Claudine Garcia-Debanc: "Soyons clairs avec les parents : il n'y a pas d'opposition entre démarche active et exigence de mémorisation"
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Joël Rambeau, secrétaire national du SNUipp, et Claudine Garcia-Debanc Photo Café pédagogique |
L'orthographe du français est complexe (bien plus complexe que le Finnois !) : rien d'étonnant que sa maîtrise nécessite du temps et des efforts. D'autre part, les connaissances des enseignants ne sont pas homogènes : pour enseigner la langue, il faut en connaître le fonctionnement, et il ne suffit pas de parler pour le connaître.
Avant les instuctions officielles de 2002, les observations des pratiques de classe montraient des activités fractionnées (conjugaison, grammaire, dictée) pour lesquels, souvent, seuls les bons élèves faisaient les liens. Le "réinvestissement" entre "je sais réciter la règle" et "je sais utiliser ces connaissances en situation de production d'écrit" était (est ?) faible.
Les tensions
L'enseignement de la grammaire et de la conjugaison engendre des tensions entre :- occasionnel ou systématique : certaines classes de collège ne font qu'épisodiquement de la grammaire
- en contexte ou hors-contexte, pour focaliser l'attention des élèves sur un point particulier
- grammaire de texte (reprises, valeur des temps verbaux, davantage travaillées en formation parce que plus nouvelles) ou grammaire de phrase (aussi importante même si elles paraissent moins " nobles "
- rapport entre observation et mémorisation
- temps consacré aux activités
Les élèves de ZEP sous-estiment les difficultés d'apprentissage de la langue, alors que ceux du centre ville se représentent mieux l'ampleur des apprentissages à réaliser. L'écriture d'une phrase comme " Ils les posent sur les tables " montre que de nombreux élèves ne font pas la part des choses, n'arrivent pas à expliquer les procédures qu'ils utilisent, avec une proportion encore plus forte dans les classes de ZEP. Ils n'arrivent pas à prendre la langue comme objet d'observation, réussissent les acords seulement dans certains contextes, ne perçoivent pas les difficultés, utilisent la langue uniquement en se pilotant sur le sens : quand on demande de compléter la phrase "le ciel est …. (bleus, noir) avant l'orage", l'élève choisit le mot "bleus" uniquement par rapport à la signification en contexte. Qaund on demande "comment tu fais pour savoir si c'et un nom ou un verbe ?", ils utilisent plusieurs critères sans les mettre en ordre (nombre, temps, sujet…)
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Les modalités de travail en ORLF
On suppose trois types d'activité : la voie longue (pour les activités constituant les noyaux centraux, par exemple le rapport sujet/verbe), les activités ritualisées (brèves, mais répétées, pour mettre en place des entraînements), la comparaison entre langues.- "parler, lire et écrire dans toutes les disciplines".
Les recherches de Lieury montrent que pour qu'un mot nouveau du lexique soit intégré, il faut qu'il soit rencontré dans quatre situations : entendu, rencontré, réutilisé, à l'oral et à l'écrit. Passer du " manger " à la " nourriture ", comprendre le rôle des noms dans les exposés scientifiques nécessite un travail systématique et approfondi, y compris dans les séances de sciences, permettant à la fois de contextualiser et de de décontextualiser pour recenser, par exemple, toutes les méthodes utilisées par la langue pour fabriquer des noms à partir des verbes. La " simple " formulation de constats, à l'écrit, ne va pas de soi : elle se distingue largement des formulations orales, dans lesquelles on parle par approximation successives : " Moi, mon frère, y'a les freins qui déconnent " se code à l'écrit " les freins du vélo de mon frère… "
La programmation ou les choix prioritaires ?
Faire des choix dans les notions-noyaux, organiser les conditions d'entraînement, partager des principes, échanger au sein de l'école semble l'essentiel, au-delà de " programmation-type " trop rigide. Les notions-noyaux incontournables doivent être traitées dans l'ordre : la relation sujet/verbe ne peut se construire si on ne sait pas ce qu'est un verbe… Il faut examiner la " rentabilité orthographique " de la notion qu'on va choisir de travailler en priorité. Ce choix est à faire à partir de l'analyse réelle des productions écrites des élèves. Les verbes les plus fréquents sont justement les verbes irréguliers, pas le verbe "chante"…Il faut insister sur la nécessité de centrer les activités de la classe sur les normes les plus régulières, en prenant le temps d'automatiser ce qui est régulier, en stabilisant, en répétant. Or, le débat médiatique fait comme s'il y avait opposition entre démarche active et répétition. Il n'en n'est rien, et les élèves ont besoin des deux entrées pour construire un rapport fructueux et efficace avec l'écrit
Le débat médiatique va se déplacer de la lecture vers la grammaire. On sait mieux comment les élèves apprennent, on a des savoirs disponibles. Communiquons bien avec les parents sur les deux aspects de notre travail : l'engagement de l'élève dans la réflexion ET la mémorisation et l'entraînement, le temps à passer massivement sur les noyaux durs des difficultés.
Mais soyons exigeants sur la nécessité de conduire des recherches sur l'efficacité de certaines pratiques en matière d'enseignement de la langue, qui restent très insuffisantes à l'heure actuelle dans notre pays. Il faut prendre au sérieux l'activité enseigante.
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Au cours de la discussion, les enseignant-e-s ont aussi fait part de leurs demandes de pouvoir utiliser des outils qui ne leur demandent pas de tout réinventer chaque matin…
- Accueil
- Une ouverture sous le signe de la résistance (J.-Y. Rocheix, Agnès van Zanten)
- Boris Cyrulnik : Vous avez dit "ontogénèse de l'empathie ?"
- Marie-Claude Courteix : Intégrer les enfants handicapés, mission impossible ?
- Roland Goigoux : Osons débattre au fond pour dépasser nos accords de façade sur la lecture
- Claudine Garcia-Debanc : Enseigner l'ORL, une opposition entre démarche active et mémorisation ?
Le dossier complet à télécharger
Reportage par P. Picard - Publication le 1er novembre 2006
Par fgiroud , le .