle il faut s’atteler.


Propos recueillis par Ange Ansour


Site de Marc Bray

http://cerc.edu.hku.hk/

Comparative education research centre university of Hongkong